BOOK REVIEWS

Dossier spécial électionsLa République de Chine élit son président : Naissance d’une nation ?

by  Eric Sautedé /

Le 23 mars 1996 est à marquer d’une pierre blanche sur l’agenda de la démocratisation taiwanaise. Pour la première fois, en accord avec les amendements constitutionnels passés à l’été 1994, le peuple taiwanais était appelé à se rendre aux urnes pour élire directement son président de la République. Pour le régime paria de Taiwan et pour ses habitants, l’événement se dotait de significations multiples.

Cela représentait tout d’abord l’aboutissement d’un processus de libéralisation politique entamé en 1987, avec la levée de la loi martiale, et, donc, l’apothéose des bouleversements institutionnels qui ont jalonné la route vers la démocratie d’un système politique qui s’était doté un temps des atours d’un autoritarisme dur.

En dépit des arguties sémantiques et des professions de foi du parti au pouvoir, le Kuomintang (KMT), cela signifiait également que la République de Chine (RDC) reconnaissait définitivement qu’elle se situait “à Taiwan”. L’événement était fondateur, donc, en ce qu’il transformait de facto une souveraineté amputée et conquérante, en une souveraineté consciente, acceptée et défensive. Elu au suffrage universel, le nouveau président est le représentant de tous les citoyens de la République. Comme le précise l’article 2 de la constitution, “la souveraineté réside dans le corps entier des citoyens”.

Enfin, le contexte de ces élections, c’est-à-dire l’inquiétude que la République populaire de Chine (RPC) a fait, ou a tenté de faire peser sur le bon déroulement et, a fortiori, l’issue du scrutin, lui apportait un supplément d’âme. Maintenir le processus électoral alors que la RPC avait recours à toutes les armes de l’intimidation, cela soulignait l’engagement certain des dirigeants en faveur de la démocratie et leur obligation impérative de s’y conformer. Se rendre aux urnes dans de telles conditions représentait également, cela a son importance, le plus fervent témoignage du courage des Taiwanais eux-mêmes.

Quatre candidats et un président

Après l’avalanche des candidatures, annoncées mais non enregistrées, enregistrées mais retirées, à la fin de l’année, quatre tickets composés chacun d’un candidat pour la présidence et d’un autre pour la vice-présidence, restaient en lice (1).

Sur ces quatre tickets, deux représentaient leurs partis respectifs. L’actuel président Lee Teng-hui et son premier ministre Lien Chan pour le KMT; une des figures historiques du combat pour l’indépendance, Peng Ming-min, et une des étoiles montantes de l’opposition, Frank Hsieh, pour le Parti démocrate progressiste (PDP).

Tout en étant soutenu par le Nouveau parti (NP, Xindang), le troisième tandem se voulait indépendant et associait deux anciens vice-présidents du KMT, Lin Yang-kang et Hau Pei-tsun, tous deux exclus du parti nationaliste en décembre dernier

Enfin, un seul ticket pouvait se vanter d’être sans étiquette, le couple Chen Li-an, ancien président du Yuan de contrôle, et Wang Ching-feng, avocate et ancien membre du même Yuan (2).

Durant une campagne que la loi limite à 28 jours, mais qui avait commencé, en réalité, dès l’été dernier, les différents candidats ont donné toute la mesure de leurs capacités, se dépensant sans compter, malgré le grand âge de certains — Lee et Peng ont tous deux 73 ans. Parcourant les quatre coins du territoire, se rendant sur les îles de Matsu et Jinmen — les plus exposées à une éventuelle intervention armée de la RPC —, délivrant jusqu’à dix discours par jour, participant à plusieurs forums télévisés (3), ils ont montré que cette élection devait être celle de tous les Taiwanais.

Faisant campagne sur le slogan “Dignité, Vitalité, Grande édification”, Lee Teng-Hui bénéficiait d’avantages certains. Président sortant, pourvu d’une forte légitimité, il avait pour lui la machine d’un parti très richement doté, son bilan de gouvernant — appuyé par Lien — et son bilan d’architecte de la démocratie — cette élection l’attestait. Sa personnalité et ses origines taiwanaises dépassaient largement son identification partisane et sa “diplomatie pragmatique” semblait, pour le meilleur et pour le pire, tout autant satisfaire la soif de reconnaissance de ses concitoyens que déclencher l’ire de Pékin. Enfin, sa détermination face aux intimidations de la RPC, soulignée par la présence des porte-avions américains, venait fort à propos rappeler que cette “diplomatie pragmatique” avait son utilité. Martelant sans cesse qu’il mettrait “sa confiance, sa sagesse et son courage dans la poursuite de réalisations historiques susceptibles d’aboutir à la paix dans le détroit” (4), Lee défendait sa position en tant que chef-d’Etat en même temps qu’il se présentait comme le plus grand démocrate appelé à devenir “le premier président made in Taiwan”.

Contre une grande partie de l’establishment du PDP, Peng Ming-min mena une campagne très orientée sur le thème de l’indépendance : “Indépendance, Oui. Réunification, Non. Aimons Taiwan”. Peu connu des Taiwanais, l’ancien ami de Lee Teng-hui — ils ne se sont pas revus depuis le milieu des années 60 — a choisi délibérément de surmonter son “complexe Lee Teng-hui” — en référence aux griefs faisant du président sortant le chantre de l’indépendance déguisée — en se livrant à une surenchère exclusive sur ce thème — accusant même Lee de mettre en péril l’avenir de l’île par sa politique d’une seule Chine ! Ayant rejoint le PDP tardivement, le 28 février 1995, date anniversaire de la répression meurtrière du premier — et dernier — soulèvement taiwanais contre l’occupant nationaliste, Peng est un intellectuel qui connaît mal les rouages de la politique insulaire, ayant passé quelque trente années en exil aux Etats-Unis à militer dans des mouvements indépendantistes. S’il s’est permis quelques rares sorties remarquées sur d’autres sujets, notamment les problèmes de pollution, il a en revanche relégué au second plan les nouvelles grandes lignes directrices du PDP façon Shih Ming-teh : celle de la “grande réconciliation”, qui voudrait guérir la fracture communautaire entre Taiwanais de souche (benshengren) et continentaux (waishengren), et celle de “grande coalition”, ouverture jugée nécessaire vers une négociation de parti à parti en vue de former un gouvernement de coalition.

S’agissant des autres candidats, leur présence dans ce grand combat politique tient en un mot : Lee. Ils sont, en effet, tous entrés dans la compétition en réaction à la personne et/ou à la politique de Lee Teng-hui, exploitant la brèche de la dégradation des relations entre les deux rives, qui a d’ailleurs entièrement monopolisé l’arène du débat avant, pendant et après la campagne électorale. Lin Yang-kang, éternelle victime de l’autre grand Taiwanais du KMT, s’est affranchi cette fois de la tutelle d’un parti auquel il doit tout, mais qui ne lui a jamais permis d’être à la première place. Sous le slogan “Nouvelle direction politique. Nouvel ordre. Nouvel espoir”, dont les deux derniers termes rappellent le mot d’ordre adopté par le NP aux élections municipales de Taipei en 1994 (5), se dissimule mal l’acrimonie d’un homme qui a promis de se rendre à titre privé sur le continent une fois élu, afin de retrouver la voie du dialogue avec la Chine (6). C’est de cette inquiétude légitime, parce que présente dans tous les esprits, qu’est issue également la candidature de Chen Li-an. Malgré les demandes pressantes de Lin qui l’appelait à devenir son co-listier, Chen le probe — ancien président de la plus haute instance de contrôle de l’administration, Chen l’héritier — son père n’était autre que Chen Cheng, l’ancien bras droit de Chiang Kai-shek — Chen le bouddhiste — qui s’était retiré un temps de la politique pour devenir moine, tentait de représenter une autre politique “au service de la Nation, pour une société humaniste”. Premier candidat déclaré, juste après la visite de Lee aux Etats-Unis en juin 1995, Chen Li-an posait sa candidature en opposition “aux dérives d’une société matérialiste” dont l’aveuglement a forcé la marche vers un casus belli probable.

Quand la certitude annonce le changement

Malgré les ultimes coups bas des derniers jours de la campagne — où l’on accusait Lee d’avoir été un agent des communistes en 1947, où l’on dépeignait Peng comme “un faux gentleman dont le sourire cache un couteau”, où l’on accusait Lin d’être un porteur de serviettes aux ordres de la Chine communiste — les résultats ont été peu surprenants. Donné gagnant dès le début par les sondages, et malgré les forts taux d’indécis (7), il semblait bien que cette fois, “Lee était imbattable.” (8) Sa victoire, conforme aux voeux de l’intéressé, dépassa la barre psychologique des 50%, pour atteindre très exactement 54%. Ne nous y trompons pas, cette appréciation euphorique du triomphe de Lee ne doit rien à une quelconque réinterprétation a posteriori. Ce ne sont pas tant les sondages, dont l’échantillonnage demeure très discutable à Taiwan, que la personnalité des autres candidats et le contexte hautement singulier de ces élections qui autorisent une telle perception. Peng-Hsieh, à leur grande déception, n’obtenaient que 21,13% des suffrages, Lin-Hau, 14,90%, et Chen-Wang, 9,98%.

Ayant su capitaliser sur tous ses atouts, Lee remportait la majorité dans toutes les circonscriptions de Taiwan, à l’exception de Nantou, dont est originaire Lin Yang-kang.

Les déterminants du vote, dans le cadre de présidentielles, sont, nous l’avons déjà souligné, particulièrement tributaires de la personnalité des candidats. Doté du meilleur candidat possible, parti le mieux organisé, le plus riche également, et contrôlant les trois chaînes de télévision nationales — les chaînes câblées ne pénètrent pas bien les campagnes — le KMT possédait l’essentiel des inconnues de l’équation électorale. Et les savants calculs, agrégeant les scores de Lee et de Peng pour essayer d’y lire un quelconque soutien à l’idée indépendantiste ou au contraire les scores de Lin et Chen afin de souligner que ce cumul fait perdre au PDP son mandat de “premier parti d’opposition”, n’éclairent que faiblement l’issue du scrutin. Certes, l’on pourra remarquer que le seul quartier de Taipei qui échappe à Lee, au profit de Lin, est celui de Da An, majoritairement continental. L’on pourra constater de même que c’est à la ville — Taipei notamment — que les scores des différents candidats sont les plus proches; que le score de Lee et la faiblesse de celui de Peng témoignent d’un fort report des voix PDP sur le président sortant ; ou qu’enfin, certaines circonscriptions traditionnelles des partis se sont conformées à des comportements plus connus — Ilan pour le PDP et Yunlin pour le KMT, par exemple. Mais l’enjeu même de ces élections fait qu’elles ne ressemblent à aucune autre : tous les scores du ticket Lee-Lien, à quelques rares exceptions près, comme dans la ville de Chiayi, dépassent ceux enregistrés par le KMT aux dernières élections du Yuan législatif de décembre 1995.

La grande nouveauté de la course à la présidence est à lire dans son caractère fondateur.

Des élections oubliées : l’Assemblée nationale

L’analyse des élections à l’Assemblée nationale, qui se tenaient le même jour, se révèle plus intéressante quant à la distribution des forces politiques sur le territoire de la RDC. Complètement éclipsé par les présidentielles, le résultat de ces élections, son déroulement également, confortent les tendances qui se dessinaient depuis l’émergence du jeu à trois que l’on peut faire remonter aux élections de décembre 1994.

Avec seulement 183 élus sur 334 sièges (9) et un peu plus de 49% des voix, le KMT enregistre un net recul par rapport aux précédentes élections de 1991 — les premières de ce type, qui avaient remplacé l’Assemblée cacochyme élue en 1947 — puisqu’il avait alors remporté 259 sièges sur 326. Le relatif succès de sa stratégie de concentration des candidatures et d’amélioration qualitative de celles-ci — de nombreux membres d’organes du gouvernement étaient présents dans la course — parvient à limiter la lente banalisation du Parti nationaliste et lui permet de préserver sa majorité absolue. En revanche, il y perd sa majorité des trois quarts, qui lui permettait jusqu’alors d’amender la constitution sans avoir besoin de rallier les membres d’autres partis.

Le PDP enregistre pour sa part un gain notable, passant de 62 à 99 sièges (29,85% des voix). Mais cette avancée mérite d’être nuancée puisqu’en 1991 il avait fait les frais d’un engagement forcené sur le thème de l’indépendance. Son résultat, proche en terme de part des voix de celui des dernières élections au Yuan législatif, montre qu’il a encore bien de la peine à s’assurer de sa base électorale (10).

Le NP, pour sa première prestation électorale dans cette assemblée, fait une remarquable entrée, puisqu’il s’empare de 46 sièges (13,67% des voix), montrant qu’il a bel et bien assis sa stature de parti d’opposition alternatif et crédible. Notons qu’il s’empare, cela crée un précédent, d’un siège à Matsu et d’un autre à Jinmen.

Nous remarquerons, enfin, que ces élections se jouent sur le même mode de scrutin mais dans des circonscriptions plus petites que celles du Yuan législatif : elles n’ont fait que confirmer, sinon grossir le trait des élections de décembre. De plus, en dépit de ses pouvoirs d’amendement constitutionnel — et de modification du territoire de souveraineté, cette institution pâtit d’une désaffection certaine des électeurs et de certains de ses membres (le PDP milite pour sa disparition). A n’en pas douter cependant, ces élections reflètent plus justement que les présidentielles l’expression d’un choix partisan.

Naissance d’une nation ?

Plusieurs leçons peuvent être tirées des élections présidentielles pour la RPC et Taiwan.

S’agissant de la Chine communiste, il semble évident que la spirale de l’intimidation dans laquelle elle s’était engagée a fait long feu, bien qu’elle n’ait pas totalement échoué. Certes, contre les voeux affichés de Pékin, Lee Teng-hui a été élu. Et la République de Chine est à présent dotée d’un président élu au suffrage universel — exemple politique ô combien corrupteur pour les autocrates pékinois. Mais dans le même temps, la RPC a été prise au sérieux. En allant toujours un peu plus loin dans ses démonstrations de force, sans pour autant fermer la porte d’un revirement politique, elle a montré qu’il fallait compter avec elle : les débats politiques sur lesquels se sont cristallisées ces élections, la présence des porte-avions américains et la venue de plus de 600 journalistes étrangers pour couvrir l’événement (et pourquoi pas, la guerre ?) sont autant de sujets de satisfaction. Reste à savoir quels sont les véritables desseins de Pékin et quelles sont les chances de voir revenir l’odeur de la poudre, débarrassée de ses effluves de rationalité.

Les paradoxes ne sont pas moins grands pour Taiwan, qui a donné plus de sens encore à sa démocratie, tirant, pour une fois, tout le profit d’être dans “l’ombre de la Chine” (11). Tout d’abord, la République de Chine n’est plus le pion avancé, quelque peu encombrant, de l’Empire américain. Elle est bel et bien devenue une démocratie reconnue et défendue en tant que telle. Par contraste avec le régime intolérant situé de l’autre côté du détroit et grâce à l’engagement politique pugnace de ses gouvernants, Taiwan a fait du “démocratiquement correct” une arme nationaliste. Enfin, les intimidations de la Chine communiste ont eu pour principal effet de resserrer la communauté taiwanaise. Lorsque Lee Teng-hui déclare, au soir des élections, que “les Taiwanais sont les meilleurs représentants de la démocratie”, il vise au plus juste : par ses élections et l’hypothèque que constituait la menace armée de la Chine, la population taiwanaise, pour ne pas dire le peuple, a montré qu’elle avait toutes les raisons d’être unie. Le score réalisé par Lee l’indique explicitement. Ce que la liberté de débat n’avait jusqu’à présent pas permis, malgré les désirs de “grande réconciliation” du PDP, se dessine peut-être enfin : la dissociation de la fracture ethnique et du débat sur l’indépendance. Suivant quelles modalités ? Seuls les mois à venir nous le diront...

Avenir du dialogue, devenir du consensus

Pour ce qui est de l’avenir du dialogue entre les deux rives, le jeu reste ouvert pour la partie taiwanaise. Dans un long entretien accordé à l’Asian Wall Street Journal (12), Lee a notamment déclaré que c’était “la volonté du peuple” qui le poussait à revendiquer un siège à l’ONU, et qu’il espérait également voir les discussions de haut niveau avec la RPC, suspendues depuis juin dernier, reprendre dans un proche avenir, tout en soulignant que la question de la souveraineté de Taiwan ne pourrait faire partie de ces discussions, malgré les exigences de Pékin. Sa seule concession apparente concernait ses voyages à l’étranger, qu’il compte suspendre pour un temps, s’affirmant trop occupé par les affaires de politique intérieure. A n’en pas douter, Lee pourrait ainsi adopter “une stratégie des poings liés”, selon la formule du politologue taiwanais Chu Yun-han, qui viserait à faire comprendre à la Chine communiste que s’il a le pouvoir bien en main et qu’il reste fidèle à un objectif de réunification — au moins sur le long terme, il a en revanche des comptes à rendre, en tant qu’élu, à une frange non négligeable de la population qui exprime par les urnes des velléités indépendantistes marquées. Dans cette perspective, l’une de ses premières grandes propositions pourrait être l’établissement de triple liaisons directes avec le continent (transports, poste, et commerce), fondatrices en elles-mêmes, désirées par Pékin et faisant l’objet d’un large consensus au sein de l’électorat taiwanais.

S’agissant des initiatives de politique intérieure, l’horizon qui s’ouvre au nouveau président de la République est assez vaste. A supposer qu’il ne profite pas de sa toute nouvelle légitimé pour ralentir le rythme des réformes, ce qui semble bien improbable, Lee devrait avoir une assez large marge de manoeuvre. Tout d’abord, parce que le principal parti d’opposition, le PDP, est en pleine crise d’identité. Shih Ming-teh, son président, a démissionné de son poste, assumant le discrédit de l’échec. Il a été remplacé par un président par intérim, Chang Chun-hung, en attendant le renouvellement définitif qui devrait intervenir en juin prochain. En passe d’abandonner la revendication indépendantiste de sa plate-forme politique, le parti semble vouloir tirer les enseignements de ses déconvenues de façon radicale (13).

Seuls quelques scandales financiers ou de corruption, cette maladie endémique du KMT, pourraient en définitive venir contrarier les plans de Lee. Gardant la haute main sur la définition de l’agenda de la réforme, il pourrait en effet convoquer dans un proche avenir une grande conférence nationale, qui aurait pour enjeu l’avenir des relations entre les deux rives, voire la question de l’identité nationale. Il répéterait en cela son initiative de 1990, qui concernait avant tout la conduite des réformes démocratiques. Enfin, et surtout, la constitution du prochain gouvernement (Yuan exécutif, xingzheng yuan) après l’intronisation de Lee, le 20 mai, sera peut être l’occasion de donner une nouvelle impulsion à son aura de père de la démocratie taiwanaise. Pourquoi ne pas imaginer qu’avant d’éventuelles initiatives de réconciliation nationale, il ne propose quelques maroquins à certains membres de l’opposition (14). Quant à la nomination du premier ministre, beaucoup de rumeurs animent les milieux politiques et plus généralement la population et la presse. Il a beaucoup été question de Lee Yuan-tsu, le Nobel président de l’Academia Sinica, sans affiliation, même si Lee Teng-hui a déclaré que son candidat serait forcément membre du KMT. Les spéculations vont alors bon train, allant de Wu Poh-hsiung, le secrétaire général du bureau de la présidence, à Hsu Shui-teh, secrétaire général du KMT, et Hsu Li-teh, le vice-Premier ministre, en passant par Chen Li-an, présidentiable vaincu, à l’inesquivable Lien Chan, nouveau vice-président et ancien premier ministre, qui serait appelé sous le couvert du maintien de la stabilité. Alors que la répartition des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif pose toujours problème dans l’édifice constitutionnel de la RDC, ce dernier choix ne manquerait pas d’occasionner quelques contradictions de prérogatives au sein de l’exécutif même (15). Pourtant, il existe un précédent, qui n’est autre que le père de Chen Li-an, Chen Cheng ! Parce que le KMT n’a qu’une courte majorité absolue au Yuan législatif, à un siège près, et que c’est cette institution qui confime la nomination du premier ministre, la désignation du prochain chef du gouvernement devrait donc s’avérer particulièrement délicate (16) ... et passionante.

Loin du cliché abondamment repris des “premières élections d’un président en cinq mille ans d’histoire chinoise” — après tout, nous n’élisons notre président de la République au suffrage universel que depuis 1965 — cette consultation montre, non pas que la démocratie est soluble dans la sinité — nous le savions déjà — mais bien à quel degré de maturité politique et à quel niveau de conscience nationale est parvenue la République de Chine “à Taiwan”.