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Des armes magiques bien rouillées
Le printemps de 1996 a vu la première élection dun président chinois au suffrage universel direct. Alors que Taiwan donnait lexemple de la démocratisation réussie dun régime autoritaire, Pékin, avec ses menaces de recours à la force, ses appels au nationalisme étroit, donnait limage dun régime archaïque figé sur de vieux stéréotypes. Quelle différence avec 1949, lorsque le parti communiste chinois représentait lavenir et le Kuomintang la sclérose!
Analysant les raisons de sa victoire, Mao Zedong lattribuait à trois armes magiques: lédification du Parti, la lutte armée et la politique de Front uni. Quarante-sept ans plus tard, les communistes chinois nont pas oublié que, comme le disait leur Grand Timonier, le pouvoir est au bout du fusil.
Lorsque le Parti sest senti menacé en juin 1989, cest à lArmée populaire de libération quil a eu recours. Plus récemment, lorsquil a fallu employer les grands moyens pour donner une leçon au président taiwanais dont lélection au suffrage universel représentait un défi, cest par des manoeuvres militaires à grande échelle que Pékin a répondu. Donc, trente ans après le déclenchement de la Révolution culturelle, les dirigeants chinois continuent daccorder une grande estime à la deuxième des armes magiques décrites par le Président Mao.
Quant à la première, lédification du Parti, elle est naturellement plus que jamais à lordre du jour. Le département de la propagande sefforce de créer de nouveaux héros positifs pour réinstiller un idéal à une société dont les normes morales se sont effondrées. Peu importe que la plupart des cadres du Parti se livrent à des détournements des biens publics, la direction a décidé daccorder la priorité à lédification de la civilisation spirituelle socialiste. Croit-elle vraiment quen utilisant les vieilles recettes de lâge dor des années cinquante, elle réussira à rendre aux larges masses lenthousiasme, et aux cadres le désintéressement qui régnaient à lépoque? Si, au début des années 60, les Chinois cherchaient vraiment à sinspirer de Lei Feng, ils sont aujourdhui beaucoup plus cyniques.
De laveu même des dirigeants, la corruption na jamais été aussi grave, ni lordre public aussi menacé depuis 1949. Aussi, pour obtenir le soutien des larges masses le Parti nhésite-t-il pas à faire des exemples. Peut-on concevoir justice plus expéditive que celle que lon a vue dans laffaire du hold-up avec quadruple meurtre de Zhongshan, au Guangdong? Deux semaines à peine se sont écoulées entre la date du forfait et celle de lexécution du coupable.
Plus grave, au lieu de se contenter de lutter contre la délinquance en appliquant simplement les lois existantes, déjà très répressives, le Comité central a décidé de lancer une campagne contre la criminalité comme en 1983. La pression qui sexerce sur les juges pour quils obtiennent des résultats les conduit à prononcer des verdicts sévères, même si les preuves sont insuffisantes. Le peu dautonomie quils étaient parvenus à obtenir disparaît au cours des campagnes. Tous doivent appliquer les directives. Cest bien le sens des propos de Ren Jianxin, président de la Cour suprême et membre du Bureau politique du Parti, à la conférence sur le travail de sécurité: il faut accélérer la procédure darrestation et de mise en examen (Renmin ribao 29/4/96). Le langage employé par le Quotidien du peuple dans léditorial qui lance la campagne montre quil y a encore fort à faire pour que la Chine entre dans létat de droit: il faut agir conformément à la directive du Comité central pour résoudre les problèmes dordre public, frapper fort la grande criminalité, afin de déblayer le chemin pour réaliser le 9ème plan quinquennal. Le langage de la répression apparaît comme un complément indispensable à celui de lexaltation des héros positifs.
Mais cest sans doute dans le maniement de la troisième arme magique, la pratique du front uni, que les dirigeants actuels montrent quils ont perdu la main. En effet, seul un parti sûr de lui peut se lancer sans crainte dans une politique dalliance. Mais lheure nest pas aux compromis: à lintérieur, la session de lAssemblée nationale populaire de 1996 a été lune des plus verrouillées depuis les années qui ont immédiatement suivi le 4 juin. Profitant de la tension qui régnait entre les deux rives du détroit, la direction a étouffé toute velléité de critique. Tandis que lors des dernières sessions, les observateurs avaient noté quelques manifestations dindépendance de la part de lAssemblée, cette année, elle est rentrée dans le rang en raison de la tension entre les deux rives.
Cela na toutefois pas fait disparaître la rivalité entre son président, Qiao Shi, et le numéro un du Parti, de lEtat et de larmée, Jiang Zemin. Alors que celui-ci sest distingué par un discours dur, apparaissant en vareuse kaki pendant la session de lAssemblée, Qiao Shi a entrepris un voyage en Russie, en Ukraine, en Grèce, à Cuba et au Canada au cours duquel il na pas manqué une occasion daffirmer quil fallait développer la démocratie en renforçant le contrôle du pouvoir législatif sur le gouvernement. Cette tournée, qui sest déroulée sans incidents, a consolidé sa stature internationale, renforçant sa position dans la lutte pour la succession. Rappelons que dans les régimes communistes, la mort du dirigeant charismatique est souvent suivie dappels au renforcement de lAssemblée qui devient un lieu crucial du débat politique. Cest sans doute parce quil a compris que Qiao Shi pourrait jouer un rôle important dans un proche avenir que Boris Eltsine, ce vieil habitué des luttes dappareil qui lavait déjà vu à Moscou, a demandé à le rencontrer quelques jours plus tard lors de sa visite à Pékin.
Toutefois, cest surtout dans sa politique à légard de Hong Kong que le Parti prouve quil ne sait plus pratiquer le front uni. Déjà, la composition du Comité préparatoire à la Région administrative spéciale avait montré quil navait fait aucun effort pour intégrer ses adversaires, à la différence de ce qui sétait passé lors de la formation du Comité de rédaction de la Loi fondamentale au milieu des années 80, avec la nomination de Szetoh Wah et Martin Lee. Le comité de 1996 comporte surtout de riches hommes daffaires acquis à Pékin et un seul opposant, Frederick Fung, député au Legco et président de lAssociation for Democracy and Peoples Livelihood, le plus modéré des partis démocratiques.
Après un silence de trois mois, le Comité préparatoire (CP) a annoncé des décisions graves après louverture de sa réunion plénière le 24 mars à Pékin. La date, le lendemain de lélection présidentielle de Taiwan, na sans doute pas été choisie par hasard.
Ce jour-là, le comité a décidé, à lunanimité moins une voix contre, celle de Frederick Fung, que le Conseil législatif élu en septembre dernier serait dissous le 1er juillet 1997 et remplacé par une assemblée législative provisoire. Furieux de lincartade de Fung, Lu Ping, directeur du bureau des affaires de Hong Kong et de Macao mais simple membre du Comité, a affirmé quil ne serait pas élu au Comité de sélection du futur gouverneur. Par cette déclaration, le Directeur a montré que Pékin ne tolérait pas la moindre opposition de la part des représentants de Hong Kong.
Le lendemain, Chen Ziying, vice-président chinois de la commission de liaison conjointe sino-britannique et membre du CP, affirmait que les fonctionnaires du Territoire devraient prêter allégeance à lassemblée législative provisoire. Le lendemain, Lu Ping disait quil avait parlé à titre personnel, et lors de son voyage à Hong Kong, il cherchait à rassurer les fonctionnaires inquiétés par les déclarations de Chen. Cependant, le mal était fait. Les Hongkongais les mieux disposés à légard de Pékin ont compris que latmosphère nétait pas au compromis dans la capitale du Nord. Une fois de plus, cest avec leurs pieds que les résidents de la colonie ont voté et, à la fin mars, les queues pour lobtention du passeport britannique de 2ème catégorie sétiraient à linfini, bien que ce document ne soit que dune utilité fort contestable.
Pour clore la semaine terrible, le CP adressait au gouvernement dix demandes pour assurer la coopération au cours de la transition. Si la plupart étaient anodines, deux dentre elles posaient problème: le Comité demande au gouvernement de fournir un local et toute laide possible à lassemblée législative provisoire quil ne reconnaît pas et des émissions spéciales pour lui permettre de transmettre ses messages sur la radio publique, RTHK.
Devant les hésitations de Government House, le CP a dénoncé le manque de sincérité des Britanniques, nom de code pour le refus de capituler sans conditions. Pékin montre ainsi que, malgré les exercices de consultation tenus par Lu Ping lors de sa visite à Hong Kong, malgré les dîners avec Anson Chan dans la capitale chinoise ou dans sa villa de Stanley, il nest pas question daccorder la moindre liberté de manoeuvre à ceux qui ne sont pas ses partisans inconditionnels.
A la fin avril, les Chinois ont en outre encore renforcé leur présence économique sur le Territoire puisque le 29, Swire Pacific, la vieille hong britannique, a perdu la majorité des parts quelle détenait dans Cathay Pacific au profit de la China National Aviation Corporation et de la CITIC, et a pratiquement vendu Dragonair à la CNAC. Ainsi, dans le domaine des lignes aériennes, la transition a été réalisée à la hussarde, et la compagnie nationale de Hong Kong appartient maintenant à la Chine.
Les deux derniers mois ont montré que les autorités de Pékin avaient dautres préoccupations que de conquérir les coeurs et les esprits des compatriotes de Hong Kong et de Taiwan. On note une nette nostalgie des années 50 chez des dirigeants qui ont été formés à cette époque. Vingt ans après lincident du 5 avril qui avait vu la population de Pékin descendre dans la rue pour réclamer la démocratisation du régime, limagination nest pas au pouvoir à Zhongnanhai.