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Dossier spécial électionsL’impact de la stratégie balistique de la Chine
En décembre 1995, les médias internationaux, et notamment ceux de Hong Kong, sétaient complus à faire accroire la thèse selon laquelle la Chine populaire avait pesé de manière déterminante dans lissue du scrutin. En dépit de la montée du Nouveau parti chinois (NPC) et du score décevant enregistré par le Parti démocrate progressiste (PDP), lon sait que le facteur continental a en réalité joué un rôle secondaire dans le résultat de cette consultation (1). A lissue des élections présidentielles taiwanaises de mars 1996, loin de relativiser limportance de ce facteur, la presse internationale lui accorde au contraire des vertus insoupçonnées : la stratégie balistique adoptée par les dirigeants de Pékin sest retournée contre eux et cest donc grâce à ces derniers que Lee Teng-hui a remporté la victoire que lon sait. Certes, nous serions tentés cette fois-ci de souscrire à cette thèse, mais force est de constater que de nombreuses raisons plus liées à la politique taiwanaise expliquent les résultats de cette importante consultation.
La stratégie balistique de Pékin, révélateur de la véritable politique continentale des différents candidats
En juin 1995, au lendemain de la visite de Lee Teng-hui aux Etats-Unis, le Parti communiste chinois (PCC) modifia en partie sa politique taiwanaise : si les huit propositions énoncées par Jiang Zemin en janvier restaient valables, Pékin décidait daccroître sensiblement sa pression militaire sur Taipei, notamment à la veille de chaque consultation électorale importante à Taiwan. Au début mars 1996, quelques semaines avant la première élection dun président taiwanais (et chinois) au suffrage universel direct, cette pression devait atteindre son paroxysme et déclencher une véritable crise internationale : aux gesticulations de lArmée populaire de libération (APL), firent écho des mouvements de la 7eme flotte américaine dans les environs immédiats de lîle nationaliste. Si la réaction de Washington favorisa une baisse rapide de la tension, sur la scène intérieure taiwanaise, cette crise contribua surtout à obscurcir le débat sur les relations avec la Chine populaire.
Les objectifs de Pékin et les moyens mis en oeuvre
Tout avait commencé comme un bis repetita des opérations militaires dintimidation de lautomne dernier : dès janvier, il fut indiqué que dimportantes manoeuvres de lAPL, réunissant environ 400 000 hommes auraient lieu à la veille des élections présidentielles taiwanaises (2). Peu après, la presse de Hong Kong reprit le rôle que Pékin lui avait déjà attribué quelques mois auparavant et publia en bonne place de nombreuses informations inquiétantes sur les préparatifs de quasi-guerre contre Formose (3).
Toutefois, lon comprit rapidement que les choses avaient pris une autre dimension. Le 24 janvier, le New York Times relatait des propos que des hauts fonctionnaires chinois auraient tenus fin 1995 à Charles Freeman, ancien secrétaire américain à la défense, selon lesquels 1) lAPL avait préparé un plan dattaque de Taiwan au moyen de tirs de missiles, qui serait mis en oeuvre après lélection du 23 mars, à compter dune frappe par jour et ceci pendant trente jours, et 2) Pékin ne craignait pas une intervention de Washington parce que les responsables américains se préoccupaient plus du sort de Los Angeles que de celui de Taiwan, une menace voilée de lutilisation de larme nucléaire contre les Etats-Unis au cas où ceux-ci saventureraient à réagir (4). En dépit du peu de crédit que lon pouvait accorder aux déclarations dun homme politique réduit par les responsables chinois au rôle de petit télégraphiste, laffaire fut suffisamment prise au sérieux par ladministration Clinton pour que celle-ci annonce deux jours plus tard que les 19 et 20 décembre précédents, le porte-avion Nimitz avait emprunté, en raison du mauvais temps, le détroit de Formose pour rejoindre Hong Kong.
La publication de ce premier signal adressé par Washington à Pékin ne troubla en rien la résolution des militaires chinois. En février, les menaces dattaque limitée, notamment contre une île isolée de la République de Chine se multiplièrent et, en dépit de lannonce officielle deffectifs engagés dans les manoeuvres de lAPL (150 000) bien plus bas que ceux prévus par les Cassandre bien informées, firent monter linquiétude à Taiwan : à cet égard, fort dune garnison de 500 hommes, cest sur lîlot de Wuchiu situé à mi-chemin entre Quemoy et Matsu que la presse jeta son dévolu (5).
Mais la nouvelle stratégie de Pékin saffirma clairement lorsque celle-ci devint balistique et clairement provocatrice. En effet, pour la première fois, Pékin admit alors ouvertement que sa politique à légard de Taiwan, selon laquelle le développement des échanges économiques entre les deux rives aurait favorisé la réunification pacifique de la Chine, navait pas été confirmée par les faits (6). Dautres moyens, politiques et militaires, devaient désormais compléter cette approche afin de mieux lutter pour la réunification rapide de la patrie, selon les mots mêmes de Li Peng. Ainsi, le 5 mars, lAPL annonça quelle procéderait entre le 8 et le 15 mars à des tirs de missiles à blanc aux portes de Keelung et de Kaohsiung, les deux principaux ports de Taiwan (70% du trafic maritime) afin de montrer au gouvernement de Taipei quelle était capable dorganiser un blocus de lîle et donc dasphyxier en peu de temps léconomie taiwanaise (7). Le 8, Pékin passa à lacte et lança trois missiles M-9, deux à 48 km au large de la seconde ville et un à 35 km du port septentrional de Formose. Le lendemain, lAPL annonçait de nouvelles manoeuvres combinées et à tir réel qui devaient se dérouler entre le 12 et le 20 mars cette fois à seulement 70 km au sud-ouest des Pescadores (et au large de Dongshan).
La Chine populaire était allée trop loin. Pékin sétait rendu responsable non seulement dune grosse perturbation des trafics maritime et aérien dans une région où ceux-ci sont particulièrement intenses, mais de provocations qui auraient été considérées par nimporte quel autre Etat comme un acte de guerre, un casus belli. Les Etats-unis se devaient donc de montrer à la Chine la ligne à ne pas dépasser et ainsi réaffirmer leur soutien à une solution pacifique de la question de Taiwan et, dans lattente de celle-ci, au maintien du statu quo dans le détroit et de la sécurité dans la région. Le 10 mars, Warren Christopher, le secrétaire dEtat américain, qualifiait les exercices chinois dimprudents et de risqués tandis que le Pentagone faisait état de lenvoi du porte avions Independence (le bien nommé !) et de son groupe naval dans les environs immédiats de Taiwan (160 km à lest). Le lendemain, par mesure de précaution, le secrétaire à la défense William Perry indiquait quun deuxième porte-avions, le Nimitz, ainsi que ses bâtiments descorte rejoindraient la zone peu avant les élections.
La réaction américaine provoqua des vociférations de la Chine Qian Qichen crut devoir rappeler par exemple que Taiwan nétait pas un protectorat des Etats-Unis et la propagande du PCC menacer la 7eme flotte dêtre anéantie sous une mer de feu si elle saventurait dans le détroit (8) mais le discours martial des dirigeants de Pékin baissa notablement de ton. Dès le 14, le chef détat-major de lAPL, Fu Quanyou, indiquait que la Chine avait besoin dun environnement pacifique et stable, et, le lendemain, Li Peng appela à un développement plus rapide du Fujian tandis que Jiang Zemin, devenu le promoteur de la politique musclée décidée en juin 1995, et que Zhang Wannian, le principal chef militaire chargé de sa mise en oeuvre, restaient muets. En outre, le premier ministre chinois se contenta daccuser ladministration Clinton denvoyer par ces mouvements un signal trompeur et dangereux à Taipei et de lui déconseiller denvoyer le Nimitz dans le détroit si elle ne voulait pas rendre la situation plus compliquée. Et sur le terrain la décision de ladministration Clinton et la préoccupation exprimée par de nombreuses capitales asiatiques, et même européennes, incitèrent Pékin à reculer. Seul un quatrième missile sera lancé le 13 au large de Kaohsiung. Et si au même moment, la Chine annonçait lorganisation, pour la période du 18 au 25 mars, dun troisième exercice militaire sur lîle de Pingtan, à quelque 17 km de Tungchu, lîlot le plus excentré de larchipel des Matsu, ces manoeuvres, en raison notamment des gros problèmes de logistique auxquels lAPL eut à faire face, neurent pas plus que celles organisées dans la région de Dongshan lampleur que nous promettaient les thuriféraires des communistes chinois.
Limpact sur la campagne présidentielle : un débat obscurci
Plus encore que lors des élections législatives de décembre 1995, la crise internationale déclenchée par Pékin domina la campagne électorale des présidentielles. Bien que sur le fond les politiques continentales de quatre candidats naient guère été modifiées, la pression militaire de la Chine populaire a donné lieu à des polémiques et des surenchères qui ont quelque peu obscurci un débat resté avant tout et dangereusement motivé par des considérations de politique intérieure. Et face à la montée de la tension, tout en appelant à lunité, chaque candidat sefforça de montrer imprudemment quil possédait la clé de toute amélioration des relations avec le continent.
Dun côté, épousant le discours de Pékin, Lin Yang-kang et Chen Li-an neurent pas de mots assez durs contre Lee Teng-hui quils accusèrent par son combat masqué pour lindépendance de Taiwan dêtre à lorigine de la crise et de mettre directement en danger la sécurité du pays. Perdant tout sang froid au plus fort de la tension, Chen alla même jusquà déclarer que choisir Lee, cest choisir la guerre (9). Dénonçant désormais une visite de Lee aux Etats-Unis quils avaient en son temps approuvée, ces anciens responsables du KMT proposaient tous deux la négociation dun traité de paix et la formation dun commonwealth (zhonghua guoxie) sur le modèle de lUnion européenne avec la Chine populaire (10). Cependant, alors que lun espérait détendre les relations entre les deux rives en mettant en sourdine la diplomatie pragmatique de Lee ainsi que sa volonté de retourner à lONU, lautre croyait pouvoir atteindre cet objectif en instaurant des contacts personnels à un haut niveau avec les responsables du PCC afin de convaincre ces derniers des intentions pacifiques et du désir réunificateur de la République de Chine (11). Sils dénoncèrent les exercices militaires de lAPL, afin de prouver à Pékin leur sincérité, Lin, le Nouveau Parti et Chen (ce dernier avec moins de vigueur) allèrent même jusquà sopposer à lintervention militaire des Etats-Unis dans la zone (12). Tablant sur linquiétude de lélectorat, tant Lin et Hau Po-tsun, lancien vainqueur de Quemoy (1958), dune part, que le couple Chen-Mme Wang Ching-feng, cherchèrent à jouer la carte pacifiste, notamment auprès des jeunes, des femmes et des militaires (à la retraite).
A lextrême opposé de léchiquier politique, Peng Ming-min se propulsa également comme meilleur interlocuteur possible des communistes chinois. Après sêtre montré, en février, favorable à linstauration de liaisons postales, maritimes et aériennes directes ainsi quà lorganisation de relations de gouvernement à gouvernement avec la Chine populaire, sous la pression de la montée de la tension, le candidat indépendantiste appela à la suspension de toute forme de coopération ou déchanges avec ce pays et, sans doute emporté par son élan oratoire, proposa dorganiser des exercices militaires au large de Shanghai (13). Favorable à lintervention américaine, Peng accusa assez justement, il faut ladmettre puisque lUS Navy na pas pénétré dans les eaux territoriales taiwanaises la République populaire dêtre la seule force étrangère à singérer dans les affaires intérieures taiwanaises (14). Toutefois, il critiqua vivement lattitude ambiguë de Lee sur la question de lindépendance, seul moyen à ses yeux de faire de Taiwan le pays le plus pro-chinois dans la région...(15).
Le candidat Lee Teng-hui ne fut pas totalement épargné par le vent politicien qui souffla alors sur lîle. Se considérant comme le seul à avoir véritablement le courage daffronter la Chine populaire, il nhésita pas, après le début des manoeuvres de lAPL, à proférer les plus fortes attaques contre les communistes chinois quil accusa de faire preuve de terrorisme dEtat (16). Toutefois, pris dans le piège des propositions de campagne, il se considéra par ailleurs comme le principal artisan du développement des relations entre les deux rives depuis la fin des années 80 (17) et, alors que les deux Chine ne se reconnaissent même pas, se montra lui aussi favorable à la signature dun traité de paix avec Pékin comme premier pas vers lamélioration des liens et condition de linstauration des trois liaisons directes. En revanche, il fit preuve dune plus grande prudence quant à léventualité dune rencontre au sommet entre les dirigeants politiques des deux rives (18). Il nen demeure pas moins quen nommant fin février Chang Ching-yu, un continental aux positions modérées sur les relations avec la Chine populaire, à la tête de la Commission aux affaires continentales du gouvernement, Lee chercha à la fois à rallier une partie de lélectorat de Lin et de Chen et à envoyer un message de relative ouverture à Pékin.
Par delà ces professions de foi souvent brouillonnes et que la montée de la tension a parfois rendues naïves et contradictoires, il est à noter quaucun des candidats nétait disposer à brader la souveraineté de la République de Chine pour vivre en paix. Au contraire, les uns (Lin et Chen), parce quils craignaient en cette période de tension, dêtre accusés de connivence avec Pékin, comme les autres (Peng et Lee), parce quils souhaitaient désarmer les craintes de lélectorat, partageaient le même souci de tout à la fois préserver lindépendance de fait de leur pays et améliorer les relations avec leur grand voisin. Néanmoins chacun divergeait sur la méthode et ce sont ces différences qui ont probablement le plus influencé lélectorat taiwanais.
Jiang Zemin, meilleur allié de Lee Teng-hui
Est-il nécessaire de rappeler que par ces provocations militaires et la propagande idéologique qui les a constamment soutenues, la Chine populaire a avant tout cherché à atteindre Lee Tenghui ? Non pas que le PC chinois espérait empêcher son élection. Mais du moins comptait-il pouvoir suffisamment ternir son image pour quil soit mal élu (moins de 50 % des voix) et que sa politique continentale sen voie affaiblie. Le moins que lon puisse dire, cest que la stratégie adoptée par Jiang Zemin en juin 1995 a largement échoué. Non seulement Lee lemportait avec 54 % des voix mais Peng Ming-min parvenait à décrocher une honorable deuxième place (21%), loin devant Lin Yang-kang (15%) et Chen Li-an (10%). Si lon suit à la lettre le discours de Pékin, 75% des Taiwanais se sont donc prononcés pour lindépendance ouverte ou voilée de leur île. Comment expliquer une telle déroute ?
Le facteur continental dans la victoire de Lee Teng-hui
Cherchant à influencer le vote des Taiwanais par lintimidation, la Chine populaire est surtout parvenue à déclencher chez eux un raidissement politique et des sentiments de colère. Voulant accélérer la réunification, Pékin na réussi quà repousser cette ligne dhorizon un peu plus loin encore. Pourquoi ?
Au plus fort de la crise, la presse internationale navait de cesse de chercher au sein de la société taiwanaise des manifestations dinquiétude, des départs précipités, des achats en catastrophe et des mouvements de panique. Il est certain quentre le 5 et le 10 mars, les résidents de lîle ont été habités par une certaine appréhension ; quelques-uns ont fait des provisions, dautres ont réservé des places sur des vols en direction de lAmérique ,mais la vie quotidienne na à aucun moment été perturbée. Daprès certains sondages, en réalité seulement 39% des Formosans se déclaraient alors inquiets tandis que 52% ne létaient pas et que 53% se montraient confiants dans la capacité de larmée taiwanaise à faire face à une attaque communiste ; en outre, si les partisans de lindépendance étaient tombés à 9,5%, ceux en faveur de lunification nétaient guère plus nombreux (13,9%) tandis quun nombre inégalé de Taiwanais restaient attachés au statu quo (56,2%) (19). De même, avant que soit annoncée lintervention de la marine américaine, 82, 5% des électeurs déclaraient que leur vote ne serait pas influencé par les manoeuvres et les tirs de missiles de lAPL (20). En réalité, la tension dans le détroit a notablement renforcé lavance de Lee sur les autres candidats. Cest justement en ce début mars que, daprès les sondages, le président sortant est passé au-dessus de la barre des 50% tandis que Lin (18,4%) et Chen (11%) voyaient leur chute saccélérer et que Peng passait en deuxième position (19,9%) (21). La montée du danger aux portes mêmes du pays a eu leffet connu de rassembler les électeurs autour du président sortant. Inversement, les candidats trop nettement conciliants à légard de la Chine ont pâti de cette nouvelle situation.
En revanche, si elle contribua à substituer à linquiétude de certains Taiwanais des sentiments de colère à lencontre de la Chine populaire, lannonce de larrivée de la 7eme flotte na peut-être pas été aussi favorable quil ny paraît à Lee Teng-hui. Certes, elle a renforcé la confiance des Taiwanais dans la protection américaine en cas de conflit avec Pékin : le 15 mars, 55% dentre eux estimaient ce soutien possible contre 39% en août précédent, après les premiers tirs de missiles chinois au nord de Formose (22). Cependant, lintervention américaine a dune manière générale permis aux élections présidentielles de se dérouler dans un contexte détendu, naturel en quelque sorte. Cétait dailleurs là un des objectifs de ladministration Clinton. En dautres termes, la réaffirmation de la protection militaire a renforcé linfluence des facteurs traditionnels sur lissue de ce scrutin.
Le poids dominant des facteurs traditionnels
Le 17 mars, la veille du début des exercices militaires de lAPL à Pingtan, les deux tiers de la population civile des îlots de Tungchu et Hsichu (environ 300 personnes) se réfugiaient par précaution à Taiwan. Le 20 mars, si le canon a tonné au loin trois à quatre fois dans la journée, aucun déploiement militaire particulier nétait en place et la vie continuait tranquillement son cours sur ces marches septentrionales du Grand Taiwan (23). Quoi quil en soit, le 23 mars, les citoyens (3 895 électeurs) de Matsu étaient presque aussi nombreux que leurs compatriotes de la grande île à prendre part au vote (67% de participation). En dépit de lissue particulière mais attendue des résultats locaux (Lee : 46%, Lin : 39%, Chen : 14%, Peng : 1%), la raison démocratique lavait donc emporté sur la peur.
Lon pourrait étendre mutatis mutandis cette conclusion à lensemble de la République de Chine. La plupart des électeurs ont voté comme ils lauraient fait en de toutes autres circonstances internationales. Ainsi, le mouvement abandonner Peng pour protéger Lee (qi Peng bao Li) a perdu largement de son ampleur après le 10 mars. A la faveur de la baisse de la tension dans le détroit, après avoir un temps été tenté de voter utile, un certain nombre de partisans traditionnels du PDP se sont finalement décidés à soutenir leur candidat naturel. Cest ce revirement qui explique pour une part la nette avance de Peng Ming-min sur Lin Yang-kang. Et si Peng nest pas parvenu à faire le plein des voix indépendantistes (30% des suffrages à lélection de lAssemblée nationale tenue le même jour), cest en raison à la fois de son discours par trop radical et abstrait, de son retour tardif en politique et des querelles internes au PDP et notamment de labandon de nombreux électeurs dans les fiefs méridionaux de ce Parti (Tainan, district de Kaohsiung) plus proches de la faction modérée Formosa que du nouveau courant, son principal appui au cours de la campagne.
De même, la mollesse du soutien du Nouveau parti à Lin Yang-kang, lélocution de vieillard dont ce dernier (68 ans) na pu se départir ainsi que la cohabitation embarrassante avec un général Hau Po-tsun (76 ans) qui le tirait irrémédiablement à droite expliquent probablement plus que les missiles la défaite cuisante de lancien président du KMT.
Les causes de leffondrement de Chen Li-an sont également multiples, parmi lesquelles il faudrait citer loin devant son discours pacifiste, le robinet deau tiède qua constitué tout au long de la campagne son discours, la vacuité de ses propositions et le style de plus en plus zen de son cheminement électoral.
Mais si lon voulait résumer la victoire de Lee, lon pourrait au risque de simplifier dire en toute franchise que ses rivaux ne faisaient pas le poids. Politiquement dabord, si le programme du KMT ne brillait pas par son originalité, ceux des autres candidats étaient encore plus décousus. Personnellement ensuite, aucun des concurrents de Lee ne parvint à communiquer aux électeurs lénergie sacrée qui semblait habiter le successeur de Chiang Ching-kuo. Le charisme du président sortant na-t-il pas aidé le KMT à limiter la casse à lAssemblée nationale où avec environ 50% des suffrages, il a remporté 55% des sièges ? Financièrement enfin, la machine du Parti nationaliste a écrasé par son efficacité et son accès privilégié aux médias électroniques les autres forces politiques en présence.
Autant de facteurs internes et traditionnels qui ont pesé de manière déterminante sur le résultat de ces élections.
Et après ?
La Chine populaire a donc à son corps défendant aidé Lee Teng-hui à remporter la belle victoire quil espérait. Mais lon aurait tort daccorder une importance exagérée à ce facteur extérieur largement neutralisé par le déploiement de la 7eme flotte américaine. Les multiples faiblesses intrinsèques des rivaux du président sortant ont aidé dans une large mesure ce dernier à dominer la scène. Plus unie, la société taiwanaise nest toutefois pas exempte de vulnérabilités. Celles-ci ont été manifestes en particulier dans le domaine économique. Entre juillet 1995 et mars 1996, lon pense quenviron 10 milliards de dollars américains ont quitté Formose et la protection de la monnaie taiwanaise, bloquée un temps à 27, 5 dollars NT pour un billet vert, a coûté à lEtat environ 15 milliards de dollars. Au cours de la même période, les réserves de change sont passées de 100 milliards à 85 milliards de dollars. En outre, en février 1996, un fonds de stabilisation de la bourse dun montant de 7 milliards de dollars (2 milliards ont été dépensés) a dû être mis en place en catastrophe. Bref, bien que Taiwan puisse espérer récupérer une partie des sommes dépensées, la facture est lourde et se soldera en 1996 par une perte probable de 2% de croissance (4% au lieu de 6%). Combien de fois la société formosane est encore prête à traverser une telle épreuve ? A la suite de cette crise qui a montré combien les autorités de Taipei se devaient de conserver un corset financier et monétaire de protection, ne peut-on pas douter de la viabilité du plan de transformation de Taiwan en un centre régional dopération en Asie-Pacifique ?
Et maintenant, que va faire Pékin ? Après avoir feint de vouloir récupérer Taiwan à nimporte quel prix (24), le PCC semble en être revenu à un politique plus réaliste. Transformant, comme les communistes en ont seuls le secret, une défaite en victoire, dès le 24 mars lAgence Chine Nouvelle déclarait que les forces partisanes de lindépendance (21%) avaient été battues par celles en faveur de la réunification (Lin + Chen : 25%) tandis que les attaques contre Lee disparaissaient des organes de propagande du PCC. Cétait une manière de se satisfaire dun statu quo que lAPL sétait montrée incapable daltérer. Il nen demeure pas moins que rien nest réglé et que Taipei comme Pékin sont désormais obligés de reprendre leurs discussions là où cette dernière capitale les avait interrompues en juin 1995. Mais ce processus sera probablement lent à redémarrer car ni Lee Teng-hui, dont la légitimé et la politique continentale sont sorties renforcées de ces épreuves, ni Jiang Zemin, dont laffaiblissement politique incite à la crispation, nont de raison de faire le premier pas. Ce blocage provisoire risque de retarder dautant tout établissement, pourtant demandé par les milieux daffaires taiwanais, de liaisons maritimes puis aériennes directes avec le continent et, partant, la transformation de Taiwan en un centre dopération régional en Asie-Pacifique. Et la conclusion dun éventuel accord de paix est désormais bel et bien reportée à des jours meilleurs pour ne pas dire aux calendes grecques. Enfin, cette crise laissera des traces durables à Formose où si Lee Teng-hui na pu tout à fait faire figure de Churchill, Lin Yang-kang et Chen Li-an sont apparus aux yeux de nombres de leurs compatriotes comme de véritables Chamberlain et Daladier.