A un an jour pour jour de la rétrocession
de Hong Kong à la Chine, le Quotidien du peuple reléguait
ce sujet dans ses pages intérieures, mais faisait sa “une”
en rouge, pour commémorer le 75ème anniversaire du
Parti communiste, avec un article de Jiang Zemin intitulé
“Il faut parler politique”, réaffirmant l’importance
capitale du marxisme-léninisme et de la pensée-mao-zedong.
On pouvait trouver mieux pour rassurer la population de Hong Kong,
au moment où une foule importante (plus de 20 000 personnes)
venait de commémorer, par une veillée aux chandelles
désormais rituelle à Victoria Park, le massacre de
Tian’anmen de juin 1989.Le transfert sous la souveraineté du
dernier géant communiste d’un territoire aussi différent
de lui économiquement, politiquement et même culturellement
n’a aucun précédent historique. Des garanties
ont été accordées à la population locale
et aux milieux d’affaires étrangers par les gouvernements
britannique et chinois. Mais que valent-elles et comment seront-elles
appliquées dans les faits ? Les innombrables problèmes
administratifs et légaux que pose ce transfert pourront-ils
être résolus avant la date fatidique ?L’inquiétude devant ces questions
est générale. Depuis la signature de la Déclaration
conjointe sino-britannique en 1984, des centaines de milliers de
personnes ont choisi d’émigrer. Certes, la grande vague
des départs déclenchée par le massacre de la
place Tian’anmen en 1989, et qui touche surtout la classe moyenne
et intellectuelle (professions libérales, techniciens, gestionnaires,
enseignants, artistes...), s’est un peu ralentie depuis 1994
(45 000 départs en 1995, contre 66 000 en 1992). Mais la
plupart des Hongkongais adoptent une attitude d’attente. Certains
partiront au dernier moment — c’est-à-dire dans
l’année qui vient, tandis que les autres, la grande
majorité, attendent de voir comment les choses évolueront
après la passation du pouvoir en espérant qu’il
y aura le moins de changement possible. Peu de Hongkongais, en effet,
souhaitent quitter le territoire. Aucun autre endroit au monde n’a
autant à leur offrir : revenus, opportunités d’emploi,
sentiment d’appartenance à la culture cantonaise.Mais beaucoup n’hésiteraient pas
en cas de problème grave. En effet, personnes et capitaux
pourront continuer à quitter librement le territoire lorsqu’il
sera devenu Région administrative spéciale (RAS) de
la République populaire. Pour éviter une hémorragie,
il est donc essentiel que la transition se passe en douceur. Et
pour cela, il est nécessaire de régler les principaux
problèmes administratifs et politiques que posent le transfert
de souveraineté et l’application de la Loi fondamentale,
mini-Constitution de la future RAS.Or, de nombreux points d’interrogation
subsistent, et notamment la question de la nationalité et
du droit de résidence des Hongkongais détenteurs d’un
passeport étranger, soit près d’un dixième
de la population, y compris une bonne partie de l’élite
des milieux d’affaires et du gouvernement. Cette question a
des implications essentielles pour la stabilité du territoire,
et les premiers éléments de réponse qui ont
été donnés ne sont pas encore d’une grande
clarté (voir sur ce sujet l’article de G. Chabanol).
Le brusque départ en préretraite du Directeur de l’immigration
lui-même ne peut qu’alimenter les inquiétudes.
Détenteur d’un passeport canadien, M. Leung était
le spécialiste hongkongais des problèmes de
nationalité et de résidence.Autre point d’interrogation : le degré
de liberté d’expression qui sera toléré
après juillet 1997. La tradition de contrôle absolu
du Parti communiste chinois et la façon dont Pékin
traite les journalistes de Hong Kong n’incitent pas à
l’optimisme. Lu Ping, le directeur du Bureau des affaires de
Hong Kong et Macao, s’est voulu rassurant, lors de récentes
prestations destinées aux milieux d’affaires étrangers.
Pourtant, ses paroles sont loin d’avoir calmé les esprits.
Il a en effet affirmé qu’il serait interdit de parler
de deux Chines ou d’“une Chine, un Taiwan”, en ajoutant
cette énormité : aux Etats-Unis, la presse n’aurait
pas, selon lui, le droit de prôner l’indépendance
de Hawaï. Devant une telle méconnaissance du contenu
réel de la notion de liberté de la presse en Occident
—tout comme à Hong Kong aujourd’hui—, on reste
confondu.Les représentants du pouvoir chinois
dans le territoire ont tenté par la suite d’atténuer
l’effet des maladresses de Lu Ping en indiquant que les journaux
auraient le droit de rapporter les propos de certaines personnes
défendant l’indépendance de Taiwan, mais qu’ils
ne seraient pas autorisés à en tenir eux-mêmes
de semblables, ce qui n’a pas calmé toutes les inquiétudes.
Celles-ci sont renforcées par les déclarations contradictoires
des dirigeants chinois, qui donnent l’impression de ne pas
avoir sérieusement réfléchi à un certain
nombre de questions. Ainsi, alors que le ministre des affaires étrangères,
Qian Qichen, avait annoncé que le certificat d’identité
(titre de voyage des Hongkongais non-britanniques) devrait être
endossé par le gouvernement chinois après juillet
1997 pour continuer à être valable, Lu Ping a affirmé
exactement le contraire quelques jours plus tard.L’inquiétude la plus grave concerne
le système politique, administratif et judiciaire qui sera
mis en place dans un an. Le problème principal est le suivant
: les autorités chinoises, estimant que le Conseil législatif
(Legco) n’avait pas été élu conformément
aux procédures prévues entre les deux gouvernements,
ont décidé de le dissoudre le 1er juillet 1997 et
de le remplacer par une “Assemblée législative
provisoire” nommée par elles. Ce qui signifie que le
travail législatif essentiel de la période d’installation
du nouveau pouvoir sera accompli par des personnes qui non seulement
n’auront pas été choisies par la population mais
dont la représentativité peut d’ores et déjà
être mise en doute, puisque le gouvernement chinois exclut
systématiquement de toutes les institutions qu’il met
en place les membres du Parti démocratique, grand vainqueur
des élections de 1991 et de 1995. Une délégation
de l’“Alliance contre l’Assemblée provisoire”
composée de membres du Legco vient en outre de se faire refouler
de Pékin. Elle n’a pas même été
autorisée à descendre de l’avion — signe
que la Chine ne peut même pas tolérer une remise de
pétition et qu’elle détient vraisemblablement,
malgré ses démentis, une liste noire de personnalités
de Hong Kong interdites de séjour dans la mère patrie.
Une telle dureté, un tel mépris des apparences, indisposent
à Hong Kong jusqu’aux partisans patentés de la
Chine. Ainsi, Tsang Yok-sin, président de l’Alliance
démocratique pour l’amélioration de Hong Kong,
nous a-t-il déclaré sans ambages qu’il refuserait,
en tant qu’élu, toute participation au “Legco provisoire”
nommé par Pékin.L’existence de cette assemblée
nommée pose également un grave problème de
conscience aux hauts fonctionnaires de Hong Kong : les autorités
chinoises ont demandé qu’ils lui prêtent allégeance,
alors qu’elle est dépourvue de toute base légale
— puisqu’elle n’est pas prévue par la Loi
fondamentale. Pékin a eu beau, depuis, rabaisser ses exigences
et multiplier les assurances données à la fonction
publique, rouage indispensable de la “transition en douceur”,
l’inquiétude subsiste quant au respect de la neutralité
politique de l’administration après la rétrocession.
Sa “patronne” actuelle, Anson Chan, n’a d’ailleurs
pas hésité à affirmer que de nombreux hauts
fonctionnaires ne décideraient ou non de rester que lorsqu’ils
connaîtraient le nom du futur chef de l’exécutif
de la RAS. Or, si le choix est sans doute déjà fait
à Pékin, il ne sera connu que vers la fin de l’année
après désignation par un Comité de sélection
ad hoc. Quant au fonctionnement du Comité préparatoire,
nommé par Pékin pour mettre en place les institutions
de la RAS, il n’est pas fait non plus pour rassurer. Ses discussions
sont secrètes. Le seul de ses membres ayant osé voter
contre l’établissement de l’Assemblée Législative
provisoire a été sanctionné par une mise à
l’écart du comité de sélection.Les limites des promesses faites aux Hongkongais
à l’époque de la Déclaration conjointe
apparaissent donc de plus en plus clairement. “Un pays, deux
systèmes”, cela signifie que l’économie
de Hong Kong ne sera pas nationalisée et que les tycoons
pourront continuer à s’enrichir. Pour le reste, l’incertitude
est grande et la population devra certainement lutter pour maintenir
le “haut degré d’autonomie” qu’on lui
a promis.Tous ces problèmes n’empêchent
cependant pas la machine économique de tourner. Chacun y
a intérêt. D’où l’optimisme sans faille
des milieux d’affaires hongkongais et étrangers, qui
peuvent raisonnablement espérer continuer à faire
des bénéfices, à condition de savoir partager
le gâteau avec les différents ministères et
organismes chinois (la réorganisation du transport aérien
du territoire qui a permis à la compagnie nationale chinoise
de trouver sa place parmi les intérêts déjà
installés, hongkongais et chinois, est à cet égard
édifiante). Personne ne pense que le 1er juillet 1997 marquera
un tournant brusque et radical dans la vie économique du
territoire. Les inquiétudes sont à plus long terme.
Elles concernent le respect du droit — les sociétés
étrangères sont de plus en plus nombreuses à
exiger dans leurs contrats qu’en cas de litige un arbitrage
ait lieu en dehors de Hong Kong—, et la corruption — rien
ne garantit la pérennité de l’Independent Commission
Against Corruption mise en place par les Britanniques au début
des années 70.Dans les mois qui viennent, la Chine devra
donc rassurer l’opinion hongkongaise si elle veut éviter
des départs massifs dans la classe moyenne et la fonction
publique. Après tout, même dans ce temple de la finance
qu’est Hong Kong, “l’homme est le capital le plus
précieux”, comme disait Staline.