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Massacres de juin 1989 : le bilan secret de Pékin
Larticle de Zhengming traduit ci-dessous révèle le premier bilan connu du gouvernement chinois concernant la sanglante répression de la rébellion contre-révolutionnaire du printemps 1989. Car on ne peut évidemment considérer le chiffre de 300 morts à Pékin, militaires, émeutiers et badauds confondus, avancé par les autorités le surlendemain du massacre, que comme une dérisoire opération de propagande, visant notamment à minimiser le nombre des étudiants tués (seulement 23, avait déclaré alors le porte-parole du Conseil des affaires dEtat, Yuan Mu)*, et qui permettait détayer la thèse officielle de violences causées par la pègre. Le bilan secret révélé par Zhengming apporte la preuve que ce sont les étudiants qui ont payé le plus lourd tribut à la répression : dans la capitale, sur un total de 523 victimes civiles, 228 dentre eux sont morts.
Ce bilan apparaît, en ce qui concerne Pékin, comme un recensement scrupuleux des morts et des blessés effectué dans les rues et dans les hôpitaux, dans les journées qui ont suivi le massacre. Mais il nest que partiel. Il ne rend pas compte, en effet, des personnes disparues, celles dont on na pas retrouvé ou dont on a fait disparaître les cadavres, et dont les familles, inlassablement et malgré les menaces des autorités, demandent depuis sept ans quon fasse une enquête à leur sujet, ou tout simplement quon reconnaisse quelles ont disparu.
On relèvera le nombre élevé des victimes civiles à Chengdu, dans la province du Sichuan : 277 morts contre 9 morts seulement du côté des forces de lordre, ce qui semble indiquer que celles-ci ont tiré dans le tas; mais ce bilan nest malheureusement pas détaillé comme lest celui de Pékin. Qui formait le gros des victimes de Chengdu ? Des étudiants ou des mingong des paysans venus travailler à la ville comme ouvriers temporaires ? En tout cas ce chiffre recoupe un premier bilan révélé en juin 1989 par des journalistes japonais, et qui semblait jusqualors sujet à caution.
Notes
* Voir à ce sujet J. P. Béja, M. Bonnin et A. Peyraube, Le Tremblement de terre de Pékin, Paris, Gallimard 1991, pp. 403-417.
Zhengming n°224, juin
1996, pp. 6-7
Luo Bing
Traduit par Jacques Seurre
Il y a des événements historiques chargés dénigmes. Le bilan exact des morts et des blessés lors du mouvement de contestation du printemps 1989, qui a abouti au massacre de la place Tiananmen du 4 juin à Pékin, en fait partie. Rappelons-nous les propos que tenait alors le gouvernement chinois, dont les porte-parole, Zhang Gong et Yuan Mu, affirmaient que personne nétait mort à Pékin le 4 juin (avec quelquefois une variante dans leur affabulation grotesque : personne nétait mort sur la place Tiananmen). Sept ans se sont écoulés depuis le massacre, et les Chinois ordinaires nont toujours aucun moyen de connaître la vérité, en particulier aucun bilan fiable des victimes du printemps 1989 ne leur est accessible. Quen diront les livres dHistoire de demain ? Il leur sera difficile daffirmer : personne nest mort à cette époque.
Il se trouve que cette année, à loccasion des sessions plénières de la Conférence politique consultative du peuple chinois et de lAssemblée nationale populaire, des représentants des partis démocratiques nont pu sempêcher de poser de but en blanc à Jiang Zemin, qui présidait alors une de leurs réunions, la question suivante : Le 4 juin 1989, combien y a-t-il eu exactement de morts et de blessés ?
Voici la réponse de Jiang Zemin, telle quelle a été transcrite dans des documents internes de deux partis démocratiques, le Parti des ouvriers et des paysans de Chine et le Parti du bien public (1):
A lépoque, cétait vraiment le chaos. On est passé de simples troubles à une situation de rébellion ouverte, ce qui a permis à deux types de contradictions de sentrecroiser. La direction du Parti navait pas imaginé que les troubles puissent atteindre une telle envergure, et quils puissent durer plus de quarante jours. En plus, à ce moment-là, Zhao Ziyang faisait lopportuniste. Heureusement, grâce à la sagacité et à la détermination du camarade Xiaoping, il y a eu le soutien sans équivoque dautres camarades vétérans ainsi que de la majorité des membres du Bureau politique. A lépoque, jai participé à la réunion du Bureau politique du 30 mai, et jai eu une vision très claire de la situation. Le camarade Xiaoping a déclaré alors que tout était clair, désormais ; quon venait de passer dune situation de troubles à une rébellion ouverte dirigée contre la direction du Parti visant à renverser le gouvernement ; quon ne pouvait plus reculer, quon ne pouvait plus laisser les choses senvenimer davantage. Si lon ne réprimait pas la rébellion, on nen verrait peut-être pas la fin. Le camarade Xiaoping a indiqué alors : la direction du Parti doit être unie, il faut avertir toutes les directions provinciales, et en même temps prendre des mesures. Depuis, le Parti a procédé à lanalyse rétrospective des événements contre-révolutionnaires de 1989, qui étaient soutenus et encouragés par des forces étrangères. Il a été établi plusieurs conclusions concernant les problèmes intrinsèques du Parti, le travail du Parti, léducation dans le Parti, etc. Le Parti a payé très cher les troubles contrerévolutionnaires de 1989. Maintenant, à propos du nombre de morts : il y en a eu plus de 500. Cétaient pour la plupart des ouvriers et des employés venus travailler comme temporaires à Pékin, des étudiants et des chômeurs. A lépoque, un premier bilan avait recensé plus de 200 morts. Mais il sest vite alourdi parce que beaucoup de gens transportés dans les hôpitaux y sont morts. Le nombre des blessés sélève à plus de 10 000. Du côté des troupes chargées de faire respecter la loi martiale, de la Police armée et de la Sécurité publique, il y a eu beaucoup de morts, et plus de 6 000 blessés.
Au début du mois de mars de cette année, lAcadémie des sciences sociales de Chine, au cours dun séminaire ayant pour thème la situation sociale actuelle, a dévoilé pour la première fois le bilan des morts et des blessés des événements de juin 1989 à Pékin et dans les provinces, concernant aussi bien la population civile que larmée (dans le cas de Pékin), la Police armée et la Sécurité publique. Il sagissait dun document communiqué à lAcadémie avec lapprobation spéciale du secrétariat du Comité central, sous la condition expresse quil ne soit pas diffusé. En voici des extraits.
Du mois davril au début du mois de juin 1989, on dénombre 21 villes chinoises qui ont été le théâtre de manifestations de plus de 5 000 personnes. Au total 3,72 millions de personnes ont participé à ces manifestations, parmi lesquelles on compte des étudiants, des professeurs, des ouvriers, des paysans, des cadres du Parti et du gouvernement, des intellectuels, des membres des partis démocratiques, des militaires démobilisés, des écoliers et des professeurs du secondaire et du primaire, des retraités, etc.
Ces 21 villes sont :
Pékin, Tianjin, Shanghai, Canton, Wuhan, Chengdu, Guiyang, Harbin, Shenyang, Lanzhou, Taiyuan, Chongqing, Changsha, Urumqi, Nankin, Zhengzhou, Nanning, Xian, Nanchang, Hangzhou et Shijiazhuang. Des violences graves incluant des affrontements avec les forces de lordre, des déprédations de chaussées, des incendies de bâtiments administratifs, des massacres de personnes innocentes (2) se sont produites non seulement à Pékin, mais aussi à Shanghai, Canton, Wuhan, Chengdu, Guiyang, Zhengzhou, Shenyang, Harbin, Xian et Lanzhou.
Voici les statistiques établies par le 5ème rapport du ministère de la sécurité publique à lintention du Conseil des affaires dEtat, Concernant le bilan des morts et des blessés lors des troubles et des rébellions dans lensemble du pays, rapport daté du 10 juillet 1990.
Au total, du mois davril 1989 au début du mois de juin, les troubles et les actes de rébellion ont causé 931 morts et plus de 22 000 blessés.
En ce qui concerne la ville de Pékin, sur les 523 morts recensés parmi les civils, on compte 57 étudiants inscrits dans un établissement denseignement de la capitale, 45 résidents de Pékin, 171 étudiants extérieurs à Pékin, 229 provinciaux (travailleurs temporaires, paysans ou personnes recensées comme habitant ailleurs quà Pékin), 21 personnes au statut indéterminé.
A Pékin toujours. Rapport de la municipalité et du commandement des troupes chargées de faire appliquer la loi martiale, le 4 juin à six heures du soir. Personnes mortes sur place ou déclarées mortes à leur arrivée à lhôpital : 149.
Deuxième rapport, daté du 8 juin : 261 morts.
Troisième rapport, daté du 18 juin : 358 morts.
Quatrième rapport, daté du 9 août : 419 morts.
Cinquième rapport, daté du 15 octobre : 461 morts.
Sixième rapport, daté du 22 novembre : 485 morts.
Septième rapport, daté du 5 janvier 1990 : 490 morts.
Huitième rapport, daté du 10 avril 1990 : 515 morts.
Ce bilan officiel des victimes de la répression de 1989 a le grand mérite dexister et de réduire à néant les mensonges des Yuan Mu et autres Zhang Gong. Est-il entièrement fiable pour autant ? Le nombre exact des victimes de 1989 constitue malheureusement une énigme, que seule la réhabilitation du Mouvement du 4 Juin permettra peut-être délucider un jour. Ce jour arrivera, nous en sommes convaincus.
