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21% de chômeurs à l’horizon 2000 ?
On ne dit plus en Chine travailleurs en attente demploi. Ce vieil euphémisme socialiste, depuis une dizaine dannées, na plus cours. Aujourdhui on dit chômeurs. De laveu du gouvernement chinois, il risque dy en avoir 153 millions à la fin du siècle si des mesures sérieuses ne sont pas prises. Le ministère chinois du travail a indiqué récemment que son objectif était de créer 41,5 millions demplois dans les cinq années à venir, ce qui constitue une révision à la hausse de son objectif initial, qui était de 38 millions.
Le ministre du travail, Li Boyong, estimait en mai dernier à 3,2% le taux de chômage acceptable pour maintenir la stabilité sociale et la croissance économique. Lan dernier encore, ce taux acceptable était estimé à 2,9%. Mais tous ces chiffres, déjà assez effrayants, ne concernent que le chômage dûment recensé dans les villes et ne prennent pas en compte la force de travail surnuméraire des campagnes, estimée par certains experts à 110 ou 120 millions. Dans les villes, le gouvernement chinois reconnaît un taux de chômage de 4,8% pour le dernier trimestre de 1995, chiffre quil se propose de ramener à 4% avant lan 2000.
Lune des mesures que propose Li Boyong (cité dans une dépêche de lAgence Chine nouvelle du début du mois de mai) pour enrayer le chômage urbain apparaît, au sens strict du terme, réactionnaire. Li propose en effet dendiguer lexode rural. Or cela ne peut se faire sans renforcer le contrôle administratif de la population rurale, autrement dit de renforcer le vieux système du hukou, qui fixait les paysans à leur village pour la vie, système qui sest considérablement relâché, sans disparaître pour autant, à mesure que se développait la politique de réformes et douverture déclenchée par Deng Xiaoping au début des années 80.
A ce titre, larticle de Mme Feng Lanrui apparaît comme innovateur, puisquil propose la création dun marché de lemploi, concurrentiel et national, ayant pour corollaire la fin du hukou et le démantèlement du système des statuts de lemploi en Chine, liés aux différents types dentreprise. Rappelons que Mme Feng, ancienne directrice de lInstitut du marxisme-léninisme et de la pensée de Mao Zedong de lAcadémie des sciences sociales de Chine, aujourdhui à la retraite, a été, au début des années 80, la première personne en Chine à utiliser le terme de chômage (shiye) au lieu de celui dattente demploi (daiye).
Feng Lanrui, traduit
du chinois par Jacques Seurre
En février 1991, javais publié dans la revue Guoji shehui kexue (numéro 127) un article intitulé Etude comparative de deux vagues de chômage en Chine ces dix dernières années. Cinq ans sétaient à peine écoulés quune nouvelle vague de chômage faisait son apparition en Chine, plus grave encore que les précédentes. Le présent article traite de cette nouvelle vague de chômage et des politiques susceptibles dy remédier.
1. Une nouvelle vague de chômage
La Chine doit affronter aujourdhui une nouvelle vague de chômage, la troisième en vingt ans. La première était survenue en 1979, et le gros des effectifs de chômeurs était composé alors des jeunes instruits (NDT : déportés à la campagne par Mao Zedong, et rentrés en ville). Le nombre total de chômeurs dépassait les 17 millions, le taux de chômage était de 5,8%. La deuxième vague est survenue en 1989, où le nombre de chômeurs des villes et des bourgs avait atteint les 10,5 millions (1), 4,9 millions de personnes ayant retrouvé un emploi à la fin de lannée, et 5,8 millions dentre elles demeurant sans emploi. Le taux de chômage était monté à 3,8%, contre 2,06% lannée précédente. Ce chiffre exclut les chômeurs partiels des villes ainsi que la force de travail surnuméraire des campagnes.
La vague de chômage qui nous arrive aujourdhui commence en 1995. Les administrations relevant du ministère du travail ont estimé que le taux de chômage dans les villes et les bourgs pouvait être limité à 3%. Selon un rapport du Bureau national des statistiques, le taux de chômage enregistré dans les villes en 1995 était de 2,9% (2). Mais selon les estimations dune équipe de recherche, le taux de chômage dans les villes et les bourgs se situe en réalité entre 3,8% et 4%. Et si lon fait la somme du personnel en surnombre des entreprises et la force de travail surnuméraire des campagnes, on arrive à un taux de chômage encore plus élevé (voir tableau 1 ).
La situation du chômage va saggraver dans les cinq années à venir.
a) Pour la période du 9ème plan quinquennal (1996-2000) le ministère du travail prévoit une croissance de la main-doeuvre avoisinant les 54 millions, soit une augmentation annuelle de 10,8 millions. Or seuls seront disponibles, pour cette même période, 38 millions demplois, et à la fin du 9ème Plan on comptera encore 16 millions de chômeurs. Le taux de chômage dans les villes et les bourgs sera de 7,4% (3).
b) Dans les cinq années à venir, les travailleurs en surnombre des entreprises dEtat, cest-à-dire contraints au temps partiel et devant chercher un autre emploi, seront au nombre de 30 millions : 15 millions demployés et douvriers déjà mis à pied en 1995 (4), et 15 millions dautres dont la mise à pied est prévue au cours du 9ème plan quinquennal (5). Certains secteurs industriels comme les mines ou lexploitation forestière ont des ressources en voie dépuisement, ce qui va entraîner des centaines de milliers de licenciements (6). Les rapports parus depuis deux ans font apparaître que les grandes mines nationales ont déjà mis à pied 350 000 personnes, et prévoient un million de mises à pied supplémentaires avant la fin du 9ème plan (7). Avec lapprofondissement des réformes, un certain nombre dentreprises vont faire faillite ou fusionner avec dautres, ce qui va encore accroître le nombre de personnes menacées par le chômage.
c) Le nouvel accroissement de la main doeuvre paysanne sajoutant à la force de travail surnuméraire des campagnes déjà existante nous donne un chiffre de 214 millions dhommes. Le ministère du travail estime que dans les cinq ans à venir 77 millions dentre eux seulement pourront être absorbés par lagriculture ou reconvertis dans dautres activités, ce qui laisse une force de travail surnuméraire de 137 millions de personnes.
Il résulte de tout cela quau terme du 9ème plan, la Chine connaîtra un taux de chômage à deux chiffres (8), alors que ce taux ne se montait, en 1995, quà 2,9%. Cela paraît effrayant, et pourtant, si lon analyse les choses froidement, cela na rien détrange.
Primo, les gens nés durant le boom démographique des six dernières années avant 1980 vont continuer, durant le 9ème plan, darriver à lâge de travailler (9). De 1980 à 1985, on compte quatre années où le taux de natalité a été supérieur à 20, ceux des années 1984 et 1980 étant respectivement de 19,9 et de 18,20. Cela nous donne, sur six années, un taux de natalité moyen de 20,42. Ce taux de croissance démographique est inférieur à celui des années 60, mais comme il porte sur un chiffre de base plus élevé, laugmentation de la population est, en valeur absolue, plus importante. En 1984, la population de la Chine avait déjà dépassé le milliard dhommes, et un taux de natalité annuel moyen de 20 signifie un accroissement démographique moyen de quelque vingt millions de personnes. Les personnes nées de 1980 à 1985 auront, à lexception de celles qui seront décédées entre-temps (dans le cadre dun taux de mortalité annuel moyen de 6), dépassé, dans la seconde moitié des années 90, lâge de 16 ans, et rejoint ainsi le contingent des personnes en âge de travailler (10).
Secundo, les échelles de calcul diffèrent : 1) auparavant les indicateurs statistiques de lemploi et du chômage ne concernaient que les villes et les bourgs, à lexclusion des campagnes, alors que les prévisions citées plus haut prennent en compte la force de travail surnuméraire des campagnes; 2) auparavant le chômage caché dans les entreprises dEtat nétait pas pris en compte dans les statistiques. Mais aujourdhui, avec lapprofondissement des réformes, il faut des méthodes efficaces pour amener à la croissance économique, et la rentabilité de léconomie nationale doit être améliorée par le développement des sciences et des techniques, lutilisation déquipements perfectionnés, tout cela ayant pour conséquence non seulement lélimination progressive du travail surnuméraire et la transformation du chômage caché en chômage patent dans les entreprises, mais aussi laccroissement de leffectif global des chômeurs. En outre, les faillites ou les fusions dentreprises vont entraîner un chômage qui sera désormais comptabilisé dans les statistiques. On voit que cette brusque progression du taux de chômage de moins de 3% à plus de 10% pour être effrayante, na rien de surprenant : elle correspond à la réalité économique, et la situation de lemploi pendant la période du 9ème plan sera critique.
2. Il faut repenser le problème du chômage
Il faut avant tout prendre conscience de lampleur du problème, en faire une priorité nationale, intégrer la lutte contre le chômage comme objectif prioritaire du 9ème Plan et du plan de développement économique et social jusquà lan 2010. La Chine a commencé à reconnaître, dans les années 90, lexistence de ce problème, et lon peut considérer que la création future dune assurance-chômage, mentionnée pour la première fois dans un document officiel en 1993, représente à cet égard un progrès remarquable (11). Toutefois, limportance du chômage est encore largement sous-estimée, car le phénomène est rarement évoqué dans les discours et documents officiels.
Il sagit pourtant dun problème crucial, ayant des répercussions directes sur la vie de plus dun milliard de Chinois et sur la stabilité sociale du pays. Ces dernières années, lidée dune stabilité sociale condition du développement des réformes a été largement développée dans les discours des dirigeants et dans diverses publications. On y souligne, avec raison, limportance du maintien de la stabilité sociale. Mais il faudrait quon prenne conscience de limportance du chômage comme facteur déterminant de cette stabilité. Celle-ci ne peut exister que si les travailleurs ont eux-même une vie stable, un travail et des revenus assurés. Laissons provisoirement de côté le problème des nombreuses usines qui accumulent les retards dans le paiement des salaires ou qui narrivent pas à payer les retraites de leurs ouvriers, pour envisager celui-ci : peut-il y avoir une stabilité sociale alors que lon dénombre, dans les villes et les campagnes, entre 150 et 160 millions de travailleurs sans emploi ? Face à ce problème-là il ne sagit pas de se voiler la face. La maîtrise du chômage et le développement de lemploi doivent être au premier rang de nos préoccupations.
Le chômage est une conséquence inéluctable du processus actuel de développement économique. Celui-ci entraîne une élévation de la productivité, un changement des structures de la production industrielle, un renouvellement de léquipement technique, et même une amélioration technologique. Cette évolution saccompagne de linévitable mise à lécart dune partie de la main doeuvre, qui doit aller à la recherche dun autre emploi. Le changement demploi entraîne nécessairement du chômage, indépendamment du système social en vigueur, quil sagisse du capitalisme ou du socialisme. Mais le phénomène peut être amplifié par une politique inefficace. La Chine est un pays en voie de développement. Le secteur secondaire de son économie na pratiquement pas changé, et, en outre, la politique démographique erronée suivie dans les années 50 a entraîné un déséquilibre durable entre la croissance de léconomie et celle de la force de travail. Durant les années 60, le taux de croissance démographique annuel moyen a atteint 25,12, le taux de natalité atteignant, en 1963, le chiffre record de 43,37 (12). Ces poussées démographiques ont entraîné des vagues de chômage quil était absolument impossible dendiguer.
Nous devons prendre davantage conscience de la gravité du problème du chômage, lintégrer dans une politique nationale, en faire lun des piliers de la politique de développement économique et social des 15 années à venir, de façon à ce que le chômage soit contenu dans des limites tolérables pour la société chinoise.
Il nous faut aussi résoudre le problème du transfert de la main-doeuvre agricole surnuméraire avec celui de la formation de nouvelles agglomérations urbaines. Trop longtemps on sest préoccupé uniquement de lemploi dans les villes, en prétendant ignorer le chômage en zone rurale. On est même allé jusquà se servir des campagnes comme dune écluse régulatrice de la main-doeuvre urbaine : lorsquil y avait pénurie de main-doeuvre dans les villes, on allait en recruter dans les campagnes, et lorsquil y avait trop de main-doeuvre par rapport aux emplois disponibles, on envoyait les gens travailler dans les campagnes. Pendant les dix années de trouble (1966-1976), quinze millions de jeunes instruits (zhiqing) ont ainsi été envoyés à la campagne. Résultat : non seulement les tensions liées à lemploi ont persisté dans les villes, mais on a assisté, en 1979, à une première explosion du chômage.
Quant au chômage dans les campagnes, malgré les mises en garde de certains experts, personne ne daignait alors y prêter attention (13). Cela fait plus de dix ans pourtant quil est devenu patent, et il se fait de plus en plus préoccupant. On assiste à un transfert spontané de la main-doeuvre rurale surnuméraire dans dautres secteurs, à une échelle qui grandit dannée en année. Au point que le déferlement des travailleurs migrants (mingong chao) à lépoque du Nouvel An, avec toutes ses implications sociales, préoccupe tout le monde. En septembre 1995, le Comité central, dans ses prévisions pour le 9ème Plan et pour lhorizon 2010, a défini une politique concernant lemploi dans les grandes villes et le déplacement de la main doeuvre rurale surnuméraire, et affirmé que ces problèmes devaient être résolus de façon appropriée.
Les transferts de main doeuvre rurale surnuméraire doivent, pour se passer sans heurts, sopérer dans le cadre dune urbanisation des campagnes. Lagriculture doit se mécaniser et se moderniser, passer dune exploitation extensive à une exploitation intensive, et il faut pour cela laisser à la main-doeuvre rurale surnuméraire toute liberté de se déplacer.
En ce qui concerne le transfert de la main-doeuvre rurale surnuméraire et lurbanisation des campagnes, les avis diffèrent.
Les uns préconisent un type durbanisation des campagnes consistant à quitter la terre mais pas la campagne et à développer les petites villes et les bourgs. Mais cette option a ses limites. Ces dernières années ont montré que des petites villes et des bourgs trop dispersés et manquant de moyens financiers étaient impuissants à résoudre le problème de lemploi de centaines de millions de paysans, que dailleurs ils échouent à attirer. Les migrations massives de population rurale vers les villes auxquelles on assiste aujourdhui en sont une preuve manifeste.
Dautres sont partisans de faire des paysans les acteurs de lurbanisation, par exemple en faisant passer la population de villes de 100 000 habitants à 500 000, ou celle de villes de 500 000 habitants à un million et plus : cest lurbanisation à la chinoise. Elle a lavantage, en poussant les paysans à quitter leurs villages, de faire se concentrer des investissements jusque là éparpillés dans la construction de logements ou dans les industries rurales, de transformer des investissements de consommation en investissements de production, et surtout de faire des économies dinvestissements en équipement urbain (chaussées, distribution de leau, électricité, conduites de gaz, etc.) et en terrains. Elle permet aussi de résoudre collectivement le problème des déchets, de protéger lenvironnement, de développer léducation, la culture, les sports, délever ainsi le niveau culturel et sanitaire des paysans. Les avantages sociaux et économiques ainsi obtenus seraient bien supérieurs à ceux que donnerait le développement de petites villes et de bourgs. On arriverait à résoudre le problème de la migration de centaines de milliers de paysans, à éviter leur exode massif vers les grandes villes comme Shanghai et Pékin, et, en même temps, on stimulerait le développement de la force de travail et on élèverait le niveau général du peuple (14).
En ce qui concerne cette seconde forme durbanisation, il est crucial dencourager les paysans à se reconvertir, à entrer dans le monde de la ville et de lusine, à abandonner définitivement leur petite parcelle de terre, à briser lunivers limité des petites bourgades. En fait, ce ne serait pas la première fois que les paysans chinois se mettraient à financer la construction dune usine et à édifier une petite ville. Au cours de ces dix dernières années, les transferts de population rurale surnuméraire ont permis la création dun certain nombre de petites villes nouvelles. La ville de Longgang, dans la province du Zhejiang, a été édifiée grâce à largent des paysans. Lurbanisation à la chinoise pourrait consister ainsi à fonder de nouvelles villes après en avoir choisi les sites en fonction de leurs conditions exceptionnelles dans le domaine des transports, de lemplacement géographique, etc.
Enfin il faut, pour lutter contre le chômage, adopter des mesures adaptées à la réalité. Cest dans cette perspective quen 1980 la conférence nationale sur lemploi organisée par le Comité central décida la politique de triple union (15) mettant fin au système daffectation autoritaire des emplois. Cette directive a eu, depuis son application, des résultats extrêmement positifs, elle a rempli sa tâche historique. Lapprofondissement des réformes, lobjectif fixé par le XIVème Congrès détablir une économie de marché socialiste et enfin larrivée dune nouvelle vague de chômage ont fait que la politique de triple union, décrétée dans le cadre dun système déconomie planifiée, est devenue obsolète. Elle doit être remplacée par une autre, qui peut se définir ainsi : une politique demploi de marché concurrentiel, sous contrôle macroéconomique.
Cette nouvelle politique se justifie par la nécessité de parachever le système déconomie de marché socialiste, ce qui concerne non seulement les investissements et les biens, mais aussi la force de travail, en ce quelle est un facteur essentiel de la production. La force de travail doit donc cesser dêtre soumise à des règles administratives pour lêtre à celles du marché et de la concurrence. Un marché concurrentiel du travail accroîtra la rentabilité de la main-doeuvre, élèvera sa qualification, contribuera à améliorer la structure de lemploi, à régulariser lappareil de production et donc, en définitive, à rendre lensemble de léconomie nationale plus performante. Cependant le marché du travail nécessite encore un contrôle macroéconomique. Jai déjà publié, en décembre 1992, dans le Jingji cankao bao (Journal de références économiques) un article intitulé : La politique de lemploi doit sadapter à la nouvelle situation, qui présente une argumentation assez détaillée en faveur dune politique de marché concurrentiel de lemploi (16). Malheureusement les paroles des humbles ont peu de poids, et lon ny a guère prêté attention. Espérons que le présent article attirera davantage lattention des autorités compétentes.
3. Comment créer des emplois
a) La clef de la création demplois : une économie à croissance rapide et stable
La création demplois est directement proportionnelle à la croissance économique. Une forte croissance économique entraîne une forte reproduction élargie, qui crée elle-même des emplois en proportion. Si, au cours des cinq dernières années, neuf millions demplois ont été créés par an en Chine, ce qui a permis de maintenir le taux de chômage enregistré dans les villes en-dessous de 3%, cest grâce à une croissance économique continue. Mais quel est le rapport exact entre croissance et création demplois ? Selon une étude réalisée par un professeur de lUniversité de Pékin, pour obtenir un taux de création demplois de 1% de 1978 à 1994, il fallait, en tenant compte des contraintes de léconomie chinoise pendant cette période, un taux de croissance économique de 3,5%. Mais avec les progrès technologiques et les gains de productivité de ces dernières années, le hiatus entre création demplois et croissance du PIB sest accentué, le ratio étant actuellement de 1% de croissance de lemploi pour 5,8% de croissance économique. Pour la période du 9ème plan, on prévoit une croissance annuelle moyenne de la force de travail de 1,1%, ce qui implique, si lon veut résoudre le problème de laccroissement de la main-doeuvre dans les seules zones urbaines, que lon maintienne une croissance du PIB au delà des 6% (17). Et si lon prend en considération le problème de la résorption de lexcédent de main-doeuvre dans sa totalité, cest-à-dire aussi bien dans les campagnes que dans les villes, alors on arrive à un taux de croissance du PIB à deux chiffres.
Or quel est le taux de croissance du PIB envisagé pour la période du 9ème plan ? La 4ème session de la VIIIème Assemblée nationale populaire vient de nous donner une prévision de lannée 1996 : 8%. Cest évidemment insuffisant pour résoudre les problèmes de lemploi, et les économistes qui ont estimé que 8% de croissance constituaient un objectif approprié se sont préoccupés uniquement de la maîtrise de linflation, sans prendre en considération le problème de lemploi (18). Dans ces conditions, avec un taux de croissance du PIB de 8%, les seules solutions qui restent pour créer des emplois, ce sont des restructurations et des améliorations dans le marché du travail.
b) Restructuration de lindustrie, développement des industries à haute intensité de main-doeuvre
Les restructurations industrielles constituent, en ce qui concerne lemploi, une arme à double tranchant. Dun côté le processus de restructuration lui-même (par exemple la réduction de la part du secteur primaire dans léconomie et laugmentation de celles des secteurs secondaire et tertiaire) peut engendrer du chômage. Dun autre côté les restructurations, parce quelles rationalisent léconomie et en accroissent le rendement, quelles augmentent laccumulation du capital et contribuent au développement des équipements, peuvent aussi créer des emplois. Aujourdhui, la Chine a adopté une politique conjoncturelle de resserrement monétaire, elle ne peut donc plus trop compter sur un accroissement des investissements en équipements pour créer des emplois; il est donc crucial pour elle de développer, grâce à des restructurations, des industries qui absorbent peu dinvestissements et beaucoup de main-doeuvre.
Ce qui a été réalisé dans les années 80 a apporté la preuve que le secteur tertiaire répondait à cette définition, car il nécessite peu dinvestissements, permet de rentrer rapidement dans ses fonds et absorbe beaucoup de main doeuvre. A investissements égaux, le secteur tertiaire permet en effet de créer trois ou quatre fois plus demplois que le secteur secondaire. En 1981, un million de yuans investi dans le secteur secondaire ne correspondait quà 94 emplois dans lindustrie lourde, et 257 emplois dans lindustrie légère. Le même million investi dans le secteur tertiaire permettait de créer de 800 à 1 000 emplois (19). En 1994, il a été investi dans le secteur tertiaire 494,13 milliards de yuans, à quoi a correspondu une création nette de 4,44 millions demplois. A investissements égaux, cest 3,1 fois plus demplois créés que dans le secteur secondaire (20).
Aujourdhui, la part des emplois occupés dans le secteur tertiaire reste faible en Chine (voir le tableau 2), mais leur potentiel de développement est grand. La restructuration industrielle et le développement du secteur tertiaire constitueront, pour les quinze années à venir, les priorités stratégiques de la bataille pour la création demplois et la lutte contre le chômage.
Le développement du secteur tertiaire doit saccompagner dun développement approprié du secteur secondaire, et particulièrement des industries de transformation des sous-produits agricoles, qui tout à la fois répondent aux besoins du peuple et absorbent beaucoup de main doeuvre. Cette industrie-là est, avec le secteur tertiaire, une industrie à haute intensité de main-doeuvre. Mais insister sur le développement des industries à haute intensité de main-doeuvre, nest-ce pas en contradiction avec la transformation des méthodes de croissance économique ? Nullement. Le passage de méthodes extensives de croissance à des méthodes intensives doit être envisagé dans une vision densemble de léconomie nationale. Il faut que nous cessions denvisager la croissance économique (cest-à-dire la croissance du PIB) comme sappuyant uniquement sur un accroissement de capitaux, de ressources naturelles et de force de travail, pour nous orienter vers une croissance soutenue par un rendement accru par le développement technologique, et il faut se garder de traiter toutes les entreprises de façon indistincte. Les entreprises dEtat ont un rendement faible, un lourd passif ; il faut les rénover techniquement, les rééquiper, améliorer leur système de gestion, réduire le coût de leur production, élever leur rendement. Ce sont surtout les entreprises dEtat grandes et moyennes qui sont visées. Mais un certain nombre de petites entreprises dEtat, appartenant au secteur tertiaire, qui fonctionnent avec un capital restreint et dont les exigences en matière de qualité de la main-doeuvre ont une grande élasticité répondent exactement aux besoins de la situation chinoise actuelle, où les capitaux sont restreints et la main-doeuvre abondante. Ce sont ces entreprises-là quil faut développer si lon veut lutter contre le chômage et créer des emplois.
c) Restructurer le système de propriété, encourager le développement de léconomie privée
Le lancement des réformes a altéré profondément la structure du système de propriété des moyens de production en Chine : dun système de propriété publique exclusive, on est passé à un système de propriété multiple à prédominance publique ; et la structure de lemploi a suivi cette tendance à la diversification. Pourtant, jusquen 1990, les unités de travail étatiques absorbaient encore 60,5% des nouveaux arrivants sur le marché de lemploi. Il faudra attendre lannée 1991, marquée par une dégringolade généralisée des entreprises dEtat (baisse accrue de leur rendement, alourdissement de leur passif, réduction de leur capacité à absorber de la main-doeuvre) pour que ce chiffre passe en dessous de la barre des 50%. En 1994, il avait encore baissé de 6 points, passant à 41%. Cette même année, les unités de travail non-étatiques absorbaient donc 59% de la main doeuvre chinoise : entreprises collectives, entreprises rurales, entreprises aux trois formes de capital (san zi qiye : entreprises à capitaux étrangers, mixtes et privés), entreprises privées, artisans à leur compte, etc. (voir tableau 3).
Avec les changements du mode de croissance prévus dans le 9ème Plan, la capacité dabsorption demplois des entreprises dEtat va encore saffaiblir, et il faudra, pour accueillir les 10,8 millions de personnes arrivant chaque année sur le marché de lemploi dans les seules zones urbaines, compter principalement sur la création demplois de la part des entreprises non-étatiques. Sur ce point, tout le monde est daccord, aussi bien les théoriciens de léconomie que les exécutants. Le ministère du travail a pour sa part souligné : peu importent les systèmes de propriété, nous les développerons, les soutiendrons et les encouragerons sous toutes les formes pourvu quils soient créateurs demplois (21). Rien de plus juste.
La répartition des emplois dans les différents types de systèmes de propriété et la restructuration de la production sont en interaction réciproque. A quelques exceptions près, les entreprises non-étatiques ont des besoins limités en capitaux et sont dune gestion peu coûteuse. Et cest encore plus vrai des entreprises du secteur tertiaire.
Au cours du 9ème Plan, léconomie non-étatique et le secteur tertiaire deviendront les principales forces créatrices demplois. Il sagit là dun changement historique, bénéfique pour lemploi, pour la création dun marché du travail, et par conséquent pour lédification dun système déconomie de marché socialiste.
4. Etablir un système dassurance-chômage, créer un marché du travail
a) Mettre sur pied un système dassurance-chômage couvrant lensemble des travailleurs chinois
On a vu que le chômage était en quelque sorte un phénomène normal, une conséquence inéluctable du développement économique et social moderne. Une politique de lemploi ne vise donc pas à réduire le chômage à zéro, mais à le contenir, autant quil est possible, dans des limites socialement tolérables. Cest pourquoi il faut mettre en place prioritairement un système dalerte à la fois sensible et précis. Il revient aux administrations concernées de définir, à partir denquêtes approfondies, quelle est pour la Chine la cote dalerte en matière de chômage, et créer en conséquence un système dassurance-chômage solide. Une telle mesure revêtirait une importance significative au moment où nous sommes heurtés de plein fouet par une troisième vague de chômage. Bien que la Chine ait commencé à mettre en place, en 1986, un système dassurance-chômage, et quil y eût déjà, à la fin de 1995, quelque 500 000 unités de travail (soit environ 50 millions de salariés) couvertes par une assurance de ce type, ce système noffre quune couverture limitée et ne concerne généralement pas les entreprises du secteur non-étatique. Il sagit de toute façon dun système vulnérable, qui offre une protection insuffisante et qui nest pas fait pour supporter un chômage massif. Lapprofondissement des réformes du système économique, les changements en matière de gestion impliquent que le chômage déguisé devienne un chômage patent, que les entreprises cessent dabsorber une main-doeuvre en surnombre appelée désormais à chercher du travail ailleurs. Dans ces conditions, il est impératif détendre la couverture de lassurance-chômage et den gérer au mieux les fonds, dorganiser des services de recherche demploi, de créer un marché du travail.
b) Créer un marché national du travail
Par marché national du travail, nous entendons un marché qui comprend aussi bien les travailleurs des villes que ceux des campagnes, et cela sans aucun cloisonnement régional ou professionnel.
Depuis quen novembre 1993, le Comité central, dans ses Décisions concernant un certain nombre de problèmes survenant dans lédification dune économie de marché socialiste, a préconisé la création progressive de marchés du travail, on les a vus effectivement proliférer, ce qui ne veut pas dire que leur conception ait été très claire. Un marché du travail est un lieu où le travail séchange, mais cest surtout, du fait de la spécificité de cette marchandise quest le travail, un rapport économique, une sorte de mécanisme. Le travail nest pas une marchandise ordinaire, quon peut transporter pour la vendre à létalage, très loin de son lieu dorigine, et pourtant sa valeur est transrégionale, transprovinciale, et même transnationale. Ce quon appelle communément exportation de prestations de services nest rien dautre quune forme dinternationalisation du marché du travail, dexportation organisée du travail.
Il faut faire la distinction entre marché informel du travail et marché formel, marché régional et national ; et aussi entre marché intermittent et permanent le premier pouvant être à date fixe ou non; le second comprenant les bureaux de présentation demplois et autres centres déchanges. Il y a des marchés du travail où le mécanisme du marché a commencé à faire son effet, dautres qui, encore sous linfluence dune économie planifiée, attribuent les emplois de façon administrative.
Un marché du travail unifié à léchelle nationale et adapté à léconomie de marché socialiste est de type informel, il comprend tous les marchés régionaux, ce qui ne veut pas dire quil soit le simple produit de leur addition ; il est la somme des transactions marchandes sur le travail dans lensemble du pays, et le mécanisme du marché y joue un rôle décisif.
Un marché national du travail, cest dabord un immense réseau dinformations, qui fait la liaison avec les marchés régionaux, qui transmet les offres et les demandes de travail partout où cela est nécessaire, contribuant ainsi à rationaliser la mobilité du travail, à promouvoir lemploi. La création dun tel marché est essentielle pour exploiter pleinement dabondantes réserves de main-doeuvre, élever la productivité, développer les forces productives. Mais pour y parvenir, il faudra dabord accomplir les quelques tâches préliminaires suivantes.
1) Eliminer progressivement tous les obstacles à la mobilité de la main-doeuvre. Par exemple :
La séparation villes/campagnes. Depuis les réformes, le système détat-civil, qui constitue une véritable muraille séparant la ville de la campagne, sest relâché. On a vu apparaître un peu partout des cartes bleues, des livrets verts, des attestations de résidence provisoires, ainsi que tout un commerce des livrets de résidence, qui a permis aux paysans venus travailler à la ville dy résider légalement. Il faut unifier toutes ces pratiques au niveau national. Certains camarades préconisent la création progressive dun hukou (NDT : droit de résidence) national, sans discrimination ville/campagne, ou bien le remplacement pur et simple du hukou par une carte didentité. Toutes ces solutions sont à envisager.
Le protectionnisme régional. Ces dernières années, lafflux dune population flottante dans les grandes et moyennes villes a constitué pour ces dernières un lourd handicap, que ce soit dans le domaine des communications, de lénergie, du logement, de ladministration, de lordre public ou du contrôle des naissances. A Pékin, à Shanghai ainsi que dans dautres grandes villes, on a décidé de renforcer le contrôle des activités de cette population flottante; dans un certain nombre de villes situées sur les rives du Yang-Tsé, on lui applique une rude politique, qui va de linterdiction de séjour à lexpulsion manu militari. Mais ces politiques sont autant de médecines symptomatiques, qui ne sattaquent pas aux racines du mal. Le seul remède efficace, le seul qui puisse résoudre le problème des migrations paysannes vers les villes, cest la création dun marché national du travail, dans le cadre dune politique durbanisation planifiée.
Les entraves systémiques. Les disparités entre les différents systèmes de gestion du personnel, du travail et des diverses assurances constituent autant dentraves systémiques à la création dun marché du travail. La prolifération de systèmes dassurance-vieillesse différents peut, en particulier, avoir un effet dissolvant sur la création dun marché national du travail, en entravant la mobilité des travailleurs. Si lon ny remédie pas, il sera impossible dinstaurer un tel marché.
Le cloisonnement des statuts. Il sagit dabord de la démarcation entre citadins et paysans. Mais chez les citadins, il faut distinguer entre cadres et ouvriers; et chez les ouvriers, entre ouvriers statutaires, ouvriers sous contrat, ouvriers temporaires, ouvriers dentreprises collectives, ouvriers-paysans... A lorigine, ces différences étaient liées au lieu de résidence et à la hiérarchie du travail. Avec le temps, elles se sont figées en catégories. Certaines entreprises dEtat sont tellement déficitaires quelles ne peuvent allouer à leurs salariés quune indemnité de subsistance. Pourtant ceux-ci préfèrent rester dans lentreprise. En tant quemployés par lEtat, ils se considèrent comme appartenant à une espèce supérieure à celle des autres salariés. Le même phénomène se produit chez les citadins, qui se considèrent à leur tour comme une espèce supérieure aux paysans, et préfèrent donc attendre un poste chez eux plutôt que daller, par exemple, se faire embaucher par une entreprise collective. Cette conscience de caste est entretenue par des avantages matériels. Les travailleurs dEtat bénéficient de plusieurs sortes dassurances, dallocations et dautres avantages sociaux. Or pour créer un marché du travail, il faut détruire le cloisonnement des statuts, diluer la conscience de caste, et, à cet effet, commencer par résoudre un certain nombre de problèmes concrets. Les journaux ont rapporté que les ouvriers dune usine de textile du Shandong avaient choisi de la quitter pour aller travailler dans une entreprise rurale; mais cet événement aurait été impensable si les autorités locales navaient pas organisé pour eux un système dassurance couvrant la retraite, le chômage, la maladie et les accidents du travail.
2) Mettre progressivement en place un réseau dinformations sur loffre et la demande de travail, couvrant lensemble de la Chine.
Etablir un réseau informatique reliant les agences pour lemploi dans lensemble du pays, quil sagisse des villes ou des campagnes, des plaines et des monts, des régions côtières ou intérieures Les agences en question devront tenir une comptabilité exacte et détaillée des demandes et des offres demplois, et les introduire dans le réseau informatique.
En même temps il faudra maîtriser un certain nombre dinstruments de communication pour arriver à transmettre les informations ainsi informatisées, à bon escient et en temps opportun, aux demandeurs demploi et aux unités de travail ayant besoin de main-doeuvre. Les petites annonces des journaux ne suffisent pas, il faudra créer une ou plusieurs publications spécialisées dans le marché du travail, à très grande diffusion. Les bureaux de présentation demplois pourront, eux aussi, imprimer des journaux de petites annonces, quotidiennement sil le faut. Les informations ainsi fournies seront concises et rapides.
3) Renforcer lorientation et la formation professionnelles.
Beaucoup de travail a été fait dans ces domaines ces dernières années. Il faudra le poursuivre en insistant sur ladaptation au nouveau mode de croissance économique et à la poussée de chômage quelle entraîne. Il faudra, pour répondre aux besoins du marché du travail, améliorer et diversifier la formation professionnelle. Il faudra aussi encourager toute initiative renforçant la formation professionnelle, quil sagisse de la formation permanente ou de cours de recyclage. A cet égard, les écoles de recyclage pour jeunes qui ont été créées récemment par la Ligue de la jeunesse communiste de Shanghai et de Nankin constituent une excellente initiative, qui mérite dêtre encouragée.
4) Renforcer le contrôle et la gestion du marché du travail.
Il faut favoriser la création dagences pour lemploi, en les rentabilisant au maximum. Il faut également les standardiser, quil sagisse dagences gouvernementales ou dagences gérées de façon privée. De quoi traite un marché du travail ? Des hommes, rien que des hommes. Le travail dans ce domaine doit donc respecter lhomme, le comprendre, croire en lui. Lidée qui le sous-tend est quil faut servir le peuple. Quant à ceux qui se servent des chômeurs pour leur extorquer de largent, qui pervertissent le travail de présentation demploi pour se livrer à du trafic de main-doeuvre, à de la traite de femmes et autres malversations, il faut être à leur égard dune très grande vigilance et les châtier durement.
5) Renforcer le système légal.
Il faut que lEtat édicte au plus vite des réglementations concernant le marché du travail, afin que les demandeurs et les pourvoyeurs demploi, ainsi que ceux qui agissent comme intermédiaires entre les deux, puissent agir dans un cadre juridique rigoureux. Il faut donc créer, dans chaque province ou municipalité, un tribunal du travail chargé de régler les litiges survenant dans le marché du travail.


