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Shenyang apprend à gérer ses pauvres

by  Antoine Kernen /
La Chine connaît depuis une dizaine d’années des taux de croissance records, mais ces chiffres ne rendent pas compte des situations très diverses que l’on rencontre sur l’ensemble du territoire. En remontant le pays du sud au nord, le contraste devient vraiment saisissant. Le Nord-Est, une des plus anciennes bases industrielles de Chine reste à la traîne des réformes. Les trois provinces qui le composent (Heilongjiang, Liaoning, Jilin) négocient avec difficulté leur passage à une économie marchande. Dans ce processus, ce sont les ouvriers des entreprises d’Etat, anciens privilégiés du régime, qui payent le prix fort de la transition. Au point que certains chercheurs chinois n’hésitent pas à utiliser le terme de “nouvelle pauvreté urbaine” (1).


Antoine Kernen

Parmi les grandes villes de la région, c’est Shenyang qui connaît la situation la plus difficile. La capitale provinciale du Liaoning, qui compte plus de six millions d’habitants et se trouve à 600 kilomètres au nord de Pékin, a pourtant longtemps été considérée comme l’une des villes les plus riches de Chine. En 1949, lors de la prise du pouvoir par les communistes, Shenyang, comme tout le Nord-Est, possédait une infrastructure et un tissu industriel qui n’avaient guère leur pareil en Chine. Cette région, la plus industrialisée du pays grâce à la colonisation russe et surtout japonaise, a longtemps financé par l’impôt le développement économique d’autres régions. L’Etat central a vécu sur les acquis de cette industrialisation précoce sans grand souci de moderniser les entreprises (2).

Aujourd’hui, les provinces du Nord-Est auraient bien besoin de l’aide de l’Etat central pour restructurer les mastodontes de l’économie étatique, mais elles doivent se débrouiller seules, ou presque. En effet, après de nombreuses hésitations, la Chine s’est décidée à réformer les entreprises d’Etat, dont le déficit pèse chaque année un peu plus lourd sur le budget national. Pour ce faire, le gouvernement central a décentralisé la gestion de la plupart d’entre elles en la confiant aux provinces et aux municipalités, tout en resserrant la politique du crédit. Résultat, les entreprises d’Etat sont contraintes de procéder à une restructuration et de licencier une partie de leur personnel. Partout en Chine, ces entreprises se transforment ou agonisent dans la douleur, mais dans une région où l’emploi étatique représente encore 50% de l’emploi urbain, la réforme prend des proportions dramatiques (3). Malgré des récoltes exceptionnelles dans les campagnes autour de la ville et de grosses dépenses d’infrastructure, la ville de Shenyang a connu en 1995 et 1996, des taux de croissance légèrement négatifs (-2%) (4).

Depuis le début de l’année, la situation semble évoluer quelque peu. Un nouveau maire, Mu Suixin, a été désigné et le gouvernement central a voté de nouveaux crédits pour aider la transformation des entreprises d’Etat de la province. Une somme de 4,2 milliards de yuans, ainsi que 20% des 300 milliards votés par l’Assemblée nationale populaire pour les entreprises d’Etat sont destinés à la seule province du Liaoning (5).

Une ville de marché

La première chose qui frappe en arrivant à Shenyang, c’est l’abondance des marchés. Ils ne sont pourtant pas comme au sud l’expression du dynamisme de l’économie mais celle de sa faillite. Les marchés improvisés qui s’étendent le long de nombreux trottoirs de la ville sont le fait d’ouvriers des entreprises d’Etat qui doivent s’improviser commerçants pour survivre. Pour la plupart encore officiellement employés des entreprises d’Etat de la ville, ils ne se sont pas jetés dans la mer de l’économie de marché (xia hai); ils y ont été jetés (xia gang). Ces naufragés de l’économie étatique n’ont d’autre solution que de vendre ce qui leur tombe sous la main, pour tenter d’améliorer l’ordinaire. Ainsi, sur les marchés de Shenyang, on trouve un bric-à-brac indescriptible. Certains y vendent les livres, les habits, ou la vaisselle qu’ils ont accumulés chez eux au cours d’une vie. D’autres volent dans leur entreprise tout ce qui peut avoir une valeur marchande et le revendent dans la rue. Ainsi, les outils, les vis, les écrous, les récipients, les tuyaux, les habits, les radiateurs, les lampes des usines en difficulté se retrouvent sur le marché pour payer les salaires des employés. Le soir, ce sont encore les “surplus” des entreprises d’Etat qui sont revendus sur le trottoir, marchandises que les vendeurs ont pu obtenir d’un parent ou dans les marchés en gros de la capitale provinciale.

Les faux et les vrais chômeurs…

Si beaucoup d’ouvriers de la ville ont la possibilité de passer leur temps sur les marchés, c’est parce que de nombreuses entreprises mettent leurs employés “en congé prolongé” (fang changjia), “en préretraite” (tiqian tuixiu), au chômage partiel, ou au chômage tout court. Mais combien sont-ils réellement, ces ouvriers des entreprises d’Etat, à subir les restructurations ? Il est bien difficile de le dire. Officiellement, le Nord-Est, comme le reste de la Chine, compte environ 3% de chômeurs urbains. Mais comme le dit un chercheur chinois : “Nos statistiques ne sont pas faites de la même manière que dans les autres pays. Dans la catégorie des chômeurs, nous n’incluons que des citadins sans emploi. La main-d’oeuvre en surplus dans les campagnes et dans les villes n’est pas comprise. Si l’on comptait tous ces gens, le taux de chômage dépasserait largement celui de la plupart des pays dans le monde” (6). Ce “surplus” de main-d’oeuvre urbaine est composé de salariés mis à pied (xia gang). Il y en aurait, au niveau national, dix millions (7). Dans la province du Liaoning, l’année dernière, 367 000 employés appartenant aux 5 000 entreprises qui ont arrêté la production ou ont été mises en faillite ont perdu leur emploi (8).

Mais la situation de la province est plus grave, car de nombreux employés des entreprises d’Etat ne reçoivent tout simplement pas leur salaire. Rien qu’à Shenyang, les arriérés de salaire dans les entreprises d’Etat de la ville s’élevaient à 600 millions de yuans, alors que seulement 5% des entreprises donnent des salaires normaux. Certaines ne paient plus les salaires depuis plus de deux ans, et ont de facto cessé d’exister. Seule une infime partie d’entre elles sont officiellement mises en faillite. Lors d’un séjour dans la ville fin 1996, plusieurs chercheurs m’ont affirmé que 40% des entreprises d’Etat de la ville ne payaient plus les salaires depuis au moins six mois et qu’en outre 60% des entreprises de la ville fonctionnaient à temps partiel (9). Dans le reste du Nord-Est, la situation n’est pas meilleure. Dans la petite ville de Suihua, au Heilongjiang, 30% des entreprises de la ville ont arrêté leur production en partie ou complètement, et les arriérés de salaire s’élèvent à 20 millions de yuans (10). Aux travailleurs au chômage ou non payés, s’ajoute le grand nombre d’ouvriers mis à la retraite anticipée ces dernières années.

Des chiffres plus précis révélant l’ampleur de la crise économique du Nord-Est sont toutefois difficiles à obtenir, puisque les autorités tentent délibérément de la cacher par l’utilisation d’un subtil arsenal de catégories juridiques ou de manipulations statistiques. Une chose est pourtant sûre, c’est que la situation des entreprises d’Etat ne s’améliore guère au niveau national, puisque le bénéfice des entreprises industrielles publiques a chuté de 85,4% dans les six premiers mois de 1996 et que 46% d’entre elles sont déficitaires (11). Bien sûr, certains chercheurs érudits vous expliqueront qu’elles ont intérêt à minimiser leur bénéfice ou même à accroître leur déficit. Il n’empêche qu’à Shenyang, la situation économique et politique n’en est plus à ce petit jeu de cache-cache bureaucratique (12).

Qui sont les nouveaux pauvres des villes chinoises?

Alors que la plupart des analyses se focalisaient sur l’émergence d’une classe aisée dans les villes chinoises, dans le même temps apparaissait un groupe à bas revenus qui est aujourd’hui bien visible dans l’ensemble des villes de Chine. “Cette nouvelle pauvreté — relative, puisque la Chine connaît encore la pauvreté absolue — touche selon les statistiques récentes et les estimations internationales, au moins de 12 à 15 millions de citadins” (13). L’apparition de ces nouveaux pauvres est essentiellement la conséquence de la réforme des entreprises d’Etat, mais pas uniquement. Les personnes âgées, handicapées ou malades font aussi partie des nouveaux exclus de la société urbaine. D’une part leurs revenus suivent rarement l’augmentation du coût de la vie, d’autre part il leur est de plus en plus difficile de trouver un revenu annexe, étant donnée la situation économique actuelle. Parmi les ouvriers des entreprises d’Etat, les personnes proches de l’âge de la retraite et les femmes ont été les premières victimes de la restructuration. Elles ont aussi beaucoup plus de difficulté à se réinsérer.

Les femmes représentent 60% des chômeurs de la province du Liaoning (14). Rien que dans la ville de Shenyang, il y a officiellement 49 316 salariées mises à pied (15). Une recherche menée par une sociologue de l’Académie des Sciences sociales du Liaoning montre qu’il s’agit surtout de femmes de plus de 35 ans avec un bas niveau d’éducation. Dans une des grosses entreprises de machines-outils de la ville, on ne cache pas que l’on a mis à pied principalement des femmes. “Elles nous coûtent plus cher, elles prennent leur retraite plus tôt et beaucoup sont heureuses de pouvoir mieux s’occuper de leur enfant”, affirme un haut cadre de l’entreprise. Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. Tout est fait à Shenyang pour retirer progressivement les femmes du marché de l’emploi. A partir de 1994, les mises à la retraite anticipée se généralisent dans la ville. Dans certaines grandes entreprises, on a abaissé l’âge de la retraite à 42 ans pour les femmes et 52 pour les hommes (16). En outre, elles peuvent depuis plusieurs années obtenir des congés prolongés allant jusqu’à sept ans après la naissance de leur enfant (17).

La plupart des femmes n’ont pourtant pas choisi d’arrêter de travailler, mais ont été exclues du monde du travail. Si elles reçoivent une petite compensation mensuelle allant de 80 à 120 yuans, elles ont perdu une part importante de leur salaire et de leurs avantages sociaux. Pour compenser ce manque à gagner, beaucoup se font colporteuses en espérant trouver un nouveau travail. Mais 95% des femmes qui doivent quitter leur entreprise quittent définitivement le marché officiel du travail salarié (18). Les nouveaux postes de travail qui sont créés, moins bien payés, plus pénibles et éloignés de la ville ne sont pas souvent compatibles avec une charge familiale. Beaucoup d’ouvrières se résignent à devenir femmes au foyer ou à gagner quelques sous dans le petit commerce tout en touchant leur faible prime mensuelle. Face à la gravité de la situation, les associations de femmes de la ville jouent un rôle de plus en plus important dans la gestion de la crise. Chose nouvelle, elles ne sont plus seulement une courroie de transmission pour le pouvoir, mais servent à attirer l’attention de la municipalité sur la condition féminine (par exemple, le sort des femmes divorcées).

Conséquences sociales de la pauvreté

En discutant dans la rue avec des ouvriers mis à pied, on est étonné par leur liberté de ton. Beaucoup regrettent l’époque de Mao, où la ville était prospère. “Les réformes n’ont fait que détruire les entreprises de la ville. Avant, nous étions riches, maintenant on doit faire n’importe quoi pour vivre.” Pour cet ancien employé d’une usine pharmaceutique, les coupables sont tout désignés. “Les chefs nous disent qu’ils n’ont plus d’argent pour payer nos salaires, mais ils en avaient assez quand ils ont acheté toutes ces voitures. Il y en avait tellement que le car qui amenait les ouvriers à l’usine n’avait même plus de place pour se garer. Aujourd’hui, ils ne nous payent plus, mais pour eux ce n’est pas grave, ils ont mis assez d’argent de côté. Ils ont pillé l’entreprise et aujourd’hui on n’a plus rien.” Un ancien travailleur dans la sidérurgie ajoute : “Le fils de mon patron a créé une entreprise à Shenzhen, inutile de se demander d’où vient l’argent. Les ouvriers subissent aujourd’hui à la fois les inconvénients du socialisme et du capitalisme.”

Dans une situation où les tensions sociales sont exacerbées, les manifestations d’ouvriers réclamant leurs salaires devant le siège de la municipalité sont fréquentes. Selon la police de Pékin, 80% des 12 000 manifestations, pétitions, blocages de trafics recensés en 1995 sont causées par la pauvreté urbaine (19). Pourtant, sans doute parce qu’on sait qu’il n’y a plus grand-chose à attendre de la municipalité, le temps des grèves qui ont agité la ville semble passé. Ce sont d’autres problèmes sociaux qui sont le révélateur de la crise : accroissement des suicides, des divorces, de la criminalité, de la délinquance et de la prostitution.

Gestion de la pauvreté

Pour tenter de calmer les rancoeurs populaires, la municipalité de Shenyang montre ostensiblement sa sympathie envers les plus démunis. Et comme de nombreuses villes de Chine, elle a développé un riche folklore politique. Le maire et ses subordonnés vont chaque année rendre visite aux pauvres à la veille du Nouvel An, leur apportant du charbon, des fruits, des gâteaux et de l’argent. Tout au long de l’année, des campagnes du type “offrir de la chaleur” (song wen nuan) se succèdent. Il s’agit le plus souvent de développer un système de parrainage (duijiezi) entre un cadre et une famille en difficulté. Le cadre devra accorder son aide à cette famille sous la forme de visites régulières. A ces occasions, il pourra tenter de résoudre des problèmes administratifs et offrir des cadeaux en argent ou en nature (20). La municipalité tente encore d’améliorer l’image des cadres à travers des campagnes contre la corruption ou les mauvaises moeurs. Ainsi, les banquets et les salons de massage ont été interdits aux cadres et récemment une vingtaine de voitures de luxe achetées hors plan ont été vendues aux enchères (21).

Outre le “bon” cadre, la solidarité et l’entraide sont valorisées. La presse et la télévision rendent compte de cas sociaux résolus grâce au voisinage. Ainsi Madame Wang, grande adepte de la danse du Yangge, qui fait fureur partout en Chine, a réussi grâce à une collecte effectuée par son quartier à réunir les 200 yuans nécessaires pour participer avec son groupe à une compétition à Pékin (22). L'ensemble de la population est mis à contribution pour des collectes de fonds. A Harbin, même les écoliers se cotisent pour aider certains de leurs camarades à s’acheter des nouveaux habits (23). Et les entrepreneurs privés doivent eux aussi faire périodiquement acte de générosité, notamment en engageant d’anciens employés des entreprises d’Etat plutôt que de la main-d’oeuvre rurale, réputée plus docile et moins chère.

Mais derrière ce folklore, c’est bien le laissez-faire économique qui est de rigueur. Les bureaucrates de Shenyang ont vite appris le principe de base du libéralisme: l’Etat point trop n’en faut. “Les migrants trouvent qu’il est aisé de faire fortune dans la ville (24). Les gens du Nord ne savent que se plaindre. Ils supportent mal les difficultés et manquent d’initiative. Pourquoi encore aujourd’hui la majorité des cordonniers viennent du Hubei ? Ces étrangers gagnent une bonne dizaine de yuans par jour”, s’exclame un gros cadre jovial du syndicat de la ville. Sur le même registre un responsable de la gestion des réformes à la municipalité affirme sa foi dans la non-intervention : “Aujourd'hui, nous n’intervenons dans les entreprises que pour parer aux situations les plus extrêmes. Dans plusieurs usines de la ville, les ouvriers ne reçoivent plus de salaires, mais nous n’intervenons pas encore. Il faut qu’ils se prennent en charge. Dans une entreprise, ils ont changé eux-mêmes le directeur. C’est très bien. Ailleurs, ils ont compris qu'ils ne pouvaient plus compter sur l’Etat. Ils savent qu’ils doivent trouver eux-mêmes une solution à la crise. Nous veillons, par contre, à ce que personne ne meure de faim.” (25)

Dans cet ultra-libéralisme aux couleurs de la Chine, le secteur privé, comme dans les premières années des réformes, redevient la solution au chômage. Mais la situation économique est très différente. La pénurie de services des années 70, qui avait permis aux premiers getihu de faire fortune rapidement, appartient au passé. Aujourd’hui, le secteur privé n’est plus en mesure de résoudre à lui seul le problème du chômage “Les nouveaux getihu sont des ouvriers. Mais leur nombre n’est pas extensible à l’infini”, confirme un responsable du Bureau du commerce à Shenyang (26). Ainsi, le nombre annuel élevé des nouvelles entreprises (80 000) se conjugue avec un grand nombre de fermetures (42 000) (27).

De plus, sans investissement de base, les nouveaux getihu se concentrent sur quelques activités : la vente de détail, les services de proximité et la petite restauration de rue. La multiplication de ces petites échoppes entraîne une baisse marquée des revenus du petit commerce de proximité, qui subit en outre la concurrence des ouvriers en congé autorisés à travailler sans licence sur les trottoirs de la ville. Et, pour une fois la très officielle association des getihu s’autorise à rendre compte de l’avis de ses membres : “Ils ne sont pas contents de la concurrence que leur font les marchés de rue. Avant, un petit getihu gagnait peut-être dix yuans par jour, aujourd’hui il n’en gagne que six. Il y en a trop, donc les salaires baissent, mais c’est un avantage pour le reste de la population”. Aujourd'hui, l’entrepreneur privé n’est plus forcément riche. Les derniers à s’insérer dans le secteur privé n’ont plus une stratégie d’enrichissement mais de survie.

L’institutionnalisation de la pauvreté

Si la gestion de la crise est assurée pour l’essentiel par les actes de philanthropie, on assiste aussi à la mise en place d’un filet de protection sociale minimum. Pour ce faire, les municipalités de Shenyang et du Nord-Est ont défini les critères de pauvreté donnant droit aux aides de l’Etat. La ville fait la distinction entre, d’une part, les familles en difficulté (pinkun hu) qui pourront bénéficier de l’aide de l’Etat, et les familles qui arrivent à manger et à se vêtir (wenbao hu), d’autre part. Les municipalités ont ensuite institué des “certificats d’extrême pauvreté” (tekun hu zheng) permettant aux détenteurs d’acheter des produits de première nécessité à un tarif préférentiel ou de recevoir des dons de céréales. A Shenyang, une dizaine de milliers de personnes peuvent bénéficier de ces avantages (28). Les syndicats et les associations de femmes mettent en oeuvre des politiques plus interventionnistes face à la pauvreté. En s’appuyant sur les structures de ces deux organisations, la ville dispense l’aide aux familles les plus nécessiteuses (29). Ces personnes sont aussi les cibles privilégiées des politiques de réinsertion. Une centaine de centres de formation professionnelle à l’usage des sans-emploi ont été créés. Ils offrent des cours et des structures pour faciliter la recherche de travail (30). L’aide aux pauvres s’oriente aussi vers l’aide à la création d’entreprises. De petites entreprises collectives de service à la communauté (crèches, centres de couture ou de tricot) sont créées par l’Association des femmes.

Pour ceux qui pensaient voir la Chine opérer une transition en douceur vers l’économie de marché, l’exemple des réformes à Shenyang montre que la dureté de la transition pour certains groupes de la population urbaine n’a pas été grandement atténuée par sa lenteur relative. Comme dans les pays d’Europe de l’est, le passage au capitalisme entraîne la création d’une couche d’exclus. Pour répondre à ce nouveau défi, les villes chinoises ont inventé une gestion minimaliste de la pauvreté. La construction de l’Etat modeste à la chinoise s’opère conjointement à la redéfinition du rôle des associations. Certains y voient la preuve de l’émergence d’un Etat néo-corporatiste en Chine à l’image de nombreux pays asiatiques ou de la Communauté Européenne (31); mais en l’absence d’une réelle autonomie des “associations” en question, cette théorie reste cependant très hypothétique.