BOOK REVIEWS
Un complot de l’Occident contre Hong Kong ?
La Chine orpheline de Deng Xiaoping vient de
perdre un autre de ses “immortels” en la personne de Peng
Zhen, l’ancien maire de Pékin, première victime
de la Révolution culturelle. Les vieillards qui survivent
ont beaucoup moins de poids que les deux grands anciens, et l’on
peut affirmer que le “transfert de pouvoir à la troisième
génération” est maintenant un fait accompli.
Toutefois, il est encore difficile d’en conclure que l’équipe
actuelle est solidement installée au pouvoir. Si elle est
parvenue à empêcher tout débordement au lendemain
de la mort du petit Timonier, elle s’est toutefois sentie obligée
de renforcer sérieusement la sécurité dans
les quartiers de la capitale, interdisant aux individus de se rendre
dans le centre de la ville pour pleurer le “Grand architecte”.
Les funérailles de Deng ont également montré
que le Parti restait divisé. Renforçant sa position
centriste, Jiang aurait refusé tant à Zhao Ziyang,
le réformateur nommé par Deng, qu’à Deng
Liqun, le chef de file idéologique des gauchistes, de participer
aux cérémonies. Les funérailles de Peng Zhen
ont montré que la “gauche” bénéficiait
d’un certain préjugé favorable puisque le “petit
Deng” y a fait une apparition.
Quelques événements sont venus
troubler la sacro-sainte “stabilité” dont tous
les dirigeants s’accordent à reconnaître qu’elle
est la condition essentielle du succès, du moins pour le
moment. Un testament où Deng Xiaoping regrettait d’avoir
ordonné l’intervention de l’armée en 1989
a circulé à l’étranger. Un peu plus tard,
une lettre attribuée à Zhao Ziyang accusant Deng d’avoir
exercé un pouvoir de plus en plus personnel à la fin
de sa vie et critiquant le limogeage de Hu Yaobang et la répression
du mouvement démocratique en 1989 était publiée
dans la presse de Hong Kong. Dans cette lettre, Zhao critiquait
aussi la décision de nommer Jiang Zemin “noyau”
de la direction.
Même si ces deux textes sont des faux,
le deuxième ne peut avoir été écrit
que par des personnes proches des milieux réformateurs. Rappeler,
au lendemain de la mort de Deng Xiaoping, alors que tout le Parti
prépare son prochain congrès, que la plaie du 4 juin
reste ouverte équivaut à rappeler à la direction
actuelle que les partisans de Hu Yaobang et de Zhao Ziyang sont
encore une force avec laquelle il faut compter. Il est certain que
les contradictions entre les nombreuses factions qui se disputent
le pouvoir au sommet du Parti se feront plus ouvertes avec la disparition
des derniers patriarches.
Cependant, deux événements prévus
cette année les empêcheront d’éclater au
grand jour rapidement : il s’agit, comme l’avait annoncé
l’éditorial du Nouvel An du Quotidien du peuple,
de la rétrocession de Hong Kong et du XVème congrès
du parti communiste.
Ces deux événements apportent
un ballon d’oxygène à Jiang Zemin et il essaiera
sans aucun doute de les utiliser pour consolider sa position. D’abord,
la rétrocession de Hong Kong : la réunification nationale
représente un facteur de légitimité essentiel
pour le parti communiste en cette période de déclin
de l’idéologie, alors que le combat pour le socialisme
ne mobilise plus la population, ni même les cadres de l’appareil
(Voir “Pékin, ton univers impitoyable”, p. 60).
La direction actuelle peut arguer de la nécessité
absolue que tout se passe dans le calme pour faire taire ceux qui,
au sein ou à l’extérieur du Parti, chercheraient
à renforcer leur position en s’appuyant sur les mécontentements
réels qui existent dans la société. Quelle
perte de face pour la Chine si, à la veille de la rétrocession,
la place Tian’anmen était occupée par des jeunes
gens en colère, si des émeutes éclataient dans
les campagnes! Le dirigeant, ou la faction, qui profiterait de l’agitation
sociale pour lancer un défi à Jiang Zemin serait immédiatement
accusé de saboter la cause sacrée de l’unification
de la Patrie. Tout le monde, doit donc, du moins en public, se rallier
autour du “noyau” Jiang Zemin jusqu’à ce que
la colonie britannique soit revenue dans le giron de la mère-patrie.
D’où sa décision, pour renforcer
encore sa position, de tenir le XVe congrès dans la foulée
de la rétrocession. Qui oserait lancer un défi au
grand réunificateur au moment où il vient tout juste
de triompher ? Naturellement, il s’agit d’une partie d’échecs
extrêmement complexe : Jiang sait bien que sa légitimité
n’est pas incontestée, et que, même s’il
est certain qu’aucun de ses rivaux ne se risquera à
faire appel aux simples citoyens pour qu’ils expriment leur
mécontentement, comme Mao en 1966 ou Deng en 1978, il ne
peut cependant pas leur faire accepter n’importe quoi. Aussi
est-il encore difficile de prévoir ce qui sortira des marchandages
qui précèdent le Congrès et qui concernent
bien plus les arrangements de personnel que les questions de ligne
politique. Ce conclave ne prendra pas d’initiatives audacieuses
pour régler les problèmes sociaux qui grèvent
le développement de la Chine, comme par exemple le chômage
croissant des ouvriers des entreprises d’Etat (Voir “Shenyang
apprend à gérer ses pauvres”, p. 17).
Si l’obsession de la stabilité
conduit à l’immobilisme sur le Continent, il n’en
va pas de même à Hong Kong. Craignant que les Britanniques,
et les Occidentaux en général aient décidé
de saboter la transition et de faire de Hong Kong une carte dans
leur politique d’endiguement de la Chine, les autorités
chinoises ont incité le futur chef de l’exécutif
à renforcer l’arsenal législatif concernant l’ordre
public. C’est ainsi qu’au cours des derniers mois, avec
l’agrément de l’Assemblée nationale populaire,
Tung Chee-hwa a décidé d’amender deux ordonnances
sur l’ordre public et sur les associations dans un sens restrictif.
Les amendements proposés reviennent à rétablir
des lois coloniales qui imposaient des conditions strictes à
l’organisation de manifestations et à la création
d’associations. Tung Chee-hwa s’est évertué
à rassurer l’opinion, affirmant que ses propositions
sur l’ordre public ne réduisaient nullement les libertés,
puisqu’elles stipulent seulement que les organisateurs de manifestations
doivent obtenir une autorisation préalable de la police,
ce qui se pratique dans nombre de pays occidentaux. Pourtant, cette
mesure est apparue comme une volonté de restreindre la liberté
de manifestation et la majorité de la presse et des forces
politiques l’ont critiquée.
L’amendement à l’ordonnance
sur les associations est plus grave, et a conduit à une perte
de prestige encore plus grande du futur chef de l’exécutif
: il s’agit en effet d’interdire aux partis politiques
du Territoire de recevoir des subventions de l’étranger,
y compris des individus de nationalité étrangère.
C’est d’autant plus absurde que la Loi fondamentale prévoit
que jusqu’à 20% de citoyens étrangers peuvent
siéger au Legco. Ces personnes ne seraient-elles donc pas
autorisées à verser de cotisation à leur parti
? Cette maladresse très grave dans une société
où la culture juridique est aussi ancrée qu’à
Hong Kong, montre surtout que les autorités chinoises qui
s’expriment à travers Tung Chee-hwa craignent que les
“forces de l’étranger”, n’interviennent
dans la vie politique de la RAS, et sont par conséquent prêtes
à prendre toutes les mesures possibles pour garder le contrôle.
Dans ce contexte, l’entretien de Martin Lee avec le président
Clinton ne risque pas de les rassurer.
Prenant exemple sur le gouvernement de Hong
Kong, le chef de l’exécutif a soumis ses amendements
à une consultation qui a duré trois semaines. Mais,
lorsqu’il est apparu que la plupart des groupes et des institutions
du Territoire, notamment les professeurs d’université,
les avocats etc. y étaient hostiles, Tung a fait appel, dans
la plus pure tradition communiste, aux organisations progressistes
représentant la “majorité silencieuse”.
A l’heure où nous écrivons, le résultat
de la consultation n’a pas été rendu public,
mais il est fort à craindre qu’il encouragera le chef
de l’exécutif à mettre en oeuvre ses décisions.
Ces amendements, adoptés pour tenter
d’empêcher que des manifestations viennent troubler les
premiers mois d’existence de la RAS ont eu un effet inverse,
et cette péripétie a fortement atteint le prestige
du Chef de l’Exécutif.
Mais on peut considérer que, dans ce
domaine qui est finalement très proche de la politique, les
querelles sont anciennes et ne sauraient se résoudre rapidement.
Plus inquiétante est la mauvaise atmosphère
qui est en train d’apparaître dans la haute fonction
publique. Lorsqu’en février, Tung Chee-hwa, qui avait
déjà nommé Anson Chan chef de l’administration,
avait décidé de conserver 23 des 25 policy secretaries,
il avait profondément rassuré la communauté
internationale et le monde des affaires du Territoire. En effet,
la plupart des observateurs estimaient que derrière l’écume
des joutes politiques, la permanence de l’administration —
qui, dans le Territoire joue un rôle bien plus important que
dans n’importe quel pays occidental puisqu’il s’agit
d’un gouvernement dirigé par l’exécutif
— constituait le gage principal de la stabilité de la
RAS. Mais c’est précisément cette certitude qui
est aujourd’hui remise en question. Depuis quelques semaines,
les hauts fonctionnaires se plaignent que Tung Chee-hwa — un
homme décidément bien autoritaire — soit en train
d’installer un “système ministériel”
dans lequel ce sont les membres (pro-chinois, et surtout nommés
pour des raisons de fidélité politique) du Conseil
exécutif qui sont les véritables chefs des diverses
branches de l’administration, alors qu’eux-mêmes
ne sont plus que des exécutants. De l’autre côté,
les membres de l’Exco et les partis pro-chinois représentés
à l’assemblée provisoire se plaignent que les
policy secretaries, qui ont tous travaillé avec un Chris
Patten qu’ils exècrent, refusent de collaborer avec
eux, parce qu’ils ont été formés par les
Britanniques. Ce conflit est d’autant plus grave qu’il
risque de convaincre les autorités chinoises que les hauts
fonctionnaires hongkongais ne sont pas dignes de confiance. Cela
ne peut que renforcer leur désir de contrôler le plus
étroitement possible tant les fonctionnaires que les diverses
forces politiques en adoptant des lois de plus en plus restrictives
des libertés dès le 1er juillet 1997. Or, c’est
justement l’adoption de lois répressives qui risque
de provoquer l’agitation des milieux démocrates. Si
une telle agitation s’accompagnait d’une démoralisation
des hauts fonctionnaires, la stabilité du Territoire pendant
la délicate période de transition pourrait vraiment
être menacée.
A force de vouloir tout contrôler pour
empêcher les troubles, les autorités chinoises risquent
un retour de bâton. Il serait bon de rappeler à Tung
Chee-hwa, qui aime à se présenter comme un défenseur
des “valeurs chinoises”, que le meilleur moyen d’assurer
la tranquillité du Territoire pendant les années à
venir consiste à appliquer la vieille maxime taoïste
: wu wei er zhi. gouverner par le non-agir.