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Investir en Chine : ce qu’en pensent les hommes d’affaires taiwanais

Tandis que le gouvernement taiwanais met en place un comité ad hoc chargé d’enquêter sur les investissements illégaux (1) en Chine et menace les contrevenants d’amendes pouvant aller de 3 à 15 millions de dollars NT (2), le pouvoir central à Pékin aurait donné instruction aux autorités provinciales de garder secrète toute information relative à tout nouvel investissement par des entreprises taiwanaises sur leur territoire de juridiction, afin de protéger ces dernières de pressions éventuelles de la part de Taipei (3).

Ces deux nouvelles, apparues simultanément, ont au moins le mérite de mettre en lumière la situation ambiguë dans laquelle se trouvent les investisseurs taiwanais sur le Continent, pris au coeur d’un jeu politique entre Pékin et Taipei et dans un contexte d’intégration croissante de l’économie de l’île de Formose avec celle de la Chine du sud. Que la commission à l’investissement du ministère taiwanais des affaires économiques (MOEA) se voie obligée d’annoncer la constitution d’un comité chargé de faire appliquer une loi qui existe déjà depuis 1992 (4) est révélateur de la difficulté qu’éprouve Taipei à contraindre les entrepreneurs de l’île à limiter leurs investissements sur le Continent. Selon les chiffres qui apparaissent le plus souvent dans la presse, quelque 25 000 firmes taiwanaises auraient investi plus de 20 milliards de dollars US en Chine continentale (5). D’un autre côté, les autorités continentales, que ce soit au niveau national ou local, continuent d’encourager les “compatriotes” taiwanais à venir investir dans la mère patrie (6).

Mais au delà des chiffres et des lois se trouvent des hommes qui gèrent leur entreprise, parlent de coût de production, de marché, de concurrence. PME ou grands groupes industriels, ils ont choisi d’investir en Chine. Que cherchent-ils sur le Continent ? Quels problèmes y rencontrent-ils ? Gagnent-ils ou perdent-ils de l’argent ? Comment voient-il l’avenir ? Le retour de Hong Kong dans le giron chinois leur fait-il peur et modifieront-ils leur stratégie d’investissement dans le long terme ?

Ces questions, nous les avons posées à des hommes d’affaires taiwanais (7), directeurs ou cadres d’entreprises de tailles et secteurs différents. Leurs réponses que nous présentons ici n’ont en aucun cas valeur de sondage, mais reflètent plutôt la variété des approches quant à la façon de faire des affaires en Chine, avec toutefois des tendances fortes, des opinions récurrentes que nous soulignerons afin d’essayer de dégager une perspective de l’investissement taiwanais en Chine après le 1er juillet 1997.

Pourquoi la Chine ?

Pour la très grande majorité des entrepreneurs taiwanais, le choix du pays d’accueil pour leur investissement à l’étranger se résume souvent en une alternative : Chine continentale ou Asie du sud-est.

Monsieur Ma, qui dirige l’entreprise Qiyang (chaussures) à Taichung (Taiwan), a traîné ses guêtres dans tout le sud-est asiatique, et même jusqu’en Inde, à la recherche de cuir et d’opportunités d’investissement. Insécurité et instabilité sociale aux Philippines, insuffisance d’infrastructures portuaires en Thaïlande, sentiment anti-chinois en Indonésie où la main d’oeuvre est, selon lui, peu active, et le travail doit en outre s’arrêter plusieurs fois par jour pour la prière (musulmans), manque de main d’oeuvre adaptée (ouvriers sans qualification spéciale et bon marché) en Malaisie, longue distance, transport peu sûr, matières premières (peaux de mouton) de qualité inégale en Inde, corruption au Vietnam (où monsieur Ma était sur le point de signer un contrat quand on lui a réclamé le versement immédiat de 360 000 dollars US) ont finalement conduit cet entrepreneur de Taichung dans le Guangdong, où il dirige depuis 1989 une usine qui emploie aujourd’hui plus de 800 personnes. “Certes on y rencontre les mêmes problèmes qu’en Asie”, affirme-t-il, “notamment l’insécurité (une milice de quinze hommes entraînés aux techniques du kungfu garde l’usine 24 heures sur 24), mais il y a là deux avantages majeurs : la langue (qui facilite la communication), la distance (un conteneur partant de Taichung ne met que sept jours pour arriver à mon usine située près de Canton).”

L’entreprise Cheng Shin fabrique des pneus. En 1989, pour répondre à une croissance des commandes de ses clients étrangers, elle décide d’accroître ses capacités de production. La rareté (et sans doute le prix élevé) des terrains et de la main d’oeuvre (travailleurs de force) à Taiwan l’amène à monter une unité de production dans le Fujian tout proche de l’île. “L’Asie du sud-est est plus loin, le port de Xiamen facilite nos exportations dans le monde entier, et surtout on y parle taiwanais”, conclut un des directeurs de la firme. Cheng Shin emploie à l’heure actuelle près de 3 000 personnes sur le Continent, et vient de construire une toute nouvelle usine à Kunshan (Jiangsu).

Pour l’un des dirigeants de la firme Chung Shing, spécialisée dans la fabrication de sous-vêtements, et première entreprise publique taiwanaise opérant légalement en Chine avec l’accord à la fois de Taipei et Pékin (1991) (8), la hausse des coûts de production consécutive à l’augmentation des salaires à Taiwan, dans un secteur utilisant une technique de production intensive en main d’oeuvre, a naturellement mené l’entreprise sur le Continent chinois où la main d’oeuvre est abondante et bon marché, d’autant qu’elle trouvait là en même temps un marché immense. “Nous avons choisi le Guangdong, Shanghai, Chengdu et Yingkou pour leur population qui représente des acheteurs potentiels.”

La firme Chun Yuan, elle, produit diverses pièces en acier. Fondée en 1965 et employant 1 500 personnes à Taiwan même, elle décide en 1993 d’investir à Shanghai (Pudong), puis l’année suivante à Shenzhen. L’usine de Shanghai fabrique une pièce entrant dans la composition des conteneurs. Or, c’est dans la région de Shanghai que se trouverait la plus grande concentration de fabricants de conteneurs. La majorité de la production est donc vendue localement, même si une faible part est également exportée. A Shenzhen, l’usine produit des pièces pour moteur, autrefois fabriquées à Taiwan même. Quand ses clients de Taiwan se sont délocalisés sur le Continent, essentiellement dans le Guangdong, Chun Yuan les a suivis, et l’usine de Shenzhen vend maintenant l’ensemble de sa production aux entreprises locales, non pas chinoises, mais étrangères. Dans les deux cas, le choix du lieu d’investissement a été motivé par la volonté de se rapprocher des clients. “Dans le long terme, le marché du sud-est asiatique présente un potentiel moins grand que le marché chinois”, constate un cadre de l’entreprise, “c’est pourquoi nous avons choisi la Chine”.

Les grandes entreprises agro-alimentaires, souvent un peu à l’engoncé sur l’étroit marché intérieur taiwanais, succombent elles aussi de plus en plus à l’attraction exercée par les 1,2 milliard de consommateurs “potentiels” de l’autre côté du détroit. En octobre 1996, selon les chiffres (estimation basse) de la commission à l’investissement (MOEA), 967 entreprises agro-alimentaires auraient déjà investi sur le Continent (soit 8,36 % du nombre total de firmes, tous secteurs confondus) (9). Le même mois, sur 29 firmes agro-alimentaires cotées à la bourse de Taipei (376 tous secteurs confondus), 15 avaient déjà investi en Chine, ce qui représente le premier secteur d’investissement parmi les entreprises côtées (10). 20 000 employés (ensemble du groupe), 20 usines réparties sur 11 lieux différents pour le seul secteur alimentaire, dont la plus récente a été établie en janvier dernier à Shenyang (Liaoning) (42 filiales pour le groupe) pour le géant Ting Hsin, célèbre sur le Continent pour la marque Kang Shih Fu de nouilles instantanées. 6 000 employés, 14 filiales (dont une dans le lointain Xinjiang) directement liées à l’alimentaire, réparties sur 12 lieux de production pour le groupe President qui paraît bien petit à côté. Pour un responsable de l’entreprise Great Wall, qui a plus modestement investi dans quatre filiales (toutes en joint venture avec partenaires chinois et/ou japonais à Shekou (farine de blé, nouilles instantanées), Tianjin (farine de blé), Shenyang et Dalian (aliments pour animaux, élevage et abattage de poulets), la Chine présente l’avantage d’un vaste marché pourvu de riches ressources naturelles, bien adapté donc aux produits de la culture et de l’élevage, sans compter la main-d’oeuvre pas chère et la proximité culturelle et linguistique avec Taiwan. La région nord-est a été privilégiée car c’est le grenier à blé de la Chine. Mais Great Wall ne s’est pas arrêtée là. Elle a également investi à Johore et Surabaya en Indonésie (aliments pour crevettes et fruits de mer surgelés), en Malaisie, au Vietnam, et possède un centre de gestion à Hong Kong ainsi qu’un bureau de représentation à Singapour. “Notre objectif est d’avoir un oeil sur le marché de la région Asie-Pacifique.”

De l’exportation de biens intensifs en main d’oeuvre (chaussures) à la conquête du consommateur chinois, est-ce là la tendance qui caractérise les investissements taiwanais en Chine ? En fait, ce rapide panorama tend à nous montrer une situation beaucoup plus variée, où chaque secteur, voire chaque entrepreneur, semble aborder le continent chinois avec sa propre formule.

Joint venture ou filiale à 100 % ?

Il apparaît assez souvent dans les études que les investisseurs taiwanais en Chine préfèrent la forme de la filiale à 100 % à celle de la joint venture avec un partenaire chinois. Et de donner l’exemple de Xiamen, où la part des filiales à 100 % parmi les firmes taiwanaises est passée de 37,50 % en 1987 à 56,14 % en 1988, 81,17 % en 1989 et 85,47 % en 1990 (11). Sans vouloir remettre en cause cette affirmation, il nous semble néanmoins nécessaire de la nuancer. Une enquête effectuée en octobre 1991 auprès de 319 entreprises à capitaux taiwanais en Chine révèle que 56,5 % sont des filiales à 100 % tandis que 43,5 % sont des joint ventures (12). Plus récemment, dans un rapport publié en avril 1995, sur 291 firmes taiwanaises interrogées, seulement 25,26 % possédaient 100 % des capitaux de leur filiale sur le Continent tandis que 68,86 % géraient leur usine en Chine sous forme de joint venture et 5,88 % sous une forme contractuelle (hezuo jingying) (13). Au delà même du caractère limité de ces enquêtes, le choix de la joint venture ou de la filiale à 100 % dépend apparemment pour le moins du lieu d’implantation, mais surtout du produit fabriqué et de l’objectif de l’entreprise.

Il faut savoir que Pékin a dressé la liste de toute une série de produits pour lesquels les investisseurs étrangers (y compris taiwanais) sont requis d’investir en joint venture avec un partenaire chinois (14). C’est notamment le cas pour la fabrication de véhicules (voitures, camions...), où de surcroît la partie chinoise doit être majoritaire. Ainsi, quand la firme China Motor a décidé de s’implanter sur le Continent pour accroître son marché, elle s’est d’abord mise à la recherche d’un partenaire local. Après deux ans d’efforts, elle a finalement fait alliance en 1994 avec le groupe Fuzhou Qiche. D’une part, elle a entrepris la rénovation de l’unité de production de véhicules appartenant à ce groupe, et d’autre part mis en chantier une usine entièrement neuve, avec l’apport de 27 machines en provenance de Taiwan, qui devrait démarrer son activité en 1998.

Parfois l’investissement via une filiale à 100 % est possible, mais la joint venture s’avère plus facilement gérable. C’est ce qu’explique un cadre d’une filiale de l’entreprise President qui produit de la farine près de Tianjin : “Une entreprise étrangère peut théoriquement investir dans une filiale à 100 %, à condition de racheter une ancienne fabrique de farine, mais il faut d’abord obtenir l’autorisation de la commission au plan du conseil des affaires de l’Etat (guowuyuan jihua weiyuanhui). En cas d’accord, les problèmes ne sont pas résolus pour autant. En effet, le département chargé des “céréales” fait une estimation des besoins en farine pour l’ensemble du pays, et à partir de là de la demande intérieure de blé. Si la production locale de céréales n’atteint pas la quantité voulue, la différence est importée. Dès lors, l’entreprise étrangère peut très bien se voir refuser l’autorisation d’importer du blé si cette importation n’entre pas dans le cadre du plan pré-établi. Pour éviter pareille mésaventure, nous avons passé un accord avec une firme publique locale à Tanggu, sous la forme d’une joint venture dont nous détenons 70% du capital.”

“Le problème majeur de la joint venture”, précise un autre cadre de l’entreprise President à la maison-mère de Tainan (Taiwan), “c’est quand il y a une augmentation de capital. Ou bien le partenaire chinois n’a pas d’argent, ou bien l’accroissement des capacités de production risque d’entraîner un changement dans la structure du capital (pourcentages respectifs). Le fait de posséder la totalité de l’entreprise donne les mains libres pour poursuivre l’investissement conformément au plan de développement de l’entreprise.”

Pour monsieur Ma, ce sont des divergences dans la façon de gérer l’usine qui l’ont conduit à abandonner (pertes et profits) la joint venture qu’il gérait à Shanghai pour son usine près de Canton qui est cette fois 100 % taiwanaise. “Je ne méprise pas la façon dont les Chinois gèrent l’entreprise, mais ici nous menons mieux notre affaire.(...) D’ailleurs, ils (nos anciens partenaires) sont venus voir et l’ont reconnu”, remarque-t-il non sans une certaine fierté.

Il est vrai que monsieur Ma exporte la totalité de sa production de chaussures vers le Japon, l’Australie, les Etats-Unis et l’Europe. Mais quand il s’agit de pénétrer le marché chinois, la joint venture n’est-elle pas recommandée ? En réalité, il semble qu’il n’existe pas (ou plus) de quota minimum d’exportation pour les entreprises étrangères. Tout au plus, les autorités accueillent “plus favorablement” les investisseurs qui prévoient d’exporter au moins 70 % de leur production, indépendamment de la forme que prend leur investissement (15). A partir de là, l’accès au marché intérieur dépend largement des conditions locales. “La totalité de notre production est vendue sur le marché chinois, à Tianjin, Pékin, Harbin, Chengdu, Wuhan, Xi’an, etc., sans aucun problème”, indique un responsable de la firme 100 % taiwanaise Cougar Tripod, plus connue sur le Continent pour sa marque “xiao liang kou” (jeune couple), rendue célèbre par un bonbon à pâte molle à l’intérieur duquel se trouve une paire de petits morceaux de sucre. Un cadre de Ting Hsin confirme : “Nos usines Ting Yi, qui produisent des nouilles instantanées, sont des filiales à 100 % qui vendent plus de 90 % de leur production localement”. Il poursuit : “De toute façon, même s’il existe des quotas pour certains produits, cela n’a pas grande importance. Nous fabriquons par exemple de l’huile de castor. Nous sommes normalement tenus d’exporter 80 à 90 % de notre production, mais si nous vendons sur place, personne ne nous dit rien.” La question importante est en fait celle du canal de commercialisation. “Sur une petite échelle, on peut écouler directement sa production, mais pour des produits variés et des quantités importantes, il est nécessaire de passer par des distributeurs locaux. Créer de toute pièce son propre réseau de distribution est impossible sur un aussi vaste territoire. 100 000 points de vente n’y suffiraient peut-être encore pas.”

Les matières premières, machines et équipements

La Chine est incontestablement un pays riche en ressources naturelles aussi bien agricoles que minérales. Pourtant, force est de constater que bon nombre d’entreprises taiwanaises implantées en Chine continuent d’importer tout ou partie de leurs matières premières ou produits semi-finis de l’étranger. Là encore, la situation est largement fonction des secteurs et/ou de la politique de l’entreprise, avec toutefois un critère qui revient souvent, à savoir la qualité.

“Nos acheteurs étrangers exigent que nous utilisions des matières premières de Taiwan”, précise monsieur Ma. “Une paire de chaussures comprend une vingtaine de matériaux différents. Sur ces matériaux, 40 % peuvent aujourd’hui être achetés en Chine même, mais ce ne sont pas là des matériaux chinois, nous achetons à des Taiwanais des produits semi-finis qu’ils fabriquent en Chine à partir de matériaux qu’ils ont eux-mêmes fait venir de Taiwan.” La firme Lioho, elle, manufacture des pièces pour voiture. Son usine de Shanghai importe de Dubai de l’or d’aluminium qu’elle utilise pour la fabrication de roues en alliage d’aluminium ensuite exportées et vendues à ses clients japonais, américains et européens. Plus surprenant peut-être, l’entreprise Cheng Shin, qui a préféré investir en Chine, fait néanmoins venir son caoutchouc d’Asie du sud-est. Ce n’est certes pas là une règle. La firme Chung Shing par exemple se fournit en fibres locales, mais il est vrai que sur huit usines, une seulement exporte sa production (broderies), tandis que les autres vendent sur le marché intérieur.

Le problème de la qualité des matières premières est peut-être encore plus aigu dans le secteur agro-alimentaire. Assez originale est la stratégie de l’entreprise President qui délocalise une unité de production de boissons et produits à base de tomate de son lieu d’origine à Taiwan pour la relocaliser dans le Xinjiang où, paraît-il, “les tomates sont les meilleures du monde”, afin de satisfaire le goût des consommateurs japonais de jus de tomate. Gageons toutefois que le coût de la main d’oeuvre y est aussi plus bas que sur l’île. Mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. “Pour tenter de contrôler la qualité des nouilles que nous produisons”, dit un directeur de la filiale de President à Pékin, “nous achetons nos matières premières auprès de trois ou quatre entreprises différentes. Si une entreprise nous fournit des produits ne correspondant pas à nos exigences, alors nous nous adressons à une autre.” “De façon générale, précise un cadre de la maison-mère à Tainan, les matières premières sont essentiellement obtenues sur place, seule une toute petite partie provient de Taiwan, par exemple certaines épices.” Mais une préoccupation au moins aussi importante est d’assurer un approvisionnement régulier. Comme le souligne un cadre de Ting Hsin : “Dans les nouilles instantanées, il y a de la farine, de l’amidon et de l’huile. La farine et l’amidon, nous les fabriquons sur place, quant à l’huile, nous l’importons nous-même pour ensuite la traiter.”

Dans le domaine des machines et équipements, les situations sont très variées. Il est vrai que les premiers investisseurs taiwanais ont apporté sur le Continent les machines qu’ils utilisaient à Taiwan, la production étant effectivement relocalisée sur le Continent, tandis que la maison-mère à Taiwan ne s’occupait plus que de la prise de commande, de la fourniture du design des produits, de l’acheminement des matières premières à l’usine en Chine et de la gestion des factures. Aujourd’hui, l’origine des machines et équipements semble s’être diversifiée. Etats-Unis, Italie, Japon et Taiwan pour Cheng Shin, Taiwan et Japon pour Lioho et Chung Shing, Taiwan et Chine continentale pour Wei Chuan, Allemagne et Japon à 90 % pour Ting Hsin. Notons toutefois que Ting Hsin prévoit de changer de politique depuis que Pékin a décidé de supprimer à la fin de l’année dernière les avantages tarifaires portant sur les équipements et matériaux importés par les entreprises étrangères (16). La fabrique de farine de President à Tianjin, quant à elle, utilise des machines d’origine suédoise. Mais, comme le remarque un cadre de l’usine : “Si ces machines peuvent durer dix ou vingt ans à Taiwan, ici au bout de deux ans, elles sont déjà encrassées à cause de la qualité du blé utilisé.” Et d’ajouter non sans humour : “Bien qu’elles soient utilisées partout dans le monde, elles ne sont peut-être pas tout à fait adaptées à la Chine.”

Coût, qualité et gestion de la main-d’oeuvre

Quelles que soient les motivations avancées par les uns ou les autres pour investir en Chine, la recherche de main d’oeuvre bon marché est toujours un élément implicite, indépendamment d’ailleurs du type de main d’oeuvre. Certes les ouvriers non qualifiés restent la norme. “La fabrication de certaines pièces nécessite de travailler dans un environnement à haute température, précise un représentant de Lioho, et à Taiwan, il n’est pas facile de trouver des ouvriers pour travailler dans de telles conditions.” Pourtant, l’objectif peut être parfois, même si plus rarement, d’utiliser une main d’oeuvre hautement qualifiée. L’entreprise Inventec par exemple emploie des diplômés d”université. “Nous demandons un travail de traitement de logiciels qui ensuite sont intégrés à nos produits, indique un des dirigeants de la firme, c’est pourquoi nos usines sont installées près de grandes universités, où les diplômés sont plus nombreux.” Il continue : “Bien qu’ils aient dans leur travail un comportement plus passif que leur vis-à-vis taiwanais, leur base théorique est sans doute plus solide.”

Mais quel est donc le coût de la main d’oeuvre en Chine ? Il varie bien entendu suivant les provinces, les plus développées (régions côtières) réclamant généralement des niveaux de salaire plus élevés. Le salaire minimum semblerait être actuellement de 270 yuans par mois (17), mais il s’agit là d’un plancher souvent largement dépassé par les entreprises taiwanaises. Un responsable de Ting Hsin annonce un salaire mensuel moyen par ouvrier de 1 000 yuans. Selon un fonctionnaire de la Commission chargée des relations économiques et commerciales avec l’étranger de Tianjin, il est exigé des entreprises étrangères qu’elles offrent un salaire minimum de 600 yuans par mois (18). Mais un dirigeant de Cougar Tripod, implantée à Tianjin, déclare payer ses ouvriers 400 à 500 yuans par mois, et néanmoins avoir tous les matins devant la porte de son usine des ouvriers à la recherche de travail. Dans tous les cas, cela ne comprend pas les heures supplémentaires. La législation en vigueur limite le temps de travail à huit heures par jour, cinq jours par semaine, mais les heures supplémentaires sont requises, théoriquement limitées à 36 heures par mois bien qu’il soit difficile de connaître le nombre d’heures réellement effectuées. “De toute façon”, constate un cadre de President à Pékin, “recruter de la main d’oeuvre n’est pas un problème. Nos salaires sont plus élevés que dans les entreprises locales chinoises et cela se sait.”

Outre l’avantage d’un coût du travail au demeurant bien moins élevé qu’à Taiwan, les entrepreneurs taiwanais peuvent se permettre d’adopter en Chine des méthodes plus strictes (certains diraient plus militaires) dans la gestion de l’usine. “La main-d’oeuvre est moins productive qu’à Taiwan, d’où la nécessité d’employer un plus grand nombre sur une même chaîne de travail”, indique monsieur Ma. Un dirigeant de Inventec confirme : “C’est l’influence de l’environnement. Si à l’intérieur de l’entreprise on peut réussir à maintenir une certaine pression sur les ouvriers, dès qu’ils quittent l’entreprise, ils retombent dans leur ancien environnement et redeviennent passifs. Leurs parents, leurs amis sont comme ça.” (19). Quand les ouvriers habitent sur le lieu même de l’entreprise, ce problème peut être évité. C’est le cas à l’usine Cheng Shin de Xiamen, où une partie des ouvriers viennent du Sichuan. Les ouvriers de l’entreprise Qiyang dorment aussi dans des dortoirs à l’intérieur de l’usine. Parfois, comme chez President à Pékin, le dortoir n’est pas un lieu de résidence permanente, mais sert uniquement à ceux qui terminent leur travail à minuit mais ne peuvent repartir chez eux qu’au petit matin. Car il faut savoir que beaucoup pratiquent les trois 8. A Cougar Tripod, les postes de travail se terminent respectivement à 6 heures, 14 heures et 22 heures, ce qui dégage l’entreprise d’avoir à loger les ouvriers sur place. Les heures supplémentaires, c’est pour le samedi et/ou le dimanche. “Il faut sans arrêt répéter les ordres”, se plaint un cadre de Cheng Shin, “et vérifier que le travail a bien été réalisé”. “Ils [les ouvriers] manquent de conscience professionnelle”, renchérit monsieur Ma. Pour eux, l’à-peu-près suffit.” Afin d’activer les ouvriers, la firme President a adopté un système de salaire suivant la productivité, comme l’explique un dirigeant de Tianjin : “Il y a un salaire de base fixe de 300-400 yuans, le reste est fonction de la productivité de chacun. En étant très productif, on peut parvenir à doubler ce salaire de base.” Chez Cougar Tripod, comme à l’entreprise Qiyang, on remarquera aussi une grande majorité de jeunes filles. “Elles sont plus disciplinées, ont moins tendance à voler et à faire grève”, reconnaît monsieur Ma.

De façon générale, les cadres taiwanais dépêchés sur place sont peu nombreux : 54 Taiwanais pour 700 Chinois du Continent chez China Motor, 30 pour 6000 chez Chung Shing, 10 pour 3000 chez Cheng Shin. “Envoyer un cadre taiwanais sur le Continent coûte cher (salaire plus élevé que pour un cadre à Taiwan), indique un directeur de Cheng Shin. C’est pourquoi notre politique est de former des cadres locaux : c’est ce qu’on appelle l’indigénisation (bentuhua)”. Monsieur Ma abonde dans ce sens, quoiqu’il s’inquiète de la difficulté de la tâche : “Le problème est que les jeunes filles qui travaillent ici arrivent de nombreuses provinces. Elles gagnent de l’argent pendant trois ans puis retournent chez elles pour se marier, mais ne cherchent pas à s’élever au sein de l’entreprise.”

Ainsi, si le coût du travail en Chine reste très attractif pour les investisseurs taiwanais, ils ne ménagent pas leurs critiques vis-à-vis de la main d’oeuvre locale. Pourtant, cela semble faire partie d’un jeu qui n’en reste pas moins assez lucratif. Mais en fin de compte, les Taiwanais gagnent-ils réellement de l’argent en Chine ?

Pertes ou profits ?

Il est particulièrement malaisé d’avoir une idée claire des résultats des entreprises taiwanaises en Chine. Si l’on se fie au cahier de doléances, certes souvent fondées, des hommes d’affaires taiwanais, leur parcours sur le Continent paraît semé d’embûches. De l’insécurité à la corruption, des lois pléthoriques, confuses, changeantes et souvent non appliquées au rapatriement des capitaux, des conflits avec leurs partenaires locaux aux tensions entre les deux rives du détroit, on finirait par se demander ce que les Taiwanais vont faire dans cette galère. Une enquête réalisée en 1994 auprès de 291 firmes taiwanaises en Chine indique que seulement 39,65 % d’entre elles faisaient des profits, 10,13 % présentaient un compte équilibré, tandis que 50,22 % déclaraient des pertes faibles ou importantes (20). Ce pessimisme relatif contraste quelque peu avec l’engouement apparent des Taiwanais pour le marché chinois. La question s’avère d’autant plus difficile à résoudre que les réponses des intéressés sont sujettes à caution. Avouer qu’on gagne beaucoup d’argent, c’est s’exposer à des impôts plus lourds, mais admettre qu’on perd de l’argent, c’est d’une certaine manière “perdre la face”. Alors, où situer la vérité ?

Edifiant est le cas de l’entreprise President qui affiche ostensiblement des pertes pour l’ensemble de ses usines sur le Continent, alors qu’un cadre de la maison-mère reconnaît que les filiales continuent d’investir, et que l’usine où lui-même a travaillé a accru son capital deux fois en l’espace de deux ans (de 10 millions de dollars US, il est passé à 20 millions, puis à 30 millions). Il ne faudrait toutefois pas nier de réelles difficultés comme l’indique un autre cadre de l’usine de farine que gère President près de Tianjin : “Toutes les entreprises étrangères qui fabriquent de la farine perdent de l’argent. En effet, contrairement aux entreprises publiques locales, nous devons acheter le blé au prix du marché, qui est en constante augmentation. Par contre le prix de vente de la farine, lui, ne peut dépasser une limite fixée par le gouvernement. Dans ces conditions, il est difficile de faire des profits.”

Non moins intéressante est la stratégie de la firme Inventec qui demande à ses filiales de ne pas faire plus de profit qu’il ne faut, c’est-à-dire juste le minimum nécessaire aux réinvestissements sur place, les produits (logiciels) ainsi transformés en Chine étant de toute façon rachetés par la maison-mère pour être intégrés dans le produit final.

Si Kwang Yang (scooters – 100 % de la production vendue sur le marché intérieur) annonce des pertes faibles, et Longjia (vêtements – 100 % de la production exportée au Japon, en Australie et aux USA) n’espère des profits que cette année seulement, en revanche Cheng Shin (pneus), Chun Yuan (acier), Qiyang (chaussures), Chung Shing (sous-vêtements) et dans l’alimentaire Ting Hsin, Great Wall, Wei Chuan reconnaissent qu’une partie de leurs usines au moins gagnent déjà de l’argent. Presque tous disent que le problème du rapatriement de ces profits ne se pose pas : ou bien ils vendent leurs produits sur le marché local chinois et les profits réalisés sont réinvestis sur place, ou bien ils exportent leurs produits (fabriqués en Chine) directement à l’étranger, mais dans ce cas les clients étrangers effectuent le paiement en devises non pas auprès de l’usine en Chine mais directement auprès de la maison-mère à Hong Kong ou Taiwan, si bien qu’il n’y a nul besoin de “sortir” l’argent de Chine. La filiale en Chine n’assure alors qu’une fonction de production, qui se rapproche de la sous-traitance. Ainsi pour Cheng Shin, Longjia ou Qiyang, la conception des produits, l’achat des matières premières (si besoin), la prise des commandes, la comptabilité restent du domaine de la maison-mère. Il suffit pour celle-ci, une fois en possession d’une lettre de crédit d’un acheteur étranger, de commander le produit en question auprès de son usine en Chine, puis de s’assurer de son bon acheminement jusqu’au client. On a parlé à ce sujet de san lai yi bu ou encore de liang tou zai wai (21). “De cette façon, se réjouit monsieur Ma, ils (les Chinois) ne peuvent pas prendre notre argent.”

Pourtant, il faut garder à l’esprit que cela n’est que la partie apparente de l’iceberg. Dans ce domaine, le non-dit est parfois la règle et les canaux officieux peuvent être les voies les plus usitées. Le “transfer pricing” par exemple , qui consiste à sous-évaluer (sous-facturation) le prix des produits exportés, ou inversement à surévaluer (sur-facturation) le prix des matières premières ou équipements importés, a largement été utilisé pour rapatrier des profits à Taiwan. Aujourd’hui, les transactions en yuans entre Taiwanais sur le Continent , compensées à Hong Kong, Taiwan ou ailleurs par des transactions d’un montant équivalent cette fois en dollars NT ou en dollars US semblent une méthode assez répandue pour changer ses yuans en devises et ainsi les “sortir” du pays. Certains Taiwanais (agences de voyages, bijouteries...) seraient même “spécialisés” dans cette activité de cambiste. Il est bien évidemment impossible d’évaluer ces transferts d’argent souterrains. Notons toutefois que plus les sommes concernées sont importantes, plus le recours à ces méthodes officieuses s’avère peut-être difficile à mettre en oeuvre . Une bonne partie des investissements se faisant à l’insu de Taipei, les livres de compte “officiels” ne sont probablement pas non plus entièrement dignes de foi. Reste donc pour se faire une idée les impressions des uns et des autres. “On” dit qu’au moins les deux-tiers des entreprises taiwanaises en Chine font des profits. Nous resterons quant à nous sur la remarque d’un homme d’affaires à qui l’on demandait pourquoi, vu les difficultés rencontrées en Chine, il n’allait pas plutôt investir en Europe ou aux Etats-Unis où il n’y a pas tous ces problèmes : “En Europe ou aux Etats-Unis, je ne gagne pas d’argent. En Chine, j’en gagne.” (22).

L’avenir

Le 1er juillet 1997, Hong Kong revient au Continent. Evénement majeur pour beaucoup, qu’en est-il pour les entrepreneurs taiwanais ?

Pour comprendre l’enjeu dont il est question, rappelons que selon la loi en vigueur à Taiwan, les Taiwanais doivent investir “indirectement” en Chine continentale (cf.note 1). Or, Hong Kong a jusqu’à présent été largement utilisé comme plate-forme légale (pays-tiers) pour accéder au Continent. Certes cette contrainte très artificielle ne préoccupe pas tous les investisseurs, comme madame Zhou, PDG de Longjia, qui déclare tout de go : “Nous, nous investissons directement, donc de façon illégale, sur le Continent”. Néanmoins, même si le principe de l’investissement “indirect” est respecté, il ne s’agit le plus souvent que d’une simple procédure administrative de création d’une société-écran (on parle aussi de société off-shore).

Le choix de Hong Kong comme intermédiaire est assez naturel, en raison non seulement de sa situation géographique, mais aussi de son statut de place financière internationale (liberté de circulation des capitaux). Cheng Shin, Chung Shing, Qiyang, Inventec entre autres sont enregistrées à Hong Kong. Mais la question qui se pose alors est : à partir du 1er juillet, est-ce que cela sera encore considéré comme un investissement “indirect” ? Apparemment, Taipei a déjà admis que le statut particulier de Hong Kong permettra de continuer à considérer le territoire comme un pays-tiers et donc que l’enregistrement à Hong Kong sera toujours possible. Mais du point de vue des entrepreneurs, rien n’est moins sûr. En fait, si certains (Inventec, Chung Shing, Longjia) prévoient de ne rien changer, si Cheng Shin hésite, d’autres ont déjà franchi le Rubicon. Chun Yuan passe par Singapour en raison d’accords de protection du capital signés respectivement entre Taipei et Singapour d’une part, et Pékin et Singapour d’autre part. Mais les îles des Antilles, paradis fiscaux, sont actuellement à la mode. La firme President, initialement inscrite à Hong Kong, a récemment posé le pied sur les îles Caïman, de même que Ting Hsin dont un cadre affirme : “Pour un dollar US, on peut s’y faire enregistrer”. Les entreprises Great Wall et Kwang Yang, elles, ont préféré les îles Vierges britanniques. Quant à Wei Chuan, un responsable déclare prudemment : “Nous passons par plusieurs pays avant finalement d’investir en Chine, cela pour protéger le capital (en réalité au moins Hong Kong et les îles Caïman)”.

Entre les PME qui pratiquent l’investissement “direct” et les grands groupes installés en mer des Caraïbes, le retour de Hong Kong au Continent apparaît peut-être moins pour les entrepreneurs comme un problème juridique que comme une situation d’incertitude liée à la façon dont Pékin gérera la Région administrative spéciale. “Je ne prévois pas de nouveaux investissements pour le moment, admet Madame Zhou. J’attends un an ou deux pour voir comment la situation va évoluer”. En fait, tout réside dans le devenir des relations politiques entre Taipei et Pékin. Au sujet des tirs de missiles par Pékin au large de Kaohsiung en mars 1996, un responsable de Chung Shing remarque : “Cela, c’est du court terme. Notre stratégie d’investissement sur le Continent est à long terme”. Même écho chez President à Tainan où un cadre précise : “Si l’on attend que la situation politique se stabilise, alors il sera trop tard pour investir. Tout investissement comporte un risque, l’instabilité politique fait partie de ce risque”. Il poursuit : “La Chine a engagé des réformes économiques. Elle ne peut pas revenir en arrière. Même si le gouvernement le voulait, le peuple chinois serait contre. Si vraiment la situation politique se détériorait, c’est quelque chose qu’on ne peut pas contrôler. Alors, les usines seraient sans doute confisquées par le gouvernement chinois”. En réalité, bien que l’on s’appuie sur un optimisme à long terme, la prudence semble de rigueur, comme le donne à penser monsieur Ma : “J’ai dit à mon personnel d’encadrement, si un jour vous ne vous sentez pas en sécurité, ne vous occupez pas de l’entreprise, vous prenez votre passeport et vous partez pour l’étranger où je vous enverrai de l’argent”.

Mais au delà des discours et intentions affichées, comment vont réellement se comporter les hommes d’affaires taiwanais après la rétrocession de Hong Kong au Continent ? Malgré une tendance à l’augmentation de la taille des investissements, le marché chinois reste avant tout celui des PME taiwanaises (23). Taipei semble bien décidée à restreindre les investissements des entreprises de Taiwan en Chine, mais le peut-elle réellement ? Les grands groupes de l’île, même s’ils respectent les procédures officielles (approbation par la commission à l’investissement), sont en réalité très largement indépendants dans le transfert de leurs capitaux à l’étranger. De leur côté, les PME peuvent-elles aussi naturellement investir en Asie du sud-est, voire en Amérique centrale, comme le souhaiterait Taipei ? Rien n’est moins sûr , d’autant que les coûts de transaction y sont bien plus élevés que sur le continent chinois. Bien sûr, les hommes d’affaires de Formose seront très attentifs à ce qui se passera à partir du 1er juillet, mais que ce soit par nécessité ou par conviction, ils ne paraissent pas encore prêts à “retirer leurs billes” du Continent, tout au moins tant qu’ils peuvent espérer y faire de l’argent.

Les entrepreneurs de Taiwan auraient sans doute à gagner d’une amélioration du climat politique entre Taipei et Pékin. Inversement, ils ne peuvent pas forcément se permettre d’attendre une accalmie, voire une plus grande coopération entre les gouvernements rivaux. C’est donc avec une apparente sérénité empreinte de fatalisme qu’ils continuent d’investir sur le Continent, se disant peut-être au fond d’eux-mêmes : “pourvu que ça dure”.