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Elections dans les villages : la démocratie au niveau local

by  Zhengming /

L’article qui suit a été écrit au printemps 1997. Il présente de façon claire et vivante la signification mais aussi les limites des élections directes qui ont eu lieu pour la formation des comités de village. Le pessimisme de l’auteur quant à la volonté de Jiang Zemin de permettre des élections directes à un niveau plus élevé et à des postes réellement administratifs a été démenti par les faits, puisque Jiang vient d’avancer dans son Rapport au XVe Congrès que des élections auront lieu au niveau des districts ruraux et urbains. Cela montre que l’on assiste bien à un infléchissement – léger, certes – de la politique adpotée depuis 1989.

Cela fait quelques mois que s’est répandue en Chine la nouvelle que des élections directes de comités de village se sont tenues dans de nombreux endroits. Les organes de la propagande en ont tiré profit au maximum pour affirmer que le système socialiste « se développe et se perfectionne sans cesse ». A l’étranger, l’opinion s’est intéressée à cet « embryon de démocratie » se développant dans un monde dictatorial, et même un certain nombre de personnalités politiques y ont applaudi bruyamment. Il est incontestable que lorsque des dizaines de millions de paysans disposent d’un bulletin de vote sur lequel aucun nom n’a été préalablement marqué, cela représente un progrès par rapport aux communes populaires de l’ère maoïste. Le problème, c’est que cette approbation sans nuance des médias ou des hommes politiques occidentaux s’accompagne d’une incompréhension presque totale de la nature de ces fameux « comités de village », car ils les prennent pour des organisations politiques de première importance. En fait, les soi-disant « comités de village », comme nul ne devrait l’ignorer, ne sont que des « organisations autonomes de base des masses », qui pourraient se comparer, grosso modo, au pouvoir que détiennent les conseils d’administration convoqués par le PDG d’une grande société anonyme. Pour user d’une comparaison encore plus précise, le pouvoir de ces « comités de village » présente des analogies avec les syndicats de copropriétaires dans les grandes villes des pays développés : chaque propriétaire d’un appartement dispose d’un droit de vote pour élire un comité de gérance de l’immeuble. Mais même s’il ne s’agit que d’un processus aussi limité, et même si le Parti se flatte d’y voir l’incarnation de « la souveraineté du peuple », la création d’ « organisations autonomes de base des masses » ne laisse pas de l’inquiéter au point de craindre une grave perte de contrôle de son pouvoir à la base.

Les comités de village ne sont pas des organismes du pouvoir

La Constitution le stipule : les comités de quartiers des villes et les comités villageois sont des organisations autonomes de base des masses ; leurs présidents et vice-présidents sont élus directement. Quiconque a vécu un certain temps en Chine peut se faire une idée de ce que sont les comités de village, même s’il n’a jamais vécu à la campagne, en faisant le rapprochement avec les « comités de quartiers » des villes.

Selon les statistiques les plus récentes, il existe actuellement en Chine plus d’un million de comités de village représentant 4,2 millions de cadres élus locaux. Depuis le démantèlement des communes populaires jusqu’en 1987, les cadres villageois étaient nommés par les secrétaires du Parti ou les fonctionnaires au niveau des cantons et des bourgades. A la fin de l’année 1987, l’ANP approuvait une « loi sur l’organisation des comités de village » que les milieux académiques et juridiques prirent l’habitude de nommer « système d’autonomie paysanne ». En 1993, tous les « comités de village » de Chine avaient été formés par une première élection directe. Une vingtaine de provinces et municipalités, notamment le Fujian, le Liaoning et Shanghai ont fait l’expérience d’un deuxième scrutin de ce type dès 1988. Une province comme le Fujian en est aujourd’hui à sa quatrième élection des comités de village au suffrage direct. En avril 1994, le ministère des affaires civiles promulguait des « Directives sur les modèles à suivre concernant les activités autonomes des villages dans l’ensemble du pays ». Celles-ci devaient être prises pour modèles dans des « unités de travail modèles » aux niveaux de la province, de la région, du district et du canton. Chacune de ces administrations devait faire établir au niveau inférieur une unité administrative fonctionnant sur le modèle de l’autonomie villageoise. Par exemple, la région était responsable d’un canton, le canton responsable d’un « village modèle d’autonomie paysanne ». Le ministère estimait qu’à cette époque il existait 60 districts ou municipalités autonomes modèles pour l’ensemble du pays. Les critères exigés des unités de travail dites « modèles d’autonomie paysanne » étaient : la gestion des affaires du village par les masses, la mise en place des élections elles-mêmes par des processus démocratiques, la gestion démocratique du travail rural.

Tous les intellectuels chinois avec qui nous avons pu nous entretenir de cet engouement du pouvoir central pour l’autonomie paysanne avancent deux explications : les dirigeants chinois, aussi bien Deng Xiaoping que Jiang Zemin, ont adopté le même thème de propagande vis-à-vis du monde extérieur, à savoir qu’en Chine la réforme du système politique doit tenir compte de la situation réelle du pays, qu’elle doit être en phase avec les réformes en cours, le développement économique et la stabilité (situation politique), et par conséquent extrêmement progressive.

Cette position explique que, pour la direction du PCC, la réforme du système politique soit à la fois incontournable et strictement limitée au plus bas niveau possible. Deng Xiaoping n’avait pas d’autre chose en tête lorsqu’il a proclamé que les 30 premières années du XXIe siècle verraient l’émergence de la possibilité de procéder en Chine à des élections directes.

Les élections directes sont limitées au plus bas niveau

En outre, depuis la suppression des communes populaires, les campagnes chinoises menacent d’échapper à tout contrôle de gestion. Au temps de la collectivisation, seuls les cadres dirigeants d’une commune populaire avaient rang de « cadres nationaux » et touchaient à ce titre un salaire ; mais les chefs des brigades de production et des équipes de production, dès leur promotion à ces postes se voyaient attribuer des « points travail » de cadres et bénéficiaient en outre d’une allocation annuelle en argent et en céréales égale, voire supérieure, aux autres membres de la commune. L’adoption du système de responsabilité a balayé tout cela : chacun étant devenu responsable de son destin économique, les autorités ne pouvaient dès lors plus nommer des cadres villageois sans tenir compte de l’avis des paysans, sous peine de voir ceux-ci refuser de pâtir de l’incompétence de ces cadres. Les efforts du pouvoir visant à tolérer et même encourager le « système d’autonomie paysanne » ont donc été, on le voit, imposés par l’état réel des campagnes.

Sur un plan purement formel, les élections directes qui se sont déroulées depuis 1979 au niveau des villages ont bien été élargies, les organisations politiques de bases responsables de leur application étant passées du canton ou de la bourgade au district ou à la municipalité. Mais à ce niveau-là, les élections ne concernent plus que les « représentants », les députés locaux de l’ANP, et non des gens dotés d’un pouvoir exécutif quelconque.

Tous les responsables locaux au-dessous du district, qu’il s’agisse du préfet ou du chef de canton, sont tout simplement issus de l’Assemblée nationale populaire (ANP) à leur niveau, c’est-à-dire cooptés selon les méthodes traditionnelles. En fait, la volonté du pouvoir de voir se développer d’authentiques élections directes ne s’est exercée qu’au niveau du village naturel ; et encore cela n’a été le cas que lorsque les organisations locales du Parti se sont abstenues de toute ingérence.

Il faut voir que ni le chef de village — il est impératif de l’appeler seulement « responsable du comité de village » — ni les membres du comité n’ont la moindre parcelle de pouvoir exécutif. Ce fait a malheureusement échappé à trop d’observateurs extérieurs et notamment à un certain nombre d’universitaires occidentaux spécialistes des institutions politiques chinoises. Ceux-ci ont vu dans les élections directes de l’ANP au niveau du district ainsi que dans celles des « comités de village » une « modification des pouvoirs des fonctionnaires de base ». En réalité, même en l’absence de manipulations plus ou moins directes de la part des organisations du Parti, les gens qui ont été élus ne sont en aucune façon des notables investis d’un pouvoir officiel. En Chine, le vrai pouvoir se situe, au plus bas de l’échelle organisationnelle, au niveau des gouvernements du canton et de la bourgade, et nullement à celui des « comités de village ».

On a récemment affirmé à l’étranger, « de source sûre », que Jiang Zemin aurait promis d’organiser en Chine des élections directes au niveau des gouvernements de district. Ceux qui ont concocté cette nouvelle ont tout simplement oublié que les élections directes ne sont même pas autorisées, en Chine, au niveau du canton ou du bourg ; dans ces conditions, comment pourraient-elles l’être brusquement au niveau du district ? D’autant que dans plus de 80 % des villages où se sont tenues des élections directes, les paysans ont pris la chose très au sérieux en éliminant le plus souvent les candidats du Parti. Celui-ci a peur désormais de perdre le contrôle des masses paysannes en perdant celui des « organisations de base ». On voit donc mal Jiang Zemin laisser au peuple la bride sur le cou en permettant l’organisation d’élections au niveau du district.

Les élections directes au niveau du district ne sont pas pour demain

Les élections directes des dirigeants des comités de quartiers pour les villes et les comités de village dans les campagnes remontent en fait à un décret du comité permanent de l’ANP, datant de décembre 1982 : on y reconnaissait l’existence d’« organisations autonomes de masse de base ». Mais pendant les dix années qui ont suivi, les gouvernements des cantons et des bourgs n’ont pas cessé de s’ingérer dans les affaires villageoises, réduisant les élections à une pure formalité, où les villageois « élisaient » à main levée un candidat désigné par les autorités.

Lors de la 8e ANP, où furent discutés un certain nombre de projets de réforme de la Constitution, des juristes se sont penchés sur ce problème et ont proposé que la Constitution comporte des garanties sur ces élections directes, « interdisant aux autorités locales toute ingérence de procédure », « interdisant la nomination de fait des candidats par les autorités locales », etc. Mais ces propositions ont été refusées par la direction du PCC, car il a peur qu’elles nuisent à la consolidation de son pouvoir dans les campagnes, qu’elles neutralisent ses propres organisations de base. En clair, le Parti souhaite le statu quo dans les campagnes. Loin d’encourager le pluralisme, il fait tout pour que les élections au niveau des villages aboutissent à la nomination de cadres qui sont aussi les siens.

Les observateurs occidentaux

Ces dernières années, le PCC a perdu beaucoup de son pouvoir de contrôle sur l’immense paysannerie chinoise. Le développement économique l’a confronté à des problèmes nouveaux, comme le renforcement du pouvoir des clans familiaux, celui des particularismes locaux. Face à de tels problèmes, le PCC était contraint d’innover, et c’est ce qu’il a fait avec les comités de village. A cela s’ajoute la pression des forces progressistes à l’étranger, face à laquelle il faut faire valoir que la Chine ne refuse pas systématiquement toute démocratie, mais au contraire l’instaure progressivement et en douceur. Il s’agit donc de montrer en exemple aux étrangers comment, à la campagne, les masses des travailleurs sont maîtresses chez elles. Pour faire la réclame de la démocratisation progressive du socialisme, le ministère des Affaires civiles s’est consacré, ces six derniers mois, à faire appliquer une politique de développement des comités de village, donnant en outre son approbation à l’envoi d’observateurs appartenant à diverses organisations étrangères dans diverses régions. En 1994, la Fondation Rockefeller a encouragé de telles missions d’observation en les finançant ; au mois de mars de cette année, le Centre Carter a envoyé une délégation de sept experts nord-américains au Fujian et au Hebei. L’un d’entre eux a eu cette réaction : « Quoi qu’on pense du régime chinois, qui est l’un des derniers systèmes communistes du monde, on doit reconnaître qu’il s’agit là d’un phénomène appréciable. En dépit des réticences du PCC à tous les niveaux, l’enthousiasme des paysans pour la démocratie aura pour lui une valeur éducative : devant cette démocratie en action, le PCC devra admettre que l’absence de réformes politiques est néfaste pour l’économie, non seulement dans les campagnes mais dans les villes ». Ce qui a le plus ravi ces experts étrangers au cours de leurs enquêtes, c’est que 40 % environ des cadres villageois élus directement n’étaient pas des membres du Parti. De fait, ce phénomène est ce que les hauts dirigeants craignent le plus, mais qu’ils sont bien obligés d’ « avaler ».

Dans un village de la province du Henan, il s’est passé la chose suivante : peu avant l’élection du comité, les autorités du canton, selon leur vieille habitude, avaient dépêché dans le village un « groupe de travail pour les élections » avec une liste déjà constituée des candidats. Mais dès le premier meeting électoral, un jeune homme de 18 ans, diplômé du second cycle de l’enseignement secondaire, s’est opposé à la liste des candidats en tête de laquelle figurait son propre grand-père. Sans se soucier de l’approbation des cadres du canton, il est monté sur l’estrade et s’est mis à énumérer les fautes commises par son grand-père du temps où il était secrétaire de cellule du Parti pour le village, concluant ainsi : « primo, mon grand-père est inculte et la tâche qui l’attend le dépasse complètement ; secundo, il aura trop tendance à se soumettre obséquieusement aux autorités supérieures, même si celles-ci donnent des directives absurdes, c’est pourquoi, malgré ses bonnes intentions, son bilan se résume à des années de stagnation économique pour le village ». Ensuite, ce jeune homme s’est mis à exposer ses propres vues sur la manière de gérer les affaires. Le « groupe de travail » dépêché par les autorités cantonales n’avait pas eu le temps de finir de s’exprimer, que les villageois avaient déjà élu le jeune homme à main levée, à une majorité de 90 % !

S’il est vrai que jusqu’à ce jour les élections des comités de village ont subi l’ingérence directe ou indirecte des autorités du canton ou de la bourgade, le contrôle qu’elles exercent est moins serré que sur l’élection des représentants de l’ANP. Le comité permanent de l’ANP a publié une directive stipulant que le nombre des candidats à l’élection des comités de village devait être supérieur au nombre de postes à pourvoir. Dans le Fujian et le Liaoning, les comités permanents de l’ANP au niveau provincial précisent même que les autorités doivent se garder d’imposer des candidats, ce qui est important, car le principe de « plusieurs candidats pour un seul poste » perd toute valeur si le Parti manipule les candidatures. On assiste donc, en beaucoup d’endroits, à l’émergence d’élections non manipulées. Par exemple dans la région de Tieling, province du Liaoning, la proportion des élus indépendants des comités de village était de 40 % lors de la première élection. Lors de la seconde, on dénombrait pour la région 606 villages ayant fait l’expérience d’élections véritablement libres, où les élus avaient remporté leur siège après d’âpres débats contradictoires avec leurs adversaires.

Dans le Shandong, à l’annonce que le village allait connaître des élections libres, toute la population, vieillards et malades compris, s’est mobilisée pour aller voter : le scrutin s’était soldé par une égalité de voix parfaite entre les deux candidats, qui s’étaient retrouvés avec le même nombre de grains de maïs dans les deux bols qui tenaient lieu d’urnes. Sous la direction d’un vieux sage, tout le village s’est rendu sur une aire de battage du blé pour départager les deux candidats, chacun entraînant avec lui ses propres partisans. Des gens extérieurs au village remplirent le rôle de scrutateurs et le village, au décompte des partisans, élut son chef. C’est à la suite d’événements similaires que les organes de propagande du PCC ont eu, dit-on, pour consigne de ne pas faire de publicité aux « campagnes électorales libres » ni à la « démocratie à la base ».

Les élus qui déplaisent au pouvoir

Dans un village du Shandong encore : on a proposé comme candidat au poste de chef de village un certain Zhao, qui s’est enrichi depuis l’instauration du système de responsabilité en faisant de la pisciculture et des plantations d’arbres fruitiers, et qui n’est autre qu’un descendant de propriétaire foncier. La personne qui l’avait recommandé était un descendant de paysan pauvre ; lui et son père avaient occupé pendant trente ans les fonctions de chef de la sécurité et de la milice paysanne. Ils avaient eu pratiquement, au cours des trente dernières années de « lutte de classes » organisé par le PCC, un droit de vie et de mort sur les Zhao. Le fils de paysan pauvre présenta, ce jour-là, ses excuses à la famille, en formulant l’espoir que le candidat Zhao ferait profiter le village de ses compétences et le ferait prospérer. Celui-ci fut élu à l’unanimité moins une voix qui n’était autre que celle du secrétaire du Parti du village, qui avait convoité le poste. Surpris et ému, le descendant de propriétaires fonciers annonça aussitôt qu’il faisait don au village de la moitié de son argent déposé à la banque pour l’achat d’une machine de forage de puits ; que son entreprise de pisciculture et de vergers resterait strictement privée et séparée des intérêts du village ; qu’il s’engageait à verser la différence entre ses revenus annuels et ceux de la famille la plus riche du village à une caisse de communauté. Après ce « discours d’investiture », tous les « activistes » qui avaient persécuté la famille Zhao au nom de la lutte de classes lui présentèrent leurs excuses. Quelques jours après, les villageois s’organisèrent spontanément, malgré les remontrances du nouveau chef de village, pour transférer les restes de son père, mort des sévices infligés lors de la « lutte de classes », de la montagne où il l’avait enterré alors à la tombe familiale située dans le village, et là ils firent des offrandes. Un journal du district voulut aussitôt faire paraître un article sur cet événement, mais il en fut empêché par les autorités locales. A Pékin, la faction « de gauche » fut consternée et parla aussitôt d’une « régression soudaine à la situation d’avant la Libération ».

Dans la province du Henan, on assiste plus qu’ailleurs à une résurgence de la foi religieuse et particulièrement du christianisme, qui inquiète énormément Pékin. Quand le roi gauchiste que fut Wang Zhen disait en soupirant : « les gens qui croient en une religion sont plus nombreux que ceux qui croient au Parti », c’était surtout à certaines régions du Henan qu’il pensait. Dans les élections de comités de village de ces dernières années, beaucoup de dirigeants religieux ont été élus. On cite le cas d’un village où, en dépit de toutes les pressions exercées par les autorités, tous les élus sont des chrétiens. Tous les candidats soutenus par le PC ont perdu.

Les élections des comités de village ont également révélé la résurgence du pouvoir des clans. Dans beaucoup d’endroits, c’est le clan dominant du village qui décide du résultat des élections : il doit choisir un membre du Parti également membre de ce clan. On cite le cas de ce village du Shandong où le candidat du PC, un certain Zhang, n’a remporté que sept voix aux élections, pour la simple raison qu’il n’y a que huit Zhang au village (deux foyers). Il y a, en revanche, plus de 300 membres du clan Yu, et dans ces conditions le chef du village ne pouvait être qu’un Yu. Encore ce type de situation est-il relativement facile à gérer. Il n’en est pas de même pour les villages qui comptent deux ou trois clans de puissance comparable : dans ces conditions il est extrêmement difficile d’organiser des élections normales, et quand on y est parvenu, rien n’est vraiment résolu.

Un dilemme pour Jiang Zemin

De tous les dirigeants chinois, celui qui a l’attitude la plus ambiguë vis-à-vis de la « démocratie à la base », c’est Jiang Zemin. En tant que secrétaire général du PC soucieux à ce titre de la stabilité politique, il ne peut méconnaître les graves conséquences qu’entraînerait une répression des aspirations démocratiques des paysans. Il y a quelques années, Jiang Zemin a effectué au Sichuan une visite destinée à « s’enquérir sur la misère » (fang pin wen ku). Il interrogea à cette occasion deux vieux paysans, avec insistance. Ayant finalement vaincu leurs réticences en leur assurant à maintes reprises : « dites ce que vous pensez, vous ne risquez rien », il leur posa finalement la question suivante : « Dites-moi ce qui vous manque le plus ». Après d’ultimes hésitations, les vieux paysans finirent par lâcher : « En ce moment, ce qu’il nous faudrait, à nous autres paysans, c’est un Chen Sheng et un Wu Guang (1) ».

On rapporte qu’après cet entretien avec les deux vieux paysans, Jiang Zemin donna des instructions rigoureuses pour qu’ils ne soient pas inquiétés, mais que rentré à Zhongnanhai, il mit quelques jours à « encaisser » leur réponse. Sa prise de conscience de l’extrême gravité de la crise paysanne et des sentiments de rébellion qu’elle engendre date de là. Il pense désormais que les élections villageoises sont un moyen de désamorcer la crise. Mais en même temps, il sait que les révoltes paysannes n’ont été jusqu’à présent qu’une multitude de dragons sans tête. L’émergence de responsables paysans incontrôlables par le gouvernement pourrait, si l’on n’y prend garde, former des chefs rebelles en cas de troubles graves. Cette peur est évidemment partagée par « la gauche » du PC, qui déclare de but en blanc : « si on laisse les paysans élire librement leurs chefs de village, dans le meilleur des cas, cela donnera des chefs préoccupés uniquement de l’enrichissement des campagnes ; et dans le pire des cas cela donnera des Chen Sheng et des Wu Guang, qui auront les paysans derrière eux ».

En fait, Jiang Zemin est dans la position de quelqu’un qui « veut manger du raisin, mais n’aime pas ce qui est acide ». Il est pris dans ses contradictions et ne peut ni avancer ni reculer. Il est douteux que, sous sa direction, la Chine encourage des élections démocratiques « à la base ».