BOOK REVIEWS
Jonathan Dimbleby : The Last Governor
En préparant ce livre, Jonathan Dimbleby a vécu le rêve de plus dun journaliste : couvrir les cinq dernières années de la colonie britannique de Hong Kong aux côtés de son dernier gouverneur, Christopher Patten. Il sagissait pour lauteur de se rendre à Hong Kong à intervalles réguliers ou quand lactualité lexigeait , daccompagner le représentant de sa Majesté dans sa vie quotidienne, et de partager ses secrets, ses joies et ses peines, le tout devant être immortalisé par un livre, The Last Governor, et par une série de cinq émissions du même nom pour la BBC. Précisons que Jonathan Dimbleby, célèbre reporter et journaliste politique en Grande-Bretagne, est coutumier des « grands projets » puisquil rédigea, en 1994, une biographie du Prince Charles, elle aussi riche en révélations
Dans sa préface, lauteur reconnaît toutefois les dangers que comporte une telle interprétation de lévénement sur le vif, sans recul historique. Il ne cache pas non plus au lecteur que Patten est un ami de longue date, et que son désir dobjectivité a pu souffrir de cette proximité (p. xv). Si la partialité de lauteur est évidente tout au long de louvrage, il est tout aussi clair quun tel projet était difficilement réalisable sans une certaine complicité entre les deux hommes, et, surtout, sans une confiance totale du gouverneur à légard du journaliste. Une des conditions principales de cette entreprise était en effet quaucune des interviews de Patten et dautres ou des informations reçues au cours de cette période ne pouvaient être publiée ou diffusée avant le 1er juillet 1997. Lauteur a toutefois essayé datténuer cette partialité par de nombreux portraits et extraits dinterviews des principales personnalités ayant joué un rôle dans cette période de transition, à Hong Kong et, dans une moindre mesure, à Londres (1).
Pourquoi Patten ?
Dimbleby consacre les quatre premiers chapitres à « planter le décor ». Il rappelle que Patten est avant tout un homme politique, et retrace brièvement sa carrière au sein du Parti conservateur britannique, carrière qui, bien que très prometteuse, fut soudain interrompue par une défaite cuisante aux élections législatives de mars 1992 dans la circonscription de Bath. Peu enclin à accepter une position honorifique dans le gouvernement ou dans le parti, il est vite convaincu par son ami John Major daccepter le poste de dernier gouverneur de Hong Kong, en remplacement de David Wilson. Si cette offre était, à nen point douter, une récompense pour celui qui, en tant que président du Parti conservateur, avait orchestré avec succès la campagne de réélection de John Major, elle ne marquait pas moins un revirement net de la politique britannique au sujet de Hong Kong. Douglas Hurd, le ministre des affaires étrangères de lépoque expliqua plus tard :
« Les cinq dernières années allaient être très difficiles, et nous avions besoin de quelquun à Hong Kong qui soit à lunisson avec le monde de Westminster et les médias britanniques ; quelquun qui puisse opérer à Hong Kong dune façon plus politique que par le passé, trouvant des alliés et des défenseurs dune manière quaucun gouverneur traditionnel navait eu à le faire. » (p.10).
Major et Hurd pensaient en effet que la politique dappeasement et de conciliation menée jusque-là à légard de la Chine par les diplomates-sinologues de Whitehall (notamment Percy Cradock à Londres et David Wilson à Hong Kong) ne pouvait plus être poursuivie après les atrocités perpétrées sur la Place Tiananmen en juin 1989. Hurd laissa également entendre que la visite « extrêmement frustrante » quil avait effectuée à Pékin en 1991 dans lintention de régler des questions liées à la construction du nouvel aéroport nétait pas pour rien dans cette décision (p.11).
Après un bref détour par lhistoire de la colonie des guerres de lopium aux négociations sino-britanniques , Dimbleby dresse un tableau de Hong Kong et de la Chine à la veille de larrivée en poste de Patten, énumérant ainsi les problèmes en suspens que celui-ci devra résoudre et les défis auxquels il devra répondre dans les cinq années à venir. Lauteur nous montre à quel point le 4 juin a laissé une marque indélébile sur la population de Hong Kong, et comment cet événement a renforcé la conscience politique des habitants du Territoire. La victoire écrasante de Martin Lee et de ses alliés du groupe des Démocrates Unis farouches critiques du régime de Pékin aux premières élections (partiellement) directes de 1991 en est la preuve. La mission du nouveau gouverneur sera donc de rassurer la population non seulement en effaçant toutes les ambiguïtés qui persistent dans la Déclaration conjointe et dans la Loi fondamentale, notamment dans le domaine des libertés, du système judiciaire et de la question de la nationalité, mais aussi en tenant compte des demandes pressantes exprimées par les Hongkongais et par leurs nouveaux élus pour se prononcer davantage sur lavenir de Hong Kong.
Une courte lune de miel
A son arrivée, le nouveau gouverneur est conscient de la tâche difficile qui lattend et reconnaît que les rapports avec le gouvernement chinois, traditionnellement marqués par une méfiance mutuelle, sannoncent tumultueux. Il sait également que labsence dun véritable consensus au Foreign Office sur sa nomination va provoquer des tensions. La veille de son départ pour Hong Kong, il ironise sur les jubilations de certains dans le cas dun éventuel échec de sa mission :
« Voilà ce qui arrive quand on nomme un politicien. ( ) Cela montre bien que pour un poste comme celui-ci au carrefour de lAsie, on avait besoin de la main dun expert en Asie pour leur caresser le museau. Cest un sinologue quil nous fallait. Bon gars, mais il ne parlait pas mandarin. » (p.13)
Les premiers mois à Hong Kong sapparentent à une véritable lune de miel. La famille Patten prend beaucoup de plaisir à emménager dans le confort luxueux de Government House, et peut enfin tourner la page sur les petits soucis financiers : « Pour la première fois dans notre vie de famille, nous nallions plus être quelque peu inquiets du relevé de compte à la fin de chaque mois. » (p. 78) Patten, qui avait jusque-là lhabitude de travailler « sur un coin de table », prend possession de son nouveau bureau et entreprend immédiatement une réforme totale de lorganisation en place quil jugeait inadéquate et inefficace : Government House sera désormais une « réplique miniature » de 10 Downing Street (p.73). Il crée un poste de porte-parole, fait venir de Londres deux nouveaux « conseillers personnels », met en place une ligne téléphonique directe cryptée entre Government House et Whitehall, lui permettant de continuer à sentretenir régulièrement avec Major et Hurd, organise des conférences de presse régulières, etc.
Cest toutefois dans les rapports quentretient le gouverneur avec le public que la rupture avec la tradition est la plus flagrante. L « offensive de charme » à laquelle sest livré Patten dès son arrivée (promenades dans les rues, contacts physiques avec la population, visites de logements, utilisation des transports en commun) sexplique certes par la personnalité et par lexpérience politique du gouverneur, mais faisait avant tout partie dune stratégie soigneusement calculée, destinée à « gagner la confiance de la population » et « pénétrer la carapace des journaux et des médias » (p.72). Selon Dimbleby,
« Lobjectif de Patten, courant dans les démocraties occidentales, mais jusque-là non testé à Hong Kong, était de charmer les médias pour gagner leur complicité dans ses efforts de séduire lopinion publique et, par là, de se protéger face aux critiques potentiels au sein des Affaires étrangères à Londres et au sein de la communauté des affaires à Hong Kong » (p. 75)
Si lopinion a été, dans son ensemble, indéniablement séduite par cette offensive, le milieu traditionnel des affaires était en effet pour le moins méfiant, et les dirigeants de Pékin, peu habitués à ce genre de campagne de séduction, ne tardèrent pas à dénoncer un nouveau complot britannique.
Patten savait bien que, sans le soutien de la population, le projet de réforme électorale quil avait mis sur pied avec ses conseillers et avec laval de Londres au cours des derniers mois, et quil sapprêtait à présenter au Conseil législatif dans son premier discours annuel, naurait aucune légitimité. Il constituait pourtant, à ses yeux, le seul moyen de répondre aux aspirations démocratiques de la population. Ainsi, profitant de la marge de manuvre relativement importante que lui laissaient la Déclaration conjointe et la Loi fondamentale, il décida de « sattaquer », entre autres, aux collèges socioprofessionnels en élargissant considérablement leur base électorale. Les propositions de Patten allaient non seulement permettre à Hong Kong de faire un véritable bond en avant démocratique, mais elles allaient également « sérieusement affaiblir les capacités de Pékin à influencer, directement ou indirectement, le résultat dune élection à Hong Kong » (p. 111). Pour ces raisons, Patten ne fut pas très surpris par la campagne dhostilité immédiatement lancée par Pékin à son endroit, même sil ne pensait pas quelle pût atteindre une telle intensité. En réalité, les critiques perpétrées par le futur souverain visaient autant le contenu des réformes proposées par Patten que la manière dont elles avaient été mises en avant. En présentant directement son projet de réformes à la population de Hong Kong, le nouveau gouverneur mettait fin à plus dune décennie de négociations diplomatiques secrètes entre Londres et Pékin. Celui-ci nous apprend que les Chinois avaient dabord essayé, sans succès, de négocier avec lui sur les mêmes termes quavec ses prédécesseurs :
« [Pékin avait sous-entendu que] je pourrais avoir laéroport si je leur faisais certaines promesses sur des questions politiques ( ) [même si javais accepté] ce que je naurais pas fait cela se serait su immédiatement, et jaurais été un véritable canard boiteux pendant cinq ans : quelquun qui se serait couché [devant Pékin] avant même darriver à Hong Kong. » (pp. 96-97)
La nouvelle approche fut clairement énoncée dans le premier discours annuel de Patten quand il sengagea à tenir le Conseil informé du résultat des futures négociations avec Pékin (p. 117). Dimbleby nous montre que Patten est resté, pendant longtemps, plutôt optimiste quant au succès de ces réformes et à leur survie au-delà du 1er juillet 1997. Dune part, il était persuadé que la Chine avait le temps, en cinq ans, de changer pour le mieux ; dautre part, il croyait que le coût dune marche arrière serait beaucoup trop élevé pour Pékin. Les événements qui suivirent et qui sont détaillés presquau jour le jour dans le reste du livre ont montré que Patten avait eu tort sur ce point : le gouverneur a été boudé par les dirigeants chinois pendant la quasi-totalité de son séjour à Hong Kong, les négociations sino-britanniques sur les réformes de Patten nont pas abouti, et, le 1er juillet 1997, la Chine a mis en place une Assemblée législative provisoire pour remplacer celle qui avait été démocratiquement élue en septembre 1995 selon le mode électoral proposé par Patten.
Et si tout était à refaire ?
Faut-il en conclure pour autant, comme beaucoup lont fait et le font encore, que les efforts du gouverneur nont été que peine perdue, et que Hong Kong se serait beaucoup mieux portée sans Patten ? Louvrage de Dimbleby, on sen doute, laisse planer peu de doute sur la réponse.
Premièrement, les pressions pour une réforme démocratique étaient telles, notamment au sein du parti de Martin Lee, que si le gouverneur avait fermé les yeux sur cette demande, il aurait sans doute exposé Hong Kong à des dangers plus importants à plus ou moins long terme. Comme le dit Patten lui-même :
« Lalternative à une dispute avec la Chine nétait pas une vie tranquille, mais quatre ou cinq ans de dispute avec les politiciens pro-démocrates de Hong Kong, et plus ou moins avec tous ceux que lon respecte ici et ailleurs ( ) » (p. 121)
Deuxièmement, la légitimité des actions du gouverneur nest pas à mettre en doute dans la mesure où elles ont toujours eu le soutien de la majorité de la population, au point que, parfois, le gouverneur en était lui-même étonné. Pour celui-ci, la preuve de ce soutien était évidente dans les élections de septembre 1995 : « Les gens de Hong Kong nauraient pas pu démontrer de manière plus explicite que nous navions pas été totalement en désaccord avec eux depuis au moins trois ans » (p. 305).
Troisièmement, si les réformes de Patten sont aujourdhui enterrées, il est indéniable quelles ont changé peut-être de manière irrémédiable la manière dont on fait de la politique à Hong Kong. De laveu même dAllen Lee, le chef du Parti libéral, qui ne peut être suspecté dêtre pro-Patten, lassemblée législative est devenue un véritable lieu de débat, ce qui nétait pas le cas auparavant (2). Par ailleurs, non seulement les Hongkongais ont eu la possibilité délire la totalité de leurs députés, mais ces derniers ont également dû se plier aux règles du jeu démocratique et descendre dans la rue pour connaître et séduire leurs électeurs. Patten a de la peine à cacher son émotion en regardant fonctionner devant lui la mécanique démocratique lors des élections de septembre 1995. Dimbleby souligne :
« Il était curieux de voir à quel point Tsang Yok-sing [le chef de la Democratic Alliance for Betterment of Hong Kong, un parti pro-Pékin] et Allen Lee avaient déjà été emportés par le processus mis en route par les réformes de Patten ( ) La perspective que deux des principaux adversaires de Patten partent en quête dun mandat populaire pour leur programme dopposition au système électoral même dans lequel ils allaient être des participants si remarquables, néchappa à personne à Government House, où elle provoqua un certain degré dhilarité complaisante. » (p. 298)
Enfin, et surtout, le dernier gouverneur de Hong Kong refuse de croire que la poursuite dune politique conciliante à légard de Pékin aurait donné de meilleurs résultats. Elle naurait, en tout cas, pas été à lhonneur de la Grande-Bretagne qui, selon Patten, avait déjà été assez souffert des récentes tractations entre celle-ci et lEmpire du milieu. Fondamentale-ment, Patten ne comprend pas pourquoi « il existe une certaine crainte révérencielle quand il sagit de traiter avec la Chine ( ) » (p. 138), et se montre très critique à légard de la politique suivie par les responsable des relations sino-britanniques au cours des dix dernières années. Aussi a-t-il choisi louvrage de Dimbleby pour faire quelques révélations importantes sur la diplomatie secrète menée par Londres et Pékin avant 1992 et, surtout, sur la manière dont celle-ci a entravé et desservi sa mission au cours des cinq dernières années.
Perfide Albion !
Le passage le plus controversé de louvrage concerne la façon dont les autorités britanniques auraient, en 1987, manipulé les résultats de la consultation de lopinion publique sur la mise en place délections directes partielles dès lannée suivante, et sur le rythme à donner à la démocratisation dans le Territoire. Plusieurs observateurs avaient déjà souligné une irrégularité flagrante dans le décompte des pétitions (3) : alors que chacune des pétitions des pro-démocrates avait été comptée comme une seule « voix », quel que fût le nombre de signatures apposées sur chacune dentre elles, les pétitions signées par les opposants aux élections directes la plupart des formulaires polycopiés par les organisations chinoises à Hong Kong avaient été comptées individuellement. Ainsi, en dépit des résultats indéniablement positifs de la consultation, les autorités britanniques « faisant montre dune effronterie généralement digne des Etats totalitaires ou des républiques bananières » (p. 108) nont pas hésité à proclamer que lopinion sétait en majorité prononcée contre la tenue délections directes en 1988. Les accusations de Patten vont plus loin. Il suggère en effet, par lintermédiaire de Dimbleby, que plusieurs hauts fonctionnaires britanniques auraient fait comprendre à leurs homologues chinois que la Grande-Bretagne ne tenait pas particulièrement à la mise en place de telles élections, et les auraient même « encouragés » à recourir au subterfuge des pétitions individuelles mentionné ci-dessus. Ces accusations ont provoqué une réaction vive des personnes concernées, à savoir Geoffrey Howe (ancien ministre des affaires étrangères), Percy Cradock (ancien ambassadeur à Pékin, et conseiller diplomatique du premier ministre), Robin MacLaren (haut fonctionnaire du Foreign Office, spécialisé dans les affaires chinoises, et ambassadeur à Pékin de 1991 à 1993), et David Wilson, qui ont demandé que le MI6 (les services dintelligence britanniques) ouvre une enquête et poursuive Patten pour avoir divulgué des informations secrètes au journaliste (4).
Pour Dimbleby, ce gents agreement (selon les termes du gouverneur) est non seulement honteux pour la Grande-Bretagne dans la mesure où il constitue un acte de trahison vis-à-vis de Hong Kong, mais il a aussi largement compromis les chances dune avancée démocratique dans les années qui suivirent. Dans un article publié par le Times de Londres peu après la sortie du livre, lauteur souligne:
« un historien virtuel pourrait bien établir que si des élections directes avaient été introduites en 1988, les chances de survie de la démocratie après 1997 auraient été considérablement accrues. ( ) Par ailleurs, la mise en place délections directes aurait été accomplie avant le massacre de Tiananmen en 1989, à une époque où les Chinois étaient bien moins méfiants de la subversionquils ne lont été par la suite » (5).
Dans le livre, lauteur explique également que Patten napprit que quelques jours avant son voyage à Pékin en novembre 1992 et « par hasard » lexistence dun échange de correspondance secret en 1990 entre Douglas Hurd et Qian Qichen, le ministre des affaires étrangères chinois, à propos des élections législatives de 1995. Le fait que personne au Foreign Office nait pensé à avertir Patten avant son départ pour Hong Kong de lexistence de tels accords est pour le moins surprenant. Cette situation a rendu la visite de Patten à Pékin très difficile dans la mesure où le gouverneur ne pouvait déclarer aux Chinois quil avait élaboré son projet de réforme en ignorant totalement les accord passés entre son gouvernement et celui de Pékin deux années plus tôt. Si les Britanniques ont révélé publiquement lexistence de ces lettres en 1993, cétait, selon Dimbleby, « [non pas] au nom dun gouvernement ouvert, mais plutôt pour prévenir une fuite du côté chinois » (p. 143).
Louvrage de Dimbleby montre que Patten na cessé dêtre confronté à toutes sortes dactes de trahison, de coups bas et dhypocrisies pendant toute la durée de sa mission. Lennemi numéro du gouverneur est à nen point douter Percy Cradock, un farouche défenseur de la politique de conciliation vis-à-vis de la Chine, et qui, bien quà la retraite depuis plusieurs années, na jamais vraiment disparu des coulisses des négociations sino-britanniques. Aussi Patten ne cache-t-il pas sa colère quand il apprend que Cradock sest rendu à Pékin en visite privée au beau milieu des négociations sino-britanniques sur les réformes de Patten. Et celui-ci de constater que : « [lancien diplomate] avait quitté son rôle de critique sur la touche pour saboter activement ce que nous étions en train de faire ( ) ». Dimbleby ajoute que Patten est encore plus surpris « dapprendre que non seulement les anciens collègues de Cradock étaient au courant du projet de voyage mais quils étaient aussi très occupés à le briefer pour sa visite » (p. 191).
Un homme seul
Les diplomates-sinologues nétaient pas les seuls détracteurs de Patten. Le style dapproche politique de la Chine prônée par ces derniers au nom de « lintérêt du peuple de Hong Kong » allait vite trouver un écho dans dautres milieux, cette fois au nom de « meilleures relations commerciales avec la Chine ». Il apparaît en fait que bien peu de personnalités au sein du gouvernement britannique comme de la communauté des affaires et politique de Hong Kong ont affiché leur soutien au gouverneur. Certains, comme le vice-premier ministre anglais Michael Heseltine ou lancien premier ministre James Callaghan ont fait part directement à Patten de leurs critiques. Dautres, comme le président de la Hong Kong Bank et membre du Comité exécutif de Patten, William Purves, ont été beaucoup moins francs et ont préféré déverser leur bile dans le dos du gouverneur (p. 226). Le livre montre, à plusieurs reprises, que celui-ci a beaucoup souffert de ce manque de compréhension et de lisolement qui en a résulté :
« Je suppose quune des raisons pour lesquelles cette situation est plus difficile à vivre que la plupart des drames politiques dans lesquels jai été impliqué, est que jai le sentiment que personne [en Angleterre] ne comprend ce que je ressens. Dune certaine manière, Londres est très loin dici » (p. 210).
On apprend également que même ses plus proches alliés, à savoir John Major et Douglas Hurd, lont eux aussi un peu trahi en lui demandant, en 1993, de rentrer à Londres pour occuper dimportantes fonctions dans le gouvernement, invitation que Patten a poliment refusée.
La position du gouverneur était, il faut bien le reconnaître, pour le moins délicate. En un premier temps, on sattendait à ce quil défendît les intérêts de Hong Kong face aux exigences de la Chine, tout en essayant de ne pas susciter le courroux du futur souverain, une tâche qui sest avérée impossible à réaliser. Par la suite, il dut continuer à proclamer haut et fort que lavenir de Hong Kong après la rétrocession sannonçait brillant alors que sa propre expérience en matière de rapports avec la Chine avait été désastreuse. Sa crédibilité ne pouvait quen sortir fortement diminuée.
Il est clair que le gouverneur a utilisé le livre de Dimbleby pour rétablir la vérité sur un certain nombre de points, et pour prendre sa revanche sur tous ceux qui lont trahi et qui, à ses yeux, ont trahi le peuple de Hong Kong ou irrité au cours des cinq dernières années. En démontrant à tort ou à raison que la vengeance est un plat qui se mange tiède plutôt que froid, Patten a levé le voile sur plusieurs épisodes méconnus de la transition, notamment du côté britannique.
Deux ouvrages en un
The Last Governor constitue à lui seul au moins deux ouvrages. Il est avant tout, une chronique détaillée des cinq dernières années de la colonie, et cela en fait un livre essentiel et indispensable pour tous ceux qui sont intéressés par Hong Kong en général, et par la question de 1997 en particulier. A ce titre, on lui reprochera toutefois quelques erreurs factuelles Dimbleby confond par exemple systématiquement les scores électoraux du Parti démocrate avec ceux de lensemble des candidats de tendance démocratique , et, surtout, une fâcheuse tendance au manichéisme primaire qui finit par irriter le lecteur au fil des pages, et qui est source derreurs Elsie Tu peut-elle vraiment être qualifiée de vétéran pro-Pékin ? Louvrage est aussi, dans une large mesure, une « autobiographie déguisée » de Patten puisque le récit est continuellement enrichi des commentaires et des réactions « à chaud » du gouverneur sur les événements en cours. Si le franc-parler, lhumour et le sarcasme qui lui sont propres transparaissent clairement dans le livre et le rendent à la fois vivant et agréable à lire, on ne peut toutefois sempêcher de regretter que Patten nait pas pris la plume pour nous livrer ses impressions lui-même.
Il est encore trop tôt pour juger le véritable impact du règne du dernier gouverneur de Hong Kong. Il semble toutefois difficile, après la lecture de ce livre, de douter des bonnes intentions qui ont animé Patten tout au long de son séjour dans le Territoire comme des profonds sentiments quil na cessé déprouver pour la ville de Hong Kong et pour son peuple. Et finalement, la population de Hong Kong, à lexception des hommes daffaires, le lui a bien rendu.