BOOK REVIEWS

Wong Man Fong : Hong Kong : An Appointment with China et Steve Tsang : China’s Resumption of Sovereignty Over Hong Kong

L’échéance de 1997 a naturellement

donné lieu à une floraison de livres sur Hong Kong.

Outre les journalistes et écrivains qui pondent un ouvrage

de plusieurs centaines de pages après un séjour de

deux semaines dans le Territoire, des correspondants novices n’ont

pas hésité à y aller de leur œuvre immortelle.

Mais la fièvre de la rétrocession a été

telle que même les chercheurs n’ont pas été

épargnés. Rompant avec une tradition académique

qui n’a que mépris pour l’immédiat, les

auteurs de l’excellent Other Hong Kong Report ont sorti

leur annuaire au mois de juin au lieu de septembre (Cherchant à

capitaliser sur l’afflux des journalistes pour les cinq jours

de la rétrocession, Chinese University Press a également

avancé de plusieurs mois la publication de la livraison 1997

de China Review).



Les universités n’ont pas été

en reste, et la Baptist University de Hong Kong a publié

le texte d’un cycle de conférences de Wong Man Fong,

ancien numéro 2 de l’agence Chine nouvelle sous Xu Jiatun

dans un ouvrage très intéressant et comportant d’importantes

révélations. S’il n’est pas aussi passionnant

que les mémoires de Xu Jiatun (1), dont, soit dit en passant,

on se demande pourquoi elles n’ont pas encore été

traduites, il fournit cependant un nouvel éclairage sur la

manière dont les dirigeants chinois envisageaient, ou plutôt,

n’envisageaient pas la rétrocession de Hong Kong à

la fin des années 1970. C’est une pierre apportée

au débat sur le processus de décision politique dans

la Chine de Deng Xiaoping. Il milite en faveur de ceux qui affirment

que lorsqu’il est revenu au pouvoir, le petit timonier, loin

d’avoir un plan de réformes clé en main pour

remédier aux échecs de la Révolution culturelle,

a plutôt fourni des réponses au coup par coup à

des situations qui se présentaient (2). Ainsi, Wong montre

que les dirigeants chinois n’avaient même pas les idées

très claires sur une question aussi essentielle que la nécessité

de récupérer la souveraineté sur Hong Kong.

Il affirme qu’en 1979, dans les instances de l’Agence

Chine nouvelle, c’était le « modèle de

Macao » que l’on aurait souhaité adopter pour

la colonie britannique. L’argumentation était la suivante

: puisque le gouvernement chinois ne reconnaissait pas le «

traités inégaux », l’échéance

de 1997 ne représentait rien. « Pékin n’avait

initialement aucune intention de récupérer la souveraineté

sur Hong Kong. A Xinhua et au Bureau des affaires de Macao, on avait

toujours pensé en termes de maintien du statu quo. »

(p. 7) Ce n’est que lorsque le gouverneur McLehose a soulevé

la question au cours de son voyage de 1979 que la partie chinoise

a changé d’avis : « S’ils continuaient à

acculer la Chine, ils ne pouvaient que la contraindre à récupérer

la souveraineté sur Hong Kong. » (p. 10).



Arrivé à ce point critique, et

conformément au mode de fonctionnement du Parti communiste

chinois, Deng Xiaoping nomme un groupe de travail dirigé

par Liao Chengzhi, le vieux spécialiste des relations avec

la Chine d’outre-mer, auquel participent des représentants

de tous les organismes concernés, Xinhua, le Bureau des affaires

de Hong Kong et Macao, le Bureau d’enquêtes du ministère

de la sécurité publique, le ministère des relations

économiques extérieures et la Banque de Chine. Et

c’est ce groupe qui arrivera à la définition

d’un principe directeur, à savoir, la primauté

absolue de la récupération de la souveraineté

chinoise. Deng Xiaoping avalisera, et indiquera qu’il faudra

en même temps prendre soin de maintenir la prospérité

et la stabilité du Territoire. Tout cela sera cependant subordonné

à la mise en œuvre du principe directeur. Dans cette

première conférence, Wong Man Fong donne d’abondants

détails sur le processus de prise de décision au cours

de ces deux premières années.



Les trois autres conférences qui constituent

le reste du livre sont beaucoup moins intéressantes, et ne

font que reprendre des thèmes déjà connus et

des péripéties mieux décrites par Xu Jiatun.

De plus, les conférences se répètent souvent.

On peut donc regretter que les éditeurs se soient contentés

de les reprendre telles quelles. Ils auraient pu demander à

l’auteur de retravailler son texte et de mieux le construite.

L’approche du 1er juillet les a sans doute convaincus qu’il

valait mieux sortir rapidement. C’est dommage, mais le livre

constitue une matière brute très utile pour tous les

chercheurs ou simplement les observateurs qui s’intéressent

tant à la négociation sino-britannique qu’à

l’étude du processus de prise de décision en

République populaire.



Malheureusement, tous les ouvrages publiés

par des chercheurs à la faveur de 1997 n’apportent pas

autant d’éléments nouveaux. C’est notamment

le cas du livre de Steve Tsang, un chercheur au Saint Antony’s

College d’Oxford qui a beaucoup publié sur le Territoire.

S’il est beaucoup mieux construit que l’ouvrage de Wong,

il n’apprend pas grand chose à ceux qui connaissent

ses écrits abondants et souvent intéressants sur le

sujet. Il faut reconnaître que l’auteur avertit à

l’avance ses lecteurs, puisqu’il remercie le Journal

of International Affairs
de l’avoir autorisé à

reproduire largement d’anciens articles. Comme nous le disait

l’éditorialiste d’un célèbre hebdomadaire

du Territoire, « Rien n’est plus facile que de publier

des livres en ce moment. Il suffit de reprendre tout ce que l’on

a écrit au fil des ans. » Et il est certain que le

livre de Steve Tsang n’ajoute rien à sa théorie

bien connue selon laquelle la République populaire de Chine

se comporte avec une flexibilité maximale à l’intérieur

d’un cadre rigide dans les négociations internationales

en général, et dans le cas de Hong Kong en particulier.

En d’autres termes, qu’elle est inflexible sur la définition

de ses intérêts nationaux, mais est prête à

faire des concessions sur leur mise en œuvre. Ce qui, avouons-le,

n’est pas tellement spécifique à la Chine populaire.



Composé selon un plan chronologique,

An Appointment with China n’apporte guère d’informations

extraordinaires sur l’histoire des relations sino-britanniques

au cours du siècle et demi d’existence de la colonie.

Plus des deux tiers de l’ouvrage concernent la période

écoulée depuis la signature de la déclaration

conjointe. Le cadre chronologique est bien défini, les méandres

de la négociation sont bien présentés, les

chapitres sont clairs et bien écrits.



Toutefois, il s’agit d’un plaidoyer

quelque peu univoque pour la politique de Sir Percy Cradock, le

conseiller particulier de Margaret Thatcher sur la Chine, dont les

mémoires, Experiences of China sont abondamment cités.

Steve Tsang affirme, sans toutefois apporter de preuves convaincantes,

que pendant les années 1980 le Foreign Office a adopté

la meilleure marche de négociations possible compte tenu

des caractéristique de la République populaire de

Chine. Il est vrai que, dans le domaine de la perception par la

direction de Pékin de la marche d’une négociation,

les sources d’information manquent, et l’on ne peut se

fier qu’à son intuition de chercheur.



Son analyse conduit naturellement Tsang à

adopter une attitude très critique à l’égard

du revirement des Britanniques en 1992. A propos de la mise en œuvre

des réformes Patten à la suite de l’échec

des négociations en novembre 1993, Steve Tsang a des mots

très durs :



« Pour les Chinois, l’application

de tout le plan [Patten] était la preuve concluante de l’existence

d’une conspiration britannique. Par contraste, l’application

des propositions révisées d’octobre 1993 aurait

suggéré que les Britanniques voulaient vraiment un

compromis.... Tout insatisfaisant qu’il restât, la République

populaire de Chine [RPC] aurait pu choisir de répondre avec

flexibilité plutôt qu’avec rigidité...

Tel que cela s’est passé, la décision de Patten

de faire passer son plan originel une fois que les pourparlers n’avaient

mené nulle part, confirma les pires craintes de la RPC...

»



Quelque bien intentionné et soutenu

par la population locale qu’elle fût, la décision

de mettre en œuvre le plan Patten au complet a été

la plus grave et la plus injustifiable erreur politique d’un

gouvernement britannique depuis qu’il a décidé

d’ouvrir des négociations avec la RPC sur l’avenir

de Hong Kong » (p. 199). Ce pêché originel de

Patten a conduit les Chinois à ne plus tenir compte de l’avis

des Britanniques sur les affaires de Hong Kong, notamment dans le

cas du choix de Tung Chee-hwa (p. 206). On peut s’interroger

sur les éléments qui permettent à Steve Tsang

d’affirmer que les Chinois auraient choisi la flexibilité

si Patten s’était contenté de faire un petit

pas en arrière. L’histoire diplomatique et politique

des années 1990 montre au contraire que Pékin a toujours

profité des concessions unilatérales sauf lorsqu’il

était menacé de représailles comme dans le

cas de la crise de Taiwan de mars 1996.



Dans son dernier chapitre intitulé «

Hong Kong toujours heureux après ? », notre auteur

sermonne les démocrates. Son discours est le suivant : si

l’on veut véritablement que soit appliquée la

formule « un pays, deux systèmes », Hong Kong

doit s’abstenir d’intervenir dans les affaires intérieures

chinoises, et même de porter des jugements :



« [Les démocrates] auraient dû

apprendre une leçon forte en voyant à quel point la

soi-disant approche en termes de confrontation des réformes

Patten a été contre-productive. Malheureusement, Martin

Lee et ses collègues ont été totalement incapables

de saisir la morale des événements récents.

Ils refusent encore d’accepter la réalité politique

qui veut que Hong Kong n’a pas d’autre choix que de placer

son propre développement démocratique dans le contexte

des restrictions imposées par la politique en RPC… [Le

gouvernement de la Région administrative spéciale]

doit tenter de persuader Lee de ne pas précipiter une confrontation

ouverte dans les tribunaux avec la RPC sur des questions dont celle-ci

juge qu’elle a des conséquences sur son autorité

souveraine. » (pp. 212-3)



En d’autres termes, pour Steve Tsang,

l’irresponsabilité de ceux qu’il qualifie de «

Lee et ses collègues » risque d’anéantir

l’autonomie est non pas le caractère autoritaire et

interventionniste de la République populaire, mais l’irresponsabilité

des membres du parti démocrate. Steve Tsang rejoint ainsi

Percy Cradock et Alain Peyrefitte dans le camp des partisans de

la soi-disant realpolitik.