BOOK REVIEWS

M. Enright, E. Scott et David Dodwell : The Hong Kong Advantage

by  Francesca Cini /

Cette étude effectuée par un professeur de la Harvard Business School et deux consultants, dont un également journaliste au Financial Times, a le mérite d’annoncer son but d’emblée, dans le titre et dans la préface. Rédigée sur commande pour les principaux acteurs économiques de Hong Kong (Hong Kong and Shanghai Banking Corporation, Hongkong Telecommunications Ltd, Sun Hung Kai Properties, John Swire & Sons [Hong Kong] Ltd…) qui l’ont généreusement parrainée, elle se propose de faire la réclame du succès économique de Hong Kong. Pendant un an, les trois auteurs, dont deux ne connaissaient pas le Territoire (où ils ont décidé de s’installer à la suite de cette expérience), ont abondamment puisé dans les documents officiels du gouvernement, du Hong Kong Trade Development Council et d’autres institutions internationales, et ont dévoré les ouvrages les plus connus sur Hong Kong, pour insérer les données concernant le Territoire dans des modèles déjà utilisés auparavant.

Préoccupés par le pessimisme croissant des médias occidentaux à l’approche du 1er juillet 1997 et par la focalisation du débat autour des questions politiques, les auteurs et leurs sponsors ont voulu insister sur la prédominance de l’économie dans l’histoire de Hong Kong et sur l’indéniable succès que le Territoire représente dans ce domaine.

Loin de contester cette affirmation et le besoin d’un tel ouvrage à ce moment précis de l’histoire, on regrettera surtout que le résultat ne soit qu’un ouvrage de propagande rédigé dans le langage répétitif et superficiel des consultants.

La spécificité de l’expérience hongkongaise, évoquée à juste titre à maintes reprises, est utilisée uniquement pour mieux faire ressortir le message : Hong Kong est la plus belle, la plus forte, la meilleure.

Nous en sommes convaincus, mais non grâce à Hong Kong Advantage. C’est précisément parce que l’expérience hongkongaise, et plus particulièrement son développement économique, est unique dans l’histoire qu’elle mérite d’être analysée avec plus de profondeur et de nuances.

Il ne suffit pas de transformer les légendaires (et aujourd’hui quelque peu contestées) qualités de Hong Kong telles que l’activisme (hustle) et l’engagement (commitment) en avantages économiques, les problèmes en défis (challenges), les interactions professionnelles normales dans tout système économique complexe en « regroupements » (clusters) spécifiques à l’économie de Hong Kong, les possibles évolutions sectorielles en « opportunités » (opportunities) et de le répéter dans tous les chapitres, pour conclure, que Hong Kong « va de l’avant ». Autant dire que le soleil se lève à l’Est et que l’avenir est radieux. Est-il vraiment nécessaire de le rappeler sans cesse et dans ces termes ?

En dehors des définitions maintes fois lues dans les brochures du Hong Kong Trade Development Council, du ministère de l’industrie et des différentes chambres de commerce, le livre contient tout de même une série d’exemples intéressants et propose de temps en temps des hypothèses inédites : il affirme par exemple que les principaux concurrents du port de Hong Kong sont Yantian et Ningbo (et non, banalement Singapour), que l’économie de Hong Kong est une économie métropolitaine semblable à celle de Londres ou Tokyo et non à celle de Singapour, comme on a tendance à l’affirmer habituellement.

Malheureusement certaines de ces affirmations ne sont pas bien développées et sont même utilisées (dans la meilleure tradition des consultants) uniquement quand elles sont favorables à la thèse des auteurs. La Chine est ainsi présentée comme un pays étranger quand on veut démontrer que Hong Kong est l’un des principaux centres commerciaux du monde ou qu’il y aura un grand nombre d’étudiants étrangers dans les universités du Territoire, et comme un arrière-pays quand il s’agit de prouver que l’industrie manufacturière du Territoire n’a pas décliné mais s’est seulement déplacée de quelques kilomètres (p.19).

Il est d’ailleurs regrettable que les auteurs semblent mal connaître la Chine ou qu’ils aient délibérément choisi de ne pas trop en parler, car cela les amène à sous-estimer l’influence de l’évolution de ce pays sur celle du Territoire.

Là aussi, on trouve une contradiction entre une hypothèse intéressante et une incapacité à l’étayer par une analyse sérieuse. Les auteurs affirment, à contre-courant de la majorité des analystes et des responsables chinois (voir South China Morning Post, 16 juin 97), que Hong Kong n’est pas un « pont » ni une « porte d’accès » ou un intermédiaire (p. 319) entre la Chine et le reste du monde, mais au contraire qu’elle est déjà bien intégrée au Continent. Mais alors qu’ils répètent à l’envi les clichés sur le développement rapide de la Chine, la « prochaine superpuissance mondiale » (pp. 167-172), et les avantages que cela apporte à Hong Kong, ils sont beaucoup plus évasifs sur les risques que ce développement peut faire peser sur la RAS (pp. 229-231).

Tous les différents problèmes (pardon, « défis ») d’ailleurs, ne sont pas niés, sont rarement analysés ou même abordés. Il est intéressant d’apprendre que Yantian et Ningbo menacent Hong Kong plus que Singapour, mais on aimerait savoir pourquoi (p. 123). On peut naturellement être un fervent partisan du libéralisme. Mais le seul fait que le gouvernement exerce un quasi-monopole sur l’éducation et la santé suffit-il à expliquer pourquoi, malgré le niveau élevé des systèmes d’enseignement et hospitalier du Territoire (atteint grâce à qui ?), la plupart des étudiants et des malades finissent leurs études et vont se soigner à l’étranger (p. 190) ?

Plus intéressante est la dernière partie, avec les comparaisons entre Hong Kong et quelques villes du monde dans la tentative d’énoncer quelques scénarios pour l’avenir. Le choix des villes « concurrentes et modèles » est aussi très intéressant. Alors que celui de Singapour et Shanghai est évident, Tokyo, Taipei et Sydney sont d’habitude moins évoquées. On sera aussi frappé par l’absence de Canton, jusqu’il y a un an la comparaison préférée des consultants et des analystes. Mais la ville qui passait pour la « capitale économique de la Chine » au début des années 90 n’est plus à la mode. Combien de temps durera celle de Shanghai ?

Il ne s’agit pas, on le voit d’un ouvrage destiné aux « experts », ni même aux habitants et aux responsables économiques du Territoire, qui tous connaissent déjà les trois quarts du contenu du livre et savent aussi ce qu’il y a derrière : les aspects négatifs de toutes les prouesses décrites.

Mais le problème est peut-être justement le public auquel s’adresse l’ouvrage. Le journaliste superficiel qui, en quête de scoops, s’acharne à décrire une fin catastrophique et imminente de Hong Kong a sûrement grand besoin d’un tel ouvrage. Mais faut-il répondre à la propagande par de la propagande ?

Quant au public occidental, mal informé et jusqu’à cette année ignorant l’existence même du Territoire, cet ouvrage lui permettrait peut-être d’apprendre bien des choses si le langage stéréotypé des consultants n’était pas aussi décourageant.