BOOK REVIEWS
Dossier : Quel avenir pour les entreprises d’Etat après le XVe Congrès ?La marche en avant de ShanghaiUn prélude vers une nouvelle étape des réformes
Lors du XVe Congrès du Parti, en septembre dernier, le Secrétaire général du Parti communiste chinois, Jiang Zemin, a donné le feu vert pour une nouvelle étape dans la réforme des entreprises dEtat. Il est désormais admis que plusieurs types de propriété seront tolérées dans le secteur dEtat. Selon les propres mots de Jiang Zemin « la propriété dEtat peut et doit prendre des formes diversifiées » (1).
Essentiellement, le projet du gouvernement est de se désengager totalement dans les petites et moyennes entreprises dEtat, et de conserver un contrôle uniquement dans les 3000 plus grandes entreprises. Les petites entreprises dEtat pourront fusionner, être mises en faillite, vendre des actions à leurs employés, ou, ce qui est désormais courant, être rachetées par leurs dirigeants. Les plus grandes entreprises, quant à elles, devraient être restructurées sous leffet dun ensemble de réformes qui permettront idéalement à lEtat dagir comme un investisseur institutionnel. Cependant, comme lont rappelé clairement à plusieurs reprises les dirigeants chinois, la propriété dEtat restera dominante et les plus grandes entreprises continueront dêtre contrôlées par le gouvernement.
Bien que ces réformes semblent en surface rompre radicalement avec le passé, une analyse de leur contenu montre quelles ne contiennent rien de véritablement nouveau. Comme le fait remarquer un commentateur : « Il semble que les projets de Jiang Zemin soient très radicaux pour des communistes ; en fait, à limage de la loi sur la responsabilité des ménages [dans lagriculture], ils ont été rédigés dans lurgence pour rattraper des changements qui ont déjà eu lieu sur le terrain » (2). En effet, la plupart des réformes annoncées au XVe Congrès du Parti ont déjà été testées dune manière ou dune autre dans plusieurs villes du pays.
Les récentes réformes générales des entreprises dEtat : le système moderne dentreprise
Depuis 1992 plusieurs expérimentations ont été conduites pour mettre en place ce que les Chinois ont appelé le système moderne dentreprise (SME). Le SME constitue une réponse à la question de savoir comment les entreprises dEtat vont pouvoir épouser léconomie de marché (3). Lobjectif du SME est détablir pour le secteur dEtat, des institutions de gouvernement dentreprises imitant celles des entreprises privées dans les pays capitalistes. De cette manière, le gouvernement chinois espère se confiner à lexercice de ses droits de propriété tout en donnant aux dirigeants dentreprises une autonomie opérationnelle complète (4). Ceci a été résumé par les dirigeants chinois par la formule chanquan qingxi, quanze mingque, zhengqi fenkai, guanli kexue (clarifier les droits de propriété, établir des compétences et des responsabilités claires, afin de séparer le gouvernement des entreprises, et détablir une gestion scientifique) (5). Ce slogan est largement illustré par les premiers pas suivis par les autorités chinoises pour mettre en place le SME. Généralement, le premier pas consiste à faire linventaire des actifs dEtat dans les entreprises dEtat. Lobjectif de ces évaluations menées depuis cinq ans par le ministère des finances et lAdministration dEtat pour la propriété dEtat, est davoir une idée plus claire de ce que lEtat possède et dobtenir un point de référence pour des évaluations futures (6). Après cette évaluation, la deuxième étape consiste à définir les droits de propriété de lEtat et donner la gestion des actifs dEtat à une institution administrative particulière. Enfin, une troisième étape consiste à transformer les entreprises en sociétés par actions, ce qui permet la constitution dinstitutions de gouvernement dentreprise telles quelles sont définies dans le Code des sociétés chinoises.
La mise en place des deux dernières étapes marque lentrée de la réforme des entreprises dEtat dans une phase critique. Dans le système précédent, les entreprises dEtat étaient considérées comme des usines tombant directement sous le contrôle dune bureaucratie spécifique responsable dun secteur industriel et commercial (chimie, textile, distribution). Au niveau provincial, ces bureaucraties étaient à la fois sous la responsabilité du gouvernement provincial (rapport de pouvoir appelé kuai en chinois), mais également dun ministère central en charge dun secteur industriel particulier (tiao) pour les questions de standards et de planification du développement sectoriel (7). Dans ce système, les entreprises dEtat étaient ainsi sous la supervision de plusieurs entités bureaucratiques, et il devenait donc très difficile de savoir qui était réellement investi des droits de propriété.
Le défi le plus important des réformes est de dépasser ce système traditionnel de propriété. Les droits de propriété des entreprises dEtat doivent être clarifiés et des entités administratives spécialisées pouvant représenter concrètement les droits de propriété de lEtat devront être créées. Idéalement, ces entités devraient être capables dagir comme des investisseurs institutionnels agissant pour le compte de lEtat en tant que réel propriétaire. Par ailleurs, ces entités devraient être capable de former un écran entre ladministration et les entreprises permettant de mettre fin à la recherche de rentes et aux interférences de la bureaucratie.
Bien que jusquà présent le SME soit loin davoir débouché sur la création de telles entités administratives, plusieurs programmes expérimentaux ont essayé de sattaquer à ce défi. Lexpérience de Shanghai illustre ces tentatives. La ville de Shanghai est certainement celle qui a été le plus loin dans la mise en place du SME, jouant un rôle pionnier dans létablissement dun système cohérent de gestion des actifs dEtat.
La mise en place du SME à Shanghai (9)
Shanghai a été désignée en 1992 comme le porte flambeau des réformes économiques en Chine. Ce choix est aussi dans une certaine mesure, le résultat de la promotion dans les instances dirigeantes du Parti à Pékin, de plusieurs dirigeants shanghaiens. La métropole a toujours joui dun statut spécial dans léconomie planifiée. Elle a également profité dune administration de très grande qualité comparée aux autres villes chinoises. De ce fait, si des réformes doivent réussir, cest bien à Shanghai quelles ont les plus grandes chances de succès. De plus, dans lancien système de léconomie planifiée, Shanghai avait bâti une structure très classique fondée sur une division du travail fonctionnelle, dans laquelle chaque bureau administratif était responsable dun secteur industriel ou commercial bien spécifique. Cette organisation est assez représentative de ce qui existe dans les autres villes et provinces chinoises. Elle est également à limage de la structure de gestion des entreprises dEtat au niveau du gouvernement central. Shanghai peut donc constituer un test idéal pour des réformes qui risquent ensuite dêtre mises en place dans lensemble du pays.
De ce fait, depuis le début des réformes du SME, les dirigeants centraux ont sans cesse incité Shanghai à montrer le chemin et à innover. Comme un des interviewés le fait remarquer : « A chaque fois que Jiang [Zemin] ou Zhu [Rongji] viennent à Shanghai, ils implorent les dirigeants locaux : «Je vous en prie, je vous en prie, faites que les réformes soient un succès. Si vous ny arrivez pas, alors il ny a pas de solution» » (10).
Shanghai a mis en place une structure de supervision des actifs dEtat à trois niveaux. Cette structure constitue le cur du programme du SME (voir larticle de Jean-François Huchet dans ce dossier). Sa mise en application pose les fondations dune clarification des droits de propriété des entreprises dEtat, létablissement dun système où la gestion des entreprises est séparée de la bureaucratie, et la création dincitations pour les dirigeants des entreprises dEtat à répondre aux besoins du marché.
A Shanghai, le premier niveau repose sur la Commission de gestion des actifs dEtat (guoyou zichan guanli weiyuanhui) et son bureau (guoyou zichan guanli bangongshi). Ces deux institutions sont chargées de fixer les règles locales en matière de management des actifs dEtat (11). La caractéristique la plus importante repose sur le fait que la Commission de gestion des actifs dEtat devient la seule entité qui représente les droits de propriété de lEtat. Cependant, dans létat actuel de la réforme, elle na pas beaucoup progressé dans lexercice exclusif des droits de propriété de lEtat. Elle a contribué néanmoins à la réforme de la propriété des entreprises dEtat en promouvant la création du deuxième et troisième niveau de la structure de gestion des actifs dEtat.
Le deuxième niveau est constitué par divers types de holding financières dEtat [HFE] (guoyou konggu gongsi). Les HFE sont des sociétés dotées dun statut de personne morale indépendante. Cependant, elle sont par définition entièrement propriété de lEtat. De ce fait, elles sont considérées comme des personnes morales dun type particulier, dotées de droits et de compétences non stipulés dans le Code des sociétés chinoises (12). La création des HFE illustre la volonté détablir un écran entre la bureaucratie et les entreprises dEtat. Les HFE agissent comme des entités spécialisées dans la gestion des actifs dEtat et servent à létablissement de ce que lon nomme en chinois rengehua, un système personnalisé chargé de la protection et de la valorisation des actifs dEtat. Par ailleurs, les HFE ont également une mission politique : au sommet de la hiérarchie des entreprises, elles assurent la pérennité de la domination du secteur dEtat dans léconomie.
Enfin, le troisième niveau est constitué par les entreprises dEtat qui ont été converties en sociétés par actions à responsabilité limitée. Toutes les entreprises dEtat sont contrôlées, soit en totalité, soit en partie par les HFE (13). La transformation des entreprises dEtat en sociétés par actions (phénomène appelé également capitalisation dans le jargon spécialisé) devrait conduire idéalement à une augmentation des sources dinvestissements provenant dactionnaires extérieurs à lentreprise : soit par lintermédiaire dune entrée sur les marchés boursiers intérieurs ou étrangers, soit par la vente dactions aux employés ou à des investisseurs étrangers ou nationaux extérieurs à lentreprise. Par ailleurs, Shanghai a cherché à innover en matière de restructuration des entreprises dEtat en imposant six façons de restructurer (liuge yikuai) : fusions, faillite, formation dentreprises conjointes sino-étrangères, conversion des dettes en actions, léchange des terrains des entreprises contre du capital ou de nouveaux bâtiments dans des construction nouvelles.
La formation dune structure de gestion des actifs dEtat à trois niveaux est déjà bien avancée à Shanghai. A la fin 1996, plus de 60 % des actifs dEtat étaient gérés par ce nouveau système. La majorité des bureaux industriels, commerciaux et agricoles ainsi que les grands groupes industriels font désormais partie de cette structure. Nous tenterons maintenant danalyser les premiers effets des réformes en examinant dans le détail chacun des niveaux de cette nouvelle structure de gestion des actifs dEtat.
La Commission de gestion des actifs dEtat de Shanghai
Shanghai, comme les autres gouvernements provinciaux, a suivi les directives données par le gouvernement central, et a établi, en avril 1989, sa propre Division administrative de gestion des actifs dEtat (guoyou zichanguanlichu) à lintérieur du Département des finance du gouvernement provincial de Shanghai. En 1992, la division a été élevée au rang de bureau (ju), mais restait placée sous lautorité du Département de finance. Après le XIVe Congrès du Parti qui consacre lavènement de léconomie socialiste de marché et la désignation de Shanghai comme porte flambeau des réformes économiques, le 16 juillet 1996, le gouvernement de Shanghai a officiellement établi la Commission de gestion des actifs dEtat et son bureau correspondant.
Cette Commission dispose de pouvoirs indépendants des autres bureaucraties du gouvernement provincial, notamment de son ancienne bureaucratie de tutelle, le Département des finances. Elle a repris en main désormais toutes les activités des différentes parties de la bureaucratie provinciale qui touchaient aux problèmes de la restructuration des actifs dEtat. Elle peut donc dorénavant coordonner et faire avancer les réformes de gestion des actifs dEtat à Shanghai. Cet objectif se reflète dans sa composition. Le président de la Commission nest autre que le maire de Shanghai, et le vice-président est le secrétaire du Parti de la ville.
A côté des principaux dirigeants politiques de la ville, qui bien évidemment disposent des pouvoirs nécessaires pour faire adopter des décisions importantes, la Commission regroupe également les dirigeants des principales bureaucraties économiques et financières de la ville. Un rôle important est également joué par le vice-maire de Shanghai en charge des affaires financières, exprimant ainsi la continuité du poids de ladministration financière dans létablissement des critères servant à lévaluation des actifs des entreprises. Le directeur du Bureau de gestion des actifs dEtat détient le poste de secrétaire général de la Commission, mais il est également à la tête du département de lorganisation du Parti de la ville. Comme tous les interviewés lont fait remarquer, lappareil du Parti de la ville opère un contrôle très ferme sur la Commission et le Bureau de gestion des actifs dEtat. Cela sexplique notamment par le fait que la restructuration du système de gestion des actifs dEtat constitue un domaine sensible et quil provoque des changements qui risquent daffecter le personnel dirigeant des entités bureaucratiques qui supervisaient traditionnellement les entreprises dEtat.
La mission principale de la Commission est dagir comme représentant de lensemble de la propriété de lEtat existante dans la province de Shanghai. Elle dispose du droit de contrôler, dutiliser et de transférer les actifs dEtat, mais également de percevoir et dallouer les revenus provenant de ces actifs. La Commission approuve létablissement des HFE, ainsi que leur plan de développement, lallocation de leurs profits, et contrôle leurs décisions majeures de gestion. La Commission est également en charge des nominations, des évaluations, des rémunérations des dirigeants des HFE. Cependant, ces compétences sont essentiellement formelles. La Commission ne se réunit que deux fois par an pour discuter et coordonner à un niveau général la réforme de la gestion des actifs dEtat. Le travail quotidien de réforme et de gestion échoue plutôt au Bureau de gestion des actifs dEtat. Le Bureau qui est une émanation directe de la Commission a principalement deux fonctions. Dun côté, il fonctionne comme un think tank. Il utilise à la fois les puissants intérêts existants dans la Commission et limportance accordée à la réussite dune réforme de la structure de gestion des actifs dEtat par les dirigeants de la Commission, pour promouvoir des initiatives de réformes. En effet, comme le précise un des membres du Bureau : « Sans létablissement de la Commission dotée de «super pouvoirs» qui lui permettent de se situer au dessus des autres bureaucraties du gouvernement provinciale de Shanghai, les propositions de réformes du Bureau nauraient débouché sur rien » (14).
Dun autre côté, un des objectifs du Bureau est de prévenir les abus dans la gestion des actifs dEtat en établissant un cadre juridique pour évaluer et contrôler les flux des actifs dEtat. Cependant, comme deux interviewés le précisent, le Bureau joue un peu le rôle de pompier : « il cherche à améliorer les mauvaises pratiques en matière de gestion des actifs dEtat sans pour autant être capable de mettre fin de manière effective à tous les abus existants ».
Malgré que la Commission et le Bureau constituent les plus hautes autorités de la province en matière de gestion des actifs dEtat, leurs pouvoirs sont très largement circonscrits. Elles ne peuvent ignorer les intérêts du Parti, de la bureaucratie financière et le rang des bureaux industriels et commerciaux. Ces deux institutions ont cependant contribué à la création des HFE, qui jouent un rôle novateur et capital dans les réformes, puisquelles sont investies (shouquan) progressivement de lexercice des droits de propriété des actifs dEtat (15).
La formation des holdings financières dEtat
Fin 1993, le département (avant la création formelle de la Commission) de gestion des actifs dEtat commença à mettre sur pied les premières HFE. La Commission de gestion des actifs dEtat se tourna alors vers le Bureau du textile de Shanghai, le Bureau des instruments et de lélectronique, et le groupe Shanghai United Electric Corporation pour établir, dans un premier temps, les structures des HFE (16) 1. En 1996, la Commission de gestion des actifs dEtat de Shanghai avait déjà confié les actifs des entreprises dEtat à un total de 31 HFE. Un représentant du gouvernement nous a confié que le projet était daugmenter le nombre de HFE jusquà 70 ou 80, puis, par le biais de fusions et de consolidations, de le réduire au rythme denviron 20 par an dici lan 2000 (17).
Les actifs dEtat cumulés des 31 HFE de Shanghai représentent plus de 60 % de lensemble des actifs Etat du secteur productif de la municipalité de Shanghai (18). Ces HFE contrôlent déjà, soit majoritairement, soit de manière minoritaire, le capital de la grande majorité des entreprises dEtat de la ville. En général, la Commission et le Bureau de gestion des actifs dEtat de Shanghai ont eu recours à quatre méthodes pour créer ces 31 HFE.
Premièrement, les entreprises constituant le « noyau » de groupes industriels et commerciaux dEtat récents et dynamiques se sont vu confier les droits de propriété de leurs filiales. Le prototype, dans cette catégorie, est la Lansheng Group Corporation, la première entreprise dEtat en Chine a porter le nom de son PDG, Zhang Lansheng. Lansheng sest formée autour dune importante société à responsabilité limitée cotée à la Bourse de Shanghai. La jeunesse ce groupe, de même que la flexibilité de ses opérations et le charisme de son président, ont fait de lui lune des principales sociétés de Chine et un exportateur de premier rang. Lansheng est aujourdhui lune des plus performantes HFE de Shanghai, même si certains responsables gouvernementaux se plaignent quelle a tendance à agir comme une entreprise privée, cest-à-dire en dehors de la sphère étatique (19).
Deuxièmement, les HFE ont été établies par le regroupement dun certain nombre dentreprises dEtat. La Dongfang International (Group) Corporation en est lexemple le plus représentatif. Cette HFE est en effet le produit de la combinaison de quatre sociétés de commerce étrangères sous un seul « chapeau ». Cependant, sont apparus plusieurs problèmes liés à la coordination des activités des HFE et de celles de ses filiales. En effet, les filiales ne souhaitent pas abandonner leur autonomie à leur propriétaire, et redoutent le fardeau financier que Dongfang représente pour elles.
Troisièmement, la majorité des HFE a été formée en assignant les droits de propriété de lEtat aux entreprises noyaux des grand groupes, tels que la Shanghai Electric (Group) Corporation ou la Shanghai Industrial (Group) Corporation [SAIC]. Celle-ci, par exemple, a mis en place un nouveau cadre institutionnel en formant une petite société qui emploie environ 25 personnes, et qui joue le rôle dentreprise noyau dans le groupe. Elle est principalement responsable de lélaboration de la stratégie dentreprise, de la gestion du personnel au niveau des directeurs et des gestionnaires, et de ladministration des actifs dEtat présents dans les filiales. (Notons que lorganisation institutionnelle et les fonctions du département de gestion des actifs dEtat sont fondamentalement les mêmes que celles de la Commission de gestion des actifs dEtat au niveau de la municipalité.) Finalement, en devenant une HFE, SAIC a gagné plus dautonomie puisque certaines fonctions autrefois assumées par le gouvernement (élaboration des stratégies et administration des actifs) lui reviennent désormais directement. Le cas de SAIC illustre également un autres aspect des réformes à Shanghai. La société est devenue une sorte de « sauveur dentreprises ». Entre la fin 1996 et le début 1997, SAIC sest emparée des droits de propriété dun bon nombre de grosses entreprises dEtat de Shanghai. La Shanghai Video & Audio Electric Corporation et la Shanghai Vacuum Electronic Devices Corporation, qui sont toutes les deux déficitaires, en font partie. De même, SAIC sapprête à obtenir 20 % des parts de la Dazhong Taxi Corporation, largement excédentaire, en se voyant confier une partie des actions publiques de cette compagnie cotée en bourse (20). En tant quune des entreprises les plus importantes et les mieux gérées de Shanghai, SAIC jouit dune position de pivot dans la politique et léconomie de la ville. Il semble ainsi que le gouvernement municipal accorde une confiance plus grande à la capacité et à la loyauté de la gestion de SAIC quà celles des autres HFE, et, pour cette raison, est prêt à y injecter un masse importante dactifs dEtat. Toutefois, une partie de ces actifs na aucun rapport avec les activités principales de la société, ce qui reflète probablement le souhait du gouvernement municipal que les compétences de la SAIC en matière de gestion aident à renflouer les entreprises en difficulté. En fait, la plupart des reprises semblent être motivées par des questions politiques, et ont davantage pour effet daugmenter les actifs de la SAIC quà en accroître son efficacité.
Enfin, le mode de création des HFE le plus fréquent à Shanghai  et aussi le plus controversé  est celui qui consiste à convertir les anciens bureaux de supervision. Cette transformation a permis à Shanghai de se débarrasser dune grande partie de sa bureaucratie gouvernementale dun seul coup. Au total, 14 bureaux de supervision (dans les secteurs de lindustrie, du bâtiment, du commerce et de lagriculture) ont été convertis en HFE. Leurs employés ne sont plus à la charge du gouvernement et, du moins en théorie, ont perdu leur rang administratif. Pour redistribuer les fonctions administratives sectorielles qui étaient assumées par ces divers bureaux, les commissions administratives qui les chapotaient, telles que la Commission économique (jinji weiyuanhui), la Commission du bâtiment (jianshi weiyuanhui) et la Commission du Commerce (shangye weiyuanhui) ont mis en place dix nouvelles divisions administratives. Cela signifie que le système de ladministration sectorielle de lindustrie na pas été aboli, mais a simplement monté dun échelon dans la hiérarchie bureaucratique. Dans le secteur industriel, sept bureaux ont été ainsi convertis. A lexception des bureaux de lindustrie légère n°1 et 2 qui ont été fusionnés, les cinq autres bureaux industriels ont été directement transformés en HFE. Cela sest traduit par le renvoi de la moitié de la main-duvre, la simplification des structures internes pour se concentrer sur ladministration des actifs dEtat, et la mise en place de conseil dadministration et de supervision, comme lexige le Code des sociétés en Chine (21).
De la même manière que pour les bureaux industriels, la municipalité de Shanghai a également restructuré sa bureaucratie commerciale. Un des exemples les plus marquants est celui du Bureau du commerce n°1. A lorigine responsable de toutes les opérations de ventes en gros et au détail de la ville, ce bureau a été transformé en trois groupes dentreprises ayant le statut de HFE. Toutefois, cette restructuration na pas été sans problème. Tout le monde nétait pas daccord sur le nombre de HFE à créer : le Bureau souhaitait nen créer quune alors que les filiales des entreprises dEtat désiraient en établir plusieurs (une HFE pour chaque grande entreprise dEtat). Après une années de tergiversations, les deux plus grands groupes dépendant du Bureau du commerce n°1 (le Groupe du Grand magasin n°1 et le Groupe du Grand magasin Hualian) ont obtenu le statut de HFE. Par ailleurs le Groupe du Magasin de lamitié pouvait mettre en avant le fait que la nature de ses activités était suffisamment différente de celle des deux autres détaillants pour quil soit géré indépendamment. Il devint ainsi la troisième HFE à être formée à partir du Bureau du commerce n°1.
En dehors de ces trois détaillants, le Bureau du commerce n°1 soccupait également de diverses opérations de vente en gros dans la ville. Au début, le projet était de créer un seul groupe, mais il dut rapidement être abandonné dans la mesure où il reposait léternel problème de la division du travail dans une économie planifiée. Comme la souligné un observateur, la répartition des différents grossistes au sein des trois nouvelles HFE était effectuée en dépit de toute logique (22). En outre, ces HFE luttaient entre elles pour obtenir les droits de propriété de ces grossistes, car bien que ceux-ci soient tous déficitaires, ils sont souvent situés sur des terrains dune valeur immobilière potentiellement très élevée. Finalement, lempire que représentait le Bureau dui Commerce n°1 a été divisé en plusieurs parties qui ont été remises aux trois HFE en fonction de leur taille et de leur influence politique.
Dans ce processus de restructuration, le Bureau commercial n°1 a été fermé et ses employés ont été répartis dans les différentes unités de lappareil du Parti. Si quelques administrateurs compétents ont intégré la Commission du commerce nouvellement restructurée, la plupart des hauts responsables ont choisi de rejoindre les HFE. Ainsi, lancien directeur du bureau (juzhang) est devenu président du Groupe du Grand magasin n°1, et les deux directeurs adjoints les plus influents ont pris les postes de directeurs des groupes Hualian et Magasin de lamitié. Ainsi, la résistance politique à cette restructuration a pu être minimalisée. Néanmoins, le fait que la réorganisation du personnel a été menée dans un environnement fermé et non concurrentiel illustre un des problèmes fondamentaux des HFE.
Les implications de la réforme de la propriété des entreprises dEtat
La formation dune structure administrative des actifs dEtat à trois niveaux a considérablement allégé le mode de gestion bureaucratique en vigueur jusque-là dans le cadre dune économie planifiée. Une division du travail plus rationnelle a également facilité la restructuration des entreprises dEtat de Shanghai. Cest pourquoi il est important de considérer la création des HFE comme une nouvelle étape sur le chemin qui conduira la Chine vers une véritable économie de marché.
Les HFE sont ainsi des outils permettant de mélanger différentes formes de propriété. Une des principales tâches des HFE consiste en effet à diversifier la propriété de leurs filiales afin de restructurer leurs actifs.
Toutefois, la direction suivie par les HFE met au jour une certaine contradiction dans leur rôle. Dun côté, elles sont conçues comme un outil permettant dapprofondir la restructuration des actifs dEtat à Shanghai sur la base du marché, leur rôle principal étant de mener à bien la diversification des la propriété des entreprises dEtat et de réduire les duplications industrielles par les fusions, les fermetures ou les faillites. Dun autre côté, les HFE ont été conçues comme un moyen de renforcer linfluence de lEtat sur le secteur étatique. En effet, en transformant les anciens bureaux et les grands groupes dentreprise en HFE, le gouvernement espère pouvoir gérer et contrôler de manière plus efficace les mouvements dactifs de lEtat. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement de la municipalité de Shanghai exerce un contrôle très serré sur la direction des HFE, contrôle qui a permis à lEtat-Parti de maintenir  voire même de renforcer  son influence. En effet, pour le moment, celui-ci contrôle de très près toutes les nominations aux plus hauts échelons des HFE (23). Les directeurs nont pas été nommés selon un processus compétitif, et ils comptent plutôt sur leur loyauté et sur leur rang dans la hiérarchie du Parti pour obtenir les meilleurs postes. Il est clair que cela réduit considérablement lefficacité des HFE, et limite leur autonomie vis-à-vis du gouvernement.
La perpétuation du contrôle du Parti sest aussi traduite par une certaine continuité dans le personnel. Comme lillustre le cas du Bureau du Commerce n°1, les anciens bureaucrates se sont vus attribuer de nouveaux titres avant dêtre lancés dans le monde des affaires. Si cette situation limite toute résistance politique potentielle aux tentatives de restructurations, elle permet néanmoins à lEtat-Parti de continuer à jouer un rôle majeur dans la direction des HFE. Elle montre bien, également, les difficultés quont les HFE à se débarrasser des fardeaux du passé. Par ailleurs, si lun des points centraux de cette restructuration a été de faire de ces HFE des administrateurs dactifs, la plupart continuent délaborer des projets dinvestissement et de production en ayant recours aux vieilles formules (24).
Bien sûr, par le biais de fusions, de fermetures, de joint ventures et de transactions immobilières, les HFE ont réalisé dénormes progrès dans la restructuration des filiales des entreprises dEtat. Néanmoins, la plupart des ces actions ont été menées dune manière administrative et dans le cadre des limites inhérentes aux HFE. Comme le montre le cas de la SAIC, ces opérations sont souvent dirigées par les échelons supérieurs sans grande considération pour les questions de complémentarité industrielle ou pour les critères defficacité.
La continuité du contrôle de lEtat-parti sur la gestion des actifs de lEtat se reflète également dans le fait que les investisseurs extérieurs nont que des parts minoritaires dans les entreprises dEtat transformées en sociétés par actions. Le plus souvent, celles-ci ne vendent environ que 10 % des actions à leurs ouvriers pour obtenir le statut de société à responsabilité limitée. Si cela renforce le contrôle des ouvriers sur la performance des gestionnaires, la différence est peu perceptible en matière dinfluence et de contrôle de lEtat. Par ailleurs, de nombreuses entreprises dEtat ont rencontré de sérieuses difficultés pour trouver des investisseurs, et sont donc devenues des SARL entièrement possédées par lEtat (25). Cela montre que les institutions de gestion des entreprises stipulées dans le Code des entreprises chinoises ont été établies dune manière artificielle et que, finalement, peu de choses ont changé dans la culture opérationnelle des entreprises dEtat.
Finalement, les HFE sont un produit de léconomie politique tout à fait particulière quest celle de la Chine daujourdhui. Sil est dans lintérêt des responsables des HFE de diversifier leur base dactifs, de rationaliser leur structure de production et daccroître les retours sur les actifs quils gèrent, leurs impératifs de gestion sont surtout dictés par des questions politiques dans la mesure où la carrière des hauts responsables de ces holdings continue dêtre déterminée par le Parti communiste chinois. Ainsi, les directeurs des HFE cherchent avant tout à rehausser leur statut dans la hiérarchie politique et à accroître la taille de leur société. Le plus grand danger qui guette les HFE est de rechercher des rentes et des faveurs politiques sans pour autant améliorer lefficacité des entreprises.
La stratégie de réformes économiques progressives suivie par la Chine a produit un nouveau phénomène : les holdings financières de lEtat. Celles-ci constituent loutil principal permettant au gouvernement chinois de diversifier les actifs des principales entreprises dEtat. Toutefois, tant que les HFE resteront intimement liées à lEtat-parti et seront avant tout considérées comme un moyen pour lEtat de renforcer son influence et son contrôle sur la gestion des entreprises dEtat, leur efficacité demeurera très circonscrite. Finalement, le succès des HFE dépendra dans une large mesure de leur capacité à diversifier les actifs des filiales et, si possible, à jouer le rôle dactionnaires minoritaires au sein de sociétés qui étaient autrefois entièrement possédées par lEtat. Si elles ny parviennent pas, elles perpétrerons linfluence de la politique et de la bureaucratie dans le système de gouvernement des grandes entreprises dEtat, et elles diminueront dautant les chances quont celles-ci de pouvoir être transformées en des conglomérats autonomes, concurrentiels au niveau international, et capables de sadapter aux impératifs du marché.
 
         
        