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Le déficit des entreprises d’Etat
A lheure où la réforme des entreprises dEtat semble prendre un tournant décisif avec la réforme de la propriété, il apparaît intéressant de se pencher sur les chiffres de leur déficit et de leur endettement. En effet, une des justifications majeures des récentes décisions repose sur les effets de lendettement du secteur dEtat sur léquilibre du système financier.
Le poids du déficit des entreprises dEtat dans le déficit public
Dans le déficit global du secteur public, il faut dabord distinguer le déficit budgétaire proprement dit, de celui des entreprises publiques qui nous intéresse ici. Première indication, le déficit des entreprises dEtat est de loin le plus important dans le déficit total du secteur public puisque le déficit budgétaire ne représentait en 1995 que 1,7 % du PIB (1). Les pertes des entreprises dEtat, elles, bien quaugmentant sans interruption en termes réels depuis 1988, voient leur part diminuer progressivement lorsquon les rapporte au PIB, passant de 10,3 % en 1993 à 7 % en 1995. Cependant, à ce chiffre de 7 %, il convient dajouter les subventions accordées par lEtat même si elles ne représentent quune petite partie du déficit des entreprises et sont en diminution constante depuis le début des réformes. Si on se réfère aux chiffres officiels, en 1995, ces subventions représentaient 19,3 milliards de yuans pour les entreprises productives et 13,4 milliards de yuans pour les organisations non-productives, soit à peine 0,5 % du PIB. Les estimations de la Banque mondiale confirment la baisse de ces subventions, mais indiquent un niveau plus élevé en introduisant dautres critères de calcul. Les subventions seraient ainsi passées de 7,5 % du PIB en 1992 à 2,3 % en 1994, puis aux environs de 1 % en 1995. Cependant, à ce chiffre la Banque mondiale ajoute les « subventions implicites » regroupant les prêts à faible taux dintérêts et les annulations partielles ou totales des dettes qui sont accordées aux entreprises, bien que les subventions de ce type aient également chuté (de 3,6 % du PIB en 1992 à 1,7 % en 1994). Cependant, dautres subventions déguisées continuent dêtre distribuées aux entreprises dEtat par lintermédiaire des banques au niveau local. Le signe le plus évident est que laugmentation des salaires dans le secteur étatique a largement dépassé celle de la productivité du travail, notamment dans les entreprises déficitaires (+ 21,3 % pour les salaires entre le début 1994 et la fin 1995 contre + 2,1 % pour la productivité du travail sur la même période) (1). Toutefois, à notre connaissance, aucun chiffre na été publié sur le montant réel de ces subventions déguisées. Au total, si lon tient compte uniquement du montant connu des subventions accordées aux entreprises dEtat et devant la difficulté à estimer les autres subventions déguisées, le déficit des entreprises dEtat à lui seul avoisinerait au moins 10 % du PIB.
A la recherche dun financement non-inflationniste
La figure ci-dessous retrace lévolution du financement du déficit global du secteur public (déficit budgétaire et déficit des entreprises dEtat) à partir des calculs effectués par la Banque mondiale. Celle-ci a souligné que plusieurs problèmes de calculs sétaient posés. Dune part, il était impossible dans les statistiques officielles chinoises de distinguer si les obligations émises par le secteur public étaient détenues par celui-ci ou par le secteur non étatique. La Banque mondiale a pris le parti de considérer que toutes les obligations émises sont détenues par le secteur public tout en reconnaissant que cette hypothèse pourrait conduire à une sous-estimation de lendettement du secteur public. Dautre part les statistiques officielles ne distinguent pas les prêts du secteur bancaire par catégorie de propriété, ce qui rend difficile le calcul de ce qui revient au secteur public. Malgré ces limites, la Banque mondiale estime que le financement du déficit public est effectué à hauteur de 60 % par les banques, avec cependant quelques évolutions provenant des choix de politique macro-économique du gouvernement. Celui-ci a en effet cherché depuis 1994 à adopter un financement moins inflationniste du déficit, notamment en réduisant les subventions. Il a également cherché à limiter les investissements des entreprises dEtat en augmentant les taux dintérêts, ce qui a eu pour effet de réduire le montant des crédits bancaires accordés aux entreprises dEtat. Mais la Banque centrale a également réagi en réduisant considérablement ses prêts au secteur public, et en forçant les entreprises dEtat à augmenter leurs dépôts bancaires (partie négative sur le schéma pour 1994 et 1995). Enfin, le recours aux ventes de bons du trésor aux ménages a été plus largement utilisé.
Inflation ou chômage et endettement triangulaire : un arbitrage difficile
Peut-on dire pour autant que linfluence de lendettement des entreprises publiques sur le système financier est moins préoccupante quen 1993 ? Il semble tout au moins que les caractéristiques de fonctionnement des entreprises dEtat qui ont été à lorigine des pressions inflationnistes entre 1993 et 1995 naient pas été réformées, entraînant deux autres formes de déséquilibres macro-économiques : linsolvabilité des entreprises dEtat et laugmentation du chômage déguisé. The Economist révélait récemment que, daprès des sources officielles chinoises, le montant des créances douteuses des banques chinoises représenterait environ 22 % du total des prêts accordés (2). Cette détérioration est en grande partie due à linsolvabilité des entreprises dEtat. La hausse des taux dintérêts a non seulement renchéri le service de la dette des entreprises, mais également réduit les prêts accordés pour financer les capitaux circulants (paiement des fournisseurs, des salaires, etc.). Or comme dans toutes les économies socialistes en transition, les entreprises dEtat financent leurs besoins en capitaux circulants par des crédits bancaires, à la différence des entreprises des pays capitalistes qui puisent dans leurs réserves dautofinancement (3). Le plan de stabilisation de 1994 a donc réduit les causes de linflation, à savoir la création de monnaie par les subventions budgétaires pour combler le déficit des entreprises dEtat, les crédits de la banque centrale, ainsi que le financement des besoins en fonds de roulement par crédits bancaires. Mais il a eu pour contrepartie daccélérer linsolvabilité des entreprises dEtat avec notamment la hausse vertigineuse de lendettement triangulaire (ou croisé) entre les entreprises, qui sapparente en fait à un déficit non financé par le système financier chinois. Daprès les chiffres fournis par le Bureau des statistiques chinois, il aurait augmenté de 400 milliards de yuans entre 1995 et 1996 pour atteindre un total de 1 000 milliards de yuans (18 % du PIB). Dans un contexte où les structures industrielles irrationnelles ont conduit à une offre excédentaire de produits par rapport à la demande, il devenait très difficile pour une grande majorité dentreprises de se désendetter par le développement de nouvelles parts de marché. Elles ont donc cherché, dans la mesure du possible, à limiter les sureffectifs et à placer plus demployés dans cette catégorie (préretraite, retraite, chômage technique). Dans les régions les plus touchées par la crise financière, les entreprises ont de plus en plus de mal à payer les salaires et les retraites de leurs employés. Cet arbitrage entre inflation et chômage est un phénomène courant en matière de politique économique. La montée de linflation entre 1992 et 1995 reposait bien sur des phénomènes réels qui nont pas disparu : inefficacité des entreprises dEtat, irrationalité des structures industrielles, sureffectifs, obsolescence des technologies, augmentation des salaires supérieure à celle de la productivité du travail. Linflation a donc pu être jugulée, mais les problèmes nayant pas été traités à la base, ils se manifestent désormais par les phénomènes économiques tels que linsolvabilité des entreprises et le chômage déguisé. Le gouvernement chinois néchappera donc pas aux réalités et notamment à la nécessité de restructurer les entreprises dEtat.
