BOOK REVIEWS
La réforme constitutionnelle
En juillet 1997, pour la quatrième fois en moins de dix ans, la Constitution de la République de Chine a subi une importante révision. Mais tandis que les trois premières séries damendements constitutionnels (1991, 1992 et 1994) avaient pour objectif de permettre une démocratisation dinstitutions taillées en 1947 pour lensemble de la nation chinoise et restées pendant longtemps gelées, cette nouvelle retouche à la Loi fondamentale du régime de Nankin a consisté à définir un meilleur équilibre entre les principales branches du pouvoir dEtat, équilibre supposé plus adapté à la situation de Taiwan aujourdhui.
Bien que cette révision ait indéniablement consolidé les prérogatives du président de la République et du gouvernement (Yuan exécutif), contrairement à ce que ses détracteurs ont prétendu, elle na pas pour autant restreint les compétences du Parlement (Yuan législatif). De fait, ce sont surtout les institutions originales de la République de Chine (à Taiwan) qui ont vu leur rôle passablement affaibli, sinon marginalisé (cest-à-dire le Yuan de Contrôle et le gouvernement provincial). Mais ayant donné lieu à de difficiles négociations entre les deux principales forces politiques de lîle le Kuomintang (KMT) et le Parti démocrate progressiste (PDP) comme au sein de chacune dentre elles, ces dix nouveaux amendements sont encore loin davoir apporté à la Constitution taiwanaise sa forme définitive.
Une constitution hybride
Depuis son origine, la Constitution de la République de Chine est un texte hybride : si, dune part, elle institua une présidence de la République forte mais élue par une Assemblée nationale, une sorte de Sénat chargé principalement de réviser la Constitution, elle instaura en même temps un gouvernement dirigé par un premier ministre désigné par le chef de lEtat avec lapprobation du Yuan législatif qui constitue en fait le véritable Parlement et responsable devant ce dernier. Il est vrai que, comme lindiquent aujourdhui certains spécialistes taiwanais tels que Hu Fo, lun des objectifs des constitutionnalistes de 1947 était de restreindre les prérogatives de Tchiang Kaï-shek. Mais outre le fait que celui-ci naurait jamais accepté une Loi fondamentale qui leût confiné dans un rôle honorifique, les longues années de loi martiale puis lintroduction en 1994 par Lee Teng-hui de lélection du président et du vice-président de la République au suffrage universel direct ont dabord créé une pratique institutionnelle, puis apporté un supplément de légitimité qui ont lune comme lautre contribué à renforcer les pouvoirs du chef de lEtat. En dautres termes, la révision constitutionnelle de 1997 reposait sur des fondements difficiles à remettre en cause sans opérer un complet changement de modèle institutionnel, changement auquel le pays nétait pas prêt. Ces fondements sont ceux de tous les régimes semi-présidentiels, cest-à-dire les Etats dotés à la fois dun président élu au suffrage universel direct et dun chef de gouvernement responsable devant le Parlement.
Le modèle français
Il est clair quà lintérieur de ce type de régime, la répartition des compétences entre le chef de lEtat, le premier ministre et lorgane législatif est loin dobéir à une règle uniforme : la France, la Corée du sud, la Russie, la Pologne et le Portugal constituent dans un ordre décroissant des compétences présidentielles autant dexemples de ses possibles variations.
Cependant, plusieurs raisons ont incité la direction du KMT à sinspirer ouvertement du système politique français et à consolider plus quà renforcer dailleurs les pouvoirs du président de la République. Tout dabord, nous lavons déjà évoqué, une longue tradition institutionnelle avait doté celui-ci de larges prérogatives : si un certain nombre de ses décisions sont soumises à lapprobation de lAssemblée (la nomination des membres du Yuan judiciaire), du Parlement (la proclamation de létat de siège) ou du premier ministre (le contreseing des lois et décrets promulgués), il a constamment possédé de larges pouvoirs propres. Ainsi, chef des Armées de par la Constitution, il dirige directement la hiérarchie militaire sur laquelle le gouvernement et le ministère de la défense nexercent quun faible contrôle administratif. Ensuite, la persistance dune forte menace extérieure à lexistence même de la République de Chine nest pas non plus de nature à remettre en question cette relative centralisation des pouvoirs entre les mains du chef de lEtat et de la présidence (zongtongfu). Par ailleurs, depuis 1992, le gouvernement éprouvait des difficultés de plus en plus grandes à voir ses projets de lois approuvés par un Yuan législatif, certes désormais représentatif de Taiwan, mais dautant plus sûr de son bon droit quil ne courrait jamais le risque dêtre dissous par lexécutif. Enfin, leffritement de la majorité parlementaire du KMT (85 sièges sur 164 et 81 sur 163 aujourdhui) et lindiscipline des membres de celle-ci ont également incité Lee Teng-hui et ses conseillers à rendre le gouvernement moins tributaire des humeurs et des intérêts daffaires des députés. Et limpossibilité du premier ministre Lien Chan, après son élection en mars 1996 à la vice-présidence de la République, de se présenter devant un Parlement dont la moitié des membres contestaient la constitutionnalité de ce cumul de fonctions, a achevé de convaincre Lee Teng-hui de lurgence dintroduire une certaine dose de « monarchie élective » sinon de « coup dEtat permanent » dans la Constitution de son pays (1).
Trouver un accord avec le PDP
Or, depuis lélection de la nouvelle Assemblée nationale, en mars 1996 également, le KMT se trouvait dans limpossibilité dadopter une nouvelle réforme constitutionnelle sans lappui du PDP, le principal parti dopposition. En effet, sil restait libre de se passer du soutien du Nouveau Parti (14 % des sièges), devant réunir règle inhabituelle une majorité des trois quarts des membres de lassemblée (art. 174 de la Constitution), le KMT (55 % des sièges) se voyait contraint de passer un compromis avec le PDP (30 % des sièges).
Cest la raison pour laquelle le premier acte de cette réforme constitutionnelle fut lorganisation par le pouvoir en décembre 1996 dune Conférence sur le développement national (guofahui) dont le but était de construire un consensus politique entre les trois principales formations politiques taiwanaises non seulement sur les futures institutions du pays mais aussi sur les relations avec la Chine continentale et sur la stratégie économique du gouvernement.
Lon sait que, favorable à un système de cabinet (neige) largement inapplicable sauf remise en cause de la réforme constitutionnelle de 1994 et surtout destiné à affaiblir Lee Teng-hui, son ennemi public numéro un, le Nouveau Parti décida de boycotter après trois jours de participation une conférence où, il faut ladmettre, lavis de ses représentants ninfluença guère le projet de réforme du KMT.
Ce nétait pas le cas des membres du PDP qui, en échange dune consolidation des pouvoirs de lexécutif, obtinrent alors un renforcement des prérogatives du Parlement. Il est vrai que dun côté le KMT eut gain de cause : le Parti indépendantiste accepta de supprimer lobligation du premier ministre de voir sa nomination approuvée par le Yuan législatif, et de doter le président du pouvoir de dissoudre ce dernier. Mais en échange, le PDP obtint non seulement le droit pour le Parlement de déposer une motion de censure contre le chef du gouvernement disposition que le KMT feignit de marchander bien quil leût depuis le départ prévue mais aussi de mettre en accusation le chef de lEtat et de contrôler les comptes de la nation (pouvoirs auparavant détenus par le Yuan de Contrôle).
En outre, les deux partis se mirent daccord pour introduire des mécanismes dinitiative populaire (chuangzhi) et de référendum (fujue), pouvoirs curieusement monopolisés par lAssemblée nationale depuis 1947, pour geler et simplifier les institutions de la province de Taiwan, et pour substituer aux responsables élus de cantons (xiang) et de bourgs (zhen), connus pour leur incurable vénalité, des fonctionnaires désignés probablement par léchelon administratif supérieur (les districts).
Enfin, le KMT et le PDP sentendaient à la fois pour augmenter le nombre de députés du Yuan législatif, diminuer celui des membres de lAssemblée nationale, élire ces derniers sur un scrutin de liste et sur la base des résultats des différents partis aux élections nationales (et sans doute présidentielles), ainsi quintroduire une réforme du système électoral taillée sur le modèle de celle que le Japon avait mise en uvre pour la première fois en 1996 (2).
Le KMT et le PDP divisés
Toutefois, ces mesures nont pu être transformées en amendements constitutionnels dans leur ensemble. Loin sen est fallu et la raison principale est à rechercher non pas tant dans le KMT quau sein de lAssemblée nationale et du PDP, une formation aujourdhui largement divisée. Certes, lannonce du gel des institutions élues de la province de Taiwan provoquèrent au cours des premiers mois de 1997 une longue bouderie de James Soong (Soong Chu-yu), le gouverneur provincial, qui accusa, sans tout à fait convaincre, la direction du KMT dont il est membre de ne pas lavoir consulté. Mais, refusée par Lee Teng-hui, sa vraie fausse démission fut progressivement oubliée. Cest pourquoi, si la sombre bataille qui met aux prises Lien Chan et Soong est loin dêtre achevée, ce dernier, aujourdhui marginalisé, na pas pu ralentir outre mesure la réforme constitutionnelle de 1997.
Lon ne saurait dire la même chose de lAssemblée nationale dont les députés KMT sont parvenus à bloquer toutes les réformes qui auraient pu restreindre ses pouvoirs ou par trop accroître ceux du Parlement (modification de son mode délection et diminution du nombre de ses députés, allongement de trois à quatre ans du mandat du Yuan législatif, transfert du pouvoir de contrôle des comptes à cette dernière instance, référendum populaire).
Lon ne peut non plus avancer le même constat sur le PDP. En effet, depuis lété 1996, de profondes rivalités opposent les principaux responsables de ce parti, en particulier Hsu Hsin-liang, le président du PDP, favorable à la formation dun gouvernement de coalition avec le KMT, et Chen Shui-bian, le maire de Taipei, désireux de maintenir le parti indépendantiste dans un rôle de contestation plus marqué du pouvoir en place. Cest la raison pour laquelle ce dernier avait refusé de participer, sans toutefois en critiquer le principe, à la Conférence nationale sur le développement. Laffaiblissement de la faction Formosa (Meilidao), dont Hsu est lun des chefs de file, la montée en puissance du Front pour la justice (zhengyi lianxian) dirigé par Chen, les bonnes relations quentretiennent celui-ci et le Front pour lEtat providence (fuliguo lianxian) de Hsieh Chang-ting ainsi que le rapprochement intervenu au printemps 1997 entre Chen et le Nouveau Courant (xinchaoliu), dont Chiu Yi-jen, le secrétaire général du PDP, est lun des plus puissants représentants, ont donc contribué à remettre partiellement en cause les engagements pris par le Parti indépendantiste en décembre 1996 (instauration dune élection présidentielle à deux tours) et imposé au KMT un marchandage plus âpre que prévu (restriction du pouvoir de dissolution ; et abandon de la suspension des élections des chefs de cantons et de bourgs (3)). Limpossibilité pour Hsu, lors du congrès du PDP qui sest tenu en septembre 1997, de faire accepter un renforcement de ses prérogatives et la mise en place par Chen dun quartier général de campagne pour lélection des chefs de districts et des maires de la fin novembre 1997 distinct et concurrent de celui de la direction du parti, nont pu que confirmer lexistence dun double pouvoir au sein du PDP.
La montagne accouche dune souris ?
Dans de telles circonstances, la réforme constitutionnelle de 1997 ne pouvait se concentrer que sur ce que le KMT estimait essentiel, repoussant à des jours meilleurs ladoption des autres mesures approuvées en décembre 1996.
Après de multiples négociations entre le KMT et le PDP, présidées dune main de maître par laffable Wu Po-hsiung, le secrétaire général du parti nationaliste, mais aussi au sein de chacune de ces deux formations, négociations dont laboutissement coûtèrent à Lien Chan ses fonction de premier ministre (4), et à lissue de plusieurs pressions efficaces exercées sur les députés du KMT proches de James Soong (telle la menace déventer quelques-unes de leurs indélicatesses), le 18 juillet 1997 onze nouveaux amendements étaient adoptés en troisième lecture par lAssemblée nationale. Le 21 juillet, ils étaient promulgués par le président de la République (5).
Cette révision constitutionnelle est tout de même parvenue à introduire deux réformes primordiales : lune concerne les relations entre lexécutif et le législatif, lautre lavenir des institutions provinciales.
La consolidation des pouvoirs du président
Il est incontestable que cette réforme a permis une consolidation des prérogatives présidentielles. Le chef de lEtat est désormais en droit de désigner le premier ministre sans lapprobation du Yuan législatif et de dissoudre le Parlement, si celui-ci dépose une motion de censure (buxinren an), et ceci sans avoir à obtenir laccord du chef du gouvernement (article additionnel 25).
Certes, ce pouvoir de dissolution nest pas sans limites. Ainsi, le président a pour obligation de consulter le premier ministre avant de prendre une telle décision. Et plus important, contrairement au souhait du KMT qui était partisan dinterdire, au cours de la première année du mandat du Yuan législatif, lutilisation du pouvoir de dissolution, lexercice de cette nouvelle prérogative est aujourdhui directement lié au dépôt dune motion de censure (6). En outre, le président de la République ne peut dissoudre le Yuan législatif en période détat de siège (loi martiale) ou détat durgence. Cependant, cette nouvelle disposition, qui oblige lorganisation de nouvelles élections parlementaires dans un délai de 60 jours, est de nature à restreindre toute utilisation abusive par le Parlement de larme de la motion de censure.
Laffirmation des prérogatives du Yuan législatif
Il est clair que dans lesprit du KMT comme du PDP, le Yuan législatif est appelé à rester le principal contrepoids à laction de lexécutif. Ayant obtenu une augmentation du nombre de ses membres (225 à compter de 1998), le Parlement est désormais doté de plus larges prérogatives. Il dispose tout dabord dune compétence nouvelle la censure du chef du gouvernement qui est seule à même de véritablement équilibrer le pouvoir de dissolution du président. Bien que, pour des raisons avant tout polémiques, bon nombre dobservateurs locaux naient pas compris, ou aient refusé de comprendre, le lien qui existe entre ces deux dispositions, dans la plupart des régimes semi-présidentiels, ce lien est essentiel.
Ainsi, avec lapprobation dun tiers de lensemble des députés, le Yuan législatif peut déposer une motion de censure contre le président du Yuan exécutif. Si celle-ci est approuvée à la majorité simple, le chef du gouvernement doit présenter sa démission dans un délai de dix jours mais peut aussi en même temps demander au président de la République de dissoudre le Parlement (art. addit. 35). Cependant, ce pouvoir a été également réglementé : en cas déchec de la censure, le Yuan législatif ne peut déposer une nouvelle motion contre le même premier ministre pendant une période dun an.
Mais le Yuan législatif a vu à deux autres titres ses pouvoirs élargis. Dune part, il peut plus aisément imposer au gouvernement des mesures ou des lois que celui-ci estime « difficilement applicables ». En effet, si le Yuan exécutif reste en droit, avec lapprobation du président, de demander au Parlement de reconsidérer (fuyi) toute décision de cette nature dans un délai de 15 jours, un second vote de la moitié des députés (contre les deux tiers auparavant) contraint le gouvernement à sincliner. Dautre part, pouvoir auparavant détenu par le Yuan de Contrôle, le Yuan législatif peut engager, à la majorité simple, une procédure de mise en accusation (tanhe, impeachment) du président de la République sil soupçonne celui-ci de trahison ou de rébellion : toute mise en accusation approuvée par les deux tiers des députés est transmise à lAssemblée nationale pour approbation (art. addit. 45). Si celle-ci confirme, à la majorité qualifiée également des deux tiers, cette décision, le chef de lEtat est obligé de démissionner (art. addit. 210).
Seul point noir au tableau des députés : ceux-ci ont vu leur immunité limitée aux périodes des sessions parlementaires. Cette mesure a été approuvée par la Haute Assemblée avec dautant moins de difficultés que les membres de cette dernière sont soumis à ce « régime » depuis 1947 (art. 33 de la Constitution)
Le premier ministre : la véritable victime des nouveaux amendements ?
Choisi par le président mais toujours responsable devant le Parlement, le premier ministre nest-il pas la véritable victime de cette quatrième révision constitutionnelle ?
Afin de mieux appréhender le nouveau rôle du chef du gouvernement et du Yuan exécutif dans son ensemble, deux cas de figure, qui sont désormais bien familiers aux Français, doivent être envisagés : 1) correspondance des majorités présidentielle et parlementaire ; 2) cohabitation de deux majorités contraires.
1) Dans le premier cas, le chef du gouvernement reste le fidèle exécutant, et ses services le bras daction administratif du président. Comme en France, il est à la fois le bouclier chargé de défendre la politique du chef de lEtat contre les attaques du Parlement et le « fusible » prêt à sauter si les assauts des députés ou de lopinion publique viennent à menacer directement le président. Plaçant le chef de lEtat dans une situation confortable et connue de relative « irresponsabilité politique », plus quhier, le premier ministre peut être sacrifié sur lautel de la bonne intelligence entre lexécutif et le législatif. Le départ promis et attendu de Lien Chan fin août 1997 de la présidence du Yuan exécutif, et son remplacement par Vincent Siew, une personnalité plus apte à gagner le soutien des parlementaires, y compris de lopposition, met au jour à la fois la grande utilité institutionnelle mais aussi la non moins grande aridité voire instabilité politique de cette fonction.
2) En cas de cohabitation, cas qui ne sest pas encore présenté à Taiwan, lexpérience française pourrait-elle être dune quelconque utilité ? Dans une certaine mesure seulement. Il est clair que si demain (par exemple en 1998), le PDP devenait majoritaire au Yuan législatif, le chef du nouveau gouvernement appartiendrait très probablement à ce parti. Le président naurait dautre choix que de se soumettre et de promulguer dans un délai de dix jours, comme ly enjoint la Constitution (art. 72), les lois adoptées par le nouveau Parlement. Et pendant une certaine période, sauf majorité instable, le Yuan législatif aurait dautant moins de raisons de déposer une motion de censure quil risquerait de donner loccasion au chef de lEtat de déclencher une procédure de dissolution.
Toutefois, lon peut se demander si, dans une telle situation, le président taiwanais ne jouirait pas dune marge de manuvre plus large que son homologue français pour des raisons à la fois institutionnelles et politiques. En effet, dune part, fort de ses prérogatives constitutionnelles et de lorganisation actuelle des pouvoirs, il serait très certainement tenté de conserver un domaine réservé autrement plus large et moins « partagé » quen France (défense, politique étrangère, politique continentale et services secrets) quil pourrait utiliser pour imposer à un gouvernement dopposition dimportantes limites à son action, y compris dans des domaines traditionnellement du ressort de ce dernier (politique économique et sociale). Dautre part caractéristique de la culture politique chinoise, voire asiatique ? et sinspirant de la pratique sud-coréenne, lon ne peut exclure que le chef de lEtat cherche à négocier en coulisse avec la nouvelle majorité parlementaire et dans une position de moins grande faiblesse que son homologue français la nomination dun premier ministre « technique » ou de compromis.
Pour lheure, le danger à Taiwan nest pas laffrontement entre un président KMT et un Parlement PDP, mais la disparition de toute majorité nette. En dautres termes, plutôt que de devoir affronter une période de cohabitation tranchée, le président pourrait se trouver, notamment en 1998, dans lobligation de constituer une nouvelle majorité politique. La désignation de Vincent Siew ne préfigure-t-elle pas déjà la formation dun futur gouvernement de coalition entre le KMT et le PDP ?
La province de Taiwan (et James Soong) : victime secondaire des nouveaux amendements
Le gel des institutions provinciales a retenu lattention de nombreux observateurs non seulement en raison de la rébellion de James Soong mais aussi des réactions négatives de Pékin. Or, cette publicité constitua dune certaine manière une aubaine pour la direction du KMT qui put ainsi faire passer les amendements que nous avons décrits plus haut, somme toute assez aisément, sans pour autant linciter à reculer sur une réforme qui, réclamée depuis longtemps par le PDP, paraît indispensable aux yeux de la plupart des contribuables.
En effet, un pays plus petit que la Suisse a-t-il vraiment besoin de cinq niveaux dadministration (central, provincial, district, canton ou bourg, village ou arrondissement) ? Relique du passé coiffant lensemble de Taiwan sauf les villes de Taipei et de Kaohsiung, le gouvernement provincial de Taiwan est depuis longtemps la source dun supplément à la fois de lenteur bureaucratique et de corruption politique. Mais jouissant de larges compétences économiques (banques, entreprises) et fiscales (les revenus du monopole en voie de démantèlement des tabacs et des alcools), le gouvernement provincial ne pouvait être brusquement aboli.
Cest la raison pour laquelle la révision de juillet 1997 a simplement consisté à suspendre, à compter de décembre 1998, lélection du gouverneur et de lassemblée de la province, remplacés respectivement par un fonctionnaire entouré dun comité de huit membres dune part, et par un conseil consultatif (shengzi yihui) à la taille indéterminée dautre part, lun comme lautre nommés par le président de la République sur proposition du premier ministre (art. addit. 9).
Aujourdhui, lobjectif officiel de cette réforme est la simplification de ladministration provinciale. Et depuis laccession de Vincent Siew à la tête du gouvernement, James Soong semble mieux disposé à participer à cette tâche. Mais il est clair que cette entreprise ne constitue que la première étape dune restructuration qui devrait conduire à terme à la suppression pure et simple de cet échelon administratif, quoi quen dise Pékin dont le rêve semble être la conservation religieuse des institutions fictives transférées du Continent par Tchiang Kaï-shek en 1949 (7).
Le Yuan judiciaire : vers un véritable troisième pouvoir ?
Enfin, deux mesures de nature à accroître lindépendance de linstitution judiciaire ont été adoptées. Dune part, désormais, le gouvernement na plus de prise sur le budget du « troisième pouvoir » qui reste soumis au seul contrôle du Parlement. Dautre part, au nombre de 15, les Grands Juges seront à lavenir nommés par moitié tous les quatre ans pour un mandat de huit ans (et non plus de neuf ans). En 2003, huit membres du Yuan judiciaire, dont son président, seront désignés pour une période de seulement quatre ans. Ainsi, espère-t-on une évolution plus rapide et moins abrupte de linterprétation de la Constitution et des lois. Néanmoins, le mode de désignation des Grands Juges reste inchangé : ils continueront dêtre choisis par le président de la République avec lapprobation de lAssemblée nationale, une garantie supplémentaire dindépendance, notamment en période de cohabitation
Vers un régime semi-présidentiel ?
Au total, la quatrième réforme constitutionnelle a contribué à resserrer autour du binôme exécutif-législatif la répartition horizontale et verticale des pouvoirs de lEtat. Certes, le Yuan judiciaire a vu également son indépendance mieux reconnue. Et il a été impossible, pour des raisons avant tout politiques, dentreprendre la marginalisation de lAssemblée nationale (8). De même, bien quaffaiblis, le Yuan de Contrôle et le Yuan des Examens vont probablement continuer doccuper une certaine place dans le paysage institutionnel taiwanais qui conserve ainsi un lien encore symbolique avec la République des Cinq Conseils (yuan) imaginée par Sun Yat-sen. Mais il est désormais clair pour la plupart des décideurs de lîle que les trois pouvoirs chers à Montesquieu lemportent sur tous les autres. Et à lissue de la révision de 1997, la répartition des compétences entre ces trois pôles reste moins déséquilibrée quen France : tandis que le président ne sest pas mué en premier magistrat dune République impériale, libre de tout vote bloqué, le Yuan législatif est loin dêtre devenu la chambre denregistrement quest encore trop souvent lAssemblée nationale française. Enfin, la révision de la Constitution devrait se poursuivre. Lorsque les circonstances politiques le permettront, lon peut penser que le KMT et le PDP sentendront pour achever luvre dadaptation aux conditions présentes des institutions héritées du régime de Nankin.