BOOK REVIEWS
Cao Siyuan : Les vicissitudes de la Loi sur la faillite
Depuis le début des années 80, Cao Siyuan a pris part aux débats intellectuels autour de la réforme des entreprises dEtat (1). Convaincu de limportance de la mise en faillite pour renforcer les contraintes budgétaires des entreprises, il a consacré 16 ans de sa vie à la promotion de cette idée puis à lélaboration de la loi sur la faillite. Par la trajectoire de son auteur, Pochan Fengyun se distingue de tous les livres publiés sur le thème ces derniers mois en Chine. Plus personnel, louvrage de Cao Siyuan revient à la fois sur la saga qui a précédé lhomologation de la loi sur la faillite et sur les expériences quil a accumulées depuis louverture de son bureau de conseil sur la faillite. Ce livre largement autobiographique revêt aussi une dimension politique lorsque lauteur insiste sur limportance dune presse libre ou quil appelle de ses vux une transformation rapide de la propriété des entreprises dEtat. Même sil utilise des chemins de traverse, Cao Siyuan sinscrit en plein dans le débat politique actuel.
Né dans une famille de tailleurs de la ville de Jingdezhen, connue pour ses porcelaines, Cao Siyuan fait des études brillantes à lécole du Parti de sa ville natale. Mais, comme la plupart des gens de sa génération, il est envoyé travailler en usine, puis à la campagne. Six ans plus tard, il reprend ses études et devient létudiant de Yu Guangyuan, vice-directeur de lAcadémie des sciences sociales. Rapidement promu chercheur au Conseil des affaires dEtat, il y travaillera avec acharnement à la légalisation de la faillite. Peu de temps avant lhomologation du premier règlement national en novembre 1988, il quitte la carrière de haut fonctionnaire pour créer, avec le soutien de lentreprise informatique Stone, un bureau de consultation sur la faillite. Suite aux événements de 1989, son entreprise doit fermer pendant plus dun an, mais à sa réouverture en 1991, les affaires reprennent rapidement. La demande de consultation en matière de faillite saccroît dannée en année. Aujourdhui, il est mandaté par les gouvernements locaux et travaille à mettre en contact les entreprises faillies avec déventuels repreneurs.
Dans la première partie du livre, lauteur revient sur le processus qui a abouti à la loi sur la faillite. Il rend compte de son travail de lobbying quil qualifie de Yuan wai huodong (activités à lextérieur du Conseil des Affaires dEtat). Profitant de son statut et de ses contacts avec la classe dirigeante du pays, il envoie par exemple à titre personnel aux représentants de lAssemblée populaire un article intitulé « Parler du problème de faillite dentreprise ». Dans son livre, il insiste aussi sur le rôle de la presse. « Sil ny avait pas eu lintervention du wu mian zhi wang (roi sans couronne), notre you mian zhi wang (roi avec couronne : le parlement) naurait pas réussi à accomplir son rôle de législateur. La presse a servi de référence, de lieu de réflexion et à loccasion de lieu dapprentissage pour les législateurs de notre pays. » (p. 90) Cest ainsi que selon lui, lidée de la faillite a progressivement fait son chemin.
Déclarant avoir rédigé plus de 400 articles, Cao Siyuan a été la pierre angulaire de ce travail dans les médias. Il a su utiliser avec succès un espace de liberté que le pouvoir a un moment toléré. Cao exprime aujourdhui sa nostalgie de lépoque où la presse était encore un lieu ouvert aux débats didées :
« Le rôle de la presse a été de contribuer à lavancement de la démocratie et de la loi dans notre pays. Je lui rends hommage. La presse chinoise doit se souvenir de ces dix années. Qui voudra traiter de lhistoire de la presse en Chine devra parler de ces années-là. » (p. 91)
La presse a aussi, selon lauteur, joué un rôle déterminant dans le premier cas de faillite des réformes. Li Changchun, maire de Shenyang entre 1982 et 1987, constatant dans son travail quotidien lincapacité des politiques de réformes des entreprises dEtat à mettre fin aux marchandages avec ladministration, propose dans une conférence de travail la mise en faillite de certaines entreprises déficitaires de longue date. Pour faire face à labsence de base légale en la matière, le maire sappuie sur un article de Cao Siyuan publié dans la revue Liaowang. Dans un deuxième temps, il fera appel à lui pour élaborer le premier règlement provisoire qui entrera en vigueur en février 1985, trois ans avant le règlement national. Une année plus tard, lusine de matières anti-explosion de la ville, déficitaire depuis dix ans, fait faillite. Cet événement fera la une des médias nationaux.
En nous présentant les péripéties qui ont mené à ladoption de la Loi sur la faillite et en insistant sur le rôle de la presse et sur les qualités personnelles de quelques bureaucrates, Cao omet, à dessein peut-être, le rôle du gouvernement central. Lautonomie laissée à certains intellectuels est en effet relative et sinsère dans un système de gouvernement propre aux hommes qui dirigeaient alors le pays. En outre, même si Shenyang possède une autonomie dans la planification des réformes, il nest guère pensable quun essai avec une telle portée symbolique ait pu être mené sans un aval au plus haut niveau. Le voyage de Zhao Ziyang à Shenyang en février 1985 nest sans doute pas dû au hasard (2).
La suite de louvrage se centre sur un exposé thématique de différents cas de faillite dont lauteur sest occupé. Il sagit dun matériel riche et détaillé sur les différents problèmes que rencontre la Loi sur la faillite. Relevons, par exemple, un passage sur le protectionnisme local en matière de faillite. Dans les cas où les créanciers dune entreprise mise en faillite viennent dautres provinces, le pouvoir local qui gère le processus a tendance à protéger « son » entreprise. Le cas dune entreprise de vente en gros de Harbin vient illustrer ses dires. Mise en faillite en 1991, lentreprise réussit toutefois à obtenir un délai quelle utilisera pour transférer son capital vers une nouvelle entreprise. La manuvre permet déchapper au remboursement des dettes puisque, lorsquune année plus tard la faillite est enfin prononcée, il ne reste quune coquille vide de lancienne entreprise. Ces pratiques ont lieu avec la complicité de ladministration soucieuse de maintenir les emplois dans la ville.
Ailleurs, Cao critique lutilisation qui est faite de la fusion. A lorigine, ce processus volontaire a pour but de renforcer les entreprises dEtat face à la concurrence. Dans la plupart des cas pourtant, la fusion est un moyen de ne pas faire faillite. LEtat se substituant au marché oblige une entreprise saine à reprendre une entreprise en difficulté travaillant dans le même secteur. Cette méthode a lavantage, pour ladministration locale, de permettre la reprise des employés et des dettes. Mais dans les avantages de la fusion résident aussi ses limites. Lentreprise déficitaire amène avec elle des dettes qui risquent de mettre en péril lentreprise saine. Lauteur signale le cas dune usine de poudre à laver dans la province du Shanxi qui suivant ce cheminement a risqué la faillite. Lentreprise a, à la suite des pressions de la municipalité, été contrainte den reprendre une autre en difficulté. Apprenant la fusion, de nombreux créanciers sont alors venus réclamer leur dû. Les montants étaient si importants quils mettaient en péril lentreprise saine. La municipalité dut finalement renoncer à la fusion et prononcer la faillite. Cette fois, cest la banque qui sy opposa jusquà ce quun compromis financier fût trouvé avec la municipalité (pp. 194-196). Sappuyant sur cet exemple, le théoricien de la faillite montre que la fusion ne résout rien, mais repousse les problèmes. La meilleure solution serait, selon lui, que la mise en faillite précède la fusion pour éviter que les anciennes dettes nhypothèquent la survie des entreprises saines.
Après lénoncé de différents types de dysfonctionnements de la loi sur la faillite, lauteur termine son livre par un chapitre qui sapparente beaucoup à un programme politique. Pour lui, tout en évitant dutiliser le terme, la privatisation est la seule solution aux problèmes des entreprises dEtat. Sappuyant sur différentes études de la Banque mondiale, il répète après tant dautres que la preuve est faite de la supériorité de léconomie privée (p. 331). Cette partie, plus idéologique que scientifique, na un intérêt que replacée dans le débat théorique chinois autour de la réforme des entreprises dEtat à la veille du quinzième congrès. On laura compris, ce livre prend par de nombreux aspects la forme dun essai politique sans pour autant sy cantonner. Le livre contient aussi de riches informations sur la mise en uvre des processus de faillite.