BOOK REVIEWS

Penne Wennerlung: Taiwan in Search of the Nation

by  Laurent Michelon /

Taiwan: In Search of the Nation est tiré d’un mémoire de maîtrise, et fut publié en 1997 par le département d’études chinoises de l’Université de Stockholm. L’auteur, Pelle Wennerlund a passé plus d’un an à Taiwan comme boursier de la Swedish International Development Cooperation Authority, dans le cadre d’un programme de recherche intitulé « Breaking away from Totalitarianism: State, Society and the Individual in Contemporary China ».

Le thème choisi par l’auteur est définitivement un sujet à la mode. La victoire écrasante, en novembre dernier du Parti Démocrate Progressiste (PDP) aux élections des chefs de districts et des maires a attisé la curiosité des observateurs étrangers sur cette formation politique récente, qui ne compte que 150 000 membres, et qui a mis en échec le Kuomintang (KMT), un des partis politiques les plus riches au monde, et fort du soutien de plus de deux millions d’adhérents.

Avant cette victoire, le PDP était déjà un sujet d’études intéressant car, âgé de dix ans à peine, il a réussi à se placer très vite dans le rôle du parti qui incarne la réforme, le renouveau et surtout la seule alternative crédible au KMT. La position indépendantiste du PDP fait de lui un réel danger pour le Kuomintang et sa politique de réunification avec la Chine, à laquelle il continue d’adhérer officiellement depuis plus de cinquante ans. C’est précisément l’indépendantisme taiwanais que Pelle Wennerlund se propose d’analyser dans son ouvrage, à travers une étude précise de l’évolution du PDP.

L’auteur a choisi un découpage chronologique pour ses deux premiers chapitres: le premier est consacré au mouvement indépendantiste de 1945 à 1986, date de la création du PDP; le second chapitre est une description simplifiée du développement du PDP, de ses premiers jours de clandestinité jusqu’aux heures de gloire de ces dernières années. Dans un dernier chapitre, Wennerlund propose une discussion sur le concept de séparatisme vis-à-vis de la Chine continentale, et sur la théorisation de l’indépendantisme par le PDP et l’Association taiwanaise des professeurs d’Université (TAUP).

Les deux premiers chapitres exposent de manière peu originale l’évolution du mouvement indépendantiste taiwanais, des années 1920, sous l’occupation japonaise, à 1996, date de la première élection au suffrage universel du président de la République, Lee Teng-hui. L’exposé suit une chronologie classique, et décrit fidèlement l’ascension du mouvement, dont les membres étaient autrefois condamnés à l’exil ou à la prison, la formation du groupe des « hors-parti » (dangwai), ces candidats indépendants qui s’opposaient au Kuomintang aux élections locales, puis à la création en 1986 du Parti démocrate progressiste.

Ces chapitres, qui représentent les deux tiers de l’ouvrage, sont exhaustifs, et s’appuient sur un éventail bien sélectionné de sources, essentiellement d’origine occidentale. Mais la présentation de l’histoire du mouvement est on ne peut plus classique, comparé aux études qui l’ont précédées. De plus, on peut regretter que la partie traitant du mouvement dans les années 1920 et 1930 n’ait pas été plus développée par l’auteur. Les thèses de Liao Wen-yi et de Wang Yu-teh sont exposées (cf. ci-dessous), mais le mouvement qu’ils ont animé pendant deux décennies en exil au Japon n’est que partiellement présenté, et la multitude de publications du mouvement indépendantiste en exil ne sont presque pas mentionnées.

Le dernier chapitre de l’ouvrage de Wennerlund, de loin le plus intéressant, présente le nationalisme taiwanais comme le résultat d’une critique de l’histoire officielle enseignée par le KMT, à forte connotation continentale. L’auteur estime que plus qu’un problème de race, le nationalisme taiwanais repose sur l’idée que Taiwan est une terre de refuge, un carrefour des exclus du monde chinois. Le PDP appuie son discours sur le fait que les Taiwanais ont toujours été oppressés depuis la dynastie des Qing, tantôt par des Japonais, tantôt par les Continentaux. Par conséquent, Taiwan ne doit plus retomber aux mains de forces extérieures, la Chine populaire en l’occurrence. Cette troisième partie expose l’argumentaire du PDP contre la politique de réunification de la Chine que prônent à la fois le KMT et la République populaire de Chine.

Le PDP a pris depuis quelques années l’initiative de contester l’interprétation que fait le KMT de l’histoire de Taiwan: les institutions universitaires se sont jointes au débat, et des questions tabous, tels la période de la terreur blanche et l’incident du 28 Février ont pu être exposées sur la scène publique. Elles ont provoqué les excuses de Lee Teng-hui au nom du KMT. A ce sujet, l’auteur mentionne la TAUP, une organisation qui compte quelque 400 membres et qui milite pour l’indépendance de Taiwan. Ses activités de lobbying comportent parfois de sévères attaques contre le PDP accusé de négliger la cause nationaliste dans le but de ménager son électorat. Son ambition, comme celle du TAIP (Taiwan Independence Party, que l’auteur ne mentionne probablement pas parce que de création trop récente) est de construire un sentiment national authentique, inexistant jusqu’à présent à Taiwan. La TAUP, qui se caractérise par le radicalisme de son discours, n’est pas, à l’inverse de ce que l’auteur suggère, le représentant du mouvement indépendantiste dans « les hautes couches de la société ». Il est certes composé d’intellectuels et d’universitaires, mais ceux-ci sont plutôt marginalisés et éloignés du pouvoir.

Wennerlund mentionne ensuite les différentes approches de la question de la « nation taiwanaise », la théorie du métissage (hunxuelun) de Liao Wen-yi, une thèse peu convaincante à forte connotation ethnologique et l’approche de l’indépendantiste Wang Yu-teh qui paraît plus sérieuse, car elle tente de décrire la nation taiwanaise comme un processus de modernisation postérieur à l’introduction du capitalisme, sans mention aucune de particularité ethnique des Taiwanais. Avant tout Chinois, ils sont, du fait de leur émigration de longue date à Taiwan « devenus des Taiwanais » qui ont commencé à se sentir différents des Continentaux sous l’occupation japonaise. Parler d’ethnicité pour définir la nation taiwanaise n’est donc pas justifié.

Enfin, l’auteur procède à l’analyse du livre de Hsu Hsin-liang, Une nouvelle nation (Xinxing minzu), publié en 1995. Elu deux fois président du PDP, Hsu Hsin-liang est une figure connue du mouvement indépendantiste, exilé aux Etats-Unis pendant plus de vingt ans. Son ouvrage veut être une théorisation et un support intellectuel du mouvement indépendantiste taiwanais. Il a au moins l’avantage de projeter une image d’un Taiwan indépendant dans le futur, conçue à partir des courants actuels, sans jamais soulever la question ethnique, qui est hors propos selon lui.

La présentation de cet ouvrage n’apporte pas d’éléments nouveaux à la question taiwanaise, car Hsu Hsin-liang, au terme d’une interprétation historique très large du développement des civilisations, explique pourquoi selon lui, Taiwan est une nation « ascendante ». Taiwan, lieu du mélange de tant d’immigrants, donne, il est vrai, de nombreux signes avant-coureurs de réussite. Hsu voit notamment dans le facteur maritime l’élément prédominant qui différencie Taiwan de la Chine continentale, traditionnellement refermée sur elle-même. Il est dommage que l’auteur ne mette pas en perspectives L’auteur omet de mettre en perspective Une nouvelle nation de Hsu Hsin-liang avec les autres écrits du PDP, ce qui donne l’impression que ce livre est un document majeur, ce qui est loin d’être le cas.

Taiwan: In Search of the Nation est un essai dont la qualité de la rédaction est à souligner, ainsi que les sources qui ont été utilisées, aussi bien étrangères que locales. L’utilisation du pinyin, bien que justifiée par l’auteur comme un effort de simplification, peut paraître étrange, comme dans tout ouvrage sur Taiwan. On peut également regretter que l’auteur n’ait pas approfondi la question de l’accès aux médias du PDP dans sa quête électorale. Ce problème fut déterminant dans la phase de création du PDP, ainsi que dans ses premières années de vie politique, tant les médias étaient monopolisés par le KMT. Ce n’est qu’en 1997 que le PDP put créer sa propre chaîne de télévision (Formosa Television, Minjian Quanmin Dianshi), qui lui permit de toucher largement la population lors de campagnes électorales, et de façon plus générale, d’augmenter le nombre de ses adhérents. Ce problème est mentionné mais aurait mérité de faire l’objet d’un chapitre.

Au total, Taiwan: In Search of the Nation est un court ouvrage général qui pourra être utile aux étudiants et journalistes dans leur premier effort de comprendre le mouvement indépendantiste taiwanais.