BOOK REVIEWS

La construction d’un espace politique austronésien

by  Fiorella Allio /

Les banderoles des Austronésiens, déployées au sein des innombrables cortèges qui défilèrent ces dix dernières années dans les rues de Taipei et en d’autres points sensibles (Ile des Orchidées, comtés de Chia-i, Hua-lien, Nan-t’ou…) n’ont guère retenu notre attention. Et pourtant cette mobilisation correspondit à l’un des mouvements sociaux les plus révélateurs à la fois de la démocratisation de Taiwan et aussi de l’émergence des discours identitaires sur le sol taiwanais. La cause aborigène bénéficia d’une impulsion insulaire mais s’alimenta également du débat planétaire au sujet des droits des peuples autochtones. L’éveil politique des autochtones — officiellement au nombre de 381 174 personnes (1996), pour un total de 21 471 000 habitants — s’accompagna d’une renaissance culturelle. Ces deux bourgeonnements très prometteurs, se transformant déjà ici et là en floraison, ne doivent cependant pas masquer la réalité des faits qui portent l’empreinte de décennies, voire de siècles, d’assimilation forcée et de dépossessions. Sans pouvoir étudier ici les résultats de ce processus ni dresser le bilan systématique d’une situation sociale, culturelle et économique, cet article s’attachera plutôt à mettre au jour les conceptions croisées qui s’affrontent aujourd’hui au sujet de la question autochtone et à traiter de la constitution d’un espace politique austronésien.

Les ethnies formosanes : un patrimoine vivant de l’humanité

Les aborigènes de Taiwan se rattachent à la famille linguistique austronésienne dont l’aire de répartition est la plus vaste au monde après l’aire indo-européenne ; s’étendant de Madagascar à l’île de Pâques et à Hawaï, de Taiwan à la Nouvelle-Zélande. Les langues austronésiennes, au nombre de 1 200 environ, représentent près de 20 % des langues de la planète et sont parlées par plus de 270 millions d’individus. Surtout caractérisée d’un point de vue linguistique, cette aire manifeste par ailleurs une relative homogénéité socio-culturelle et ses représentants semblent également détenir un héritage génétique commun (1). Les ethnies formosanes parlent des langues très variées, réparties en trois sous-groupes linguistiques — atayalique, tsouique, paiwanique — se situant au même niveau, dans la classification des langues austronésiennes, que le sous-groupe malayo-polynésien dont les idiomes sont, eux, parlés dans le reste de l’aire linguistique austronésienne. Par conséquent, par référence à une souche proto-austronésienne, on trouve une plus grande diversité linguistique sur cette petite île de 36 000 km2 que dans tout le reste de l’aire. Une thèse récente, élaborée à partir des recherches en linguistique et en anthropologie génétique, démontre que les Austronésiens auraient abordé le Pacifique et s’y seraient diffusés à partir de Taiwan. L’ethnie Da’o (Yami), occupant l’Île des Orchidées, au large du sud-est de Taiwan, en revanche, y serait arrivée à partir de l’île de Batan, au nord de Luzon, dans le nord des Philippines, il y a environ mille ans. De fait, la langue parlée par les Da’o relève du groupe de langues malayo-polynésiennes de l’ouest. En amont de ce processus, il semble que les migrations vers l’île, entreprises à partir du sud-est de l’actuelle Chine, aient commencé il y a plus de six mille ans. La composition variée des groupes formosans d’aujourd’hui s’expliquerait par une immigration progressive, des séparations internes et des différenciations graduelles. Mais l’étude de ce processus et de l’histoire générale de l’implantation austronésienne à Formose est toujours en cours. Archéologues et linguistes, dorénavant détachés de l’objectif dogmatique prévalant autrefois, selon lequel il fallait prouver le lien existant entre Formose et les cultures du Fleuve Jaune, tentent aujourd’hui, avec plus de sérénité, de prêter attention à la question de la continuité jusqu’aux ethnies actuelles.

Recensement ou dissection administrative d’une identité

A la différence de ce qui se passe souvent en Asie, dans les pays englobant des peuples autochtones, comme par exemple la Malaisie, le gouvernement actuel de Taiwan a encore le souci de recenser la population aborigène non assimilée, représentant 1,7 % de la population totale, qui est, elle, à plus de 98 % chinoise (2). Cependant, la grille analytique qui sous-tend le mode de recensement des aborigènes laisse transparaître plusieurs problèmes, dont on ne présentera ici que trois points essentiels. Il faut souligner en premier lieu que le nombre des aborigènes recensés ne reflète pas la réalité car celui-ci est sous-estimé. Jusqu’au milieu des années 90, la réglementation utilisée par le Bureau du recensement ne traitait pas à parité égale les Han et les non Han. Par exemple, en matière d’alliance et de mariage mixte, si une femme han se mariait avec un aborigène, celle-ci conservait son identité han, en revanche, si une femme aborigène se mariait avec un Han, celle-ci perdait son identité ; dans le cadre d’un mariage uxorilocal (3), un gendre aborigène devenait Han si sa belle-famille l’était, alors qu’un gendre han conservait son identité lorsque sa belle-famille était autochtone. En matière d’adoption, si un enfant han était adopté par des aborigènes, il restait Han mais dans le cas inverse, l’enfant aborigène devenait Han (4). Des mesures de recouvrement d’identité sont aussi prévues par la réglementation mais leur application ne semble pas donner satisfaction. En second lieu, les aborigènes sont recensés en fonction d’une affiliation patrilinéaire — qui n’est pourtant pas prédominante dans toutes les ethnies concernées — et de l’appartenance à un des groupes ethniques reconnus officiellement, étant, du nord au sud : les Atayal, 86 042 personnes, les Saisiat, 6 930 personnes, les Pantsah (Amis), 146 165 personnes, les Bunun, 41 691 personnes, les Tsou, 6 838 personnes, les Rukai, 11 595 personnes, les Puyuma, 10 166 personnes, les Paiwan, 67 760 personnes, les Da’o (Yami), 3 987 personnes (5). Or, cette reconnaissance repose sur un critère pseudo-géographique, incluant les « ethnies des montagnes » (sus-cités) et excluant les « ethnies des plaines » (cf. infra). Voyons ce que la terminologie chinoise nous apprend à leur sujet : jusqu’en 1994, pour traduire l’idée qu’ils étaient autochtones, l’administration appelait les premiers shanbao, « compatriotes des montagnes », se référant à la catégorie implicite gaoshan zu, « ethnies des montagnes » (6), par opposition à la catégorie pingbu zu, « ethnies des plaines ». Cette distinction est sujette à questionnement car bon nombre de villages autochtones reconnus comme tels sont situés à faible altitude, voire dans des plaines, même s’ils s’étagent, en majorité, de cinq cents à plus de deux mille mètres d’altitude pour quatre d’entre eux. L’amalgame est peut-être facile à faire car la plus grande partie des terres ancestrales aborigènes actuelles se situe à l’est et surtout au centre de l’île, traversé du nord au sud par une chaîne montagneuse. Mais le milieu géographique agit surtout comme un repère pour désigner des espaces plus ou moins difficiles à pénétrer et à mettre en valeur par une exploitation agricole. L’opposition « montagne/plaine » renvoie par conséquent plus justement à une opposition sous-jacente exogène, « non assimilés/assimilés », déterminée par le seul point de vue des Chinois dans leurs rapports avec les colonisés. Autrefois, les mandarins exprimaient cette même notion par les mots sheng/shu, « cru/cuit ». Si l’on prend comme référence la véritable identité des intéressés, la distinction entre « ethnies des montagnes » et « ethnies des plaines » reste peu pertinente, puisque les groupes luilang, kavalan, ketagalan, taokas, pazeh, papora, babuza, arikun/lloa, siraya, énoncés ici suivant leur situation du nord-est au sud en suivant la côte ouest étaient, eux aussi, des Austronésiens et des autochtones. Mis à part les spécialistes et les militants, personne aujourd’hui ne sait énoncer la liste de ces ethnies que l’on préfère mêler dans l’appellation vague, voire obsolète, de pingbu zu, lorsqu’on marque encore la volonté de ne pas les confondre avec les Chinois ni de les assimiler aux autochtones reconnus officiellement. Il va sans dire que plusieurs siècles de contacts ont érodé, parfois jusqu’à l’extrême, la culture et l’organisation sociale de ces groupes mais certains ne sont pas encore totalement assimilés, comme les Kavalan et les Siraya. Pour clore cet examen terminologique, il faut aussi préciser que sous la pression soutenue des intéressés, et aussi d’après leur proposition, l’Assemblée nationale, en juillet 1994, a supprimé l’appellation shanbao, jugée péjorative, et l’a remplacée par yuanzhu min (zu), « population (peuples) autochtones ». L’adoption de ce terme n’est pas allée de soi car la notion d’autochtonie signale de fait une certaine importance attribuée au critère d’antériorité sur le sol taiwanais, et plus, elle met en évidence un rapport historique à la terre, impliquant théoriquement des droits. L’emploi de ce nouveau terme reste cependant lié à celui d’une référence au milieu géographique. Nous n’avons plus comme avant shandi shanbao « montagnards des montagnes » et pingdi shanbao, « montagnards des plaines », expressions redondantes et contradictoires, mais à la place shandi yuanzhu min, « autochtones des montagnes » et pingdi yuanzhu min « autochtones des plaines ». Les autorités persisteraient-elles à croire qu’il y a une différence de nature de part et d’autre de cette césure ou n’attacheraient-elles leur attention qu’au milieu naturel et au territoire en tant qu’objet de conquête ? Le recensement répertorie des individus selon leur groupe ethnique mais précise toujours si ils sont « des plaines » (7) ou « des montagnes » (8) sans que cela ait un lien avec leur lieu d’habitation réel, qui se trouve être situé de plus en plus fréquemment dans les centres urbains et industrialisés de la côte ouest. Car quoi que l’on fasse, on reste attaché à la localisation d’origine de son groupe. Les autochtones ont aussi à souffrir de la part des autorités d’un découpage ethnique interne erroné, limité à neuf groupes, ne tenant pas compte de l’auto définition aborigène. Et c’est là le troisième point de cet examen critique des modalités de recensement. Le cas le plus parlant — et dramatique sans doute — est celui des Sao (Thao) (entre 235 et 300 personnes (9)), habitant depuis des temps immémoriaux près du Lac du Soleil et de la Lune, qui, selon les autorités, sont trop peu nombreux pour constituer un groupe ethnique à part entière. Parce qu’il faut bien les situer quelque part, on les a rattachés aux Tsou, tout à fait arbitrairement, puisque les Sao relèvent du sous-groupe paiwanique. Les Sedeq (environ 30 000 personnes), de leur côté, sont assimilés aux Atayal alors que de part et d’autre cet amalgame est jugé comme impropre, et cela même si les deux ethnies appartiennent au sous-groupe atayalique. La situation géographique des Sao et des Sedeq est distincte de celle des groupes auxquels ils sont réunis. Le président de la Commission d’Etat des affaires autochtones, invité à s’exprimer, lors de sa venue en France en juin 1998, au sujet de la reconnaissance officielle des identités sao et sedeq, dit que la question était toujours en examen. Rappelons que jusqu’à présent la commission a tout simplement repris et appliqué la classification officielle des ethnies et des individus. Cette évaluation dure depuis trop longtemps aux yeux des groupes concernés qui attendent que des crédits soient débloqués, notamment pour des programmes d’enseignement de la langue maternelle, et ne tiennent pas à ce que leur culture soit défavorisée par rapport à celle des autres groupes. On ne saurait clore cette partie réservée au recensement sans évoquer succinctement la question du nom sous lequel les autochtones enregistrent leur identité. Avant janvier 1995, un nom chinois en trois caractères était imposé aux Austronésiens de Taiwan. Depuis cette date il est possible de déclarer son nom austronésien, mais… en utilisant les caractères chinois et la prononciation du mandarin pour les transcrire, tout en étant limité à six caractères. Beaucoup, attirés par la possibilité d’être identifiés selon leur vrai nom, ont cependant renoncé à cet exercice qui manifeste une fois de plus l’hégémonisme culturel han et un manque de respect pour l’altérité culturelle austronésienne.

Etudier les problèmes de définition et de classification liés à la pratique du recensement, c’est être directement introduit dans les coulisses institutionnelles marquant le profil identitaire des aborigènes. C’est aussi découvrir ses soubassements, parfois lacunaires, et surtout ses limites. Cet espace tendant à s’élargir est encore marqué de représentations et d’habitudes parfois séculaires. Et pourtant, c’est en partie sur cette matrice sémantique et statistique que s’appuient les rapports interethniques à Taiwan et sur elle encore que repose la codification de toute demande de reconnaissance pour les autochtones.

L’internalisation institutionnelle du problème autochtone

En réponse à une volonté croissante de la part des aborigènes de prendre en main leur propre destin, le gouvernement met en avant, comme gage de bonne intention, la participation politique prévue par le système électoral actuel avec l’attribution d’un nombre fixe de sièges à des aborigènes dans les conseils aux divers échelons de l’Etat. Six sièges sont ainsi réservés à l’Assemblée nationale ainsi qu’au Yuan législatif, quatre à l’Assemblée provinciale, deux dans les conseils de Taipei et de Kao-hsiung, municipalités dépendant directement du gouvernement central, cinquante-deux dans les conseils de comtés et de villes dépendant de la province, trois cent soixante-six dans les conseils de cantons ruraux et de bourgs ; enfin, trente cantons, classés « cantons de montagne » ne peuvent avoir à leur tête qu’une personne aborigène. Le gouvernement se plaît à rappeler que la représentativité des aborigènes est plus importante que celle des non aborigènes (un représentant élu pour 3 600 aborigènes contre un élu pour 12 000 non aborigènes). Il n’oublie pas de signaler encore que des aborigènes travaillent à tous les échelons de la fonction publique (10). A nous de sous-entendre cependant que les derniers ne font qu’appliquer les directives de leurs supérieurs hiérarchiques et que les premiers, dans leur immense majorité, sont activement soutenus par le parti au pouvoir, le Kuomintang (KMT).

Outre la voie de la représentation populaire, l’appareil d’Etat délègue à quelques organismes gouvernementaux le soin de s’occuper des affaires autochtones. Il faut remarquer que ceux-ci sont tous de création récente et dans bien des cas doivent leur existence à des mouvements de rue et à la constante pression des associations non gouvernementales et de quelques élus soutenus par l’opposition. La création, en décembre 1996, de la Commission d’Etat des affaires autochtones dépendant du Yuan exécutif, est à ce sujet assez parlante. Dès le début des années 90, les autochtones dénoncèrent l’existence, au sein du cabinet, d’une Commission des affaires mongoles et tibétaines alors qu’aucun organisme équivalent ne traitait les affaires des Austronésiens de Taiwan. En juin 1990, 500 manifestants se rendirent ainsi devant la Commission des affaires mongoles et tibétaines pour demander sa suppression pure et simple. Les premiers habitants, qui par ailleurs soutiennent pleinement l’autodétermination des peuples tibétain et mongol, réclamaient plus d’estime de la part des Chinois et une prise en compte de la réalité taiwanaise. Car eux seuls avaient pour foyer d’origine cette île où les Tibétains et les Mongols, arrivés principalement en 1949, ne représentaient que 728 personnes (1990). Ce décalage grotesque révèle non seulement la prégnance du mythe de la légitimité du KMT sur toute la Chine mais aussi le manque d’intérêt qu’ont manifesté pendant longtemps les autorités à l’encontre du problème autochtone taiwanais, et qui se traduisit par le faible effort employé à fournir des interlocuteurs accrédités ainsi que des bases institutionnelles capables de répondre aux attentes des aborigènes. La Commission d’Etat des affaires autochtones pourrait maintenant remédier à ces lacunes. Il est encore trop tôt pour dresser un bilan de ses actions même si les critiques à l’encontre de ses responsables troublent un peu l’espoir qu’elle avait fait naître au sein de la population aborigène. La culture administrative nationaliste conditionnant toute initiative et, bien entendu, les jeux du pouvoir semblent être la cause de ces déceptions. Administra ti ve ment parlant, la commission a le pouvoir d’agir en coordination avec les autres commissions et ministères du pouvoir central et est dotée d’un budget propre (18,2 millions de dollars US pour 1997). Elle pourrait donner logiquement plus de cohésion aux plans clairsemés que le cabinet avait précédemment élaborés dans les domaines de l’éducation, de la formation, de l’emploi, de l’hygiène et de la santé, des travaux publics, et aux programmations culturelles. Quatre départements se répartissent maintenant la gestion des affaires liées à la planification (réglementation, communication, recher che), à l’éducation et à la culture, au bien-être social, à l’économie et au développement des terres réservées. La commission se tourne également vers l’extérieur. Le président de la commission, Hua Chia-chih, la directrice du Département de l’éducation et de la Culture, accompagnés de responsables d’autres bureaux administratifs en charge des affaires autochtones (province et villes), et d’autres dignitaires autochtones, viennent d’effectuer, du 1er au 6 juin 1998, une visite en France, suivie d’un séjour en Catalogne. Ce voyage prend place au sein d’une série de missions à l’étranger, en Europe de l’ouest, de l’est, au Canada, aux Etats-Unis, dans le Pacifique, afin de prendre connaissance des pratiques gouvernementales en matière d’éducation, de transmission des langues régionales, autochtones, des minorités, et de conservation du patrimoine. Ayant des difficultés en France à rencontrer les personnalités sollicitées, comme celles en charge des affaires d’Outre-mer, la délégation a cependant été reçue par des services de la ville de Paris et du ministère de la culture. Cette démarche peut d’une certaine manière rendre compte de l’esprit d’ouverture et des motivations des autorités déléguées aux affaires autochtones mieux autorisées désormais à engager des visites officielles à l’étranger. Citons comme autre organisme délégué aux affaires autochtones le Conseil des affaires aborigènes relevant du gouvernement provincial et qui remplaça, en janvier 1997, le Bureau de l'administration des aborigènes, anciennement nommé Bureau de l'administration des « compatriotes des montagnes », créé en 1990, et dépendant pour sa part du Département des affaires civiles. Suite aux amendements adoptés par l'Assemblée nationale, en juillet 1997, concernant, entre autre, le démantèlement de l'administration provinciale qui doit commencer dès la fin de l'année 1998, les services du Conseil précité devraient se voir transférer vers d'autres niveaux de juridiction.

La Section de l’administration des aborigènes, créée en 1987, subordonnée au Département des affaires civiles relevant du ministère de l’intérieur, fut quant à elle abolie à la faveur de la création de la Commission d’Etat des affaires autochtones, située à un niveau supérieur de l’appareil d’Etat.

Il faut maintenant surveiller les fruits de cette réorganisation et espérer que les nouvelles mesures gouvernementales soient en adéquation avec les besoins réels des intéressés.

Les organisations non gouvernementales autochtones et les activistes indépendants engagés dans la lutte pour la reconnaissance des droits aborigènes semblent par ailleurs ne pas s’en remettre entièrement à l’Etat pour donner corps à leurs aspirations. Cernant les limites de l’internalisation actuelle et aspirant à une représentation effective des peuples autochtones, selon un modèle qu’ils choisiraient eux-mêmes et pour eux-mêmes, ils continuent à s’organiser autour d’un projet d’Assemblée autochtone d’un niveau équivalent au pouvoir central.

L’avancée récente que ces acteurs sociaux reconnaissent comme la plus probante est celle de l’adoption dans la constitution de la République de Chine, le 18 juillet 1997, d’une clause concernant les autochtones de Taiwan. Cette clause (article 10) stipule :

alinéa 9 : l’Etat doit préserver la pluralité culturelle et assurer le développement positif des cultures et des langues des ethnies autochtones.

alinéa 10 : l’Etat, se conformant à la volonté de ces ethnies, doit assurer la protection du statut légal et du droit à la participation politique des ethnies autochtones. Il s’engage à protéger et à soutenir leur développement en matière de : éducation et culture, transport et hydraulique, hygiène et santé, économie et territoire, bien-être social et emploi.

Les dispositions du présent alinéa pourront être précisées et complétées par la loi.

Les dispositions du présent alinéa s’appliquent également aux habitants de Jinmen et de Mazu(11).

Ces indications sont en train de permettre au Yuan législatif de légiférer. Dans ce sens, celui-ci vient d’adopter le 28 mai 1998 la première d’une série de lois, concernant l’éducation. Un problème majeur s’immisce cependant dans la dernière phrase de la clause et risque de dénaturer ce qui la précède. Il s’agit de la référence aux habitants de Jinmen et de Mazu, par ailleurs tout à fait respectables, qui pâtissent certes de la militarisation de leur lieu de vie et de nombreuses limitations en matière de développement économique, mais qui ne sont pas aborigènes. L’intention initiale de cette clause, toute positive qu’elle puisse paraître, cache une ambiguïté fondamentale, concernant une fois de plus la manière dont est abordée la question aborigène. Cette dernière semble irrémédiablement être posée en termes socio-économiques, non en termes ethniques et surtout pas par référence à une antériorité sur un territoire colonisé. On peut dire que les autochtones sont avant tout perçus comme une population défavorisée. Aussi peut-on se demander si leur statut se résumerait à n’avoir que le droit d’être assistés.

Le soleil s’est levé à l’est : une contestation désormais organisée

Longtemps discriminés, soumis à une assimilation forcée, peu à peu acculturés, marginalisés et appauvris, les autochtones sont défavorisés par rapport au reste de la population et se considèrent exclus du succès économique que connaît Taiwan depuis deux décennies et des avantages sociaux qui en découlent. Dès les années 70 et surtout dans les années 80, tentés par la ville et une opportunité de vie différente, nombreux furent ceux qui délaissèrent leurs terres natales pour rejoindre les banlieues des grands centres urbains ou, pis, les bidonvilles, et pour former, à leurs dépens, la main d’œuvre taiwanaise la moins qualifiée et la plus sous-payée. Aujourd’hui, peu d’entre eux ont réussi une ascension sociale par le biais des affaires, du salariat ou des études et la majorité désenchantée rejoint les plaintes de ses congénères restés au pays, réclamant la revalorisation de leur espace vital. Il faut dire que les 24 000 km2 de « terres réservées de montagne », délimités par les nationalistes en succédant au Japon, puis les 17 000 hectares qui leur furent récemment adjoints, bien que théoriquement interdits à l’implantation han, ont été dangereusement entamés par une multitude de projets civils, militaires et privés. Par ailleurs, des modes traditionnels de subsistance, tels que chasse, pêche et usage des forêts furent prohibés en tous lieux ayant été décrétés parcs nationaux.

Devant tant de brimades et d’injustice sociale, mais aussi face à l’urgence de leur situation et au manque de débouchés économiques locaux, les nouvelles générations ne tardèrent pas à faire entendre leurs voix. Tout commença en 1983, lorsqu’un groupe d’étudiants aborigènes conçut à Taipei un petit journal, Gaoshan qing (Le vert des montagnes), qu’ils distribuèrent d’abord sur le campus de l’Université de Taiwan, puis aux autres étudiants aborigènes de la ville. Celui-ci fut très vite connu et lu à l’extérieur des enceintes universitaires, y compris par les gardiens du pouvoir qui voyaient là, de façon symptomatique, le résultat d’une manipulation. En décembre 1984, fut fondée l’Alliance des aborigènes de Taiwan (A.T.A.), première organisation laïque autochtone regroupant des représentants de chaque groupe ethnique (12). Aujourd’hui, dans le climat de démocratisation que connaît Taiwan, on ne mesure plus trop la formidable portée héroïque et symbolique de cet acte de naissance qui prenait place dans un contexte historique et politique extrêmement tendu, marqué par près de quarante ans de loi martiale. En 1984, toute opposition au régime était encore passible d’arrestation. Les prémices d’une contestation aborigène organisée étaient encore moins bien perçues que la dissidence déjà existante de nombreux « Taiwanais de souche ». Et cela pour deux raisons fondamentales : il s’agissait de non-Han, l’île était considérée comme définitivement conquise et assimilée. Après l’abolition de la loi martiale, fin 1987, la mobilisation des aborigènes s’est grandement amplifiée et leurs publications se sont diversifiées. Plusieurs magazines ont vu le jour, tel le bimensuel Shan-hai, Taiwan Indigenous Voice Bimonthly, traitant de questions culturelles ainsi qu’un journal hebdomadaire, Nandao shibao, Austronesian News, qui suit l’actualité du mouvement tout en offrant une tribune à l’expression de ses revendications. Certaines collections dans les maisons d’édition sont consacrées à la création littéraire et aux essais aborigènes (13). Des émissions de radio et des programmes télévisés sont venus s’ajouter aux supports écrits. Du côté des activistes, sur la voie tracée par l’A.T.A., de très nombreuses associations ont par la suite contribué à mobiliser des autochtones de tous bords derrière des objectifs communs, tant politiques, économiques que culturels. Citons, sous cette enseigne, le Comité de la promulgation de la juste raison autochtone, dépendant de l’Eglise chrétienne presbytérienne de Taiwan et l’Alliance des villages taiwanais aborigènes, ayant tous deux, comme l’A.T.A., une vocation généraliste et « transethnique ». On note que la supériorité numérique de certains groupes par rapport à d’autres n’implique pas pour autant une place à l’avant du mouvement. On observe aussi que parfois les motivations ne sont pas identiques ni l’engagement d’égale intensité. Au milieu des années 90, des comités propres à une seule ethnie ont vu le jour. Comme la fédération des Affaires publiques Yami (Da’o) sur l’Île des Orchidées, où les habitants sont mobilisés autour d’un problème bien spécifique : celui du stockage de déchets nucléaires, face à la plage sacrée où leurs ancêtres posèrent pour la première fois le pied sur l’île et au large de laquelle ils pêchent les exocets, fondement avec le taro de leur alimentation. C’est le cas aussi de la fondation Bunun pour la Culture et l’Education ou du tout récent comité préparatoire de l’assemblée Atayal, fondé le 12 mai 1998.

En adéquation avec la tradition du mouvement démocratique à Taiwan, les actions des autochtones reposent depuis longtemps sur des manifestations de rue dont on ne peut ici rendre compte dans leur ensemble tant elles ont été nombreuses et réparties en plusieurs lieux. Notons seulement les mouvements les plus célèbres : le mouvement Zheng ming (Rectification du nom), qui mobilisa toutes les forces vives durant plusieurs années avant d’aboutir en 1994 à l’adoption du terme yuanzhu min (cf. supra) ; succès que tarde à obtenir par ailleurs le mouvement Huan wo tudi (Rendez-nous nos terres !), tant la question des terres réservées soulève des polémiques, dans les domaines public et privé et dont l’issue est subordonnée à une procédure judiciaire ; le mouvement Ruxian (Entrer dans la constitution), couronné en 1997 par l’adoption de la clause contenue dans l’article 10 de la constitution amendée. Le succès de cette dernière bataille marqua aussi un changement stratégique dans le camp des aborigènes avec une coordination des élus de l’Assemblée nationale et des leaders extérieurs et plus encore, avec l’alignement de ces députés sur une position commune, transgressant les divisions de partis, et faisant passer leur identité et les intérêts aborigènes d’abord. Rapportons en dernier lieu que les autochtones furent fortement soutenus en des lieux, tels le Yuan législatif et l’Assemblée nationale, et des moments cruciaux par le Parti de la démocratie et du progrès et l’Eglise presbytérienne de Taiwan.

Les autochtones de Taiwan à l’ONU

Sans doute après avoir compris qu’il leur fallait des alliés supplémentaires, les premiers habitants se tournèrent dès qu’ils le purent vers la communauté internationale et vers ceux qui au dehors étaient engagés dans une lutte similaire à la leur.

En 1991, alors qu’une polémique au sujet du statut international de Taiwan et de l’adhésion de la République de Chine à l’ONU divisait une fois de plus opposition et gouvernement, l’A.T.A., sans se préoccuper de l’issue du débat, étonna tout le monde en annonçant, lors d’une conférence de presse, le voyage imminent de deux de ses délégués à Genève, pour participer, en tant qu’organisation non gouvernementale, à la neuvième session du Groupe de travail des populations autochtones. C’était la première fois depuis 1972 qu’un groupe originaire de Taiwan (et il s’agissait théoriquement de ses plus légitimes représentants !) était accueilli dans une enceinte de l’ONU. Aux yeux de l’A.T.A., cette démarche ne pouvait manquer de responsabiliser le gouvernement, plutôt sensible aux pressions internationales et surtout à tout ce qui touchait à l’instance qu’il tentera ouvertement ultérieurement de réintégrer. Le Groupe de travail des populations autochtones est autorisé par le Conseil économique et social de l’ONU et est chargé, entre autres, d’élaborer un projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mettant l’accent sur l’aspect collectif des droits, par rapport à la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Lors des sessions publiques d’été, le travail du Groupe siège pendant deux semaines. La première est réservée à la lecture du projet et à l’enregistrement des propositions d’amendements ; lors de la deuxième semaine, les organisations autochtones font un compte rendu public de la situation locale, destiné aux juristes responsables du groupe de travail et en présence des représentants des pays d’où elles sont originaires. Par ce biais, les Nations Unies sont les destinataires directs de messages traduisant parfois des situations dramatiques d’ethnocide ou de massacres perpétrés par l’armée, comme au Bengladesh ou en Papouasie Occidentale. A Genève, les aborigènes de Taiwan trouvèrent enfin l’occasion de dire au reste du monde qu’ils existaient. En effet, ceux-ci se sentent doublement isolés. D’une part, en tant que minorité marginale au sein d’une majorité rechignant à prendre en compte leurs droits et d’autre part, précisément, parce que l’entité géopolitique qui les englobe est une entité ambiguë, qui n’est reconnue sur le plan international que par quelques pays sans poids réel dans le concert des nations. Depuis 1991, l’ATA s’est rendue plusieurs fois à Genève, et fut progressivement rejointe par d’autres organisations non gouvernementales tels le Comité autochtone de l’Eglise presbytérienne de Taiwan sus-cité et même, ultérieurement, une association pour la promotion de la culture pingbu. Le gouvernement nationaliste, surpris la première année, se ressaisit en 1992 et organisa une surveillance efficace de ces activistes qui, sur le sol taiwanais, formulaient ouvertement des revendications d’ordre territorial et d’autodétermination. Maîtres chez eux, les nationalistes n’avaient plus ici l’autorisation d’entrer dans l’hémisphère où se tenaient les séances du Groupe de travail. Parmi leurs toutes premières allocutions à l’ONU, les aborigènes taiwanais ne s’en prirent pas qu’aux Chinois et, décidés à jouer jusqu’au bout la carte internationale, lancèrent un appel très habile aux Pays-Bas, à l’Espagne et au Japon ayant par le passé colonisé Taiwan et, bien évidemment, causé des torts aux premiers habitants, afin que ces pays reconnaissent et assument leurs responsabilités historiques. Plus tard, c’est une bataille linguistique qui mobilisa nos délégués dans la sphère onusienne. Alors que, à l’initiative des Amérindiens, la discussion du Groupe portait sur le terme de « populations » autochtones, contestée par les intéressés lui préférant « peuples » — qui traduisait plus justement l’idée de cohésion interne, de communauté politique, et de fait, pouvait faciliter les rapports de pouvoir avec les états —, les Taiwanais en étaient, eux, à devoir contester la traduction chinoise (14) du terme « autochtone » dans les textes officiels de l’ONU — tuzhu — qu’ils proposaient de remplacer par yuanzhu (min). Cela en raison de son usage désuet, de ses connotations péjoratives, de son emploi dans des situations d’expansionnisme han pour désigner ceux qui n’étaient pas civilisés, et parfois utilisé alternativement avec tufan « barbare, sauvage », dont la graphie est proche. En revanche yuanzhu min est plus neutre, moderne, est détaché d’un usage colonial, a fait ses preuves, est désormais standardisé dans les écrits de langue chinoise à Taiwan. La suite des péripéties projeta sur la scène un Etat jusque-là resté en coulisse : la Chine. Demeurée jusqu’en 1993 coite et confite devant des délégués aborigènes taiwanais, nommés par elle « montagnards », seuls parmi toute la catégorie des groupes inclus dans ses « minorités nationales » à être présents à Genève, la Chine n’allait pas tarder à trouver un moyen de réagir pour nuire à ceux qu’elle considérait comme d’impertinents perturbateurs, tant parce qu’ils se référaient à Taiwan que parce qu’ils revendiquaient des droits en tant qu’autochtones. Elle donna la consigne aux interprètes et traducteurs chargés de couvrir les séances du Groupe de travail, et après que ceux-ci s’en fussent remis à elle pour prendre une décision, de ne pas modifier le terme tuzhu. L’ingérence de la Chine dans le domaine technique des affaires onusiennes fut dénoncé en haut lieu à Genève et la requête transmise au siège de l’Assemblée générale à New York. Après consultation auprès d’un groupe d’experts — dont on ne connaît pas les noms —, New York se rangea du côté des Chinois et décréta que l’expression tuzhu ne portait pas atteinte aux valeurs défendues par le projet de déclaration des droits des peuples autochtones. Bien résolue à ne pas laisser libres de leurs mouvements les Taiwanais, la Chine continua à se manifester par la voix… ou le silence des interprètes du chinois. En 1996, avertis par eux du contenu de l’intervention qu’allaient faire les aborigènes, des représentants de la Chine vinrent prendre place au siège qui leur était normalement réservé mais qu’ils n’occupaient jamais tant la question des peuples autochtones ne les concernait pas, étant donné que la Chine ne possédait que des minorités nationales… Les traducteurs eurent la consigne de rester muets le 1er août 1996 pendant la lecture des deux premiers paragraphes de l’allocution aborigène taiwanaise. Précisément lorsque celle-ci dénonçait l’agression chinoise quelques mois auparavant, et la menace que cette violence faisait peser sur celle-ci. L’orateur s’exprima en ces termes : « Dans les mois qui précédèrent les élections présidentielles à Taiwan, la Chine, sous prétexte d’exercices militaires, a lancé plusieurs missiles près des côtes nord et sud de Taiwan. Cela doit être considéré comme un acte d’agression violant les droits élémentaires des aborigènes de Taiwan et leur liberté de vivre en paix sur leurs propres terres sans menace pour leur vie. En tant que premiers habitants de cette île, nous souhaitons insister sur la violation évidente des lois internationales que cet acte engage. Nous rappelons que la Chine, en tant qu’Etat membre du Conseil de sécurité de l’ONU, et les autres membres de cette organisation, adhèrent tous aux objectifs de la charte des Nations Unies dont l’un des buts est de promouvoir la paix et le bien-être parmi les peuples du monde ainsi que l’avancement des droits de l’Homme et de leur liberté. Nous pouvons constater que la Chine est forte et puissante, mais nous espérerions cependant qu’elle travaille plus intensément à la coexistence pacifique des peuples et à leur bien-être. En même temps, nous pressons l’ONU et ses états membres, ainsi que le Conseil de sécurité, de s’assurer que tout est fait pour protéger les peuples autochtones de Taiwan et pour faire avancer la cause de leur autodétermination et de leur souveraineté, de même que la protection de leurs droits en tant qu’êtres humains » (15). En définitive, les aborigènes de Taiwan avaient été les seuls cette année-là à pouvoir exprimer dans l’enceinte de l’ONU le ressentiment de la population civile face à la menace chinoise. Cette plate-forme fit des envieux à Taiwan et en 1997, une autre délégation rejoignit le rang des habitués de Genève ; il s’agissait de responsables de la Commission d’Etat des affaires autochtones de la République de Chine, dont le vice-président ; ils étaient certes autochtones, mais travaillaient pour l’Etat. La Chine, très vite avertie de leur présence sur le sol suisse, prépara un grand coup de théâtre et protesta auprès des responsables du Groupe de travail de l’infiltration de fonctionnaires taiwanais. Elle demanda ce qu’elle n’avait pas encore réussi à faire auparavant, à savoir, l’expulsion pure et simple de toute délégation originaire de Taiwan qui ne devait être considérée que comme une province de la Chine. Elle obtint pour un temps, et partiellement, gain de cause. Des tractations, engagées par les organisations non gouvernementales et qui durèrent toute une semaine durant laquelle ils ne purent siéger, aboutirent à l’exclusion effective des autochtones fonctionnaires mais au maintien des ONG avec cependant interdiction pour elles d’utiliser la dénomination « Taiwan ». Ces dernières dénoncèrent bien entendu cette limitation imposée par la Chine car une telle condition niait leur lien historique à leur terre d’origine, et était dictée par des préoccupations hégémoniques. Mais les ONG rendirent aussi responsable de cette situation la Commission d’Etat des affaires autochtones, en l’accusant de ne pas être à sa place à Genève et d’être manipulée par le KMT dans le but de provoquer l’ONU. Elles lui reprochèrent aussi de ne pas servir les objectifs premiers de la cause autochtone, en mal de reconnaissance dans leur pays.

En dehors de ces polémiques avec les deux Chine, les autochtones taiwanais profitent de ces séances annuelles pour s’informer et parfaire leur argumentaire en matière de droit des autochtones, pour élargir aussi leurs contacts internationaux, en prenant part à de nombreuses réunions et à des conférences de presse.

En pleine décennie des peuples autochtones décrétée par les Nations-Unies (1994-2003), il est permis de constater que l’évolution de la question aborigène à Taiwan a été plus subite que dans les pays où ce problème est devenu classique : Canada, Australie, Nouvelle-Zélande. Taiwan est allée plus vite et aussi plus loin dans la prise en compte des revendications autochtones que les autres états asiatiques. Taiwan affiche là encore une spécificité bien originale par rapport à la Chine. L’exemple du petit dragon serait-il une fois de plus à suivre ? Les énormes progrès qui restent à accomplir nous imposent toutefois de modérer tout enthousiasme et de guetter le sort que l’on réservera à la question cruciale des terres d’origine, point d’articulation de tous les enjeux : économiques, politiques, identitaires, interethniques, imaginaires, culturels, physiques.