BOOK REVIEWS
Hatla Thelle (ed.) : Political Development and Human Rights in China – Report from Five Seminars at the Danish Centre for Human Rights, et Anders Mellbourn et Marina Svensson : Swedish Human Rights Training in China – An Assessment
Tandis que la Chine est à nouveau la proie de mouvements sociaux spontanés ou organisés millénaristes, obscurantistes (Falungong) et xénophobes (manifestations anti-américaines), la lecture de ces deux courtes études apporte un ensemble danalyses et dinformations pour le moins rafraîchissantes qui aident à mettre en perspective les idéologies (cest probablement un bien grand mot pour qualifier le fatras dopinions qui nous est arrivé ces derniers mois de Pékin) diverses et contradictoires qui habitent la société chinoise contemporaine.
Dentrée, il faut indiquer que ces deux plaquettes ne fournissent guère déléments nouveaux sur la politique occidentale et en particulier scandinave des droits de lhomme à légard de la Chine. Elles nont pas non plus pour objet de dresser un constat de la situation des droits de lhomme en Chine. Certes, y transparaît une nouvelle approche de la question : en effet, en 1998, le Danemark et les Pays Bas se sont finalement ralliés à la politique de « dialogue » adoptée lannée précédente par la majorité des pays de lUnion européenne : depuis, seuls les Etats-Unis continuent de soumettre à la Commission des droits de lhomme de lONU une résolution condamnant la Chine. Certes, ces études ne nient pas que le bilan de laction des autorités de Pékin dans ce domaine reste globalement négatif et tend même à salourdir depuis la répression déclenchée fin 1998 contre les principaux dissidents politiques chinois. Les récents rapports des principales organisations non gouvernementales (Amnesty international) ou du Département dEtat américain lattestent (1).
Mais ces publications mettent en lumière un certain nombre dévolutions que lon aurait tort de négliger et qui alimentent utilement la réflexion sur la manière dont nous pouvons agir en faveur dune amélioration de la situation des droits de lhomme en Chine. Tout dabord, létude danoise rappelle (pp. 40-41) donnant, espérons-le, avec juste raison un peu de mauvaise conscience à nos gouvernants dhier que lOccident a « découvert » les atteintes aux droits de lhomme en Chine à loccasion du massacre de Tiananmen. Avant 1989, seuls quelques militants « droit de lhommistes » liés le plus souvent aux dissidents tentaient dattirer en vain lattention de lopinion publique occidentale sur une situation des plus déplorables. Inutile de dire quà lépoque maoïste, alors même que les violations des droits de lhommes atteignaient des sommets rarement dépassés, encore plus rares étaient les prophètes qui, tel Simon Leys, criaient dans un désert dincrédulité ou dindifférence que notre confrontation stratégique avec lUnion soviétique nexpliquait pas totalement et ne justifiait aucunement.
Le second mérite de ces études est davoir montré limportance prise par le débat sur les droits de lhomme en Chine même ces dernières années. En effet, au cours de ces deux dernières décennies, comme le rappelle létude danoise, lévolution de lattitude du gouvernement de Pékin sur cette question a été impressionnante et souvent sous-estimée. Dune critique radicale dun concept quelles considéraient avant 1979 comme « bourgeois », les responsables du Parti communiste chinois en sont venus non seulement à adopter cette notion mais à accepter den débattre dans les tribunes internationales. Afin de désarmer les critiques étrangères, et en particulier occidentales, cest paradoxalement à la suite de Tiananmen que la Chine sest lancée dans une « vigoureuse diplomatie des droits de lhomme » (p. 62). Aujourdhui, ce pays a engagé un dialogue tous azimuts sur cette question. Et ce nouveau discours sur les droits de lhomme ne peut pas rester sans influencer la société chinoise. La contribution franche et directe de Mme Wu Qing (pp. 20-31), une députée féministe indépendante (cest-à-dire non communiste) à lAssemblée du quartier de Haidian (Pékin), est révélatrice à cet égard.
Il est clair que, comme le montrent Ann Kent et Marina Svensson, la conversion de la Chine populaire aux droits de lhomme est toute relative : son approche est aujourdhui à la fois culturaliste (valeurs asiatiques) et développementaliste ou gradualiste (le riz avant la démocratie) ; lassouplissement (provisoire) de sa politique à cet égard est encore souvent tributaire dobjectifs internationaux ardemment marchandés (Jeux Olympiques de 2000, visite de Clinton en Chine) ; le dialogue quelle propose a surtout pour objectif de désamorcer toute confrontation avec les gouvernements occidentaux tout en donnant à ces derniers les moyens de se justifier à moindre frais face à leur opinion publique (2) ; son attitude à légard des instruments internationaux a longtemps été méfiante avant dêtre sélective : par exemple, lapplication de la Convention contre la torture que Pékin a signée dès 1986 ne peut être vérifiée en Chine de manière indépendante ; la signature par la Chine du Pacte sur les droits économiques et sociaux (en 1997) et plus encore de celui sur les droits civils et politiques (en 1998) est entachée de réserves (notamment sur le droit dassociation) lourdes de conséquences ; en outre, pour lheure ni lun ni lautre na été ratifié par le parlement chinois.
Mais contrairement à lUnion soviétique hier (qui, rappelons-le, fut lun des premiers Etats à adhérer à ces deux pactes ), depuis le début des années 1990, la Chine a non seulement mis en place un discours de plus en plus « sophistiqué » (p. 50) sur les droits de lhomme mais a favorisé dimportantes recherches sur la question. En outre, son attitude a parfois évolué dans la bonne direction, tout au moins sur la scène extérieure. Ainsi, elle estime aujourdhui que la communauté internationale peut agir à lencontre des violations des droits de lhomme dans un pays donné cest-à-dire enfreindre les principes sacro-saints à ses yeux de souveraineté et de non ingérence dans les affaires intérieures dans les cas extrêmes (apartheid, génocide) (p. 50). Une position que lon aurait souhaité quelle adoptât à lépoque des Khmers rouges et qui ne semble pas encore avoir affecté son soutien présent à Milosevic
Par ailleurs, la Chine entend aujourdhui établir un « Etat de droit socialiste ». Dans ce but, elle sait quelle a beaucoup à apprendre de lOccident où se forment aujourdhui la quasi-totalité de ses juristes partis se perfectionner à létranger. Si la plupart dentre eux sont accueillis par les universités, dautres institutions plus politiquement engagées ont pu ces dernières années commencer dapporter leur contribution à cette tâche. Cest ainsi que les autorités de Pékin ont accepté à partir de 1996 denvoyer chaque année une trentaine de hauts fonctionnaires de justice et de police (juges, procureurs, responsables détablissements pénitentiaires) suivre des séminaires de formation de deux semaines à lInstitut Raoul Wallenberg de droits de lhomme et de droit humanitaire. Fondé en 1984 en souvenir du diplomate suédois qui sauva de nombreux Juifs de Hongrie au cours de la seconde guerre mondiale (avant de disparaître dans les geôles de Staline) et rattaché à lUniversité de Lund en Suède, cet institut a pour mission de promouvoir la recherche et la formation dans ces branches du droit.
Evidemment, une telle initiative nest pas sans poser de nombreux problèmes ni susciter de multiples critiques. Les organisateurs suédois en sont particulièrement conscients : le gouvernement de Stockholm qui soutient ce projet estime en effet que les droits de lhomme et la démocratie sont étroitement liés tandis que celui de Pékin peut être soupçonné de vouloir, grâce à ces cycles de formation, « moderniser » par quelque artifice juridique la dictature du PC sur la société et améliorer lefficacité de ses ripostes aux condamnations de lOccident. Il va sans dire que les auteurs de ce rapport ne partagent pas ce point de vue et nous serions tentés de les suivre, avec cependant quelques réserves.
Tout dabord, se borner à déplorer et condamner les violations des droits de lhomme en Chine nest plus aujourdhui crédible tant il est clair que, comme dans tout autre pays, la multiplication des liens entre praticiens et experts chinois et étrangers du droit constitue un lent mais sûr facteur dévolution juridique et politique. Ensuite, lidée de former les formateurs (p. 15), en dépit de son caractère élitiste, est totalement justifiée au regard de la faiblesse de la culture juridique en Chine populaire et du processus actuel de réforme «par le haut». Par ailleurs, à la surprise des rapporteurs, les stagiaires chinois ont dans lensemble très bien accepté le contenu de la formation, satisfaits notamment dapprendre que « le concept de droit de lhomme nétait pas spécifiquement une arme occidentale utilisée contre la Chine mais un concept universel » (p. 3). Seules les discussion sur la peine de mort une question trop souvent abordée dun point de vue plus moral que juridique et social par les Occidentaux et la torture ont suscité de vives controverses, en particulier avec les représentants de la Sécurité publique. En revanche, les procureurs se sont montrés particulièrement intéressés par lapplication des normes internationales en matière de procédure pénale et séduits par le produit dexportation suédois quest depuis longtemps devenu linstitution de lOmbudsman (p. 4).
Il nen demeure pas moins que la véritable question est limpact dune formation de ce type. Personne ne peut aujourdhui en évaluer linfluence à court et même à moyen terme. Les rapporteurs ne le nient pas qui indiquent :
« Nombre de participants (à ces stages) ont été promus... et pourraient peut être devenir à lavenir des acteurs du changement. Mais il nest pas réaliste de placer trop despoir dans quelques personnes isolées dans un immense pays comme la Chine. Il est également dangereux de trop attendre de quelques hauts responsables éclairés alors que la protection des droits de lhomme est beaucoup plus un processus ascendant (bottom-up) que descendant (top-down) » (p. 31).
Cette dernière remarque appelle deux réserves qui tiendront ici lieu de conclusion : dune part, comme dans la plupart des évolutions politico-juridiques observées (cf. Taiwan), les réformes décidées par un gouvernement sont confortées ou endiguées par les pressions de la société. La Chine ne fait pas exception, avec son lot de requérants et de plaignants de toutes sortes devant les administrations ou les tribunaux. La mise en place de lois et dinstitutions judiciaires plus proches de celles que lon connaît en Occident en laissant le soin à la Chine, sans querelles ni anti-américanisme inutiles, de faire son choix entre les divers systèmes en présence (droit romain-germanique, common law) est de nature à progressivement instiller un certain esprit juridique chez un nombre croissant de Chinois, cest-à-dire une manière civilisée parmi dautres (cf. médiation) de régler les conflits. Mais dautre part cette nécessaire coopération ne doit pas pour autant masquer le conflit politique de fond qui nous oppose aux autorités de Pékin : cest pourquoi la condamnation des violations des droits de lhomme par le gouvernement chinois et les démarches auprès de ce dernier dans le but dassouplir sa répression des opposants politiques doivent se poursuivre, quelles que soient les formes quelles prendront à lavenir, de préférence dans un cadre multilatéral. Comme le montrent ces deux études, maintenir ce type daction na pas pour objectif de se donner bonne conscience ou de satisfaire certains segments de lopinion publique ; il contribue à forcer le gouvernement chinois à prendre ses responsabilités au moment où celui-ci entend jouer un rôle croissant au sein de la communauté internationale.