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Diana Hochraich : L'Asie, du miracle à la crise

by  Francesca Cini /

Le sujet de cet ouvrage, paru en plein milieu de la crise asiatique comme tant d’autres, dépasse en réalité la crise, le miracle et l’Asie, et déclare d’emblée ses intentions con testa taires. Son titre et sa quatrième de couverture sont de bonnes accroches commerciales mais risquent de décevoir le lecteur qui ne chercherait qu’une analyse de la récente crise asiatique.

Diana Hochraich donne beaucoup plus qu’une explication d’un phénomène circonscrit à une zone géographique. L’intérêt du livre, que nous pourrions rebaptiser « Pour une défense de l’Asie, du miracle à la crise », réside dans la contestation de l’opinion ambiante qui veut voir « dans les seules spécificités de ces pays [asiatiques] les causes de leur chute ». Au contraire, l’auteur tente d’insérer « miracle » et « crise » asiatiques dans le plus ample contexte du développement économique mondial de notre siècle, caractérisé par la globalisation de la production et des finances.

Déjà dans la première partie, où elle analyse la globalisation des marchés financiers, la création et le fonctionnement des oligopoles et la globalisation des secteurs productifs clés pour le développement asiatique, l’auteur attaque quelques idées reçues. La vision qui porte à croire que les finances commandent l’économie réelle serait fallacieuse. « L’idée selon laquelle les marchés financiers sont anonymes est également une idée fausse » (p. 18) et encore « Les institutions financières internationales et les gouvernements pourraient contraindre, s’ils le voulaient, les mouvements de ces investisseurs » (p. 19).

Même si l’on ne partage pas complètement ses hypothèses, son analyse de la division du monde en pays « développés » et pays « sous-développés », son explication des dynamiques qui relient ces « deux mondes » et enfin sa critique des différents modèles du développement économique sont passionnantes. Elles sont également plus convaincantes que la vision largement répandue d’une crise régionale engendrée par la spécificité de pays aussi différents les uns des autres que le Japon et l’Indonésie.

L’auteur a une thèse bien précise qu’elle démontre de différentes façons, l’une d’entre elles étant l’étude de l’échec du modèle de développement asiatique. « Les firmes oligopolistiques sont le principal vecteur de la globalisation. La crise actuelle prouve que celle-ci conduit les pays en développement non pas à rattraper les pays les plus riches, mais à subir une crise d’une gravité sans précédent » (p. 11), souligne-t-elle dans l’introduction.

« Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le marché mondial était déjà constitué sous sa forme actuelle » (p. 151) et « la division du travail entre pays développés et sous-développés établie à ce moment-là subsiste plus que jamais aujourd’hui. Ainsi, cette industrialisation [celle des pays sous-développés, ndlr] n’a pas modifié la division internationale du travail traditionnelle… » (p. 153).

Tel est le fil conducteur du livre, telle est sa conclusion. Paléo-marxiste ? Peut-être. Après avoir présenté sa théorie dans la première partie du livre, Diana Hochraich enchaîne avec les exemples. La comparaison entre la crise financière asiatique et la crise de la dette latino-américaine, le développement asiatique fondé sur la subordination à celui du Japon et même la fausse immunité de la Chine face à la crise ramènent toujours au même point : les pays développés se sont partagé le monde et les différents modèles de développement suivis par les pays sous-développés se sont tous montrés incapables de remettre en question cet ordre des choses. Qu’il s’agisse du modèle asiatique, basé sur « l’industrialisation par les exportations » ou celui de la « substitution des importations » adopté auparavant par les pays d’Amérique latine, aucun n’a permis, pour l’auteur, à ces pays de se développer. Même une combinaison des deux modèles, tentée par Taiwan et la Corée du Sud, n’a pas constitué une solution durable.

Les économistes qui expliquent le sous-développement comme un retard par rapport aux pays capitalistes avancés semblent avoir été démentis à jamais par la faillite du miracle asiatique. Cette approche ne peut aboutir qu’à une critique du FMI, dont l’auteur fustige le « plan type » comme dicté toujours par les intérêts des banques occidentales plutôt que par celui des Etats qu’il est censé aider. « Dans tous les pays où le FMI est intervenu, les banques et les entreprises ont vu leurs difficultés s’accroître du fait de l’accentuation de la pénurie de liquidités. » (p. 133)

N’y a-t-il donc pas de solutions ? La situation est très complexe et il ne s’agit pas de trouver des coupables. Même l’intégration régionale, considérée par la plupart des observateurs et des acteurs comme positive, semble accentuer, plutôt que désamorcer, les effets de la crise. La seule certitude est que les responsabilités et, par conséquent les possibilités de résoudre la crise actuelle, ne se trouvent pas toutes du côté des pays les plus directement concernés.

Pessimiste à bien des égard (« La crise asiatique est loin d’être finie », p. 127 : « L’Asie connaîtra donc sans doute une décennie perdue ou, pire encore, un processus semblable à celui que subissent les pays d’Amérique Latine », p. 147). Diana Hochraich pense tout de même que la solution se trouve dans un changement radical des rapports entre les deux mondes. « Il est clair que la réponse à la question du sous-développement ne pourra guère être trouvée que par la recherche d’un autre type de coopération » (p. 157).

Tout en souscrivant à cette conclusion, il faut tout de même apporter une mise à jour et poser une question à laquelle on aimerait que l’auteur esquisse une réponse. Par rapport au moment ou elle écrivait, les choses semblent s’être améliorées en Asie. Peut-être que la crise n’était pas aussi définitive qu’il apparaissait en 1997 et que ces pays ont des atouts différents de ceux des pays latino-américain. Le problème de la spécificité jouerait donc un rôle plus important que celui évalué par Diana Hochraich.

Mais si, en revanche, les faits lui donnaient raison, on en viendrait, comme l’auteur, à se poser la question de savoir quel « autre type de coopération » est envisageable dans le contexte économique et politique mondial pour le deuxième millénaire?