BOOK REVIEWS

Dong Yuyu et Shi Binhai (eds) : Zhengzhi Zhongguo (La Chine politique)

by  Chen Pi-chao /

Les coordinateurs de cet ouvrage ont passé en revue la presse publique et les journaux scientifiques à la recherche d’articles prônant une réforme politico-juridique et en ont fait un florilège. L’un des éditeurs, Shi Binhai, 36 ans, fut incarcéré en novembre dernier pour avoir soi-disant transmis aux médias japonais une lettre de l’ancien secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) à la direction du Parti. Dans cette lettre, Zhao Ziyang conjurait le Parti de revenir sur le jugement des manifestations pro-démocratiques de Tiananmen et des grèves de la faim auxquelles mit fin le massacre du 4 juin 1989. Selon les autorités, Shi cherchait à entrer en contact avec Zhao Ziyang lorsqu’il fut arrêté. Le lien entre sa participation à l’élaboration de l’anthologie et son arrestation n’est pas établi. Au même moment, les autorités auraient également ordonné l’interruption de la publication du livre.

Quoi qu’il en soit, ainsi qu’il en va pour la plupart des anthologies, la qualité du contenu varie d’un essai à l’autre. Dans l’ensemble les articles sont bien articulés et plusieurs d’entre eux atteignent un niveau de recherche assez élevé. Une demi-douzaine d’auteurs élaborent une distinction entre le « gouvernement par la loi » et « l’Etat de droit » et plaident pour une transition rapide de l’un vers l’autre (1). L’un des essais défend la liberté de pensée (pp. 120-123), un autre la liberté d’information (pp. 124-128), tandis qu’un autre encore prône une législation qui garantisse la liberté de la presse (pp. 129-131). Un essai dénonce les insuffisances et les inadéquations de la législation ainsi que d’un système judiciaire largement corrompu (pp. 93-107). L’un des articles décrit « la démocratie à la base », c’est-à-dire l’élection des responsables de village (pp. 352-367) alors qu’un autre, écrit par Li Rui (ancien secrétaire de Mao Zedong), condamne les « tendances gauchistes » et plaide pour un renforcement de la démocratie au sein du Parti (pp. 368-381). Seul un article, écrit par Gong Xiangrui, traite de la règle constitutionnelle, « Au sujet de l’autorité de la Constitution » (pp. 175-189). De cet ensemble de contributions sur le droit, l’article de Liu Junning « Du gouvernement par la loi à l’Etat de droit » (pp. 233-266) est de loin le meilleur et le plus scientifique. Les références bibliographiques que cite Liu démontrent une bonne connaissance des publications occidentales. Tous ces essais insistent sur les liens qui existent entre les processus de réformes économique d’une part et politique et juridique d’autre part et réclament un développement rapide de cette dernière réforme.

Les coordinateurs assurent qu’ils ont pris connaissance de tous les écrits parus ces dernières années sur la réforme politico-légale. Si tel est le cas (et je n’ai pas de raison d’en douter) je dois avouer que la Chine a encore un long chemin à parcourir en matière de libéralisation (un terme honni sur le continent) et de processus de démocratisation : seulement quarante articles sont ici rassemblés au total. Que la Chine soit cruellement en manque d’une réforme politique est un fait dont presque toute personne instruite s’accorde, Deng Xiaoping et Jiang Zemin y compris. Mais alors pourquoi les tentatives de réforme dans ce domaine ont-elles attiré si peu l’attention et provoqué si peu de travaux dans les milieux universitaires et scientifiques ?

Le choix des sujets traités et des sujets délaissés par les auteurs ayant contribué à cette anthologie ne révèle pas tant leurs centres d’intérêts intellectuels que le degré de tolérance du PCC à leur égard. Les auteurs se font les champions d’une transition rapide vers l’Etat de droit, d’une protection légale de la liberté de la presse, d’une diminution de la concentration du pouvoir entre les mains des secrétaires du Parti, d’un processus décisionnel moins pyramidal, d’une ingérence décrue du Parti dans tous les domaines, d’une révision des règles économiques et de la poursuite de la libéralisation économique, d’un système judiciaire moins corrompu et pour finir d’élections au niveau des villages et des cantons (xiang). C’est tout. Il leur apparaît soit prématuré soit imprudent de promouvoir des idées et idéaux qui appartiennent à un registre « bourgeois libéral » plus explosif. Aucun des essais du recueil ne soutient explicitement la supériorité de la Constitution et de l’Assemblée populaire nationale (APN) sur le Parti, la séparation entre le gouvernement et le Parti, l’élection directe des responsables provinciaux et nationaux, ni la légitimité d’une opposition politique organisée. Aucun n’ose affirmer publiquement que selon la « loi naturelle » et la « loi de la nature » tout être humain a des droits fondamentaux et inaliénables qu’aucune autorité séculière ne peut violer. Quelques-uns des auteurs remarquent l’importance de l’idée de « loi naturelle » dans la progression des droits de l’homme en Occident. Les décennies d’endoctrinement marxiste-léniniste-maoïste et de chauvinisme han ne sont pas restées sans effets. L’attitude anti-bourgeoise et anti-occidentale prévaut dans la Chine d’aujourd’hui au point qu’aucun des auteurs ne peut prendre la liberté d’utiliser les valeurs démocratiques libérales occidentales pour remettre en cause l’orthodoxie idéologique du Parti. Ils défendent leur cause en se fondant sur des arguments utilitaristes (celle-ci est bonne pour la modernisation de la Chine ou bonne pour la survie du règne du Parti-Etat). Un journaliste hongkongais demanda un jour à Peng Zhen : « Qu’est-ce qui est supérieur ? Le Parti ou la loi ? (Dang da haishi fa da ? ) » Le président du comité permanent de l’APN répondit : « Franchement je n’en sais rien ». Sur cette question, il est étonnant qu’aucun de ces auteurs n’ose franchement affirmer : « La loi qui est promulguée à la suite d’une procédure conforme est supérieure au Parti. Le Parti doit obéir à la loi comme tout le monde ». (Il n’existe pas d’équivalent de l’expression « procédure conforme » (2) en chinois. A Taiwan l’expression fut traduite par « justice procédurière » (chengxu zhengyi) il y a seulement deux décennies par des intellectuels libéraux, elle est entrée largement depuis dans le vocabulaire des personnes instruites).

La « désertion intellectuelle » est l’une des quatre conditions préalables de la révolution, selon Crane Brinton qui a écrit une étude comparée des révolutions (3). La désertion intellectuelle en Chine populaire est un fait courant qu’aucun observateur informé ne pourrait contester. Cela fait deux décennies que la transition hors du totalitarisme est en cours. Cependant la « désertion intellectuelle » doit être précédée par un « période d’éveil ». Ce prélude n’est pas encore survenu en Chine. Historiquement, la période d’éveil précède la libéralisation et la démocratisation. La propagation des pensées et valeurs démocratiques libérales est antérieure à l’accomplissement démocratique, comme ce fut le cas notamment hier en Occident ou plus récemment à Taiwan. Pour devenir un régime plus libéral et démocratique, la Chine doit d’abord connaître un tel prélude. Il faut qu’une partie des gens instruits aspire à un gouvernement libéral démocratique. Pour cela, une minorité éduquée et critique doit accomplir une œuvre missionnaire au risque de la prison et de la vie. Elle doit sans cesse présenter et propager sur une grande échelle les idées libérales démocratiques. Il faut qu’il y ait une quantité massive d’écrits, à la fois philosophiques et vulgarisateurs, qui présentent et élaborent ces idées et valeurs. Cette phase prosélyte prélude nécessairement à la réforme politique. Dans l’Amérique coloniale, par exemple, les théories de Locke et de Montesquieu furent popularisées et précisées par des gens tels que Thomas Jefferson et Tom Paine, les auteurs des Ecrits fédéralistes.

A Taiwan, la transformation démocratique fut de même précédée d’une période d’éveil en deux temps. La première phase de cette période préliminaire remonte aux années 1920 et 1930 quand l’île était une colonie japonaise (4). Les libéraux de la première génération se familiarisèrent avec le libéralisme occidental et l’idéal wilsonien d’autodétermination nationale par le biais de la langue japonaise et de leurs professeurs nippons pendant la période dite de démocratie Taisho. Ils propagèrent ces valeurs occidentales et demandèrent au gouvernement japonais d’accorder au Taiwan colonial son « autonomie » au nom de ces valeurs. Ils publièrent dans ce but des journaux et magazines pour les diffuser et faire naître une conscience populaire. Ils organisèrent également des associations « culturelles » et financèrent des activités « culturelles » pour convertir et recruter de nouveaux membres.

Avec le changement de régime, les Taiwanais éduqués se retrouvèrent du jour au lendemain illettrés d’office, incapables d’enseigner, d’être journalistes et d’avoir des postes de responsabilité dans l’administration : même s’ils pouvaient lire le chinois, ils ne savaient pas parler le mandarin, et encore moins écrire couramment en chinois. Ce changement de régime provoqua donc aussi un renouvellement des tenants du libéralisme à Taiwan. Le flambeau de l’éveil passa dans les mains d’une nouvelle catégorie de la population de l’île, les libéraux émigrés de Chine continentale. Beaucoup d’intellectuels anticommunistes se réfugièrent à Taiwan avec le gouvernement du Kuomintang (KMT) en 1949. Quelques-uns des intellectuels gagnés aux causes libérales démocratiques lancèrent des journaux d’opinion pour diffuser ces idées : ce fut la seconde phase de cette période d’éveil.

Les deux principaux journaux de cette seconde phase étaient la Revue Démocratique (Minzhu pinglun) et surtout La Chine Libre (Ziyou Zhongguo). Cette dernière fut fondée en 1950 et parut pendant onze ans jusqu’à ce que le régime alors répressif du KMT emprisonnât son éditeur Lei Chen. Pendant leur durée d’existence, ces deux journaux publièrent de nombreux articles et éditoriaux destinés à vulgariser non seulement les idées libérales classiques de l’Occident mais encore leurs développements contemporains. Tout au long des années 1950 ces journaux d’opinions, et en particulier La Chine Libre, éduquèrent et convertirent nombre de leurs lecteurs à la cause de la liberté et de la démocratie. Ils étaient très lus non seulement par les « étudiants rebelles » mais plus généralement par delà toute la société, y compris l’armée. Ils discutèrent des notions telles que les libertés civiles, la charte des droits, la règle constitutionnelle, l’indépendance judiciaire, le gouvernement restreint, l’équilibre des trois pouvoirs, la légitimité de l’opposition politique, le gouvernement par l’entremise des citoyens et son institutionnalisation sous la forme du multipartisme. Ils diffusèrent aussi les œuvres contemporaines majeures telles que Open Society and its Enemies de Karl Popper et Road to Serfdom de Fredrick Hayek (5). Ils allèrent jusqu’à critiquer la pratique du pouvoir et son usurpation par le gouvernement à la lumière de ces valeurs occidentales. Certains tentèrent même de mener des analyses indépendantes et originales. L’ouvrage Liberté et droits de l’homme de Chang Fu-chuan demeure aujourd’hui le meilleur ouvrage en langue chinoise sur l’origine et l’évolution des idées de liberté et de droits de l’homme en Occident (6). Hsu Fu-kuan et ses pairs néo-confucéens réinterprétèrent le confucianisme pour tenter de greffer les idées libérales démocratiques d’origine occidentale sur la tradition intellectuelle chinoise (7) (par exemple, minbian [peuple fondateur], tianming [Mandat céleste], minyu [satisfaire les désirs du peuples] et le « droit de tuer le tyran » (zhu tufu).

Après que ces journaux furent bannis, les revues Wen Hsing et Ta Hsueh apparurent. Les militants dangwai (hors parti) publièrent également de nombreux tabloïdes et magazines qui s’appuyaient sur les normes et valeurs libérales démocratiques pour dénoncer le gouvernement du KMT pendant toute la période de la loi martiale.

Où sont les pendants en République populaire de Chine (RPC) des Lei Chen, Yin Hai-kuang, Chang Fu-chuan, Hsia Tao-ping, et autre Hsu Fu-kuan (8)? Certainement pas parmi les auteurs dont les essais sont réédités dans ce volume, à l’exception peut-être de Liu Junning. Pourtant la défense par ce dernier de l’Etat de droit demeure une abstraction. Même lui n’ose pas affirmer la suprématie de la Constitution et des lois sur le Parti, ni désigner le multipartisme comme le mécanisme d’institutionnalisation du gouvernement démocratique. Se montrer par trop pro-capitaliste ou trop pro-occidental dans une Chine xénophobe, où presque toutes les pensées occidentales sont présumées subversives et illégitimes à l’exception de celles endossées par le Parti (comme par exemple le marxisme), reste aujourd’hui périlleux.

Bref, la quantité et la qualité de cette présentation éclectique des idées libérales et démocratiques en RPC ne soutient pas la comparaison avec le Taiwan des années 1950 et des périodes suivantes. Malheureusement les éditeurs ne donnent pas (ne peuvent pas donner) les références des revues dans lesquelles les essais ont été publiés pour la première fois. On peut néanmoins supposer sans se tromper qu’aujourd’hui encore la RPC n’offre aucun équivalent de la Revue Démocratique, La Chine Libre et leurs successeurs (9). En Chine populaire, la seule concession faite aux Lumières est la série de traductions d’œuvres occidentales en sciences sociales et humaines connues sous le nom de « Vers une nouvelle série de livres » (zou xiang weilai zhong shu) lancée par Jin Guantao. Et l’on peut regretter qu’aucun des instituts de recherche sous la coupole de l’Académie des siences sociales de Chine n’ait rien fait qui puisse s’apparenter à une promotion des idées des Lumières.

Pourquoi ce fossé ? Les partisans des valeurs libérales démocratiques en RPC sont-ils moins éduqués ou moins courageux ? Non. L’isolation relative des intellectuels de la RPC à l’égard du monde extérieur est une possibilité. Une autre explication plus convaincante tient à la différence du degré de tolérance de la liberté d’expression entre le KMT et le PCC, tous deux frères jumeaux du bolchevisme. Dans les années 1950 le gouvernement du KMT « léninisa » partiellement Taiwan. Ce fut Chiang Ching-kuo qui entreprit personnellement cette tâche, avec l’accord de son père Chiang Kai-shek. Le gouvernement tolérait néanmoins que les avocats de la démocratie libérale soutinssent librement leur cause, tant qu’ils respectaient certaines limites. Lei Chen et quelques uns de ses collaborateurs proches furent emprisonnés non parce qu’ils souscrivaient aux idéaux occidentaux, mais parce qu’ils voulaient les appliquer. Non contents d’exercer leur liberté d’expression, ils voulaient exercer leurs droits de libre association et prirent la tête de la formation d’une opposition politique. Pire encore, ils essayèrent de nouer une alliance entre les libéraux venus de Chine (tels qu’eux-mêmes) et certains politiciens taiwanais charismatiques tels que Li Wan-chu, Kuo ko-hsin, Kuo Ko-chi et Kao Yu-shu (10). L’alliance des démocrates libéraux continentaux (qui écrivaient superbement en chinois) et des libéraux indigènes (qui étaient très suivis mais qui pouvaient à peine écrire en chinois, ayant reçu leur éducation en japonais) était dangereuse pour Chiang Kai-shek et son fils, qui firent emprisonner les responsables de ce mouvement (Lei Chen et ses proches collaborateurs) sous le coup de fausses charges (accusés de couvrir un agent communiste infiltré). Le gouvernement du KMT, espérant « intimider les singes en tuant les poulets » jeta Lei et Fu en prison parce qu’ils étaient les responsables du mouvement et renvoya de l’Université nationale de Taiwan Yin Hai-kuan, un professeur de philosophie extrêmement populaire, parce que « les étudiants les meilleurs et les plus intelligents » étaient attirés et « corrompus » par ses cours . Malgré ses écrits corrosifs et dévastateurs pour le gouvernement, on ne le condamna pas à la prison parce qu’il ne faisait pas partie des responsables du mouvement, ayant trop peu de patiente et d’inclination pour les besognes fastidieuses de l’activisme politique (11). Hsiao Tao-ping et Hsu Fu-kuan échappèrent à la prison pour les mêmes raisons, bien que leurs critiques du gouvernement du KMT fussent tout aussi sévères. Les politiciens taiwanais furent également épargnés parce que les autorités pensaient avoir détruit les germes de toute opposition politique organisée en emprisonnant Lei et quelques autres.

La Chine est « une civilisation qui tente d’être un Etat », écrivit un jour Lucian Pye (12). L’on pourrait paraphraser sa remarque en disant que « la Chine est le dernier empire bureaucratique qui tente d’être un Etat » (13). Toutefois certains observateurs considèrent la Russie actuelle comme un « Etat raté », cela vaut également pour la Chine. He Qing lian, un des auteurs ayant contribué à cette anthologie, connue pour son ouvrage Les pièges de la Chine (14), remarque que la Chine d’aujourd’hui présente quasiment toutes les caractéristiques et les traits d’un « Etat mou » (ruan zhengquan) (p. 2). L’expression « Etat mou » fut créée par Gunnar Myrdal et rend compte d’un phénomène souvent existant dans les pays du tiers monde — une carence de législation, une interprétation et mise en pratique arbitraire de la loi, la désobéissance ou la négligence des règlements et des ordres émis par les responsables à tous les niveaux, la collusion des responsables officiels avec les marchands (15). Toutes ces caractéristiques semblent en effet s’appliquer à la Chine et elles ne se sont pas contradictoires entre elles.

Quel type de système politique est le plus à même d’assurer l’ordre intérieur et la modernisation continue de la Chine tout en limitant les risques d’un coup d’arrêt soudain ou d’une dépression systémique ? A l’exception de Yu Keping, aucun des auteurs ne soulève ces questions et encore moins ne s’efforce d’y répondre. Dans un petit essai bien pensé, Yu explique la distinction entre « stabilité statique » et « stabilité dynamique ». La première fait référence au maintien de la stabilité par l’interdit — l’interdiction aux citoyens de pétitionner, manifester, etc. pour exprimer leur mécontentement à l’égard du gouvernement. La stabilité dynamique, en revanche, fait référence au maintien de la stabilité par une accommodation dynamique, c’est-à-dire permettant aux citoyens d’exprimer leur mécontentement et s’efforçant de satisfaire leurs demandes. Yu plaide en faveur de ce deuxième type de stabilité par opposition à la « stabilité statique traditionnelle » (p. 52). Il avance que le maintien de la stabilité par le statu quo est l’approche la moins souhaitable, mais ne va pas plus loin. Soit il n’a pas réfléchi aux moyens d’institutionnaliser le concept de stabilité dynamique, soit il n’ose pas articuler ses réflexions.

Parmi les réformateurs chinois contemporains, il n’y a guère que Yan Jiaqi pour soutenir que le fédéralisme peut satisfaire les exigences apparemment contradictoires que nous venons de citer. Pour lui, seule une organisation fédérale permettrait à la Chine de maintenir son unité, c’est-à-dire de conserver un ensemble composé de la Chine proprement dite, du Tibet, du Xinjiang et de Hong Kong ainsi que, plus tard, de Taiwan. Yan n’arriva à cette conclusion qu’après avoir voyagé en Occident et aux Etats-Unis. Cependant la direction du PCC a, depuis son arrivée au pouvoir, constamment rejeté le fédéralisme. Et si aucun des auteurs ayant contribué à cette anthologie n’aborde cette question, c’est que celle-ci reste, aujourd’hui, y compris dans les milieux réformateurs, tabous.

Quelles sont les implications de ces analyses pour la Chine ? En un mot, il n’est absolument pas sûr que la modernisation continue de la Chine et son évolution vers une démocratie libérale aboutiront, contrairement à ce que certains spécialistes occidentaux de la Chine supposent ou espèrent. La Chine a encore un long chemin à faire avant de devenir, si tant est qu’elle devienne un jour, un Etat moderne dont l’immense population bénéficierait des bienfaits que sont les droits de l’homme et les libertés civiles. Sur un plan plus pratique, la question se pose aujourd’hui avec urgence de savoir si la Chine politique peut demeurer un corps politique uni et opérationnel, capable de faire face à la détérioration rapide de son environnement naturel, la disparité croissante des chances et des revenus entre régions et entre classes, les tendances centrifuges et le séparatisme ethnique et la faillite morale du Parti au pouvoir. Toutes ces questions ne sont pas sans répercussions ni implications pour le reste du monde.

Traduit de l’anglais par David Kempf