BOOK REVIEWS

Sydney C.H. Cheung (ed) : On the South China Track - Perspectives on Anthropological Research and Teaching

by  Béatrice David /

On the South China Track n’est pas une invitation au voyage, ethnographique ou touristique, « sur la piste de la Chine du Sud ». L’exploration à laquelle convie cette sélection de 13 communications présentées lors d’un colloque tenu en juin 1997 à l’Université chinoise de Hong Kong est celle des nouvelles tendances qui se dessinent dans le champ académique des études anthropologiques de la Chine du Sud d’aujourd’hui, et des orientations souhaitables dans son programme pour demain.

De cet ouvrage, le lecteur retirera surtout le bénéfice attendu d’un exercice d’évaluation des développements récents de ce champ en plein épanouissement depuis une quinzaine d’années qu’est l’anthropologie de la Chine du Sud (Huanan). L’ampleur du champ d’investigation, en termes d’objets et thèmes d’études, dont plusieurs articles proposent une synthèse, illustre la vitalité d’un domaine de recherche dont l’évolution récente est liée d’une part à la redéfinition du champ de la discipline et d’autre part, aux bouleversements des contextes économiques, politiques et culturels dans les sociétés de l’aire chinoise. L’évolution des études anthropologiques sur la Chine du Sud et de son enseignement va en effet dans le sens du développement d’une discipline dont le domaine s’étend désormais à la totalité du champ social, du lointain et du proche, de l’ici et de l’ailleurs. Délaissant les sentiers classiques de la discipline, cette série d’essais privilégie l’exploration des terrains nouveaux qui s’ouvrent aujourd’hui à l’anthropologie des sociétés contemporaines de la Chine du Sud. Les orientations nouvelles de l’anthropologie de la Chine du Sud, surtout dans le programme des recherches de demain, la définissent comme une anthropologie de la modernité. L’exploration anthropologique des sociétés contemporaines chinoises s’engage assurément sur des voies nouvelles quand elle s’aventure, comme le font deux contributeurs de ce volume, Lozada et Cheung, dans le champ virtuel des autoroutes de la communication électronique, l’un montrant le rôle du réseau Internet dans l’expression et la revitalisation de l’identité ethnique des Hakka de la diaspora, le second s’interrogeant, à partir de l’exemple d’une communauté d’internautes japonais, sur les implications sociales de cette nouvelle forme du lien social. Une telle orientation ne va pas encore de soi dans une communauté anthropologique qui reste ici et là divisée sur la définition des objets de la discipline. Les déplacements de perspective qui ont marqué l’évolution récente des études anthropologiques des sociétés du monde chinois en opérant un recentrage vers des terrains modernes et urbains ne sont pas cependant le seul résultat d’une redéfinition du champ de la discipline. L’anthropologie de la Chine du Sud a aujourd’hui pour contexte des sociétés qui satisfont de moins en moins à la qualité de « sociétés traditionnelles » dont ressortissaient les objets classiques de notre discipline. Les reconfigurations souvent spectaculaires du champ social, économique et culturel produites par l’industrialisation et l’urbanisation sont venues inscrire dans l’agenda des recherches anthropologiques l’analyse des phénomènes nouveaux créés par ces situations nouvelles. Un autre important développement des études anthropologiques des sociétés de la Chine du Sud sur lequel cet ouvrage attire l’attention est leur inscription dans le champ déterritorialisé des terrains transnationaux où se déploient les réseaux d’échanges et de relations, réactivés par les enjeux économiques, entre les membres de la diaspora chinoise et leurs régions d’origine.

L’autre changement qui est intervenu au cours de ces quelque quinze dernières années bouleverser l’exercice de l’anthropologie des sociétés de l’aire culturelle chinoise, avec l’essor, dans les sociétés concernées, des études et des recherches anthropologiques, ne tient ni à l’extension géographique de l’aire ni à la multiplication des thèmes d’études. Le phénomène d’indigénisation de l’anthropologie des sociétés chinoises contemporaines, sans être directement au centre de l’ouvrage, le parcourt et l’inspire, tant il est vrai qu’il insuffle une nouvelle dynamique dans ce champ de recherche qu’il vient enrichir de regards nouveaux et de nouvelles approches. Sur cette question, Joseph Bosco vient très opportunément apporter quelques premiers éléments de réflexion avec un article qui s’interroge sur les enjeux et les implications de l’épanouissement d’une pratique indigène de l’anthropologie, dans une discipline qui s’est construite à partir de l’étude des autres, « barbares », « sauvages », « primitifs » et « traditionnels » par des observateurs de l’extérieur provenant des sociétés occidentales qui se partageaient le singulier privilège du projet anthropologique. Tel est peut-être, en définitive, l’enseignement principal de cette tentative pionnière d’état des lieux que de confirmer, à travers les acquis récents et les orientations souhaitables de l’anthropologie des sociétés contemporaines de la Chine du Sud, la vitalité d’une discipline qui pose l’unité du genre humain.