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Hong Kong, plate-forme mondiale pour les services à forte valeur ajoutée ?

Le déclin de la production manufacturière à Hong Kong — 22 % du Produit intérieur brut (PIB) en 1987, 6,5 % en 1997— est un phénomène ancien et amplement débattu. Ce qui l’est moins, c’est la transformation structurelle que subissent les services depuis l’imbrication des économies de Hong Kong et de la Chine du sud. En moins de deux décennies, la part des services dans le PIB est passée de 64 % (1981) à 85,2 % (1997) ; les services sont le premier employeur à Hong Kong : 54 % des actifs en 1986, 85 % en 1998. Mais au sein du tertiaire une autre évolution, plus subtile, s’est affirmée à partir de la fin des années 1980 : la montée de la profession d’appui à la production délocalisée : finance, assurance, immobilier et, surtout, services aux entreprises. Cette très nette poussée des services stratégiques et le fléchissement de services liés au commerce — inaugurent-ils une transformation structurelle de l’économie hongkongaise ? Traduisent-ils son accession au statut de métropole globale ou plus prosaïquement sa dépendance accrue vis à vis de l’arrière-pays chinois ?

Le Census and Statistics Department regroupe, sous la catégorie « services », quatre grandes familles professionnelles : 1. le commerce (gros et de détail), l’import-export, l’hôtellerie et la restauration ; 2. le transport, l’emmagasinage et les communications ; 3. la finance, l’assurance, l’immobilier et les services aux entreprises ; 4. les services personnels, sociaux et communautaires. Suivons l’évolution d’un « marqueur » de la sophistication d’une économie métropolitaine, la catégorie « finance, assurance, immobilier et services aux entre prises ». Les trois premiers métiers qui la composent sont aisément repérables. Notons toutefois que l’ampleur prise par l’immobilier au milieu des années 1990 contribue de façon atypique à la sur-représentation de toute cette catégorie. La dernière rubrique (les services aux entreprises) regroupe des activités composites : location de machines et d’équipements, services juridiques, comptabilité et audit, traitement de données, engineering et services techniques, publicité.

Nous sommes là au cœur de ce qui fait la complexité de la chaîne intégrée qui court de la production au transport, des infrastructures au marketing, du contrôle de la qualité au conseil juridique. L’importance de cette « grappe » de services a presque doublé de 1985 a 1997 dans le PIB ; sa place dans l’emploi et les exportations de services a presque triplé. Comparons-la à une logistique plus classique — celle qui unit le transport, l’entrepôt, les communications — à partir de quatre angles différents : les contributions respectives de ces deux secteurs au PIB (cf. graphique 1), à la valeur ajoutée par employé (cf. graphique 2), à l’emploi (cf. graphique 3), aux exportations de services (cf. graphique 4) et au stock d’investissements directs étrangers à Hong Kong (cf. graphique 5).

La baisse de l’activité manufacturière, ou plus exactement sa délocalisation en Chine du sud, a engendré une formidable demande pour les services logistiques, la finance, l’assurance et les services professionnels. Hong Kong n’est plus seulement la porte d’entrée sur le marché chinois, mais la plate-forme privilégiée qui met à la disposition d’opérateurs internationaux une panoplie de services à très forte valeur ajoutée. Ainsi, la logistique unit dans une chaîne intégrée la prévision de la demande et le traitement du fret, la planification de la production, la gestion des stocks et le transport.

De même, l’accroissement de l’emploi dans les services depuis 1986 (cf. graphique 3) ne doit pas cacher la progression spectaculaire de la catégorie « finance, assurance, immobilier et services aux entre prises » qui surpasse, dès 1995, les services liés à la manipulation physique du fret (transport, emmagasinage, communications).

Grande consommatrice de haute technologie dans les services — plus que dans la production manufacturière — Hong Kong délocalise déjà en Chine les services moins intensifs en valeur ajoutée : l’entrepôt, le contrôle de la qualité, etc. Mais faute de ne pouvoir rester compétitive dans toute la gamme d’activités, des choix devront être opérés et les arbitrages seront vraisemblablement rendus en faveur de services intensifs en expertise : la finance, le courtage, qui resteront l’apanage de la de la Région administrative spéciale (RAS). La position de Hong Kong déclinera donc dans le fret et le relais sera pris par la Chine, comme en témoigne déjà l’essor du commerce offshore, lié à l’émergence des ports du delta de la Rivière des Perles.

Cette mutation est clairement perceptible dans les exportations de services (cf. graphique 4). La croissance du poste « transport » s’essouffle : 45,06 % du total des exportations de service en 1980, 38,25 % en 1990, 34,76 % en 1997. La baisse, sensible entre 80 et 90, pourrait être plus prononcée encore entre 1990 et 2000 en raison de l’impact de l’accroissement du trafic capturé par Shenzhen. Les services à forte valeur ajoutée (assurance, finance, services liés au commerce et autres tels la publicité, etc.), en revanche, passent de 32,54 % du total des exportations de services en 1980 à 40,79 % en 1997.

S’il est possible — bien que l’exercice ne soit pas aisé — de disposer du détail sectoriel des exportations de services, nous ne savons rien de leur répartition géographique. La capacité de Hong Kong à collecter des données statistiques est encore faible. Cette dimension permettrait cependant de livrer bien des informations relatives au poids de la Chine et à la capacité de Hong Kong à exporter des services au delà de son arrière-pays.

A considérer, enfin, la place de la finance, de l’assurance, de l’immobilier et des services aux entreprises dans l’investissement direct à Hong Kong, le tableau est encore plus clair. Le stock est dominé de façon écrasante (plus de 93 % en 1997) par le secteur non manufacturier. Il est révélateur que, là encore, notre « marqueur » surplombe, et de très haut, les autres secteurs récipiendaires de l’investissement direct étranger dans les services: banques et deposit-taking companies, holdings et autres institutions financières, assurance, immobilier et services aux entreprises (487,5 milliards de dollars de Hong Kong en 1997), constituaient les deux-tiers du stock total d’investissement direct étranger à Hong Kong (cf. graphique 5).

La percée des services stratégiques suffit-elle à faire de Hong Kong, comme le souhaiteraient les autorités, une place globale, soutenant la comparaison avec les centres de commande de l’économie mondiale que sont Londres, New York et Tokyo ? Oui, sans doute, si l’on retient des indicateurs comme le poids des services dans l’économie, le faible niveau de la production manufacturière — qui ne semble cependant pas avoir été compensé, comme au Japon, par une progression dans l’intensité technologique —, la capacité à animer et coordonner des réseaux de sous-traitance, la montée en puissance des exportations de services. Non, si l’on en juge par le niveau de la capitalisation boursière, loin derrière Tokyo, le sous-développement du marché obligataire et, surtout, l’absence de points d’ancrage forts de l’innovation que sont les centres de recherche et de développement. Outre l’incertitude qui relève de la relation de plus en plus étroite avec le continent — qu’adviendrait-il si Shenzhen devenait une municipalité placée, comme Pékin, Tianjin, Shanghai et Chongqing sous la tutelle directe du gouvernement central ? — c’est là sans doute une des plus grandes vulnérabilités de Hong Kong dans son ambition à devenir un centre global pour les services. Sans parler de la concurrence d’autres plates-formes asiatiques : Singapour, Taiwan, et plus tard peut-être, Shanghai.

Longtemps prospère dans l’activité d’entrepôt, Hong Kong tirait de la réexportation l’essentiel de sa force économique. Les infrastructures, le transport et l’emmagasinage en étaient le moteur. La ville devient désormais, sous la poussée du décollage chinois, une économie fondée sur le service, dont la fonction est à la fois le contrôle d’un vaste réseau de sous-traitance (délocalisation de la production manufacturière et de certains services) et l’exportation de prestations à forte valeur ajoutée. Le moteur est ici la haute technologie. Mais dans ce domaine, Hong Kong commence à peine à prendre conscience de son retard. Passer d’une économie fondée sur l’entrepôt à une économie intensive en technologie et en expertise requiert la constitution d’une masse critique de professionnels qui ne pourront, à terme, être formés par les seules infrastructures éducatives de la RAS.