BOOK REVIEWS
Sous la direction de Lynn Pan: The Encyclopedia of the Chinese Overseas
Cette encyclopédie il lustrée est une uvre ambitieuse qui constitue une mise à jour très complète sur la question des Chinois doutre-mer. Ce livre a été coordonné par Mme Lynn Pan, fondatrice et coordinatrice du Centre du patrimoine chinois de Singapour, dont il sagit à ce jour de la plus importante publication.
Les principaux sponsors de cette entreprise sont de riches hommes daffaires dorigine chinoise comme, par exemple, Li Ka Shing, Liem Sioe Liong et Wee Cho Yam.
Les contributeurs, au nombre de 50 environ, sont des chercheurs de toutes origines, ce qui témoigne de la diversité géographique de limplantation des communautés chinoises dans le monde. Une exception de taille est à noter cependant : seulement un chercheur de Chine continentale a collaboré à cet ouvrage.
Destiné à la fois aux spécialistes et aux non-spécialistes, ce livre sarticule autour de cinq thèmes majeurs : les origines, les migrations, les organisations, les relations avec le pays dorigine et les communautés. Ces communautés nenglobent pas moins de 30 millions de personnes : 88 % vivent en Asie, 8 % aux Amériques, 2,7 % en Europe, 1,3 % en Océanie et dans les pays de lOcéan indien (1) et plus de 35 dentre-elles sont présentées dans le présent ouvrage.
Pour un domaine aussi vaste, lélément fédérateur du livre est « lidentité chinoise ». Dès lintroduction, un schéma présente sa typologie. Cette identité apparaît comme multiple et mouvante selon les interactions entre les groupes et les individus, et est définie, dans plusieurs chapitres, à partir du concept très en vogue en anthropologie de « frontières ethniques » (ethnic boundaries). A cet égard, la déclaration de Liem Sioe Lim, célèbre homme daffaires indonésien nest compréhensible que si cette notion de « frontières » est introduite :
Jai 225 000 employés, seulement un faible pourcentage sont chinois. Je suis fier dêtre indonésien et je suis patriote.
Les « frontières », dans ce contexte précis, sont les contraintes que cet homme daffaire dorigine chinoise doit accepter afin dassurer son intégration dans la société locale. En effet, les Chinois dIndonésie ne sont pas autorisés à travailler dans le secteur public et, dans ce pays, tout Chinois qui mettrait en avant son identité ethnique ne ferait quaccentuer la discrimination des gens du sol (Pribumi) à légard de sa communauté.
Une autre manière dexplorer « lidentité chinoise » est de se pencher sur la fidélité des Chinois doutre-mer à leur village dorigine (qiaoxiang). Dans un dossier intitulé « Un hypothétique dialogue sur les réseaux commerciaux des Chinois doutre-mer », le thème est discuté à travers un dialogue entre deux interlocuteurs imaginaires. Lun revendique lexistence dun capitalisme à la chinoise qui prend ses racines dans un modèle confucéen organisé autour dun noyau familial fortement structuré. Lautre nest pas du tout convaincu que les Chinois doutre-mer investissent en particulier dans les pays de leurs ancêtres. Il met plus volontiers en avant le caractère incitatif sur le plan fiscal et législatif des zones économiques spéciales de la République populaire de Chine. En outre, pour ce dernier, trop mettre en avant la cohésion des communautés chinoises doutre-mer peut contribuer à exacerber les tensions inter-communautaires dans les pays de résidence, notamment dans un contexte de crise économique.
La partie intitulée « les communautés », qui ne représente pas moins de la moitié de louvrage, illustre également ce débat. Il en ressort très clairement que lon ne peut analyser une population en constant changement à partir dun modèle unique. La « communauté », loin dêtre fermée et homogène, fait alors plutôt figure dunité de description et doutil conceptuel. A cet égard, lon peut regretter le parti pris de louvrage davoir adopté une découpage national des communautés des Chinois doutre-mer en dépit de précautions méthodologiques énoncées au départ (p. 70 et p. 137) : en effet, les Chinois dEurope constituent plus une communauté transnationale quune addition de communautés nationales séparées.
Dans un même ordre didées, lon peut regretter que la dimension transnationale napparaisse pas plus dans létude sur les qiaoxiang. En effet la partie qui lui est consacrée sattache à décrire les traits culturels de la région dorigine sans établir de relations entre le qiaoxiang et les pays daccueil : en dautres termes, pourquoi les Chinois dun village ou dune région donnée émigrent vers un pays plutôt que vers un autre ?
Cette encyclopédie demeure cependant très attrayante grâce à ses dossiers biographiques et thématiques ainsi quà sa riche iconographie. De plus, ce livre aborde parfois des thèmes inédits. Ainsi, Marlowe Hood, journaliste franco-américain, a pu avoir accès à des dossiers juridiques dimmigrés clandestins originaires de la province du Fujian et résidant aux Etats-Unis. Il a pu décrire les réseaux migratoires « invisibles » et le système de corruption quasi-institutionnalisée du gouvernement local chinois. Autre exemple, Paul Bailey, professeur dhistoire à lUniversité dEdimbourg, expose la situation trop peu connue des 150 000 travailleurs chinois venus en France pendant la Première Guerre mondiale. On apprend alors que dans le milieu des années 1920, lAssociation générale des travailleurs chinois réclama au gouvernement français des dédommagements qui lui ont tous été refusés. Comme le montrent dautres travaux de Live Yu-Sion (2), contributeur pour la partie française, les autorités ne furent pas si ingrates que Bailey le prétend car elles financèrent la construction dun cimetière chinois à Noyelles (dans la Somme).
Mais cest aussi la grande valeur de cette encyclopédie que de regrouper autant dapproches, à la fois de chercheurs et de journalistes, et daborder lensemble des débats de fond sans toujours chercher à trancher. Et cest parce que cet ouvrage donne une définition souple et dynamique de lidentité chinoise qu il constitue de bout en bout une réflexion riche sur la question de laltérité.