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Gregor Benton et Frank N. Pieke: The Chinese in Europe

La présence chinoise en Europe est plus que centenaire mais peu nom breuses sont les études sur le sujet. Jusqu’à la publication de cet ouvrage, elles portaient sur la première partie du XXe siècle et étaient au nombre de trois : Frederik van Heek pour la Hollande, James L. Watson pour la Grande-Bretagne et Charles Archaimbault pour la France.

Couvrant la seconde partie du XXe siècle, The Chinese in Europe comble donc une lacune criante.

En effet, l’Europe est le continent où la population chinoise a le plus progressé entre 1960 et 1970. Tentant de prendre en compte les principales facettes de ce phénomène, les 16 auteurs de cet ouvrage présentent les communautés chinoises dans une dizaine de pays européens (France, Italie, Pays-Bas, Espagne, Grande-Bretagne, etc.). Les auteurs portent leur attention à la fois sur la « relative invisibilité des migrants chinois » et sur les différentes politiques migratoires des principaux Etats européens. Introduisant un ensemble de 14 contributions, les initiateurs de l’ouvrage, Gregor Benton et Frank N. Pieke, nous rappellent que ces travaux oscillent entre deux types d’analyse : nationale et transnationale. Alors que l’analyse nationale exagère la cohérence et la solidarité du groupe nommé « communauté », d’entrée de jeu, les auteurs se demandent si l’étude de la diaspora chinoise doit se fonder sur l’analyse successive de communautés nationales distinctes.

En effet les communautés de Chinois d’outre-mer en Europe sont hétérogènes en raison à la fois de la diversité de leurs origines géographiques et de la multiplicité des vagues migratoires.

Les cinq principaux groupes cités sont :

• les Chinois du sud du Zhejiang, originaires de Wenzhou et Qingtian, arrivés au cours de la Première Guerre mondiale ;

• les Cantonais de la région de l’estuaire de la rivière des Perles, venus pendant la Seconde Guerre mondiale ;

• les Chinois d’Indochine réfugiés pendant les années 1970-80 ;

• les Chinois du nord de la province du Fujian arrivés au milieu des années 1980 ;

• les Chinois du Nord venus à la faveur de la chute du communisme dans les pays de l’Est.

Cependant, Flemming Christiansen, dans son chapitre intitulé « Chinese Identity in Europe », fait figure d’exception en proposant une analyse qui rend compte du caractère composite des communautés chinoises d’outre-mer, laissant de côté les questions telles que l’assimilation à la société d’accueil. Il centre au contraire son attention sur le dynamisme de ces communautés. Pour lui, la flexibilité des liens entre les Chinois d’outre-mer permet justement à ces derniers de s’adapter plus aisément à leur environnement. Battant en brèche le rôle fédérateur du confucianisme, il montre au contraire que les membres de ces communautés se regroupent autour d’autres critères : les générations, les dialectes, les croyances, les lignages, les niveaux d’éducation, etc.

Un autre atout de cet ouvrage est d’aborder les questions politiques, un domaine bien souvent négligé par les études sur la diaspora chinoise. Le cas de la Russie est à ce titre exemplaire car le passé recoupe le présent, comme l’indique le titre de la contribution d’Anne de Tinguy « Chinese Immigration to Russia : A Variation on an Old Theme ». En effet, comme au début du siècle, les réseaux de Chinois d’outre-mer établis à Moscou organisent le « transfert » des compatriotes vers l’Europe de l’Est ou les Etats-Unis. Dans les années 1990, ayant développé une politique visant à attirer les investisseurs chinois, certains pays de l’Est comme la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Hongrie sont devenus malgré eux une véritable tête de pont de l’émigration clandestine vers l’Europe de l’Ouest. Certains entrepreneurs chinois désormais installés dans ces pays jouent ainsi un rôle central dans ces flux (c’est ainsi qu’en Roumanie, 47 entreprises chinoises fantômes ont été recensées).

Parallèlement, en Chine, des mesures incitatives ont été également prises pour inciter « le trop plein de main-d’œuvre » à se diriger vers d’autres marchés nationaux de l’emploi. Cette politique gouvernementale est complétée par la mise en place dans ces nouveaux pays de résidence d’associations visant à contrôler les Chinois qui y sont établis. On peut dès lors se demander si le gouvernement chinois n’est pas l’un des artisans de l’émigration clandestine chinoise. Malheureusement, cet ouvrage n’apporte pas de réponse claire à cette interrogation, probablement en partie parce que les contributions ont été achevées en 1996.

Ce livre met enfin au jour la grande disparité des sources quantitatives sur les Chinois d’outre-mer et leur traitement particulier dans chaque pays. Par exemple, en France, le recensement officiel ne distingue ni la langue maternelle ni le pays d’origine des personnes naturalisées. Et les chiffres publiés par le Département de la population et des migrations du ministère du Travail ne comprennent qu’une catégorie « Asie » englobant des dizaines de pays.

Bien que cet ouvrage, parce qu’il s’attaque à un terrain de recherche encore en friche, n'aborde pas toutes les questions essentielles (comme par exemple celle de l'analyse comparative des quatre générations de familles chinoises en Europe), il a cependant accompli une œuvre pionnière.