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Recrudescence de tension « d’Etat à Etat » dans le détroit de FormoseLa nouvelle approche taiwanaise de ses relations avec la Chine populaire et ses répercussions
Le 9 juillet 1999, Lee Teng-hui, le président taiwanais, déclarait dans un entretien accordé à la Deutsche Welle que « depuis lintroduction de sa réforme constitutionnelle en 1991, (la République de Chine) avait redéfini ses relations avec le continent chinois comme étant des relations dEtat à Etat (guojia yu guojia) ou au moins des relations spéciales dEtat à Etat » (tesu de guo yu guo de guanxi) (1).
Ces paroles à première vue anodines ont provoqué une nouvelle crise avec la République populaire de Chine (RPC). Comme en 1996, Pékin sengagea dans une féroce campagne de dénonciation du président taiwanais et multiplia les bruits de bottes aux environs de l« île rebelle », gelant ainsi derechef la poursuite de ses entretiens officieux avec Taipei. Toutefois, contrairement à il y a trois ans, Pékin na répondu pour lheure par aucun geste provocateur, autre que verbal, à la déclaration de Lee.
La réaction des Etats-Unis sest également avérée différente de celle adoptée lors de la « crise des missiles ». Pour la première fois, ladministration américaine a fait porter à Taiwan la responsabilité de la recrudescence de la tension dans le détroit, épousant sans guère de nuances la thèse chinoise de la « provocation » dun président formosan en fin de mandat et aimant décidément à jouer les « trouble fête » (troublemaker) ou plutôt les saboteurs à un moment où Washington tente de rapiécer tant que faire se peut le patchwork déjà usé de son « partenariat stratégique constructif » avec Pékin (2).
Dans ce jeu triangulaire dont on fêtera le cinquantenaire cet automne, Taiwan sest apparemment à nouveau trouvé isolée. La rapidité avec laquelle chaque puissance digne de ce nom lUnion européenne comprise a cru devoir réaffirmer au régime communiste le credo diplomatique de lunicité et de lindivision de la Chine na pu que confirmer cette impression.
Alors pourquoi Lee a-t-il tenu à avancer sa théorie des deux Etats (liangguolun) ? Quelles raisons ont amené la Chine populaire à réagir aussi vivement à cette déclaration ; quels motifs expliquent lattitude de lAdministration Clinton ? Et tout dabord, cette approche des relations entre les deux rives est-elle vraiment nouvelle à Taiwan ?
Sil est relativement aisé dévaluer les facteurs qui ont déterminé la politique des principaux acteurs, il est plus ardu détablir un bilan, forcément provisoire, de cette nouvelle recrudescence de la tension dans le détroit de Formose et plus encore de tracer les lignes dévolution future des relations entre Pékin et Taipei.
La théorie des deux Etats chinois : laboutissement dun processus
Pour les Taiwanais et les habitués de Formose, la théorie des deux Etats chinois napporte guère déléments nouveaux à la politique continentale de la République de Chine (RDC), telle que celle-ci a été redéfinie au début des années 1990, cest-à-dire au moment où le pays sengageait dans un processus fondamental de démocratisation.
En effet, cest à cette époque là que les autorités de Taipei ont de facto mais pas de jure admis lexistence de la République populaire de Chine. Ayant depuis la fin des années 1960 abandonné tout rêve de reconquête, le Kuomintang (KMT) décida alors de mettre fin à létat de guerre avec le continent (1991), délaborer une nouvelle politique dunification pacifique et par étapes de la nation chinoise et de réformer les institutions du pays afin que celles-ci deviennent représentatives des seuls citoyens vivant sous la juridiction de Taipei. Peu de temps auparavant (1989), renonçant de fait à exercer sa souveraineté sur le continent, la République de Chine avait déjà commencé à encourager les Etats la reconnaissant à ne pas rompre avec Pékin (et vice versa), une politique évidemment dénoncée par la République populaire et donc vouée à léchec.
Cest également au cours de ces années (1992) que Taipei proposa une nouvelle définition du concept « dune seule Chine », celle-ci devenant avant tout « une entité historique, géographique, culturelle et raciale » (3), politiquement divisée et dirigée par deux gouvernements distincts, doù la formule de lépoque « un pays - deux gouvernements » (yi ge guojia, liang ge zhengfu). Cest la raison pour laquelle, un an après, le KMT se rallia à la politique du Parti démocrate progressiste (PDP) prônant le retour de Taiwan à lONU au nom du droit à « la représentation parallèle des pays divisés » dans les enceintes internationales. Et le Livre blanc taiwanais publié en 1994 ne déclarait-il pas : « les deux rives du détroit devraient coexister comme deux entités juridiques distinctes sur la scène internationale » (4) ? En dautres termes, la formule « une nation - deux Etats » mise en uvre par les deux Allemagne entre 1970 et leur réunification en 1990 est depuis près de dix ans ouvertement considérée par Taiwan comme étant bien plus adaptée à la situation dans le détroit que la recette denguiste « un pays - deux systèmes » (yi guo liang zhi). Et en conséquence, les deux Chine constituant deux Etats séparés, leurs relations ne peuvent être, aux yeux de Taipei et ceci depuis 1991 que de nature interétatique, en dépit des artifices utilisés pour contourner la question insoluble de la souveraineté.
Pourtant la déclaration de Lee va plus loin. En effet, le même Livre blanc taiwanais avançait lidée suivante : « la relation qui lie (les deux rives du détroit), cest celle de deux régions séparées dune seule et même Chine. Elle est donc de nature intérieure (yiguo neibu) ou intérieure à la Chine » (5). Et cest cette ambiguïté qui avait donné naissance à la formule « un pays - deux entités politiques » (yiguo liang ge zhengzhi shiti) que Taiwan tenta, tout au long de ces dernières années, de vendre, sans succès, à Pékin.
Pour Lee et la direction actuelle du KMT, cette ambiguïté nest pas parvenue à servir les intérêts de Taiwan. En effet, ladhésion forcée de Taiwan à la théorie dune seule Chine (la République populaire ici, la République de Chine là) a au contraire contribué à conforter aussi bien la politique de réunification et la domination diplomatique de Pékin que lisolement de Taiwan (6).
Cependant, la nouvelle position de Taipei nest pas pour autant totalement claire et les difficultés de traduction en chinois des concepts de nation (minzu ou guojia), de pays (guojia) et dEtat (également guojia) ajoutent à la complexité de ladaptation de la formule allemande (Eine Nation, zwei Staaten). Cest dailleurs la raison pour laquelle Lee et les autorités taiwanaises se sont rapidement repliés sur la notion de « relations spéciales dEtat à Etat », se souvenant probablement que les relations interallemandes étaient avant la réunification à la fois interétatiques et intérieures à la nation allemande. De même, le porte parole du Yuan exécutif taiwanais a dû recourir à plusieurs reprises à langlais ce nest pas le moindre des paradoxes afin de « clarifier » aux yeux de Pékin la position de son gouvernement (7).
Force est de constater que ce passage par la langue de l« hégémonisme » na pas favorisé la cause de Taiwan sur le continent ! Il nen demeure pas moins que les propos de Lee ainsi que lensemble des explications et précisions données dans les semaines qui suivirent par les autorités de Taipei quant à la solidité de leur engagement en faveur de la réunification future du pays ont surtout voulu rappeler une évidence que la fiction diplomatique persiste à contredire : depuis 1949, la Chine est divisée en deux Etats qui ne peuvent sunifier sans se reconnaître mutuellement dune manière ou dune autre, cest-à-dire sans régler la question de la souveraineté. En dautres termes, pour Taipei, pas de réunification sans normalisation des relations à travers le détroit ; pas de normalisation sans reconnaissance réciproque des limites respectives, sinon de la souveraineté, du moins, dans un premier temps, de la juridiction de chaque Etat chinois.
Il est clair que la République de Chine tirerait avantage dun tel processus puisquelle réintégrerait une communauté internationale qui la progressivement expulsée de ses rang, notamment après le départ de lONU de la « clique de Tchiang Kaï-shek » en 1971. Il est non moins évident quoccupant une position diplomatique de force (reconnue par plus de 160 Etats contre 28 pour la RDC), la RPC na aucun intérêt à remettre en cause une situation que lensemble des grandes et moyennes puissances sinon applaudissent du moins reconnaissent sans broncher. Alors pourquoi Lee Teng-hui a-t-il une nouvelle fois tenté de forcer le destin ?
Pourquoi Lee Teng-hui a-t-il voulu forcer le destin ?
Deux types dexplications ont en général été avancés. La première a trait à la situation politique intérieure de Taiwan, lautre aux relations avec les Etats-Unis. Sans être contradictoires, ces motifs se doivent dêtre complétés par une troisième raison : la perspective de louverture (à terme) de pourparlers politiques avec la Chine populaire.
Une campagne présidentielle mal entamée pour Lien Chan
Nombre dobservateurs ont expliqué la motivation de la déclaration de Lee par la préparation de la prochaine élection présidentielle taiwanaise (mars 2000). Cette interprétation est loin dêtre sans fondements (8). En effet, Lien Chan, le candidat du KMT actuellement vice-président de la République, est mal placé dans les sondages, en général en troisième position derrière James Soong Chu-yu, un dissident du KMT dorigine continentale aujourdhui populaire parmi les conservateurs du parti comme chez un certain nombre délecteurs du Nouveau Parti (peu tentés par lexcentrique Li Ao), et Chen Shui-bian, le candidat du PDP. En contribuant à accroître la tension dans le détroit, Lee espère ainsi, a-t-on dit, affaiblir à la fois Soong, en lobligeant à se démarquer dune politique continentale souvent jugée trop conciliante à légard de Pékin (Soong est notamment favorable à louverture de liaisons maritimes et aériennes directes dans le détroit) et Chen dont lélectorat, de sympathie indépendantiste, est, comme en 1996, dautant plus susceptible de se rallier, en partie du moins, à un choix de raison et de stabilité que le PDP na pu quacclamer les propos du président taiwanais.
Mais est-ce le motif principal ? Lon est en droit den douter. Pour lheure, la tension de lété na pas encore paru améliorer la position de Lien dans les sondages : le langage belliqueux de la Chine a semblé au contraire favoriser Chen qui a, début septembre, rejoint Soong en tête des intentions de vote (9).
Une autre explication dordre intérieur a mis laccent sur le « facteur Lee Teng-hui » : avant de quitter la présidence de la République, sinon la scène politique, Lee a souhaité verrouiller la politique continentale du pays, craignant sans doute que ses successeurs, plus timorés ou indécis, naient pas le courage de cette initiative (10). Lintégration de la théorie des deux Etats chinois dans la charte du KMT à la fin daoût semble confirmer cette thèse (11). Toutefois, longuement préparée par lévolution de la politique continentale taiwanaise que nous avons brièvement rappelée plus haut, létendue du consensus qui sest formé à la fois dans le parti au pouvoir et au sein de la société taiwanaise autour de cette nouvelle approche (James Soong compris) montre combien celle-ci dépasse, contrairement à ce que cherche à accréditer Pékin afin probablement de mieux sen convaincre le seul « style Lee Teng-hui ». Tandis que, le 12 juillet, déjà 56 % des Taiwanais approuvaient la déclaration de Lee (22 % la désapprouvaient), en août, ce pourcentage passait à 67 %. Au même moment, 87,2 % (contre 73 % en avril) de ceux-ci sopposaient à la formule communiste « un pays - deux systèmes » (10,4 % la soutenaient, contre 9 % en avril) (12).
Les glissements progressifs de Clinton
Mais ces raisons ne sont pas entièrement convaincantes. Depuis le début de 1998, effrayée par la victoire du PDP aux élections locales de novembre 1997, inquiète de lévolution future du rapport des forces militaires entre Pékin et Taipei (13) et cherchant par conséquent à se prémunir contre toute nouvelle crise dans le détroit, lAdministration Clinton a progressivement accru ses pressions sur le gouvernement taiwanais. Toute réunification étant aujourdhui encore totalement inconcevable, les Etats-Unis ont notamment cherché à persuader Taiwan de lutilité de négocier un « accord intermédiaire » avec la Chine populaire (14). La réaffirmation en juin 1998 en Chine par le président américain de la politique dite des « trois non » ou plutôt des « trois non soutien » (non à lindépendance de Taiwan, non à « deux Chine » ou « une Chine - un Taiwan » et non à lentrée de Taiwan dans les organisations internationales où la qualité dEtat est requise) sinscrit entièrement dans cette nouvelle stratégie. En dépit des réactions à lépoque rassurantes des autorités de Washington comme de Taipei, cette déclaration a notablement accru la frustration des Taiwanais. En effet, pour la première fois un président américain, de surcroît en terre chinoise, acceptait de remettre partiellement en cause lidée de « libre choix » (free choice), une philosophie qui constitue le fondement du Taiwan Relations Act, cette loi votée par le Congrès américain en avril 1979 et organisant les relations politiques et de sécurité entre les Etats-Unis et « la population de Taiwan » (15). Au même moment, certains responsables américains, dont Chas Freeman, un ancien secrétaire adjoint à la Défense du président Clinton (1993-1994), commencèrent à menacer Taiwan, si ce pays nacceptait pas de renoncer « à affirmer sa souveraineté indépendante » (no assertions of independent sovereignty), de réduction de livraisons darmes, de rapprochement sino-américain et disolement politique accru (16).
La multiplication depuis lautomne 1998 des différends sino-américains (et sino-occidentaux) droits de lhomme, Corée du Nord, Theater Missile Defense (TMD), rapport Cox sur lespionnage chinois aux Etats-Unis, soutien de Pékin à Milosevic contre lopération de lOTAN au Kosovo, bombardement par lOTAN de lambassade chinoise à Belgrade, manifestations anti-américaines en Chine na pas altéré, bien au contraire, les pressions de Washington sur Taipei. Soucieux de préserver avec la Chine un partenariat stratégique pourtant en lambeaux, de plus en plus sensible à lhystérie verbale de Pékin et, par conséquent, craignant dêtre entraînée, malgré elle, dans une guerre sino-taiwanaise, lAdministration Clinton na eu de cesse au cours de cette période de vouloir forcer la main des Taiwanais. Par exemple, fin juin 1999, Stanley Roth, secrétaire dEtat adjoint pour lAsie orientale et le Pacifique, insista lourdement pour que Taiwan accepte, alors quaucune des questions techniques en suspens entre Taipei et Pékin na jamais pu être réglée, dentamer la négociation dun accord intermédiaire dès la première visite à Taiwan, originellement prévue à lautomne 1999, de Wang Daohan, le président de lAssociation chargée des relations entre les deux rives du détroit et le principal négociateur continental avec lîle (17).
Mais cétait oublier, une fois encore, le Congrès, dominé par les Républicains, et la préparation de la campagne présidentielle américaine. Les Etats-Unis sont en effet plus divisés que jamais sur la politique à adopter à légard de la Chine. Si les « libéraux » qui entourent Clinton (tel le sinologue Kenneth Lieberthal, responsable de lAsie au Conseil national de sécurité) continuent de considérer la Chine comme « un ami » et éprouvent du mal à se réconcilier avec un régime taiwanais hier trop ouvertement soutenu par la droite conservatrice américaine, lévolution des intérêts stratégiques respectifs de Washington et de Pékin ainsi que la montée en puissance de la question des droits de lhomme comme des problèmes commerciaux ont contribué à brouiller les cartes. Bien que nombre de politiciens ou dintellectuels qui sestiment « de gauche » continuent de refuser de se rallier, y compris sur la question chinoise, aux positions dun Jesse Helms, le très conservateur président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, la ligne de fracture entre les pro-Pékin et les pro-Taipei nest plus aussi nette : tant le Parti démocrate que le Parti républicain sont tiraillés entre les intérêts des milieux daffaires, les préoccupations des responsables de la défense et les pressions des organisations de protection des droits de lhomme.
Lapproche de lélection présidentielle de novembre 2000 na pu quattiser ces divisions, incitant les Républicains à renvoyer aux Démocrates, hier donneurs de leçons, la monnaie de leur pièce. Ainsi, George Bush junior na pas tardé après le début de cette nouvelle crise sino-taiwanaise à se démarquer de la politique de « partenariat stratégique » défendue par un président qui sept ans plus tôt avait accusé son père celui-ci accepta pourtant finalement, certes pour les besoin de la campagne, de vendre 150 F-16 à Taiwan de « cajoler les tyrans communistes » de Pékin. Ainsi a-t-il notamment déclaré une parole qui fera probablement date dans le débat américain de politique étrangère que la Chine nétait pas un partenaire stratégique mais un « concurrent stratégique » (strategic competitor) des Etats-Unis (18).
Cest pourquoi, sil nest pas étonnant que, dans un tel contexte, les propos de Lee aient été particulièrement mal accueillis par lAdministration Clinton, lon peut se demander si le président taiwanais na pas au fond choisi le meilleur moment pour rappeler la position et les ambitions de son pays.
Préparer les pourparlers politiques avec Pékin
Enfin, ayant pour la première fois, sous la pression américaine, accepté détendre les pourparlers avec Pékin aux questions politiques lors de la reprise de ceux-ci en octobre 1998, et se préparant à recevoir Wang Daohan à Taipei à lautomne 1999, les Taiwanais ne pouvaient pas, avant dentrer dans le vif du sujet, ne pas indiquer à la Chine populaire les limites maximales de leur flexibilité. A cet égard également, la date de la déclaration de Lee ne pouvait être plus opportune.
Au fond, contrairement à ce qui a pu être perçu aux Etats-Unis ou en République populaire, les propos de Lee ne constituaient-ils pas aussi un signal à Pékin lui indiquant en substance : « Nous sommes disposés à ouvrir un dialogue politique avec vous mais laissez-moi vous rappeler les limites quaucun gouvernement taiwanais ne pourra jamais outrepasser : la République de Chine est un Etat à part entière qui ne peut être dissous dans votre formule un pays - deux systèmes ; abandonnez plutôt tout recours à la force contre nous comme nous lavons fait il y a maintenant déjà huit ans et préparez-vous à nous reconnaître car nous sommes disposés à accomplir le même geste à votre égard ».
Par cette déclaration, Lee na nullement cherché à remettre en cause la politique dune seule Chine suivie par les Etats-Unis ou tout autre pays. Taiwan sait trop bien quaucun gouvernement tiers ne bougera sur cette question tant que Pékin ne modifiera pas son attitude. Il a simplement voulu rappeler que toute négociation politique entre les deux rives ne pourrait longtemps continuer dignorer la question de la souveraineté : en dautres termes, aucun accord « intermédiaire » ou « de fin dhostilités » (proposé par Jiang Zemin en janvier 1995) entre les deux rives ne pourra être conclu sans que la Chine populaire admette dune manière ou dune autre lexistence de la République de Chine. Comme dans dautres conflits internationaux, par exemple le différend israelo-palestinien, toute solution passe par la « reconnaissance de lautre » et de la réalité, cest-à-dire par la reconnaissance de la division du pays en deux Etats à la fois séparés, indépendants et constitutifs de la nation chinoise.
La réaction de Pékin
La réaction de Pékin à cette déclaration de bon sens ne sest probablement pas encore totalement exprimée : des rumeurs insistantes téléguidées par la presse pro-communiste de Hong Kong, cherchent à accréditer lidée que Pékin, affectionnant son rôle de maître décole régional, entendrait « donner une leçon » à « lîle rebelle » de préférence après les fastes du cinquantenaire de la Chine populaire, le 1er octobre, et avant lélection présidentielle taiwanaise de mars prochain (19). Daprès certaines sources, cette opération consisterait à occuper provisoirement une des îles contrôlées par Taipei et situées à quelques encablures des côtes du Fujian, rappelant linvasion par lAPL de lAnaruchal Pradesh au nord de lInde en 1962 (20).
Quoi quil en soit, pour lheure, les autorités de la Chine populaire se sont contentées de faits et gestes dignes de lopéra de Pékin : manuvres terrestres et navales denvergure de lArmée populaire de libération (APL) aux environs de Formose (21) ; violations courtes mais répétées, au début août, de lespace aérien taiwanais ; menaces militaires démesurées soutenues par lannonce de nouvelles prouesses technologiques (bombe à neutron, à la mi-juillet, essai dun nouveau missile intercontinental capable datteindre louest des Etats-Unis, début août, et dun nouveau missile sol-air à la fin du même mois) (22) et dachats darmes russes (60 SU-30) (23) ; et enfin, dans leurs médias officiels, insultes vulgaires pour la plupart dirigées contre la personne de Lee Teng-hui peu dignes dune puissance aspirant à un statut mondial (24). Cette débauche de guerre psychologique visait autant Taiwan que les Etats-Unis, cherchant à mettre en doute linvincibilité de la VIIème Flotte et adressant indirectement un pied de nez au rapport Cox (25).
Pour la première fois, cette recrudescence de la tension sest étendue au cyber-espace : pendant tout lété les internautes continentaux et taiwanais se sont livré bataille parvenant à plusieurs reprises à pénétrer sur les sites Web de lautre Chine et à y insérer des slogans en faveur de leur vision respective des relations entre les deux rives du détroit de Formose (26).
Le plus surprenant dans cette affaire est la violence de la réaction communiste. En effet, à plusieurs reprises après la crise des missiles, Lee avait rappelé dans les plus grands journaux occidentaux (International Herald Tribune) que Taiwan était un pays indépendant et souverain sans que Pékin ne réagisse particulièrement (27). Alors pourquoi cette montée soudaine de fièvre ?
Trois raisons peuvent être avancées, dans un ordre dimportance croissant : le cinquantenaire du régime communiste, la guerre du Kosovo et le flottement américain.
Le cinquantenaire du régime communiste
A moins de trois mois du cinquantenaire de la République populaire, il était difficile aux autorités de Pékin de laisser passer une déclaration qui, à leurs yeux, « remettait en cause le fondement du dialogue officieux entre les deux rives », pour reprendre les propos tenus dès le 12 juillet par Wang Daohan avec Taiwan (28). Mais plus profondément, les propos de Lee atteignaient la légitimité même du régime communiste, une légitimité qui repose on loublie trop souvent sur la fiction dune victoire totale contre le pouvoir de Tchiang et la République de Chine. Dans lévangile du PC chinois, cet Etat disparaît le 1er octobre 1949. Toute reconnaissance ultérieure de la RDC (par la France jusquen 1964, lONU jusquen 1971 ou les Etats-Unis jusquen 1979) est rétroactivement considérée comme nulle et non avenue par Pékin. Loin de rechercher lcuménisme politique, le cinquantième anniversaire de la République populaire ne peut avoir pour objectif que de tenter de redorer le blason pourtant bien décati dun pouvoir de plus en plus remis en cause, que cela soit par la dissidence, lInternet, le falungong, la corruption ou linitiative privée.
Cest pourquoi, le retour de Taiwan à la Chine populaire, après celui de Hong Kong et de Macao, reste en cette saison une mission sacrée du PC chinois. A cet égard, certaines informations ont fait état du souhait de Jiang Zemin de pouvoir annoncer le 1er octobre louverture de négociations en vue de la réunification avec Taiwan, dont Wang Daohan aurait, peu après, lors de sa visite à Taipei, donné le premier coup denvoi. Et cest une des raisons qui auraient conduit Lee à tenir les propos que lon sait et ainsi voler linitiative à son rival (29).
Mais les propos de Lee peuvent également avoir pour le régime communiste constitué une aubaine. En effet, cette déclaration lui permettait dune part, grâce à une propagande redoublée, de rassembler à peu de frais la majorité de la société continentale autour de lui et dautre part de repousser à laprès-mars 2000 toute visite de Wang Daohan à Taipei, privant ainsi Lee Teng-hui dune rencontre avec le principal négociateur de Pékin, rencontre au cours de laquelle le président taiwanais naurait pas manqué de mettre en avant sa qualité de chef dEtat
Le syndrome du Kosovo
La guerre du Kosovo a provoqué un véritable traumatisme à Pékin. La relative facilité avec laquelle les pays de lAlliance atlantique ont foulé, au nom du droit dingérence humanitaire, le principe de souveraineté na pu quaccroître la paranoïa dun régime qui na pas, on sen doute, en matière de droits de lhomme et de respect des minorités, la conscience totalement tranquille. Craignant ouvertement que la guerre menée par lOTAN contre la Yougoslavie serve de précédent, la Chine populaire se devait de faire peur à quiconque aurait le toupet de voler au secours du Xinjiang ou du Tibet en cas de graves atteintes aux droits de lhommes dans ces régions (oubliant volontairement dans ces deux exemples la sanctuarisation de son territoire) ou évidement de Taiwan si lîle venait à être attaquée par lAPL. Pour Jiang Zemin, Taiwan ne doit pas devenir le « Kosovo de lAsie » (30). Doù lampleur des vociférations, totalement sans fondement, de Pékin contre lextension de lOTAN, lencerclement de la Chine populaire par les Etats-Unis et ses alliés, rappelant à sy tromper le vieux complexe obsidional des Soviétiques auxquels se laissèrent prendre par le passé trop de kremlinologues, en particulier américains (31). Doù également la tempête renouvelée contre le projet des Etats-Unis de TMD et la possible extension de celui-ci à Taiwan ainsi que la poursuite des ventes darmes américaines à lîle dans des proportions, il est vrai, en complète contradiction avec la lettre de laccord de réduction de ces ventes signé par Pékin et Washington en 1982 (32).
Aujourdhui pour Pékin, parvenir à faire répéter en cur à tous les pays qui comptent que Taiwan est une question intérieure chinoise ne constitue plus une garantie suffisante contre toute « ingérence » extérieure, notamment en cas de conflit dans le détroit. Il est vrai que ce genre de promesse diplomatique na jamais été en mesure de limiter limplication des Etats-Unis dans la sécurité de lîle. Mais dans le contexte international de laprès Kosovo, les autres puissances, notamment de la région (Japon, en dépit de sa discrétion habituelle, voire Australie), pourraient se montrer moins hésitantes à coopérer avec les Etats-Unis si ceux-ci se trouvaient engagés dans une guerre de défense de Taiwan (33).
Le flottement américain
Cependant, cest probablement le flottement survenu depuis la fin 1997 dans la politique chinoise des Etats-Unis (cf. ci-dessus) qui a incité la Chine populaire à accroître ses pressions sur Taiwan et ladministration américaine. Tandis que la réaffirmation des « trois non » par Washington provoquait inquiétudes et frustrations à Taipei, elle poussait Pékin à tirer avantage de ce rééquilibrage diplomatique. Déjà avant la déclaration de Lee, après avoir arraché en octobre 1998 lors du premier voyage en Chine populaire de Koo Chen-fu, le président de la Fondation (taiwanaise) pour les échanges à travers le détroit à leurs homologues taiwanais la promesse douvrir un « dialogue politique », les négociateurs continentaux navaient pas manifesté un grand empressement à organiser la visite de Wang Daohan à Taiwan, dont le principe fut pourtant alors arrêté. Celle-ci devait avoir lieu au printemps 1999 ; elle fut pour dobscures raisons de calendrier repoussée à lautomne. Lon sait maintenant quelle aura peu de chances de se réaliser avant lélection présidentielle taiwanaise (34). Parallèlement, Pékin avait entrepris de (re)placer au centre des négociations avec Washington des questions stratégiques, telles celle des ventes darmes à Taiwan, pourtant longtemps oubliée, ou celle du TMD, en dépit du caractère encore très hypothétique de son déploiement.
En choisissant de réagir violemment aux propos de Lee, Jiang Zemin entendait aussi et surtout affaiblir la position des Etats-Unis sur la question de Taiwan, lobliger à prendre ses distances vis-à-vis des autorités de Taipei et partant à rouvrir les dossiers épineux que nous venons dévoquer.
Quel bilan pour cette nouvelle mini-crise ?
Pékin remporte une manche
Dune certaine manière, Pékin est arrivé à ses fins. Washington na pas hésité à montrer du doigt le président taiwanais, linvitant sans ménagement à revenir sur ses paroles. Ainsi, le 11 septembre, lors de sa rencontre avec Jiang Zemin en marge du sommet de lAPEC à Auckland, si Clinton refusa de dénoncer publiquement la « théorie des deux Etats », il accusa Lee davoir rendu les choses plus « difficiles » non seulement pour la Chine mais aussi pour les Etats-Unis (35). Et aucun des grands partenaires de la Chine populaire nosa prendre la défense de Taiwan. Au contraire, vers la mi-septembre, lors de la préparation de lAssemblée générale de lONU, les Etats-Unis ont pour la première fois cru devoir exprimer leur opposition rejoignant en cela la France à linscription de la question de Taiwan à lagenda de cette réunion annuelle (les années précédentes, Washington sétait abstenu de prendre la parole) (36). Bien que Lee nait pas, comme lon pouvait sy attendre, modifié son discours, les responsables de Taipei se sont efforcés dadoucir les propos de leur président par une avalanche déclaircissements sémantiques pas toujours cohérents, indiquant notamment quils restaient attachés à leur définition du concept d« une seule Chine ». Avancée en 1992, cette définition a, aux yeux de Taiwan, constamment servi de base à leurs pourparlers avec le continent (37). Ainsi, la formule désormais consacrée à Taipei est celle des « relations spéciales dEtat à Etat ». Et en laissant entendre fin août que lAPL était prête à la guerre mais quelle suspendait la mise en uvre de sa décision jusquaux élections présidentielles taiwanaises, le régime communiste entrait de plain-pied dans la campagne et soumettait les différents candidats à une forte pression (38). Souhaitant rassurer leur électorat, ceux-ci pourraient être tentés de rivaliser de promesses démagogues damélioration des relations dans le détroit. Par exemple, la rapidité avec laquelle Lien Chan sest engagé, sil est élu, à ouvrir des « négociations politiques » avec Pékin alors que Taipei navait accepté jusquà maintenant quun simple « dialogue » en constitue sans doute un signe avant-coureur (39).
La plus grande modération dont a volontairement fait preuve Pékin une fois le ballet diplomatique de Jiang Zemin repris (visite en Thaïlande, en Australie et en Nouvelle Zélande pour le sommet de lAPEC en septembre 1999) et pour les besoins de lentrée de la Chine populaire dans lOrganisation mondiale du commerce (OMC) participe également de cette stratégie dapaisement de lOccident. Ainsi, peu avant, sans évidemment renoncer à lusage de la force contre les « séparatistes taiwanais », Pékin annonçait quelle nutiliserait jamais larme nucléaire contre Formose, une promesse guère coûteuse mais de nature à renforcer le soutien des gouvernements qui croient au caractère responsable de la politique de réunification de la République populaire (40).
En dautres termes, sans avoir tiré un seul coup de feu, la Chine populaire a remporté une manche dans la guerre psychologique qui loppose à Taiwan. Car la réaction à la fois de Pékin et de Washington aux déclarations de Lee mettent au jour combien il est devenu difficile pour Taipei de prendre une quelconque initiative dans ses relations avec le continent. Et les flottements de lAdministration Clinton ont largement contribué à enfermer Taiwan dans une position de résistance passive aux prétentions du régime communiste, ce que Lee Teng-hui ne pouvait accepter.
Taiwan, bénéficiaire de la confrontation sino-américaine
Mais la République de Chine est-elle pour autant réduite au statut de proto-colonie américaine ? Washington peut-il veut-il vraiment forcer la main de Taipei ? En dépit des risques quelle faisait courir à lîle, linitiative de Lee na-t-elle pas également montré à la fois que Taiwan restait un acteur à part entière des relations internationales et que les véritables options dont Pékin dispose sont de plus en plus limitées ?
Quoique très dépendante pour sa sécurité des Etats-Unis, Taiwan a pu depuis la normalisation sino-américaine, il y a vingt ans, maintenir un jeu autonome, en particulier dans sa relation avec la Chine populaire. Aujourdhui, la raison nen est plus uniquement limportance du soutien dont Formose jouit dans la classe politique et lopinion publique américaines. Trois autres facteurs contribuent à renforcer la position de ce pays : la confrontation sino-américaine, les nouvelles règles qui gèrent les relations internationales et lintégration progressive de la Chine populaire dans léconomie mondiale.
Il est vrai quun certain nombre de politiciens et dexperts américains, croyant depuis 1979 en une réunification pacifique rapide des deux Chine, souhaiteraient contraindre Taiwan daccepter un règlement guère éloigné de la formule « un pays - deux systèmes », espérant ainsi restaurer lharmonie dans les relations entre Pékin et Washington. Mais il devient de plus en plus difficile pour les Etats-Unis de continuer de nier la montée de leur confrontation stratégique avec la Chine populaire. Les projets de résolution du Congrès visant à renforcer lappui militaire américain à Taiwan, les récentes déclarations du candidat George Bush comme de certains conseillers de lAdministration Clinton le montrent bien.
Cette confrontation a été clairement déclenchée par Pékin qui, depuis leffondrement de lUnion soviétique, voit dans la puissance américaine le principal obstacle à la réalisation de ses objectifs internationaux. Lensemble du discours chinois de politique étrangère latteste. Et la question de Taiwan est loin de constituer la cause principale de ce revirement. Cette nouvelle donne stratégique à la fois menace et protège la survie de la République de Chine. Elle la menace car, libérée de la pression que faisait hier peser sur elle lArmée rouge, lAPL est réellement engagée dans la mise en place à moyen terme de la capacité militaire susceptible de lui permettre de soumettre lîle. La protège car, il devient de moins en moins envisageable pour les Etats-Unis de ne pas voler au secours de Taiwan en cas de conflit, y compris si ce pays déclare formellement son indépendance. En dautres termes, la politique d« ambiguïté stratégique » ou d« engagement conditionnel » à légard de Taiwan, pour reprendre lexpression de Harry Harding (41), semble de plus en plus contestée. Les déclarations faites en septembre par la sinologue Susan Shirk, lune des responsables de lAsie-Pacifique au Département dEtat, lattestent (42). Dans tous les scénarios dattaque de Taiwan par lAPL, tant pour maintenir la crédibilité des Etats-Unis dans la région Asie-Pacifique que pour empêcher une Chine anti-occidentale dy étendre son influence, les responsables américains seraient contraints dintervenir.
Pékin le sait qui sefforce aujourdhui de peser, y compris militairement, sur Taipei sans déclencher une réaction de Washington (43). Doù les spéculations relatives à une opération limitée contre les deux îles Quemoy ou larchipel des Matsu (44). Totalement inutile dun point de vue stratégique, la prise de contrôle, même provisoire, par les communistes chinois dune de ces îles revêtirait une signification politique indéniable. Mais, sans régler en aucune sorte la question de Taiwan, cette mini conquête ne contribuerait-elle pas, en rompant le lien qui unit encore la République de Chine au continent (lien que Mao Zedong a toujours voulu préserver) ou restaurant de fait létat de guerre dans le détroit, à pousser encore un peu plus vers lindépendance la population de lîle ? Ne provoquerait-elle pas une réaction cette fois autrement plus vive des Etats-Unis et de la communauté internationale ?
Dans le monde de laprès-Kosovo et alors que Timor oriental a été en mesure, grâce aux changements politiques intervenus en Indonésie, de voter en faveur de son indépendance, la Chine populaire ne se sent plus aussi assurée sur la question taiwanaise. Cest la raison pour laquelle elle sest emportée contre toute tentative de comparaison entre Timor oriental et Taiwan, interdisant ex ante à lîle quelle revendique dorganiser un référendum de ce genre (45). Mais ce nouveau contexte international nest pas de nature à pousser la Chine sur les chemins de la Yougoslavie et Jiang Zemin sur ceux de Milosevic, en dépit des bonnes relations que ces deux pays entretiennent.
Le processus de réforme économique en Chine populaire non plus. Plus encore quil y a trois ans, la direction du PC est apparue divisée sur la question de Taiwan et la meilleure attitude à adopter en réponse aux déclarations de Lee. La réunion estivale des plus hauts responsables chinois à Beidaihe (fin juillet - début août) a pour linstant tranché en faveur des modérés. Le fait que Jiang Zemin choisisse au lendemain de cette rencontre dinspecter lindustrie sinistrée du Nord-Est en a été le premier signe. Le thème du plénum du Comité central de septembre 1999 laccélération de la réforme des entreprises dEtat en a été un second. Lon dit quen particulier Zhu Rongji sest opposé à toute aventure militaire contre Taiwan (46). Il na probablement pas été le seul à observer avec inquiétude limpact de ce renouveau de tension dans le détroit sur léconomie chinoise (chute des bourses de Shanghai et de Shenzhen dans une plus large proportion que celle de Taipei, diminution des investissements étrangers et notamment taiwanais) (47). Il na certainement pas été le seul non plus à mesurer les conséquences catastrophiques dune guerre contre Taiwan sur les relations extérieures de la Chine populaire, les réformes économiques, voire lavenir du régime communiste. Jiang Zemin sest rallié à cette opinion, trop occupé à préparer ses prochaines échéances internationales, échéances entre lesquelles une opération armée contre l« île rebelle » aurait décidément du mal à sinsérer. LAPL na pas été totalement perdante dans cette affaire : elle a obtenu une rallonge budgétaire et une nouvelle série davions modernes (les Su-30 et peut-être les Su-35 quelle réclame à cor et à cri), en dépit de la résistance manifestée par le Premier ministre (48).
Il est clair que certains segments de lappareil dEtat dont probablement la majorité des responsables de lAPL et des services de sécurité restent opposés à cette politique (49). Mais le gouvernement de Pékin dispose-t-il de meilleures options que de tenter de remplacer les vrais bombes par des missiles politiques et des roquettes idéologiques. Au fond, la faiblesse fondamentale de la situation de la Chine populaire réside dans le fait paradoxal que, pour tenter de régler la question de Taiwan, ce pays est contraint de faire la cour à la puissance qui constitue la cible principale de sa stratégie extérieure les Etats-Unis. Et aujourdhui, tout se passe comme si lensemble de la politique étrangère chinoise sorganisait autour de cette contradiction.
Cest la raison pour laquelle le moins improbable des scénarios reste le retour progressif de la Chine populaire vers la table des négociations en oubliant progressivement une fois encore, comme en 1997-1998, les conditions quelle y a imposées (abandon de la théorie des deux Etats) (50). Cette reprise des pourparlers ne pourra probablement intervenir avant quun nouveau président taiwanais soit intronisé. Et de nombreux mois seront nécessaires avant que Pékin et Taipei saccordent sur un agenda de « négociations » et même de « discussions » politiques. Mais est-ce à dire que lon se rapprochera pour autant dune solution ? Le régime communiste est-il réellement en mesure de convaincre les Taiwanais des bienfaits de la réunification ? Les Etats-Unis ont déjà appelé la Chine populaire à faire preuve de créativité (51). Par ses récentes déclarations, Lee Teng-hui ly a peut-être également un peu aidée. Car tout règlement réaliste de la question de Taiwan ne peut passer que par la reconnaissance mutuelle des deux Etats chinois qui accepteraient, en même temps, de sengager à naviguer de conserve mais sans précipitation vers lunification. A moins que Pékin préfère favoriser lindépendance formelle de Formose ou la guerre totale. Cest pourquoi, au lieu de se laisser prendre par les charmes de la multipolarité anti-américaine, lUnion européenne et la France auraient meilleur temps de rappeler à la Chine populaire de mesurer son langage et de ne pas non plus trop jouer avec le feu