BOOK REVIEWS
Richard Madsen : China’s Catholics — Tragedy and Hope in an Emerging Civil Society
Professeur de sociologie à Harvard, Richard Madsen est spécialiste des questions de moralité et de société dans les villages chinois (1). Dans Chinas Catholics, un livre qui porte surtout sur les régions rurales autour de Tianjin, il sinterroge sur la place et le rôle des catholiques dans la société chinoise daujourdhui.
Les catholiques en Chine continentale étaient trois millions en 1949. Aujourdhui, ils peuvent être entre huit et dix millions. Mais, que savons-nous de ces catholiques chinois ? Des articles épisodiques dans la grande presse font surtout état darrestations de membres de communautés clandestines. Pour en savoir plus, il faut se tourner vers les bulletins de UCAN, lagence de presse catholique pour lAsie (basée à Hong Kong et à Bangkok), et vers le périodique Eglises dAsie (publié par les Missions Etrangères de Paris). Ces publications permettent de suivre la reconstruction des institutions (lieux de culte, paroisses, séminaires, congrégations diocésaines de religieuses), mais ne permettent guère au lecteur de se faire une idée des mentalités et des pratiques. Ainsi que le souligne Madsen, le public des sociétés pluralistes dOccident a du mal à réaliser que lEglise en Chine est « sociologiquement différente » et a « ses façons à elle de comprendre la signification de la foi, la nature de lautorité et la constitution de lordre moral ».
La plupart des catholiques de Chine, du reste, vivent dans des zones rurales, souvent dans des villages presque entièrement catholiques, et dont laccès est interdit aux chercheurs étrangers. Dans le cas présent, il sagissait dun projet réalisé en commun avec lAcadémie des sciences sociales de Tianjin, mais rien ny fit : Madsen ne reçut pas lautorisation de contacter les catholiques des villages. Finalement, ce fut une assistante chinoise qui se chargea des interviews. De son côté, Madsen sarrangea pour rencontrer des gens de la campagne qui vivent maintenant à Tianjin.
Un rôle dans la société ?
La réponse est largement négative. Au lieu dêtre un ferment de civilité, de coopération, lEglise de Chine donne souvent limpression « dencourager la méfiance, les relations verticales, lesprit de clocher et le factionalisme ». Ces caractéristiques proviennent de « linteraction dune ecclésiologie pré-conciliaire, avec les structures sociales chinoises et lEtat communiste ». Le catholicisme en Chine représente aussi une « appartenance quasi-ethnique » et traditionnellement les croyants aspirent à vivre dans des villages entièrement catholiques. Ces croyants font preuve de beaucoup de solidarité, mais celle-ci a souvent lesprit étroit et est facilement « agressive et hostile envers ceux de lextérieur ». Même si, dans la pratique, les villageois catholiques se trouvent de bonnes raisons théologiques pour coopérer avec leurs voisins non-catholiques, il reste que la vertu cardinale est « la loyauté envers la famille et envers la communauté catholique du lieu ». Cette moralité centrée sur la loyauté peut facilement aboutir à des factionalismes autour de « martyrs » qui ont héroïquement confessé la foi en temps de persécution, mais qui nont pas les qualités requises pour conduire une communauté aujourdhui. Madsen souligne aussi que souvent les catholiques se méfient des nouveaux développements économiques et que ceux dont la foi est la plus solide « tendent à être parmi les ennemis les plus déclarés de toute forme de modernisation ».
Madsen se garde de généraliser. Il souligne que son étude porte principalement sur ces régions rurales à forte concentration de catholiques, au nord de la Chine. Il ajoute que dans des régions beaucoup plus modernisées comme celle du Guangdong, les catholiques sont plus à même de collaborer avec les non-catholiques. Cela dit, commente-t-il, 30 années de persécution (1949-1979) expliquent largement le factionalisme et la mentalité fermée des catholiques chinois. Depuis 1979, la situation sest sans doute bien améliorée, mais larbitraire et les méthodes policières du Parti communiste restent un obstacle majeur au développement des communautés. Par ailleurs, la « société civile » reste encore très embryonnaire et fragile. Son développement est contrôlé très strictement par le gouvernement et, en labsence dun statut légal bien défini, les organisations non-gouvernementales ne peuvent survivre sans des alliances très ambiguës avec une bureaucratie corrompue. Dans ce contexte, « même une Eglise plus ouverte (plus civile) aurait peu de chances dêtre jamais à même de jouer un rôle marquant dans lévolution de la société chinoise ».
Madsen suggère aussi que dans les villes un nouveau type de catholique est en train dapparaître. Les jeunes adultes à la messe en chinois le dimanche soir à la cathédrale de Tianjin ne se satisfont plus de la théologie de beaucoup de leurs prêtres. Ils recherchent une spiritualité adaptée et aux valeurs et aux ambiguïtés de la modernisation. Cette quête dune nouvelle spiritualité est le thème de lécrivain catholique Yang Ni dans Longqi : la prière du dragon. Le héros de cette nouvelle a grandi dans un village traditionnellement catholique ; il part faire ses études universitaires à Pékin, puis va à létranger pour y obtenir une maîtrise en sciences religieuses. Finalement, il décide de devenir prêtre et de retourner en Chine pour y exercer son ministère. Cet itinéraire est marqué dune succession de crises qui lamènent à « ré-envisager sa foi », à « réfléchir et aussi à échanger avec des gens très différents tout cela en restant fidèle à ses attaches familiales et paroissiales cest à dire à tout ce passé où sest dabord enracinée sa foi ».
Chinas Catholics abonde ainsi en anecdotes et en case studies : dilemmes moraux, culte marial, récits de vocations, miracles et apparitions, enterrements, discussion sur les limbes ou affaires « de brus et de belles-mères » vignettes qui ne cessent de déplacer les repères de lanalyse sociologique. Par ce va-et-vient entre lattention au petit détail et linterprétation globale, Madsen réussit, dans une large mesure, à déchiffrer les codes de cette « quasi-ethnie » chinoise, campée sur les marges de la culture dominante.