BOOK REVIEWS

Alan Knight et Yoshiko Nakano (eds) : Reporting Hong Kong — Foreign Media and the Handover

by  Francesca Cini /

L’étonnement éprouvé par beaucoup de résidents de Hong Kong en 1997 face à l’assurance, pour ne pas dire l’arrogance, des journalistes envoyés en grand nombre « couvrir » le transfert de souveraineté du Territoire, était resté sans explication jusqu’à la publication de ce livre.

Gavés d’idées préconçues et / ou arrivés avec un script tout préparé par leur rédaction, ils savaient déjà tous, mieux que n’importe quel résident, ce qui allait se passer.

Les auteurs de cet ouvrage, à la fois acteurs (en tant que journalistes) et observateurs (en tant que professeurs d’université spécialistes des médias) ont essayé de trouver quelques éléments de réponse à cette attitude souvent suffisante des médias.

Comme l’affirme l’un des journalistes dans une interview récente : « Le retour à la Chine était un événement dont le scénario avait été préparé pour un marché médiatique mondial » (The Correspondent, septembre 1999, p. 11). La plupart des résidents de Hong Kong savaient d’ailleurs que rien, en dehors des manifestations officielles, ne se passerait vraiment ce jour-là. Mais pour les quelque 6 000 correspondants étrangers débarqués aux alentours du 20 juin — cinq fois plus nombreux que ceux envoyés pour couvrir les élections cambodgiennes de 1995, plus du double de ceux présents en Afrique du Sud pour rendre compte de l’accession de Nelson Mandela au pouvoir, plus nombreux même que les soldats de l’APL arrivés le 1er juillet à Hong Kong —, il ne faisait aucun doute que quelque chose de grave allait se passer. L’incertitude du destin de Hong Kong promettait du sensationnel, suffisamment du moins pour justifier leur venue et les frais énormes que le « spectacle » allait coûter à leurs lecteurs.

Pourtant, en dépit des attentes et comme le rapporte V.G. Kulkarni, le nouveau rédacteur en chef de la Far Eastern Economic Review : « Presque tout le monde a écrit la même chose. Les journalistes de passage étaient très sceptiques, presque cyniques. Ils ne voyaient que le côté noir de l’histoire, mais rien est arrivé. Tout s’est passé très calmement. Beaucoup de reporters ont écrit sur des sujets identiques… Ils ont parlé avec les hommes politiques et les hommes d’affaires qui avaient déjà fait l’objet d’articles précédemment publiés. Certains n’ont même interviewé que d’autres journalistes » (p. 13).

De façon rigoureuse et documentée, sans pour autant être ennuyeuse, Alan Knight et Yoshiko Nakano tentent de montrer comment cela a pu se produire, comment la désinformation a pu se glisser et grandir au cœur même du royaume de l’information moderne, au moment même où celui-ci se pensait infaillible. Leur analyse détaillée et objective « du processus de création du reportage médiatique aussi bien que du produit fini »(p. xix) rend ainsi compte des mécanismes rigides qui ont présidé à la « fabrication » des reportages, lesquels laissaient bien peu de place à la description de la vérité censée, pourtant au fondement de l’éthique journalistique.

Dans une première partie, les auteurs relatent les difficultés rencontrées par les journalistes assaillis par l’information distillée et « organisée » par le Government Information Service (GIS) — le bureau du gouvernement chargé de l’information —, les versions différentes et parfois contradictoires des discours fournis à la presse par les leaders politiques (voir pp. 42 et suivantes) et les demandes formulées par les rédactions des différents journaux en fonction de leur lectorat (le cas de Newsweek est particulièrement intéressant, p. 66). On découvre ainsi que si 90% des médias ont raconté que, suivant une vieille tradition chinoise, Patten avait fait trois fois le tour du jardin de Government House avant de partir — alors qu’il n’a en réalité fait qu’un tour et demi — c’est parce que cette information a initialement été diffusée dans un communiqué de presse du GIS. Quelques pages plus loin, les auteurs font observer que Martin Lee a volontairement présenté quatre versions différentes de son discours au Legco et que les lecteurs asiatiques de Newsweek n’ont pas eu le même titre ni la même couverture que leurs pairs américains pour des raisons d’ordre commercial. Toute cette partie du livre vise à l’évidence à défausser les journalistes de leurs responsabilités quant à l’effet de surmédiatisation qui a prévalu dans les rapports de presse sur la rétrocession.

La suite de l’ouvrage ne vient dès lors que compléter par l’illustration cet angle d’analyse. En examinant minutieusement le processus de couverture de la rétrocession par les médias chinois, anglais et japonais, les auteurs veulent montrer que la « presse » — volontairement distinguée de ses journalistes — ne se fait partout que l’écho des intérêts de son pays d’origine. A notre époque qui voit le triomphe de la mondialisation et du libéralisme, cela peut sembler absurde. Pourtant les trois exemples choisis — un journal communiste à la pointe des techniques modernes, deux chaînes de télévision traditionnellement et mondialement connues pour leur liberté de ton et une radio japonaise aussi neutre que prospère — révèlent que le conformisme, et non le pluralisme, constitue le trait principal de la réalité des médias d’aujourd’hui.

La presse chinoise, généralement réputée pour son obéissance à « la voix de son maître », est ici présentée sous un jour plus ouvert et moderne, puisque que le Guangzhou ribao, l’exemple singulier auquel s’attache les auteurs, rivalise sur le plan commercial et technique avec les journaux occidentaux les plus modernes et se situe par conséquent à mille lieues du poussiéreux Quotidien du Peuple et de l’archaïque agence de presse Xinhua. Malgré son incroyable réussite, le Guangzhou ribao n’a cependant pu échapper aux oukases imposées à la presse chinoise par le Département de la Propagande (p. 84). De même que pendant six mois l’agence Xinhua a totalement ignoré dans ses communiqués de presse l’existence du principal parti de Hong Kong, le Parti démocrate, et de son leader Martin Lee, ce grand quotidien du sud de la Chine a ainsi fait l’impasse sur la manifestation organisée par ce dernier au Legco dans la nuit du 30 juin…

La description des reportages presque identiques des deux chaînes « rivales » anglaises BBC et ITN montre, sur un autre registre, que la presse chinoise n’était pas la seule à souffrir d’une présentation univoque des événements. Pétries de nostalgie et soucieuses de plaire aux résidents étrangers et aux « larges masses » anglaises, elles ont ainsi largement privilégié le côté « dernier vestige du colonialisme » dans la plupart de leurs reportages, et tant dans les images que dans les commentaires, la Chine est avant tout apparu comme le véritable « envahisseur », martial — images de l’arrivée des soldats de l’APL — et redouté — interviews avec des Hongkongais inquiets pour leur futur.

La presse japonaise a déployé les grands moyens pour couvrir cette grand messe. Plus nombreux et apparemment plus libres, les journalistes de ce pays « neutre » ont certainement fourni la version politique la plus nuancée de l’événement. En revanche, ils n’ont pu échapper aux exigences de l’intérêt national et celui du Japon, commercial plus que politique, s’est avéré aussi contraignant que celui d’autres pays. Les journalistes japonais ont en outre souffert d’un handicap linguistique supplémentaire, puisque le Japonais est peu parlé à Hong Kong et dans le monde et que ce surcroît d’isolement se trouvait aggravé par la nécessité de transmettre en direct. Les auteurs montrent très bien, dans ce cas ainsi que dans celui de la chaîne américaine CNN, comment le reportage en direct constitue plutôt une entrave qu’une aide à la description des faits réels.

Si la quantité d’informations fournies dans le corps du texte et les divers témoignages insérés entre les différents chapitres passionnent, les conclusions, déjà énoncées dans la préface, ne sont en revanche pas très convaincantes : « La façon choisie par les journalistes étrangers de couvrir le transfert de souveraineté de Hong Kong et tout ce qu’ils ont décidé d’ignorer de cet événement sont révélateurs des méthodes de planification des médias étrangers et des préjugés idéologiques et culturels qui les habitent » (p. xviii).

Les auteurs, dans leur entreprise de sauvetage ou du moins de défense des journalistes, rejettent donc la responsabilité du conformisme existant sur les rédactions toutes puissantes au service des Etats. Ils s’insurgent contre ceux qui retrouvent dans la couverture de l’événement la vieille opposition entre la théorie léniniste d’une presse « responsable », porte parole d’intérêts commerciaux ou d’Etat « supérieurs », et la conception selon laquelle le reporter n’a de devoir qu’envers ses lecteurs. Leur alternative n’est cependant pas plus crédible : peut-on honnêtement opposer journalistes occidentaux et asiatiques ? Les premiers sont ainsi souvent « mauvais » s’agissant de la pure relation des faits — ce que nous voulons bien admettre — mais ils sont en revanche « absous » de ce pêché puisqu’ils sont plus soucieux des exigences de leur lectorat, tandis que les seconds, bien que plus objectifs dans leur rapport à la réalité factuelle, sont condamnés en tant que porte parole des pouvoirs politique et économique qu’ils représentent (p. 172).

Le livre, en lui-même, montre plutôt que la réalité est bien plus compliquée et qu’à vouloir absolument trouver des contradictions binaires l’on ne peut aboutir qu’à raviver des querelles quelque peu dépassées…