BOOK REVIEWS
Hein Mallee et Frank N. Pieke : Internal and International Migration — Chinese Perspectives
Cet ouvrage est le résultat dune conférence tenue à Oxford en juillet 1996 intitulée « Les Chinois en Europe et les migrants à lintérieur de la Chine : thèmes communs à la migration intérieure et internationale ». Quatorze auteurs y ont contribué sous la direction de Frank N. Pieke (1) et de Hein Mallee (2). Démontrant lineptie de la séparation entre ces deux thèmes, cet ouvrage est le premier du genre en Europe à relier ce quil y a de commun au vaste domaine dinvestigation que sont les mouvements migratoires internes et internationaux.
Trois chapitres opèrent un rapprochement entre ces deux disciplines. Tout dabord celui consacré à La migration interne chinoise présente une sélection de thèmes communs aux migrations internationales tels que lorganisation sociale de la migration, la culture et la structure des communautés dimmigrés, la relation entre migration et marché de lemploi ainsi que linstitutionnalisation de la migration. Ensuite le chapitre dédié aux migrants du Zhejiang en Europe et en Chine montre que ce groupe de migrants venant majoritairement de la région de Wenzhou (situé à environ 600 kilomètres au sud de Shanghai) se trouve être un sujet détude exemplaire tant à létranger quen Chine et ce pour deux raisons. Il est très présent en Europe comme dans toutes les grandes villes de Chine et bien quil « ne » représente « que » 10 millions de migrants à lintérieur et à lextérieur de la Chine (ce qui est peu par rapport à la population flottante 80 millions à lintérieur et 30 millions à lextérieur , sa culture démigration prend naissance en Chine et semble souvent se prolonger en dehors des frontières nationales en Europe. Enfin, le chapitre intitulé Migration, identité et appartenance a pour objectif de fondre les thèmes des migrations internes et internationales dans le même creuset et de rompre avec les théories économiques et leurs thèmes de prédilection comme la redistribution spatiale du travail, la maximisation des ressources limitées et des opportunités. Ce chapitre ouvre ainsi une réflexion sur les « identités » (mises en place lors de la création des réseaux nationaux et trans-nationaux) et le rapport à lespace (crée par les migrants).
La description des migrations internes à la Chine, et cest ce qui surprend à première lecture, correspond sur deux points précis à la situation des migrants chinois en Europe. Il y a deux types de migration interne : celle (avec hukou (3)) légale et planifiée elle concerne 44 millions de migrants ; lautre est plus « chaotique » et inclut une population flottante estimée à 36 millions de personnes dont plus de la moitié sont sans qualification. Cette situation sapparente à celle des immigrés en provenance de République populaire de Chine en Europe, puisque la majorité dentre-eux circulent sans carte de séjour entre plusieurs pays, souvent en vue de lobtention dun titre de résident. Les migrations internes nexcluent pas, le plus souvent, un retour annuel et, après quelques années, un retour définitif dans le village natal. Pour ces raisons, Hein Mallee propose demployer le terme de « circulation migratoire », concept plus approprié à ces mouvements pendulaires et qui rapproche ceux-ci du phénomène migratoire chinois en Europe, lequel se structure aussi autour de plusieurs pôles géographiques : la France, lItalie et le pays dorigine.
Les raisons principales de ce vaste mouvement de population sont analysées par Thomas Scharping à travers une enquête comparative chez les néo-ruraux de Foshan et de Shenzhen : le premier motif de migration est la décollectivisation de la production agricole qui réduit les paysans au chômage et les conduit à émigrer. Lenquête sociologique qui suit sur lattitude des Shanghaïens vis-à-vis des immigrés récents, est décevante. Les sources officielles chinoises ne sont pas une seule fois remises en question ou discutées. Pourtant ce type même détudes induit et fausse les réponses puisque les questions abordées touchent à des sujets aussi sensibles que la moralité, le respect de la loi, léducation et lhygiène. Sans surprise, donc, on apprend que 97,2 % des Shanghaïens considèrent que les migrants ont une mauvaise influence sur la ville. Or, le contexte social et économique local nest pas expliqué et encore moins relié au phénomène dexclusion décrit. En mettant ainsi laccent sur lampleur dun groupe de néo-résidents et le désagrément quil cause aux résidents de longue date, cette enquête apparaît plutôt comme un produit de la recherche officielle commanditée par les instances municipales.
Mais le trophée de lenquête de type officiel est, de loin, remporté par Caroline Hoy avec son étude sur le rapport entre la fertilité des femmes et leur parcours migratoire. Fondés sur des sources institutionnelles, les résultats de son études réfutent le lien souvent établi entre lémigration des femmes et la volonté de celles-ci déchapper, à travers lémigration, au système du planning familial. Léchantillon, soigneusement trié sur le volet par la municipalité de Pékin, pré-oriente efficacement cette recherche. Si on ne peut évidemment pas considérer que tous les mouvements de migration sont liés à la natalité (hors planning familial), le lien reste cependant fort et le montrer ce que ne fait pas cette étude serait, en tout état de cause, un aveu déchec de la politique du gouvernement chinois.
Les messages idéologiques et le souci de contrôle social sont largement distillés dans ces études que dautres travaux de terrains moins officiels viennent nuancer. Et cest le cas des recherches menées conjointement en Europe et en Chine, dans la deuxième partie du livre, sur les Chinois du Zhejiang.
Lanalyse la plus intéressante celle qui comporte également le plus de sources chinoises et occidentales réunies nous est offerte par Xiang Biao sur « le Village » du Zhejiang (4) à Pékin. Son chapitre, intitulé « Création dun espace visible non-étatique à travers un réseau marchand et migratoire », décrit la création dun espace trans-régional de production en dehors du système administratif et planifié. La nature « non-étatique » de cet espace ne signifie pas quil ny a pas de relation avec lEtat mais plutôt que celle-ci est le fruit dune interaction que lauteur compare au qi (souffle) des arts martiaux : « [la communauté] a maîtrisé lessence des arts martiaux du taiji et peut séchapper quand lennemi attaque et revenir quand il a reculé ». Côté européen, la seule autre communauté du Zhejiang dotée dune homogénéité et dune organisation comparables est celle de Hongrie, mais pour des raisons bien différentes car cest, ici, le rôle du Parti communiste chinois (à travers lAssociation des Chinois de Hongrie) qui explique la structuration de ce groupe de migrants, principalement des petits entrepreneurs. Quant aux autres communautés situées en Europe du nord-ouest, décrites par exemple par Mette Thuno et Li Minghuan, elles sont caractérisées par un manque de cohérence : il ny a pas de développement dune communauté forte et unifiée. Et cest dailleurs en raison de ce manque dorganisation transnationale (sous la forme de triades par exemple) que Karsten Giese, par son étude sur lAllemagne, démontre que limmigration clandestine est le résultat darrangements avec des officiels corrompus ou des criminels autant que de liens familiaux ou amicaux. Le facteur de la pauvreté, souvent allégué pour expliquer lémigration en général ne sapplique pas aux Chinois du Zhejiang. Comme le précise Luigi Tomba dans son étude comparative sur les Chinois du Zhejiang à Pékin et en Italie, cest « la possibilité de gagner plus vite de largent » qui fédère ce mouvement migratoire. En effet, Wenzhou est une des régions au monde où le développement économique est le plus rapide.
Dans son article précisément intitulé « Senrichir rapidement en Europe : réfléxions sur les motivations des Wenzhou à émigrer », Li Minghuan tente dexpliquer ce phénomène mais sans toujours convaincre sur la question et le choix de la destination du migrant : lEurope.
Dans la troisième partie du livre, rompant avec les approches culturalistes et faisant une place de choix au milieu darrivée et au cadre situationnel du migrant, Charles Stafford propose justement de réfléchir sur le lieu de destination du migrant pour expliquer sa trajectoire plutôt que de prendre en compte son lieu dorigine. Dans cette perspective nouvelle, cest le processus dattachement au lieu de destination qui est analysé.
Les trois parties de cet ouvrage nen sont pas moins les points darticulation dune thèse très convaincante que Pieke résume ainsi : il est temps darrêter de concevoir la migration uniquement comme un flux dhommes et de femmes. Il est urgent de sortir de ce cadre-là pour commencer à construire une typologie des migrations en prenant en compte des données telles que : lentrepreunariat, la culture de lémigration, limpact dans le pays dorigine et la signification culturelle de lémigration.
Dans cette nouvelle perspective, lhistoire nouvelle qui privilégie les dynamiques individuelles et la problématique de lidentité occupent une place de choix. Espérons seulement que la prochaine pierre de cet édifice novateur soit prochainement posée.