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Yves Bougon et al. : Asie, les nouvelles règles du jeu

Concocté par des observateurs avertis suivant depuis plusieurs années les évolutions du continent asiatique, cet ouvrage a plusieurs mérites. Contrairement à beaucoup de livres qui ne s’en tiennent qu’à l’analyse des dimensions économiques de la crise qui a secoué le continent asiatique à partir de l’été 1997, celui-ci offre au lecteur une vue beaucoup plus complète, en intégrant les dimensions politiques et sociales de la crise. Certes, on regrettera quelques redites entre les chapitres consacrés au social et ceux traitant du politique (notamment concernant le Japon et la Corée). Mais, dans son ensemble, les auteurs ont bien réussi à faire passer le message important selon lequel la crise en Asie relève bien d’une crise de maturité issue de défaillances et de blocages des différents systèmes politiques nationaux dans la gestion de l’économie. L’Asie se croyait tout permis, même d’inventer de toutes pièces des « valeurs asiatiques » qu’elle arborait fièrement comme une potion magique expliquant son développement rapide depuis trois décennies. Les auteurs nous montrent à quel point le réveil a été brutal avec la crise. La transparence financière, les contre-pouvoirs économiques et politiques, un gouvernement efficace des entreprises et l’établissement d’un système de protection sociale ne sont plus désormais des questions culturellement inadaptées à l’Asie, mais bien au centre des conditions de la reprise et du développement économique à long terme de l’Asie.

Parallèlement à ces problèmes communs, et c’est un des autres points forts de l’ouvrage, les auteurs insistent également sur la grande diversité des pays asiatiques face à ces questions. Les problèmes du Japon, de la Chine, de la Corée du sud, de l’Indonésie, de la Malaisie et de la Thaïlande sont analysés aussi bien par rapport à des logiques économiques transversales qui secouent l’économie mondiale (libéralisation financière, concurrence industrielle, coopération régionale), qu’à des logiques purement nationales ancrées dans la politique, la société et la culture de ces pays. Pour les spécialistes de la Chine, ce double ancrage est particulièrement intéressant car il permet de dépasser le carcan intellectuel lié à la question des « spécificités chinoises » dans lequel s’enferment régulièrement bon nombre de débats et de réflexions.

Cet ouvrage est également courageux car les auteurs font fi de la position aisée qui consiste à expliquer a posteriori une crise que personne n’avait prévue (pas même l’économiste vedette Paul Krugman qui s’était largement trompé sur les raisons dans un article publié en 1996 sur la faiblesse des fondements de la croissance en Asie (1)). Les auteurs ont cherché en effet à repérer les défis que les différents pays asiatiques vont devoir relever à court et à moyen termes, évaluant pour chacun d’entre eux les chances d’y parvenir. Or il n’est jamais facile de prévoir, et même si pour l’instant la reprise en Asie apparaît plus rapide que prévue, les scénarios de sortie de crise avancés par les auteurs au moment de la rédaction du livre restent largement valables. Entre une Corée du sud qui procède à une véritable révolution économique et politique, et une Malaisie qui s’acharne à préserver un système économique fondé sur le « copinage » (« cronism »), on trouve des situations fortement divergentes et bien analysées dans les différents chapitres. Les auteurs mettent également bien en valeur les différentes visions qui s’opposent actuellement en Asie entre les tenants d’une Asie « asiatique », nationaliste, défendue par le docteur Mahathir, le (toujours) influent Lee Kuan-Yew et les communistes chinois, et celle incarnée par ce vieux renard de la politique coréenne devenu président de son pays, Kim Dae-jung, plus universelle, cherchant à s’insérer dans un système global de valeurs partagées par les grandes économies de ce monde.

On regrettera néanmoins qu’un chapitre n’ait pas été consacré à l’Inde, la grande absente des analyses portant sur l’Asie (ce qui n’est malheureusement pas le fait uniquement de cet ouvrage). En effet, les tendances démographiques et les nouvelles politiques économiques mises en place par les récents gouvernements indiens font de ce pays un des acteurs régionaux les plus intéressants à observer notamment parce qu’il est en mesure de bouleverser la scène politique et économique de la région dans son ensemble.

Sur un plan technique, enfin, l’absence d’un index constitue une limite pour un livre qui se veut être un ouvrage de référence. On appréciera en revanche la grande clarté et la concision des explications économiques de la crise, lesquelles se trouvent agrémentées de tableaux pertinents et de judicieuses références permettant au lecteur qui le souhaite d’approfondir certaines questions.

Bref, cet ouvrage collectif mérite bien qu’on s’y attarde pour son approche pluridisciplinaire et la qualité de ses analyses sur un continent plus que jamais en mouvement.