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ELECTIONS PRÉSIDENTIELLES 2000« Taiwan est debout ! »
Taiwan est debout (Taiwan zhanqilai le) ! Faisant évidemment écho à la célèbre phrase prononcée par Mao Zedong le 1er octobre 1949, cest cette formule qui résume le mieux létat desprit actuel de Formose et de ses dirigeants. Lancée à plusieurs reprises par Chen Shui-bian, le nouveau président de la République de Chine (RDC), lors de son discours dinvestiture, ces quelques mots ont bien plus su galvaniser la société insulaire que les propos alambiqués relatifs au « règlement de la question dune Chine unique future » que le nouveau chef de lEtat a donnés en pâture aux exégètes politiques de Zhongnanhai. De fait, précédé dun hymne national les trois principes du peuple de Sun Yat-sen depuis longtemps « taiwanisé » et chanté par la célèbre Ah-mei (Chang Hui-mei, de ce fait désormais interdite de séjour en Chine populaire), le discours de lancien indépendantiste Chen a parfaitement mis en lumière toute la richesse, la complexité mais aussi les faiblesses de la société taiwanaise contemporaine.
Richesse politique dabord : par le transfert sans faute du pouvoir dun président représentant un parti nationaliste, le Kuomintang, hier dominant et dominateur à un candidat dune formation dopposition, le Parti démocrate progressiste, souvent plus connu pour sa revendication indépendantiste que pour son combat pour la démocratisation de lîle. Deux ans après lélection à la présidence de la République de Corée du célèbre ex-dissident Kim Dae-jung, un ami personnel de Chen, la RDC rejoint ainsi le peloton des jeunes démocraties en voie de consolidation.
Richesse culturelle et identitaire aussi : si les réflexes communautaires ont favorisé la candidature du Taiwanais de souche Chen par rapport à celle du continental James Soong Chu-yu, de nombreux Minnan, le groupe majoritaire, et Hakka ont voté pour ce dernier. Par delà les oppositions politiques, tranchant avec le peu dentrain des meetings organisés par Lien Chan, le successeur officiel de Lee Teng-hui, le président sortant, la ferveur des rassemblements électoraux de ces deux candidats ainsi que les images hautes en couleurs de la campagne médiatisée traduisaient chacun à leur manière, la fierté dêtre taiwanais et de vivre dans une démocratie où nul ne craint dexprimer ses idées.
Le 18 mars, au soir de lélection présidentielle, lon aurait également pu sécrier : une nouvelle nation est née, la nation taiwanaise ! Mais stimulé par cinquante ans de croissance économique et dix ans de démocratisation, ce nationalisme taiwanais nest pas ce sentiment intolérant, agressif et ombrageux que lon observe chez un nombre croissant de Chinois du continent. Il sinscrit dans la complexité de lidentité taiwanaise (cf. Perspectives chinoises n° 57). Loin dêtre exclusif, il se marie volontiers le discours dinvestiture de Chen Shui-bian la parfaitement démontré avec la reconnaissance dune appartenance à lensemble culturel et historique chinois. Acceptant les doubles, voire les triples identités (Hakka, aborigènes), le nationalisme taiwanais témoigne merveilleusement du caractère pour ainsi dire « post-moderne » de la société taiwanaise.
La question est évidemment de savoir si le régime de Pékin peut comprendre et accepter cette richesse et cette complexité. Les relations internationales sont ainsi faites quil sera particulièrement difficile pour Chen et son gouvernement de dépasser les concepts incontournables dEtat-nation et de souveraineté, autant dattributs que la Chine populaire continue de refuser à la République de Chine. En dépit de la modération dont le nouveau président a fait preuve et du soutien prudent que lAdministration Clinton lui a apporté, les relations entre les deux Chine risquent fort de rester dominées dans les quatre prochaines années par une alternance de modestes ouvertures et de bouffées de tension, et ce malgré le possible dégel de liaisons maritimes, voire aériennes directes entre les deux rives du détroit de Formose. Cela sexplique avant tout par létat desprit qui domine la direction du PC chinois : trop divisés pour faire preuve de la « créativité » que Washington et Taipei leur demandent, les responsables de Pékin préfèrent continuer de fourbir leurs armes et de bercer la société continentale de lillusion dune possible réunification sur le modèle de Hong Kong et de Macao.
Ce jeu dangereux nest pas le seul nuage
noir qui assombrisse lhorizon du mandat du dixième
président de la République de Chine. La réforme
du Kuomintang, la lutte contre la corruption et le crime organisé
ainsi que le renforcement de lindépendance judiciaire
constituent quelques uns des défis que Chen Shui-bian aura
à relever. Mais la menace irrédentiste de la Chine
populaire, en dépit de la patience tactique dont elle feint
à nouveau de faire preuve depuis le 20 mai, demeure la principale
hypothèque qui pèse sur lavenir de la jeune
démocratie taiwanaise.