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Zhang Wei-Wei, Transforming China – Economic Reform and its Political Implications

by  Jon Sigurdson /

Les changements économiques intervenus en Chine depuis 1978 ne sont rien d’autre qu’une véritable révolution industrielle qui ne se résume pas à la multiplication du PIB par quatre et du PIB par tête par trois en l’espace de deux décennies. La diaspora chinoise a joué un rôle important en jetant les bases d’une « Zone Economique Chinoise ». Les Chinois d’outre-mer, principalement par l’intermédiaire de Hong Kong, et dans une moindre mesure de Taiwan, ont apporté les capitaux, les contrats et ont également introduit de nouvelles idées en Chine. Ils ont aussi fourni des substituts aux institutions qui n’existaient pas en Chine et ont initialement joué un rôle important en tant qu’intermédiaires avec le monde extérieur, au moment où la Chine était isolée des bouleversements fondamentaux de la globalisation de l’économie. Hong Kong et Taiwan ont directement contribué à hauteur d’environ 65 % aux investissements directs étrangers (IDE) et 10 % supplémentaires sont venus du reste de la communauté des Chinois d’outre-mer. Ainsi, la diaspora chinoise dans son ensemble a joué un rôle dominant dans le succès de la Chine comme destination privilégiée des IDE parmi les pays en développement.

La Chine s’est imposée comme un acteur important du commerce international, ce qui s’est accompagné d’une transition brutale dans la composition de son commerce extérieur, passant des matières premières aux produits manufacturés, complétés également par une part substantielle de biens d’équipement et de machines-outils. Par là même, la révolution industrielle chinoise est devenue une menace économique pour les pays de l’Association des nations du sud-est asiatique (ANSEA) et les autres pays en développement qui souhaitent adopter une stratégie de développement soutenus par les exportations. Les réformes de 1978 et celles qui les ont suivies constituent la sixième tentative majeure de moderniser la Chine, après celles de 1860, 1898, 1911, 1927 et 1949. L’auteur de cet ouvrage avance de manière convaincante l’argument selon lequel ces récents bouleversements n’ont pas pris la forme d’un processus spontané mais qu’ils ont été guidés par un certain nombre de réformateurs, dont Deng Xiaoping, « en cherchant la vérité à partir des faits », incarne la figure de proue.

L’auteur a divisé son ouvrage en trois sections principales : la première offre un aperçu général des réformes économiques, la deuxième décrit ses caractéristiques spécifiques et la dernière met en perspective les implications politiques de la réforme économique, laquelle constitue l’enjeu de tout cet ouvrage.

Dans la première section l’auteur résume les réformes des secteurs ruraux et urbains, avant de passer aux réformes macro-économiques et à l’ouverture au monde extérieur, ce dernier aspect étant très important pour la continuation des réformes formulées en 1978.

La mise en place de la réforme rurale, entreprise très tôt, a été simple puisque les groupes d’intérêts susceptibles de s’y opposer étaient faibles et limités. Les grandes expériences de réforme rurale avaient jusqu’alors échoué et presque tout le monde considérait que le système communautaire constituait un frein à l’efficacité et à la créativité. En 1978, le secteur rural ne représente plus que 30 % de l’économie totale et à l’évidence souffre de nombreux déséquilibres et gaspillages.

Toutefois, la réforme du secteur urbain n’a pas encore permis de surmonter les conflits d’intérêts concentrés avant tout dans les entreprises d’Etat, mais également présents dans les coopératives des bourgs et des villages, et plus largement dans toutes les instances où les administrations conservent un important pouvoir d’intervention et de contrôle — à Pékin ou dans d’autres villes. La réforme des entreprises d’Etat engagée au Sichuan en 1984 a servi d’exemple précoce. En 1997, les autorités ont décidé de poursuivre la liquidation des plus petites entreprises d’Etat, tout en conservant le contrôle sur un millier des plus grandes d’entre elles qui seraient concentrées en groupes, sur le modèle des chaebols coréens. Ces groupes devaient, à terme, devenir des sociétés, sans pour autant être privatisés. L’auteur avance l’idée qu’il reste encore davantage à réformer au niveau macro-économique, notamment en matière de politiques des prix, de régimes fiscaux et dans les institutions monétaires. Il estime également que le système bancaire et l’ampleur des créances douteuses demeurent des handicaps sérieux à l’établissement d’un système économique sain.

L’ouverture au monde extérieur a été entreprise beaucoup plus progressivement que la réforme macro-économique, avec la création précoce des zones économiques spéciales (ZES), suivie par l’ouverture de plus larges régions côtières destinées à s’intégrer à l’économie globale, et couronnée par le développement de Pudong, à Shanghai, destinée à devenir une métropole internationale technologique et financière. Cependant, l’accent porté sur le commerce extérieur et les IDE a exposé la Chine à s’engager massivement dans la logistique liée à la promotion des exportations, et les alternatives à ce modèle de développement ont été très limitées.

L’auteur avance de multiples arguments afin de montrer que le processus de réforme en Chine s’est déroulé dans une perspective globale voire globalisante. Il démontre avec pertinence que ce pays a opté pour une approche guidée et progressive qui a permis d’éviter à la fois un retour aux extrémités de l’idéologie maoïste ou au contraire du libéralisme effréné, ce dernier ayant séduit de nombreux réformateurs économiques. Le processus a donc été soutenu par des réformateurs déterminés, parmi lesquels Deng Xiaoping a joué un rôle important, et qui estimaient que les réformes apporteraient à la Chine richesse et pouvoir. Pour Zhang, les réformateurs étaient à n’en point douter mus par une vision : ils souhaitaient amorcer leur politique par une phase expérimentale et avaient bien conscience qu’il leur fallait avancer à petits pas afin de créer un contexte qui soit le plus favorable possible à la continuation des réformes. Zhang décrit un Deng Xiaoping résolu et confiant dans sa bonne étoile, contrastant amplement avec d’autres réformateurs, plus conservateurs, qui souhaitaient conserver dans leur plan de réforme un grand nombre de caractéristiques de l’économie planifiée. Il montre également comment les réformateurs « visionnaires » ont été largement aidés par l’échec quasi complet de l’idéologie maoïste, mais également par l’ouverture effective au reste du monde et par la crise qui semblait inéluctable si le système économique avait été maintenu en l’état.

Zhang montre clairement que les réformes des deux dernières décennies ont détruit les institutions totalitaires, bien que l’échec de la Révolution culturelle ait déjà joué un rôle important à cet égard. L’affaiblissement du totalitarisme est aujourd’hui fortement accusé par la montée de la classe moyenne en Chine. Cependant, les réformes économiques n’ont encore été suivies d’aucune réforme importante dans le sens d’une libéralisation politique, bien que la menace du radicalisme, que celui-ci vienne de gauche ou de droite, semble avoir été éliminée. Dans le même temps, il devient de plus en plus évident que la dynamique des changements s’accompagne également de coûts importants : une nouvelle stratification de la société chinoise, de plus grandes disparités de revenus et une population flottante à la recherche d’un emploi (mingong). Ces quelque 200 millions de migrants dans les zones rurales sont appelés familièrement « l’armée de Deng » et cette mobilité sociale est un élément fondamental dans le spectre des implications politiques que peuvent avoir les réformes, et cela bien que le niveau de vie ait augmenté de manière substantielle pour la majorité des Chinois. La population continue pourtant de croître et les coopératives des bourgs et des villages ne sont plus capables d’absorber autant de chômeurs qu’auparavant.

Pour l’auteur, le pouvoir a durant les deux dernières décennies adopté des politiques que l’on peut qualifier de souples, si l’on fait bien sûr exception de la répression du 4 Juin 1989. Cela a permis de procéder à ce que Zhang appelle la libéralisation informelle de la société chinoise, notamment par les voyages à l’étranger de millions de Chinois ou par la pénétration de l’Internet. Tout ceci, combiné à la rapidité du développement économique, a suscité des mutations fondamentales dans les valeurs individuelles, lesquelles vont continuer de transformer la Chine. En revanche, la corruption, qui existait déjà avant les réformes, est devenue un danger politique majeur dans la mesure où elle touche en fait tous les segments de la société et de l’Etat, donc autant les personnes que les institutions. Comparé à nombre d’observateurs étrangers, Zhang semble minimiser le danger que représente la corruption. Néanmoins, il souligne que le phénomène reflète une crise des valeurs, devenue évidente en 1989. Il souligne que l’interventionnisme d’Etat demeure fort dans les décisions économiques, et que le manque de transparence dans la prise de décision et l’absence d’une presse libre continueront d’alimenter les pratiques de corruption, bien que certains criminels soient désormais punis pour l’exemple.

S’agissant des implications politiques, en revanche, l’auteur remet en cause la trop grande importance accordée aux forces régionalistes par beaucoup d’observateurs étrangers. Il rejette ce disfonctionnement en arguant de l’hétérogénéité de la population et de l’absence de forces véritablement centrifuges au stade actuel de développement.

Les réformes qui ont eu lieu en Chine depuis 1978 ont souvent été décrites comme un modèle de réforme économique sans réforme politique. Zhang rappelle cependant que la mise en place d’élections villageoises ainsi qu’un certain nombre d’autres évolutions plaident en faveur d’une possible démocratisation. Parmi les facteurs facilitant l’ouverture, il relève : l’augmentation du niveau de vie, la révolution de l’information et de la communication, l’amélioration du niveau d’éducation, le développement des classes moyennes et du secteur non-étatique, l’intensification des liens avec le monde extérieur et la reconnaissance par le Parti de son impuissance à pénétrer la société chinoise jusqu’en dans ses moindres pratiques. Zhang reconnaît toutefois qu’une démocratisation à part entière demeure bien difficile à engager, et notamment parce que le Parti communiste refuse de tolérer des organisations politiques indépendantes, que le succès des réformes denguistes est sans cesse opposé à l’échec de l’expérience russe, qu’il ne semble pas exister de modèle crédible à la sortie du stalinisme pour un pays aussi vaste que la Chine, que les divers groupes sociaux de mécontents semblent bien incapables d’unir leurs forces et enfin parce que la population craint qu’une scène politique plus pluraliste n’entraîne la récession économique et le chaos politique.

Ainsi, le Parti va continuer de fonder sa légitimité politique sur le développement économique et poursuivre ses réformes graduelles basées sur un totalitarisme mou. Dans le même temps, il y a peu de doutes que les réformes lancées en 1978, qui ont progressivement ancré la Chine dans un cadre global, vont avoir des répercussions majeures non seulement en Asie Pacifique mais aussi dans le reste du monde. Le lecteur trouvera donc dans cet ouvrage à la fois les aspects fondamentaux des réformes et de leur contenu, et des éléments de réflexion pour comprendre les évolutions à venir.

Zhang Wei-Wei est professeur à la faculté des Humanités de l’Université Fudan de Shanghai et est également chercheur au Centre de recherche sur l’Asie contemporaine à l’Université de Genève en Suisse. Avec cet ouvrage, il fournit une vue d’ensemble, éclairée et éclairante, sur les réformes chinoises mises en place depuis 20 ans.

Traduit de l’anglais par Pauline Blatt