BOOK REVIEWS

Chen Jianfu, Chinese Law, Towards an Understading of Chinese Law, Its Nature and Development

by  Leïla Choukroune /

Nous avions noté avec intérêt la parution du remarquable Bird in a Cage de Stanley B. Lubman (1). Voici un autre ouvrage de synthèse consacré à l’analyse de la nature et des derniers développements du droit chinois. Chen Jianfu se propose en effet de retracer en 415 pages les évolutions marquantes d’un droit complexe et encore très mal connu. Résultat de six années de recherche, Chinese Law, repose sur une structure simple et claire laissant apparaître douze chapitres qui s’enchaînent en toute logique (introduction, analyse historique, droit constitutionnel, sources du droit et codification, droit administratif, droit pénal, procédure pénale, droit civil, droit de la famille, droit des contrats, droit des affaires, droits des investissements et du commerce extérieure, conclusion) et abordent avec une très grande précision les aspects majeurs du droit chinois (fundamental law et basic branches).

Les deux premiers chapitres traitent selon une approche pluridisciplinaire et avec un soucis constant d’historicité de « la culture juridique, de l’orthodoxie d’Etat et de la modernisation du droit » puis de « l’expérience légale de la République populaire de Chine ». Parce que le droit chinois est un droit qui s’inscrit profondément dans l’histoire, Chen Jianfu a amplement raison d’insister sur l’héritage confucianiste(2) tout comme sur le processus d’occidentalisation du droit engagé à la fin du XIXe siècle, peu avant la chute de la dynastie Qing, et poursuivi différemment par les Républicains (pp. 3-30). L’auteur le reconnaît explicitement dans l’introduction du second chapitre (p. 31), l’histoire du droit de la République populaire de Chine (RPC) ne commence pas en 1949. Et Chen Jianfu de replacer tout au long de l’ouvrage ses réflexions dans une perspective historique sans laquelle la compréhension du mouvement de codification et d’institutionnalisation entamé à la fin des années 1970 serait impossible. Les cinquième et sixième sections du second chapitre (« L’expérience légale sous le régime de Deng » et « Après l’idéologie — Poursuite de l’occidentalisation/modernisation du droit chinois ») sont à ce titre particulièrement éclairantes ; l’auteur analyse la transformation progressive d’un droit « marxiste » en un droit « wébérien » (p. 55) : « Le législateur chinois cherche à s’appuyer sur les modèles et les expériences des pays occidentaux, et ceci tout particulièrement depuis 1992 dans sa quête d’une rationalisation du droit. En procédant ainsi, le droit chinois devient de plus en plus “wébérien” et de moins en moins “marxiste” ».

Le chapitre qui traite de la codification et que l’on lira en gardant en mémoire les passages consacrés à l’élaboration du droit constitutionnel, apporte une contribution singulière à un sujet assez peu étudié (pp. 57-96) . La question encore ouverte de la hiérarchie des normes mérite quelques explications. S’il est admis que la Constitution (xianfa) se trouve au sommet de cette hiérarchie devant les lois fondamentales (jiben falü) et les autres types de lois (qita falü), rien n’est dit sur la place à accorder aux multiples lois et règlements administratifs (difangxing fagui) adoptés souvent à titre expérimental à l’échelle locale. La multiplication des conflits de loi et l’absence totale de contrôle de constitutionnalité ne peuvent que discréditer tout effort législatif en rendant celui-ci « antidémocratique, autoritaire et élitiste » (p. 124). A l’heure où la Chine est plus que jamais décidée à fonder son développement sur une ouverture aux capitaux étrangers, on aurait pu attendre de l’auteur quelques commentaires sur l’absence de dispositions relatives au statut des traités internationaux ratifiés par la Chine (seules une allusion ou deux à ce sujet figurent dans les chapitres sur le droit des contrats et sur le droit des investissements et du commerce extérieur). Si l’on admet implicitement la supériorité des traités sur les lois, celle-ci n’est pas consacrée par la Constitution de la RPC ce qui ne sera pas sans poser de problèmes quant à l’harmonisation nécessaire entre le droit interne et le droit international (4).

En guise de conclusion, l’auteur dresse le bilan mesuré mais optimiste des avancées indéniables du droit chinois en termes de codification et d’institutionnalisation. Conscient des limites de cette évolution normative vers le fameux yifazhiguo (Etat de droit) sans un changement profond du système politique, il appelle de ses vœux la réalisation pratique des théories développées par les juristes chinois et y voit un moyen de dépasser l’actuelle instrumentalisation du droit à des fins idéologiques. Chen Jianfu met cependant en garde les acteurs de la scène juridique chinoise contre les risques d’une application impossible ou partiale des règles de droit qui contribuerait finalement à les vider de leur sens (voir les chapitres 6 et 7 sur le droit et la procédure pénale).

L’ensemble de l’ouvrage fait preuve d’une grande honnêteté intellectuelle dont les fondements avaient été posés avec lucidité dès l’introduction : « En un mot, le droit est considéré comme utile à l’établissement de la stabilité et de l’ordre nécessaires au développement économique. Les préoccupations de justice, d’humanisme et de protection des droits fondamentaux de l’homme ont occupé et occupent toujours un rôle secondaire dans la définition et l’accélération des réformes juridiques ». Il convient également de rendre hommage à la richesse de l’appareil critique. La profusion de notes de référence et la très solide bibliographie (38 pages) attestent en effet d’une connaissance profonde du terrain et des sources par un auteur qui enseigne non seulement le droit chinois mais aussi le droit international dans le cadre de l’université australienne de La Trobe.

On ne peut donc que souscrire à cette analyse aux qualités multiples et il est finalement assez difficile de formuler des critiques substantielles à son égard. Quelques lacunes communes à de trop nombreux ouvrages juridiques sur la Chine peuvent néanmoins être signalées. Il aurait été souhaitable d’accorder une place de choix à la jurisprudence. Celle-ci est désormais abondante dans tous les domaines du droit chinois et revêt une importance grandissante dans l’interprétation des textes comme l’auteur le souligne dans le chapitre consacré aux sources du droit : « Parce que les lois chinoises (falü) sont rédigées dans la plupart des cas en termes vagues, leur interprétation par des autorités diverses constitue effectivement une source importante du droit » (p. 106). De plus, les spécialistes ont souvent tendance à oublier que l’analyse jurisprudentielle relève dans son acception première (la science du droit) de l’essence même des études juridiques.

On peut également regretter l’absence de quelques textes juridiques de référence ou même de quelques extraits choisis de ceux-ci en annexe. Un glossaire des très nombreuses expressions ou termes chinois employés n’aurait pas non plus été inutile.

On ne peut cependant que vivement recommander la lecture de cette excellente synthèse qui met à mal bien des stéréotypes trop souvent véhiculés sur ce sujet, que le lecteur soit ou non un spécialiste.