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L’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerceConséquences et défis sociaux — Un point de vue coréen

by  Kye Woo Lee /

Le 19 septembre 2000, le Sénat américain adoptait en dernière lecture, et en dépit de l’opposition virulente des organisations syndicales et des groupes de défense des droits de l’homme, un texte âprement discuté garantissant à la Chine « des relations commerciales permanentes et normales » (permanent normal trade relations ou PNTR) avec les Etats-Unis. Cet ultime vote du Sénat eut lieu quatre mois après que la Chambre des représentants eut elle-même approuvé le texte à l’issue de débats passionnés. Le sénateur démocrate de New York Daniel Moynihan alla même jusqu’à considérer cette décision comme le vote le plus important depuis la Seconde guerre mondiale. L’adoption du PNTR écarte en effet l’un des obstacles majeurs à une accession rapide de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Aussi peut-on se demander pourquoi cette accession a nourri tant de controverses à l’intérieur comme à l’extérieur de la Chine et s’interroger sur les implications de celle-ci pour les principaux partenaires commerciaux de Pékin, à l’instar des Etats-Unis, pour ceux des pays en développement faisant figure de concurrents de la Chine, comme la Corée, et enfin pour la République populaire de Chine (RPC) elle-même. Les conséquences positives et négatives de la libéralisation commerciale en Chine constituent en réalité les deux termes d’une même équation. Les spécialistes doivent donc dresser le bilan comptable de cette évolution pour mieux en dégager l’actif et le passif. Cet article abordera brièvement les implications de l’accession de la Chine à l’OMC pour les Etats-Unis et pour la Corée puis se concentrera sur les conséquences pour la RPC et les défis qui devront être relevés par l’économie chinoise.

Les changements politiques consécutifs à l’accession de la Chine à l’OMC

En raison de l’adoption du PNTR et de l’entrée de la Chine à l’OMC, le gouvernement américain devra mettre un terme à l’examen annuel rituel des avancées chinoises en matière de droits de l’homme et de libertés syndicales auquel il procédait depuis vingt ans et qui conditionnait ses décisions sur le statut commercial à accorder à Pékin. Parce que les Etats-Unis sont déjà membres de l’OMC, ils n’auront aucun changement à effectuer dans leur politique commerciale. Les Etats-Unis devront simplement garantir aux biens et services chinois l’accès au marché américain selon les mêmes conditions tarifaires que celles accordées à tout autre membre de l’OMC en conformité avec la clause de la nation la plus favorisée (CNPF). Si la Chine bénéficiait déjà de cette clause, elle n’aura plus à attendre son renouvellement annuel par les Etats-Unis, puisque le statut qui en découle lui est désormais accordé de façon permanente. En d’autres termes, Pékin pourrait seulement faire l’économie des coûts de transaction annuels d’accès au marché américain. La mission principale des Etats-Unis consiste donc à intégrer la RPC dans le processus d’élimination progressive des quotas et des barrières non-tarifaires sur les textiles et vêtements importés de Chine en application de l’Accord de l’OMC sur les textiles et les vêtements qui entrera en vigueur le 1er janvier 2005.

Quels sont alors les avantages que les Etats-Unis retireront de l’accession de la Chine à l’OMC ? La RPC devra baisser de façon significative ses droits de douane, supprimer les barrières non-tarifaires, celles sur les importations agricoles et de services tout particulièrement, et renforcer les dispositions légales relatives à la protection de la propriété intellectuelle. Par barrières non-tarifaires, on entend les licences et les quotas, les restrictions en tous genres, le traitement différencié entre les produits et services nationaux et ceux importés, le manque de transparence des lois, règlements et procédures juridiques, l’absence d’autorité indépendante et impartiale capable d’examiner et de résoudre les différends commerciaux, les monopoles des secteurs étatiques, les primes incitatives des vendeurs, les exigences de transfert de technologie, de contenu national, de change, de type commercial ou d’équilibrage des comptes, etc. Le gouvernement chinois s’est déjà prononcé en faveur de l’ouverture d’un grand nombre de secteurs, de l’agriculture aux télécommunications, dans le cadre d’un accord qui a fait date : l’Accord commercial sino-américain du 15 novembre 1999. Un texte semblable a par ailleurs été signé avec les membres de l’Union européenne en mai 2000. C’est pourquoi les exportations et investissements américains en Chine devraient augmenter de façon considérable. Si cet accord profite à n’en pas douter aux Etats-Unis, on est en droit de se demander s’il profitera également à la Chine. En imaginant que cela ne soit pas le cas, quelles sont alors les raisons qui poussent la Chine à vouloir intégrer l’OMC au plus vite ?

Comme nous allons le montrer, les bénéfices économiques que les Etats-Unis et la Chine retireront de l’accession de cette dernière à l’OMC seront relativement minces au regard de la taille d’ensemble de ces économies et de leurs relations commerciales. En revanche, les gains non-économiques seront très importants. Nous verrons également que c’est la Chine qui devra payer le coût de cet ajustement économique et que cela ne devrait pas manquer de retarder l’application effective des accords commerciaux déjà signés et d’accroître les risques politiques auxquels les dirigeants chinois devront faire face.

Les conséquences pour les Etats-Unis

Les conséquences économiques

L’importance politique du PNTR et de l’accession de la Chine à l’OMC est indirectement renforcée par les gains relativement faibles dont les Etats-Unis bénéficieront sur le plan économique. En dépit de la taille importante de l’économie chinoise (la septième du monde avec une population de 1,3 milliard d’habitants), son PIB de 1 100 milliards de dollars américains ne représente que 14% du PIB américain. Le commerce sino-américain était estimé, en 1998, à 89 milliards de dollars soit moins de 1,15 % du PIB américain (tableau 1). Les conséquence économiques pour les Etats-Unis apparaissent plus clairement à la lumière des décisions de politique commerciale que la Chine devra prendre. Rappelons en premier lieu que l’impact économique de la suppression des barrières non-tarifaires (BNT) reste difficile à estimer puisque celles-ci relèvent de la politique industrielle. On peut néanmoins tenter d’évaluer l’impact de la suppression de ces barrières sur l’économie américaine sur la base de mesures tarifaires équivalentes. Un certain nombre d’études sur les mesures de protection en vigueur en Chine montrent que l’équivalent tarifaire des barrières non-tarifaires (21,1%) est comparable au niveau moyen des tarifs douaniers (21,7%), ce qui permet de mieux appréhender l’impact de la suppression des barrières non-tarifaires sur l’économie américaine (tableau 2). Mais en réalité, la suppression de ces barrières aura probablement un impact plus important que les réductions tarifaires elles-mêmes. Le taux tarifaire moyen devrait être ramené à 10% après l’entrée de la Chine à l’OMC, soit une diminution nette de 7 points puisque la Chine avait en moyenne abaissé les droits d’entrée à l’importation à 17% dès 1997.

Tableau 1 – Les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis et la place de la Chine, 1998

Tableau 2 – Taxes et équivalents-taxes des barrières non-tarifaires

L’importance relative de la suppression des barrières non-tarifaires apparaît également dans les conclusions de la commission américaine pour le commerce international (US International Trade Commission ou USITC). Une étude de l’USITC montre en effet que les conséquences de l’élimination des barrières non-tarifaires sur 25 produits recouvrant seulement 30% des importations chinoises conjuguée à une baisse hypothétique des tarifs douaniers de 50% doublerait effectivement l’impact positif des réductions tarifaires sur des variables telles que la croissance du PIB américain et les termes de l’échange((1). L’ambassade des Etats-Unis à Pékin estime que les barrières tarifaires chinoises actuelles qui s’appliquent aux fournisseurs de services américains entraînent à elles seules des pertes commerciales de 3 à 5 milliards de dollars par an. L’étude de l’USITC montre en second lieu que les réductions tarifaires concédées par la Chine en avril 1999 auront des conséquences positives sur l’économie américaine dès 2005 mais qu’elle seront en revanche mineures en termes de croissance du PIB, d’importations et d’exportations totales, de consommation et de salaires. Même en prenant en compte les effets dynamiques des réductions tarifaires sur les gains de productivité et l’accumulation de capital associés à la libéralisation commerciale chinoise, l’impact sur ces variables économiques reste faible (moins de 0,05%).

Un impact plus significatif sera très certainement enregistré en matière de flux commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis. Grâce aux réductions tarifaires chinoises, les exportations américaines devraient immédiatement augmenter de 10% (2,7 milliards de dollars). Cette estimation est semblable à celle (3,1 milliards de dollars) réalisée par l’Institut international d’économie, lequel a vivement encouragé l’accession de la Chine à l’OMC((2). Les secteurs qui bénéficieraient le plus largement des réformes commerciales chinoises seraient ceux de l’agriculture, de l’alimentation, des boissons, du papier, de la pâte à papier, des produits chimiques, du caoutchouc, du plastique, des équipements de transport, des machines et des équipements. Une analyse dynamique fait ressortir des profits bien plus importants (13 milliards de dollars en 2005) réalisés à la suite de l’ouverture du marché chinois à la concurrence et à l’augmentation des investissements directs étrangers (IDE) résultant de la libéralisation, ce qui ne manquerait pas de stimuler également les exportations américaines((3). Pour la société Goldman & Sachs, le montant des échanges chinois devrait presque doubler, en passant de 324 milliards de dollars en 1998 à 600 milliards en 2005. Le montant actuel des IDE (45 milliards de dollars) serait lui aussi multiplié par deux et atteindrait ainsi 100 milliards de dollars. Les Etats-Unis, tout comme les pays européens, devraient en effet augmenter le volume de leurs IDE en Chine et ceci tout particulièrement dans les domaine de l’industrie lourde, des technologies de l’information, de la finance et des industries de services, secteurs exclus jusqu’à présent de la concurrence étrangère (tableau 3). L’Institut international d’économie estime également que l’on peut s’attendre à une augmentation des exportations mondiales vers la Chine de 21,3 milliards de dollars((4).

Tableau 3 – Investissements directs en Chine par pays, 1990 - 1997 (en millions)

Parce que la libéralisation commerciale de la Chine rendra ses exportations plus compétitives, l’on prévoit une augmentation des importations américaines de produits chinois de 7%, soit 4,4 milliards de dollars pour 2005. Le déficit commercial américain avec la Chine (environ 43 milliards de dollars en 1998) devrait ainsi logiquement se creuser (graphique 1). L’USITC estime cependant que la balance commerciale américaine ne sera pas touchée par cette évolution en raison des bons résultats dont pourront se prévaloir les Etats-Unis avec leurs autres partenaires commerciaux. Les analyses de l’USITC font enfin ressortir l’impact positif d’une participation de la Chine à l’Accord de l’OMC sur les textiles et les vêtements. Les bénéfices économiques pour les Etats-Unis en termes d’augmentation de la consommation intérieure pourraient se chiffrer à environ 2,4 milliards de dollars en 2006, alors que le PIB devrait augmenter de 1,9 milliard de dollars la même année. Ces bons résultats seraient obtenus grâce à la baisse des prix des textiles et des vêtements importés aux Etats-Unis et aux gains de productivité liés à la redistribution des facteurs de production dans l’économie américaine. L’étude de l’USITC montre également que la suppression progressive des quotas en accord avec la participation de la Chine à l’Accord sur les textiles et les vêtements ne devrait avoir qu’un impact assez faible sur les importations américaines de textile mais des conséquences notables sur les importations de vêtements.

Graphique 1 – Le commerce Chine – Etats-Unis

Il nous faut néanmoins ajouter trois éléments s’agissant de l’augmentation prévisible des importations américaines de textile et de vêtements. Dans un premier temps, cette augmentation aura probablement des effets néfastes sur les producteurs et les ouvriers de l’industrie textile américaine. Certains analystes prévoient jusqu’à 870 000 pertes d’emploi dans les dix prochaines années((5). Bien que ces estimations semblent exagérées, les importations de vêtements représentent près des trois quarts des importations américaines de produits chinois et sont, en pratique, limitées par des formes de quotas. Si les produits textiles chinois restent de qualité moyenne, voire médiocre, celle-ci s’améliore de jour en jour. Par ailleurs, la production textile chinoise demeure une industrie à très forte intensité de travail, la Chine disposant en abondance d’une main d’œuvre qualifiée et à faible coût. On remarquera en second lieu que cette augmentation des importations américaines de produits textiles chinois se fera surtout au détriment des autres fournisseurs du marché américain et ne devrait donc avoir que des effets négatifs relativement faibles sur les industries textiles des Etats-Unis. Une étude récente estime que près de 76% de l’augmentation des exportations chinoises vers le marché américain remplaceraient en réalité les exportations de pays tiers, en prenant pour référence leur part de marché en 1997((6). Ainsi, seulement 24% des exportations chinoises de textiles et de vêtements auraient des répercussions négatives pour l’industrie américaine. Par ailleurs, les effets négatifs de la suppression des quotas ne deviendront vraiment sensibles qu’après que ceux-ci auront été complètement levés (le 31 décembre 2004), la Chine ne bénéficiant jusqu’à cette date que de faibles taux d’augmentation de ses quotas. La part de la Chine sur le marché américain des textiles devrait progressivement augmenter pour atteindre 11% en 2010 alors que sa part sur le marché américain des vêtements devrait augmenter de 18 points atteignant ainsi 30% du marché des importations américain((7). Enfin, les exportations américaines à forte intensité de capital vers la Chine devraient augmenter de plus de 300 millions de dollars par an après l’élimination complète des quotas début 2005. La croissance de la production et des exportations chinoises de produits à forte intensité de travail aura en effet pour conséquence une augmentation de la demande chinoise de produits manufacturés à forte intensité de capital.

En résumé, si l’accession de la Chine à l’OMC aura peu d’effet sur les variables macroéconomiques américaines comme le PIB, le montant total des importations et des exportations et les termes de l’échange, elle aura en revanche des effets positifs sur les flux commerciaux sino-américains, lesquels demeureront relativement faibles en comparaison de l’ensemble des échanges et du PIB américains. En 2005, les effets positifs de l’entrée de la Chine à l’OMC pourront être évalués à hauteur de 6 à 10 milliards de dollars, soit 0,7% des exportations américaines. Les importations américaines devraient également augmenter de 5 milliards de dollars, soit 0,7% de l’ensemble des importations. En réalité, les implications de l’accession de la Chine à l’OMC pour les Etats-Unis apparaissent bien plus significatives en matière de politique et de sécurité que dans la sphère économique.

Les conséquences non-économiques

Un certain nombre de spécialistes mettent en effet l’accent sur les implications politiques du PNTR((8). Sans doute est-ce pour cette raison que le sénateur Moynihan considère l’adoption de ce texte comme le vote le plus important depuis la Seconde guerre mondiale. Il est en effet crucial pour les dirigeants américains d’intégrer, à un moment opportun, la nouvelle puissance chinoise dans une structure décisionnelle mondiale comme celle de l’OMC. L’échec de ce processus d’intégration risquerait d’entraîner la répétition d’erreurs historiques comparables à celles commises avec l’Allemagne ou le Japon avant et après la Première guerre mondiale, lesquelles, doit-on vraiment le rappeler, avaient abouti à une situation catastrophique pour la sécurité internationale((9). Dans un article publié par le New York Times au lendemain de l’adoption par le Sénat du PNTR, le Président américain Bill Clinton a attiré l’attention des lecteurs sur les bénéfices non-économiques de ce texte. Pour lui, l’accession de la Chine à l’OMC doit être l’instrument de son intégration dans les institutions internationales. Au moment où elle rejoint le mouvement de non-prolifération nucléaire et d’interdiction de la production des armes biologiques et chimiques, la Chine donne la preuve de sa volonté de coopérer au cadre institutionnel du commerce international. Sa plus grande intégration dans l’ordre mondial va de pair avec la réduction des différences non-économiques entre Pékin et le reste du monde((10). La représentante du commerce américain, Charlene Barshefsky, explicite plus avant les implications politiques et de sécurité de cette évolution : « L’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce permettra d’approfondir et d’accélérer un processus d’importance capitale pour la paix et la sécurité dans la région Asie Pacifique »((11). Plutôt que d’insister sur les implications économiques, Charlene Barshefsky met l’accent sur les questions de paix et de sécurité, ce qui ne fait que renforcer les conclusions du chef d’état-major des armées américain exprimées dans un rapport intitulé « Joint Vision 2000 ». Dans ce dernier document, la Chine est décrite comme un ennemi potentiel et s’y trouvent exposés les moyens à mettre en œuvre pour renforcer la puissance militaire américaine dans la région Asie-Pacifique en tant qu’élément majeur d’une stratégie globale de paix et de sécurité. Un député de Hong Kong voit également dans l’ouverture économique de la Chine un moyen d’obtenir de plus grandes libertés et finalement la disparition du régime communiste. L’adhésion de Pékin aux règles impartiales du commerce international entre les nations pourraient en effet contribuer à persuader la Chine de l’importance d’une égalité des droits garantie par la loi dans l’ordre interne((12).

Les conséquences pour la Corée

Les bénéfices économiques que la Corée, premier partenaire commercial de la Chine parmi les pays en développement, retirera de cette accession à l’OMC ne sont pas sans importance. En tant que membre de l’OMC, la Corée profitera des réductions tarifaires chinoises comme de la suppression des BNT. Une étude de la Banque de Corée estime qu’en 2005, les exportations coréennes vers la Chine devraient augmenter de 2 700 millions de dollars américains alors que les importations coréennes de produit chinois n’augmenteraient que de 300 millions de dollars. Ceci permettra d’améliorer le niveau de la balance commerciale coréenne avec la Chine de plus de 50% ou de 2 400 millions en plus de l’excédent de 4 800 millions de dollars enregistré en 1999 (voir graphique 2). Les effets positifs sur la balance commerciale seront néanmoins plus modestes en raison de l’augmentation des importations en provenance de pays tiers destinée à soutenir la croissance des exportations vers la Chine. C’est pourquoi les bénéfices nets pour la balance commerciale coréenne ne seront que de 1 400 millions de dollars, soit 1% des exportations totales en 1999((13).

Graphique 2 – Le commerce Chine - Corée

Cette analyse de la Banque de Corée semble malgré tout un peu optimiste, et cela d’autant plus qu’elle prend comme hypothèse de départ que les relations commerciales entre la Chine et la Corée sont plus complémentaires que concurrentielles. Alors que les exportations coréennes reposent sur des produits de l’industrie lourde et de l’industrie chimique ou des produits qui nécessitent une main d’œuvre qualifiée (70% du total des exportations), les exportations chinoises sont largement constituées de produits de l’industrie légère ou à forte intensité de travail, comme les textiles et les vêtements, les jouets ou les accessoires de voyage (40% du total des exportations) (voir tableau 4). La structure des exportations chinoises évolue néanmoins rapidement en raison, notamment, de la restructuration industrielle engendrée par le dynamisme des investissements directs étrangers. Les produits textiles chinois, par exemple, rattrapent le niveau des produits coréens si l’on considère leur part dans l’ensemble des exportations (5% contre 7,3%). Les produits électriques et électroniques sont, quant à eux, rapidement passés à la première place dans les exportations chinoises (12,8% en 1995 et 16,9% en 1999).

Tableau 4 – Rivalité commerciale entre la Chine et la Corée par produit, 1999

Les analystes de la Banque de Corée postulent également que si les exportations coréennes diminueront en raison de l’amélioration de la compétitivité de la Chine — faisant suite à la libéralisation de ses échanges —, ces pertes seront finalement compensées par l’augmentation des marchés d’exportation coréens grâce à l’expansion des échanges internationaux entraînée par l’entrée de Pékin à l’OMC. Cette analyse quelque peu optimiste s’appuie sur l’idée selon laquelle les exportations coréennes qui sont en compétition avec les produits chinois ne représentent que 18% du total des exportations de la Corée. La RPC recueillera néanmoins les fruits de l’augmentation des investissements directs étrangers, des transferts de technologie et des progrès en terme de management résultant de la libéralisation de ses échanges, ce qui lui permettra d’améliorer très nettement sa compétitivité internationale. De plus, le faible coût des produits chinois, tout particulièrement de ceux dont la production repose sur une main d’œuvre importante (vêtements, articles de sport, jouets, accessoires de voyage et meubles), contribuera nécessairement à réduire la part de marché des exportations coréennes. La conjugaison de ces facteurs pourrait bien aboutir à tout autre chose que l’augmentation des exportations coréennes vers d’autres marchés. Une autre étude montre en effet que les conséquences du développement technologique de la Chine après son entrée à l’OMC pourraient représenter, dès 2002, une perte pour la Corée de 0,1 à 1,5 points dans la part de ses exportations (produits électriques et électroniques, appareillages en acier et machines-outils) sur le marché américain((14). Et cela d’autant plus que la part des exportations chinoises sur le marché américain a déjà progressivement augmenté (de 6,1% en 1995 à 7,8% en 1999) alors que la part des exportations coréennes a diminué (de 3,3% en 1995 à 2,6% en 1998). C’est pourquoi il serait plus prudent de se fier aux estimations moins ambitieuses de l’USITC qui prévoit une augmentation des exportations de la Corée du sud de 2 220 à 2 400 millions dollars et un accroissement des importations de ce pays de 600 à 700 millions de dollars, ce qui aurait pour conséquence une amélioration de la balance commerciale de 1 600 à 1 700 millions de dollars. En supposant que l’augmentation des importations atteigne un million de dollars, les effets positifs nets sur le commerce avec la Chine seraient seulement de 600 à 700 millions ou moins de 0,5% du total des exportations en 1999. Cela revient à diviser par deux les estimations de la Banque de Corée((15).

Les conséquences pour la Chine

Les conséquences positives

Les implications les plus significatives de l’accession de la RPC à l’OMC concernent avant tout la Chine elle-même. Grâce à l’accession à l’OMC, l’économie chinoise devrait cesser de voir sa croissance ralentir et renouer avec un rythme de croissance rapide lié à la libéralisation des échanges, au développement des marchés d’exportation et à la reprise des investissements directs étrangers. Goldman & Sachs estime que les réductions tarifaires associées à la suppression des BNT pourraient conduire à un doublement des échanges chinois, lesquels passeraient ainsi de 324 milliards de dollars en 1998 à 600 milliards en 2005((16). Cette analyse prévoit également une augmentation des investissements directs étrangers de 45 millions de dollars en 1998 à près de 100 millions en 2005 en raison de l’amélioration de l’environnement international et de la situation interne de la Chine. Le Centre de recherche sur le développement (Guowuyuan fazhan yanjiu zhongxin), « think tank » du Conseil des affaires d’Etat, estime que l’entrée de la RPC à l’OMC entraînera une amélioration de la croissance chinoise de 1,53% d’ici 2005 ainsi qu’une augmentation de 26,9% de ses exportations et de 25,8% de ses importations((17).

Les spécialistes américains s’attendent en revanche à une augmentation bien plus modeste du PIB et des échanges chinois. L’USITC estime en effet qu’en 2005, les exportations totales chinoises augmenteront de 12%, en prenant en compte les effets de la croissance, alors que les importations totales connaîtront une augmentation de 14%. Si la Chine devra ouvrir son marché en réduisant ses taxes et en supprimant progressivement ses BNT, elle a déjà accès aux principaux marchés d’exportation, comme les Etats-Unis qui représentent le premier débouché de la RPC avec un total de 21% de ses exportations (voir tableau 5). La participation de la Chine à l’Accord de l’OMC sur les textiles et les vêtements devrait sensiblement renforcer la compétitivité des exportations chinoises qui font appel à une main d’œuvre abondante par le biais d’une réduction de 10% à 30% des droits de douane, de tous les quotas et d’une diminution de 6% à 7% des coûts de transbordement des exportations par des pays qui ne sont pas soumis à des restrictions. Ces effets positifs ne devraient néanmoins se produire qu’à l’issue de la période de suppression progressive des quotas, c’est-à-dire à partir de décembre 2004. De plus, les importations à forte intensité de capital devraient nettement augmenter en raison d’un accroissement de la demande de biens à forte valeur ajoutée, comme les appareillages ou les équipements, résultant lui-même du développement des exportations chinoises à forte intensité de main d’œuvre. Notons également que les anciennes exportations de biens produits par des entreprises étrangères seront désormais vendues sur le marché intérieur absorbant ainsi les parts de marché des entreprises nationales et réduisant le volume des exportations. La plupart des exportations proviennent aujourd’hui des entreprises à investissements étrangers. A Weihai, par exemple, une ville de la péninsule du Shandong, les entreprises à capitaux étrangers réalisent 50% du volume total des exportations((18). En résumé, l’accroissement des exportations et des importations chinoises sera certainement assez modeste et les exportations ne devraient pas augmenter autant que les importations. L’étude de l’USITC révèle par ailleurs qu’en 2005, l’économie chinoise devrait enregistrer 4% de croissance supplémentaire en raison de la libéralisation de ses échanges et de la prise en considération des gains de productivité liés à une augmentation des investissements et par là même de la production((19).

Tableau 5 – Les principaux partenaires commerciaux de la Chine et la place des Etats-Unis, 1998

Il faudra néanmoins un certain temps pour que les effets positifs de l’accession de Pékin à l’OMC permettent de renverser l’actuelle tendance à la baisse. Le plus grand miracle économique de ces vingt dernières années est bien celui de la croissance record de l’économie chinoise. La Chine suit en effet, depuis 1978, une politique certes limitée mais réelle d’ouverture aux échanges et aux investissements. Grâce à cette politique d’ouverture liée à des mesures macroéconomiques d’envergure, l’économie chinoise a bénéficié de taux de croissance de près de 10% tout au long des années 1990, avec un taux record de 14% en 1992. Depuis cette date, l’économie chinoise enregistre de moins bonnes performances, ce qui n’est pas sans conséquences dans plusieurs domaines, tout particulièrement s’agissant du marché du travail. Le chômage a rapidement augmenté, atteignant des taux à deux chiffres après le début de la crise asiatique (voir graphique 3), ce qui suscite à juste titre de nombreuses inquiétudes sur le plan politique et social. La reprise de la croissance chinoise, l’adhésion de Pékin aux principes de l’économie de marché et l’égalité de traitement entre les entreprises nationales et étrangères devraient cependant inciter les entreprises à capitaux étrangers à augmenter leurs investissements et à renforcer leur présence sur le marché chinois, notamment dans les domaines de la finance, des télécommunications, de la distribution et des services. Cette évolution laisse entrevoir de nouvelles perspectives en matière d’emploi et une amélioration générale du niveau de vie de la population chinoise. Dans le même temps, le développement de technologies avancées, la plus grande aptitude directeurs d’entreprises et l’expansion d’une culture économique favorable au marché et à l’entrepreunariat devraient permettre de créer un véritable secteur privé susceptible d’être le moteur de la croissance.

Graphique 3 – La croissance du PIB chinois

Les conséquences négatives

Mais l’accession de la Chine à l’OMC, en supprimant la double protection des barrières tarifaires aux importations et des restrictions quantitatives de celles-ci, obligera également les entreprises chinoises à jouer dans le cadre de la dure réalité de la concurrence internationale. L’impact de cette concurrence sera particulièrement fort pour les industries très demandeuses en capital, comme l’automobile, la construction navale, l’industrie pétrochimique ou de production de machines-outils, domaines dans lesquels la Chine est relativement désavantagée en terme de productivité. Le secteur primaire — l’industrie céréalière tout particulièrement — devrait être gravement touché par les produits très compétitifs de l’agriculture américaine. Les faillites d’entreprises et les licenciements semblent donc inévitables. Les petites et moyennes entreprises des cantons et des village ainsi que les entreprises d’Etat devraient souffrir le plus durement de cette évolution. Alors que 6 600 grandes ou moyennes entreprises d’Etat perdaient de l’argent en 1997, ce nombre a diminué de 63% en 1999, pour ne plus atteindre que 1 910 ; cependant, le volume des pertes n’a baissé que de 13% entre ces deux dates. Les licenciements dans les entreprises d’Etat s’élevaient quant à eux à 6,1 millions en 1999 contre 6 millions en 1998, chiffre supérieur au nombre total de chômeurs urbains pour 1997. On devrait compter, selon les estimations du gouvernement chinois, 12 millions de chômeurs supplémentaires en 2000. Seulement deux tiers des employés licenciés ont retrouvé du travail, souvent dans la même entreprise d’Etat ou dans l’une de ses filiales((20).

Les entreprises d’Etat représentent aujourd’hui 70% du total des actifs, 62% du total du capital, 60% de l’emploi, 50% de la valeur de la production, 54% des investissements en actifs fixes du secteur industriel chinois et 44% de l’emploi urbain. Mais ces entreprises d’Etat ne réalisent que de faibles taux de profit ou des pertes et se sont fortement endettées auprès des banques d’Etat, ce qui fait à son tour peser la menace d’une crise financière. Près de 80% des prêts des banques d’Etat ont été accordés à des entreprises étatiques et la majeure partie de ces prêts (environ 25% du PIB) ne sera jamais remboursée((21). Aussi, de nombreux spécialistes considèrent l’entrée de la Chine dans l’OMC comme un moyen efficace pour obliger les entreprises d’Etat chinoises à accélérer leur restructuration.

Si le premier ministre chinois Zhu Rongji a essayé quasiment toutes les solutions pour améliorer la santé du secteur d’Etat, qu’il s’agisse d’adopter une nouvelle gestion des entreprises, d’introduire des progrès techniques, de fusions, de licenciements (xiagang) ou carrément de fermetures, aucune de ces recettes ne s’est avérée efficace. En ouvrant à la concurrence les secteurs dominés par les entreprises d’Etat, comme l’industrie automobile, l’industrie pétrochimique ou l’ensemble de l’industrie lourde, Zhu Rongji attend un impact positif des mécanismes de marché sur la restructuration de ces entreprises((22). Le premier ministre peut en effet compter sur la capacité de l’économie chinoise à résister au choc potentiel d’une accession à l’OMC qui devrait permettre d’accélérer le processus des réformes et cela tout particulièrement en ce qui concerne les entreprises d’Etat. Tout le monde ne partage pas pour autant cette analyse pleine d’espoir. D’une part, parce qu’en raison de l’autonomie financière de chaque province, le gouvernement central doit convaincre l’ensemble des gouvernements provinciaux et des responsables des entreprises d’Etat de mettre en place ces réformes. D’autre part, parce qu’il est fort probable que ce processus d’ajustement, positif à long terme, rencontre initialement de graves difficultés. On prévoit en effet que le nombre de chômeurs devrait augmenter en l’an 2000 de huit millions par rapport au chiffre officiel de 6,5 millions annoncé en 1995. Le taux de chômage urbain est aujourd’hui estimé entre 8% et 9% alors que le statistiques officielles l’évaluaient à 2,74% en 1997. Il faut également prendre en compte les 100 millions de travailleurs flottants qui ont quitté les zones rurales pour trouver du travail dans les villes((23).

L’augmentation attendue du volume des investissements étrangers dépendra elle aussi de la capacité d’ajustement de l’économie chinoise. Les perspectives des investisseurs divergent par ailleurs en fonction de leurs objectifs et de la nature de leurs investissements en Chine. La plupart des spécialistes distinguent deux catégories de pays réalisant des IDE. Le premier groupe de pays investisseurs (dont la Corée, le Japon, Hong Kong et Taiwan) cherche à tirer profit des faibles coûts salariaux chinois. Le second groupe (à l’instar des Etats-Unis et des membres de l’Union européenne) envisage de développer son accès à un marché qui est potentiellement le plus vaste du monde. Le premier groupe retirera des bénéfices plus importants de l’accession de la Chine à l’OMC si le processus d’ajustement économique se réalise lentement, ce qui lui permettrait de maintenir les salaires à un niveau peu élevé en raison du nombre important de demandeurs d’emploi. A l’inverse, le second groupe de pays investisseurs profitera pleinement de cette évolution en présence d’un processus d’ajustement homogène et plus rapide. Les salaires devraient alors augmenter en raison de la forte demande de travailleurs qualifiés, ce qui permettrait à la consommation interne de se maintenir à un niveau élevé. Les entreprises à capitaux étrangers devront néanmoins adapter leur stratégie en fonction de l’évolution des perspectives économiques chinoises. C’est pourquoi il nous faut approfondir l’analyse des effets négatifs de l’accession de Pékin à l’OMC sur l’économie chinoise.

Les risques et les défis sociaux pour la Chine

La Chine enregistre depuis 1991 de forts taux de croissance sans pour autant connaître de problèmes en termes d’inflation ou de balance des paiements (voir graphique 3). En 1994, le taux de croissance a dépassé les 12% et l’ensemble des échanges (importations et exportations) a augmenté fortement passant de moins de 30% du PIB à plus de 42% (voir graphique 4). En 1996, la Chine avait réalisé un atterrissage en douceur. Bien que la RPC n’ait pas été épargnée par la crise asiatique de 1997, elle a su en écarter les dangers les plus importants et cela principalement en raison de la taille de son économie et du caractère relativement protégé de celle-ci. Son commerce et ses capitaux n’étaient pas encore véritablement ouverts. Les investissements directs étrangers garantirent un apport suffisant de capitaux étrangers tout en limitant certains flux d’investissements et prêts bancaires plus volatiles. Les principale banques sont en effet des banques d’Etat et le taux d’endettement du gouvernement reste bas((24). Le gouvernement a cependant pris conscience que l’économie chinoise ne saurait renouer avec une croissance élevée et créer des emplois tant que la consommation intérieure demeurerait faible et que ses performances en terme de compétitivité internationale feraient pale figure.

Graphique 4 – Le commerce total chinois (importations + exportations) en % du PIB

La question principale qui se pose à Pékin depuis 1998 est de savoir comment gérer un affaiblissement de la croissance et de la consommation dans une période de crise en Asie et de ralentissement général de l’économie. Les taux de croissance du PIB et de la consommation intérieure sont passés de plus de 10% dans la première moitié des années 1990 à moins de 10% dans la seconde moitié de cette décennie. Le revenu réel des ménages a augmenté plus lentement dans les campagnes que dans les villes en 1997, comme en 1998, ce qui renverse la tendance enregistrée lors des années précédentes((25). Ce ralentissement de la consommation dans les zones rurales est révélateur de l’ensemble de la situation chinoise. A l’inverse de la plupart des pays développés, l’ensemble de la consommation dans les zones rurales était équivalente à celle des zones urbaines. Le secteur rural représente en effet 50% du PIB chinois dont 20% pour le secteur agricole et 30% pour le secteur non-agricole. Il est ainsi essentiel pour l’amélioration de la santé économique chinoise, en matière d’emploi notamment, de maintenir des taux de croissance équivalents en milieux rural et urbain. La main d’œuvre rurale représente 70% de l’ensemble de la population active et toute dégradation de sa situation engendrerait inévitablement des conséquences néfastes pour la situation de l’emploi urbain. Pour le gouvernement chinois, le maintien de l’emploi en zone rurale serait bien difficile à réaliser si les revenus et la consommation continuaient de baisser. Le système du hukou (contrôle du lieu de résidence), aujourd’hui assoupli, ne sera sans doute plus suffisant pour gérer ce problème.

Le ralentissement général de l’économie et l’entrée de la Chine à l’OMC ne font que renforcer l’impérieuse nécessité d’une réforme sociale. Le problème du ralentissement de la consommation intérieure devient de plus en plus préoccupant, notamment parce que Pékin doit désormais se tourner vers la demande et les investissements étrangers, ce qui oblige l’économie chinoise à renforcer sa compétitivité et à mener à bien la réforme des entreprises afin de minimiser les effets négatifs de cette réforme sur le secteur financier, le marché du travail et le niveau de vie de la population. En raison de son accession programmée à l’OMC, la Chine devra également ouvrir l’ensemble de son économie. La concurrence sévère des biens et services importés ou produits en Chine par les entreprises à capitaux étrangers obligera les entreprises d’Etat à constamment rationaliser leurs choix. Cette restructuration des entreprises d’Etat a déjà abouti à une série de licenciements. De nombreuses autres suppressions d’emplois seront certainement inévitables dans l’optique d’un ajustement de l’économie chinoise. C’est pourquoi le gouvernement central devra relever un double défi : encourager la réforme des entreprises d’Etat tout en essayant de minimiser le coût social de cette réforme. Plusieurs autres raisons conditionnent l’inquiétude liée à la dégradation de l’emploi, outre l’ampleur quantitative de ce problème. Pour n’en citer que trois, nous relèverons qu’en Chine l’équilibre social demeure fragile, que le financement du système de protection sociale reste inadapté et exige un apport plus important de recettes fiscales et enfin que ce système ne prend pas suffisamment en compte les populations les plus pauvres ni les régions du centre et de l’ouest de la Chine.

Apres avoir été nommé premier ministre, en mars 1998, Zhu Rongji a mis en place un ambitieux programme de réforme en trois ans des entreprises publiques, du secteur financier et de l’organisation de l’Etat. Le gouvernement a lui-même déployé de nombreux efforts pour mettre en œuvre ces réformes. S’agissant, par exemple, de la réforme des entreprises, le gouvernement a dépensé des sommes importantes afin de restructurer le système de gestion des entreprises, d’améliorer leurs performances techniques et de procéder à des fusions et à des acquisitions ou encore à des licenciements. Ces réformes ne semblent toutefois pas suffisantes : en 1999, près de 2 000 grandes ou moyennes entreprises d’Etat enregistraient des pertes nettes. Le gouvernement commence en réalité tout juste à s’attaquer au problème. Par ailleurs, les progrès de la réforme du secteur financier sont limités par le manque de résultats de la restructuration des entreprises d’Etat. La plupart des observateurs pense donc que le gouvernement chinois utilise l’accession à l’OMC pour pousser plus avant la réforme des entreprises d’Etat.

La Chine devra pourtant supporter à court terme le coût considérable de cet ajustement. En raison du ralentissement ces dernières années de la consommation dans les zones rurales, la capacité de celles-ci à offrir des emplois a fortement diminué. Au cours de la période 1990-1994, l’emploi dans le secteur agricole a baissé de 1,5% par an alors que le secteur secondaire n’a absorbé que 7,1% de la main d’œuvre dans les zones rurales. De 1994 à 1997, l’emploi dans le secteur primaire a baissé de 0,2% et le secteur secondaire n’a absorbé que 2,7% par an de la main d’œuvre des zones rurales. En 1997, l’emploi industriel en zone rurale a baissé de 4%. Il a plongé ensuite de 18% en 1998, laissant ainsi de nombreux jeunes ruraux sans emploi((26). Dans les zones urbaines, les créations d’emploi n’ont pas suffi à absorber l’augmentation naturelle de la main d’œuvre ainsi que les demandes d’emploi des travailleurs ruraux et des ouvriers licenciés par les entreprises d’Etat ou les petites et moyennes entreprises. Au cours de la période 1994-1997, l’emploi dans le secteur primaire urbain a baissé de 18,5% par an et l’emploi dans le secteur industriel n’a augmenté que de 2,6% par an (voir tableau 6). Le chômage urbain a donc atteint un taux record de 8 à 9%, soit 16 à 18 millions de personnes.

Tableau 6 – Croissance moyenne du PIB et du taux de chômage (%)

Reste à savoir si le problème du chômage trouvera une solution avec l’entrée dans l’OMC. En dépit du ralentissement de l’économie ces dernières années, le marché du travail chinois a fait la preuve de sa capacité de résistance. Alors que le PIB de la Chine a augmenté en moyenne de 14% par an entre 1991 et 1994, l’emploi urbain a enregistré un taux de croissance annuel de 2,7% (voir tableau 6). Bien que le PIB ait augmenté plus lentement pendant la période 1994-1997 (6,5%), l’emploi urbain a connu un taux de croissance annuel supérieur (3,1%). Alors que l’industrialisation de la Chine progressait de manière continue (de 42% à 50% du PIB), la capacité d’absorption de la main d’œuvre urbaine augmentait de 0,12 à 0,48 entre ces deux périodes. Cette évolution est contraire aux tendances générales enregistrées dans de nombreux pays en développement, dans lesquels une diminution de la capacité d’absorption de la main d’œuvre par le secteur industriel est généralement compensée par une augmentation des offres d’emploi dans le secteur des services. En Chine, si la capacité d’absorption de la main d’œuvre a très nettement diminué pour le secteur primaire (de -0,83 à -4,63), elle a augmenté dans le secteur industriel (de 0,05 à 0,33), tout comme dans le secteur tertiaire (de 1,27 à 2,07). Cette capacité d’absorption de la main d’œuvre par le secteur industriel ne semble pas pour autant témoigner d’une utilisation intensive de la main d’œuvre mais révèle l’existence d’un excédent de main d’œuvre, tout particulièrement à l’intérieur des entreprises d’Etat. L’augmentation du nombre d’emplois urbains pendant la période 1994-1997 a été plus importante dans les entreprises d’Etat que dans les entreprises collectives ou dans les petites et moyennes entreprises locales. En réalité, si le niveau d’emploi urbain a baissé dans les entreprises collectives depuis 1992, il n’a diminué dans les entreprises d’Etat que depuis 1996 et de façon moins rapide (voir tableau 7).

Tableau 7 – Taux d'activité par type d'unité économique (%)

Dans le cadre de la vive concurrence internationale à laquelle sera confrontée la Chine après son entrée à l’OMC, il sera difficile pour Pékin de justifier l’existence d’une main d’œuvre excédentaire dans le secteur industriel, au sein des entreprises d’Etat notamment, tout en conservant un taux de croissance comparable à celui de la période 1991-1994. De nouvelles entreprises à capitaux étrangers devraient pouvoir absorber une partie du personnel licencié par les entreprises d’Etat et cela tout particulièrement dans les secteurs à forte intensité de main d’œuvre. Toutefois, la majeure partie des nouveaux IDE devrait être réalisée dans les secteurs de l’industrie lourde et à forte intensité de capital. Nous l’avons vu, le choix d’une forme d’investissement ou d’une autre dépendra de la rapidité d’ajustement de l’économie et du marché du travail, tout comme des perspectives qui en découlent.

C’est pourquoi, il n’est pas inutile de réaliser des projections sur le taux de chômage en 2000 et 2003, afin de savoir si celui-ci ne menacera pas l’équilibre politique et social nécessaire à la réforme des entreprises d’Etat prévue par le gouvernement chinois. Il semble justifié d’arrêter, comme hypothèse, que la main d’œuvre augmentera dans les mêmes proportions qu’au cours des six dernières années et que la main d’œuvre rurale sera complètement employée, ce qui ne créera pas un flot supplémentaire de travailleurs dans les zones urbaines. On peut également considérer que la future capacité d’absorption de la main d’œuvre se maintiendra au même niveau que celui enregistré pendant la période 1991-1997, période qui comprend des sous-périodes de croissance plus ou moins forte. La capacité d’absorption de la main d’œuvre témoigne du taux de croissance de l’emploi en réponse au taux de croissance du PIB dans les différents secteurs économiques en milieu rural ou urbain. Ainsi le taux officiel de chômage urbain devrait varier en fonction du taux de croissance du PIB. Si la Chine enregistre un taux de croissance relativement élevé de son PIB (12% par an) à la suite de son accession à l’OMC, elle connaîtra une période de plein emploi urbain tant en 2000 qu’en 2003. Cependant, si le taux de croissance de l’économie reste comparable à celui enregistré récemment (9% par an), le taux officiel de chômage urbain devrait passer de 2,7% en 1997 à 3,3% en 2000, puis à 3,7% en 2003 (voir tableau 8). Dans l’hypothèse où la croissance de l’économie chinoise ne dépasserait pas les 5% par an, le taux officiel de chômage devrait atteindre les 7,9%. Parce que le taux de chômage officiel est actuellement inférieur de 5 à 6 points par rapport aux estimations actuelles, on peut penser qu’il pourrait atteindre 13% à 14% en l’an 2000 et 17% à 18% en 2003. A ce niveau, la croissance de l’emploi ne suffirait même pas à absorber ne serait-ce qu’une augmentation de la main d’œuvre urbaine de 2,1 à 2,2 millions de personnes, ce qui mettrait naturellement en danger la stabilité politique et sociale de la Chine. Les salaires et le niveau de vie de la population s’en ressentiraient également, contrairement aux prédictions du gouvernement.

Tableau 8 – Emplois par secteur (milliers de personnes)

Dans ces conditions, il serait donc extrêmement difficile pour le gouvernement chinois de mener à bien la restructuration des entreprises d’Etat avec 12 millions de xiagang prévus pour l’année 2000 et un nombre supérieur l’année suivante.

L’accession de la Chine à l’OMC devrait profiter à tous. Les pays développés, dont les Etats-Unis, tout comme les puissances moyennes, dont la Corée, retireront probablement des bénéfices en terme de croissance de leurs échanges, bien que ces gains demeureront faibles à l’échelle de l’ensemble de leur économie, notamment pour les Etats-Unis. La première puissance mondiale tout comme les autres nations gagneront certainement plus à intégrer la nouvelle puissance économique et militaire chinoise dans un système économique et politique international fondé sur l’économie de marché et les principes démocratiques. La Chine bénéficiera évidemment de cette évolution en ouvrant son économie et en améliorant sa productivité grâce à l’augmentation des échanges et des flux d’investissements étrangers. Le statut de membre de l’OMC devrait également fournir au gouvernement chinois un outil politique lui permettant de renverser la tendance actuelle au ralentissement économique et de renouer ainsi avec une forte croissance.

Mais cette accession sera aussi source de nouveaux défis pour les dirigeants chinois. En contrepartie de ces bénéfices, la Chine devra payer un coût d’ajustement considérable en matière de restructuration de ses entreprises — d’Etat tout particulièrement — et surtout d’emploi. C’est la raison pour laquelle le monde entier devra être attentif aux différentes étapes de la mise en œuvre des engagements contractés par la Chine en tant que membre de l’OMC. L’ajustement de l’économie chinoise et l’application des accords sur le libre échange et les investissements pourraient en effet demander plus de temps que ce qui est actuellement prévu, voire se révéler plus difficiles. Les dirigeants chinois, tout comme le reste du monde, se trouvent donc confrontés à un pari politique et économique risqué. Les gains seront peut-être considérables, mais quel en sera le prix ?

Traduit de l’anglais par Leïla Choukroune