BOOK REVIEWS

Zhang Xin, Social Transformation in Modern China. The State and Local Elites in Henan 1900-1937

Cette nouvelle étude consacrée aux relations entre État et élites au nord-est et au sud-ouest de la province du Henan. Le premier groupe correspond à une région « centrale » (densément peuplée, bien desservie par les voies de communication, pratiquant une agriculture commercialisée) et le second à une région « périphérique » (montagneuse, d’accès difficile, pauvre et peu peuplée).

Après avoir franchi le portique théorique élevé dans le premier chapitre et nous être familiarisés avec les principaux traits géographiques et socio-économiques de la province henanaise dans le second chapitre, nous entrons dans le vif du sujet, c’est à dire dans la chronique comparée de ces districts depuis le début du siècle jusqu’à la guerre sino-japonaise : une chronique que nourrissent des archives locales d’une richesse et d’une précision remarquables et qu’informent des concepts classiques tels que mobilité des élites, activisme social et construction de l’État, rassemblés par l’auteur en un seul paradigme baptisé « transformation sociale ».

Les évolutions des districts du nord-est et du Sud-Ouest s’opposent point par point, qu’il s’agisse de la mobilité des élites, (chapitres 3 et 4) de leur activisme (chapitres 5 et 6) ou de la pénétration de l’État au sein de la société (chapitres 7 à 9).

Dans les districts du nord-est, les élites traditionnelles conservent une position dominante jusqu’après la révolution de 1911. C’est au cours des années 1920 qu’elles commencent à être concurrencées par les sociétés secrètes (Piques rouges et Tianmenhui), dont les paysans recherchent la protection, et par des diplômés d’écoles modernes qui s’enrôlent dans le Kuomintang ou le Parti communiste, moins par conviction idéologique que pour satisfaire leur appétit de pouvoir à l’échelle villageoise. Dans le Sud-Ouest, la complète désintégration des structures administratives et de l’ordre social, entraînée par la révolution de 1911, laisse le champ libre au banditisme et la campagne se couvre de fortifications défensives, une par village, qui deviennent autant de centres de pouvoir. C’est parmi les chefs des milices locales, retranchées dans ces forts, que se recrutent les nouveaux dirigeants locaux — paysans, instituteurs, petits lettrés — qui ne reculent devant aucune violence pour asseoir leur autorité.

Grâce à l’extension de leurs réseaux de relations personnelles bien au delà des frontières du village, du district ou de la province, les élites du nord-est accroissent leur influence. Elles transforment des sociétés littéraires de type traditionnel en instruments de pouvoir, elles en font des groupes de pression et s’en servent pour obtenir la confiance de leur compatriote : Yuan Shikai. Le patronage de cette haute personnalité leur permet dès le début de la République de s’immiscer dans la conduite de la politique nationale au détriment parfois de leur leadership local. Dans le sud de la province, l’activisme social des chefs de milice revêt des formes bien différentes : alliances inter-districts et création d’un « gouvernement autonome », doté d’institutions administratives relativement élaborées.

Analysant enfin le processus de construction de l’État dans les districts du nord, Zhang Xin montre les fortes avancées de la bureaucratie, en particulier sous le régime nationaliste, mais aussi les difficultés rencontrées dans la réforme fiscale et la mobilisation des ressources. Dans le sud-ouest, la résistance du « gouvernement autonome » inflige au pouvoir étatique un double échec, aussi bien administratif que fiscal.

Cette étude foisonnante vaut par son caractère concret. Les épisodes arrachés à la poussière des archives (comme par exemple l’ascension des capitaines de fort dans le Henan du sud-ouest) jettent une lumière révélatrice sur la vie des campagnes chinoises. L’ouvrage se recommande aussi par sa dimension comparatiste que favorisent les études menées précédemment par des auteurs tels, entre autres, que Mary Rankin, Joseph Esherick ou Keith Schoppa. C’est ainsi que Zhang Xin souligne au passage les analogies entre l’évolution des élites des districts henanais du nord-est et celles du Jiangsu ou du Zhejiang. Les contrastes qui ressortent de façon si frappante entre le nord et le sud du Henan nous rappellent, d’autre part, que non seulement à l’échelle de la Chine, mais à l’échelle même d’une province, les situations diffèrent et qu’il faut user de prudence dans les conclusions générales.

De cette prudence nécessaire, Zhang Xin est bien conscient, lorsqu’il affirme que « la transition chinoise vers la modernité est le fait de processus complexes » (multilinear process) (p. 275) ; mais il ne semble pas toujours l’observer. L’évolution des districts du sud-ouest n’étaye guère l’existence, postulée par l’auteur, d’une modernité chinoise, différente de celle de l’Occident, fondée ni sur l’industrialisation ni sur le capitalisme, mais sur le processus de « transformation sociale ». Pour l’auteur du présent compte-rendu, l’évolution de ces districts, telle qu’elle nous est donnée à voir dans l’ouvrage, confine plutôt à l’archaïsme et le politiquement correct a du mal à trouver ici sa validation historique.