BOOK REVIEWS

Claudie Gardet, Les relations de la République populaire de Chine et de la République démocratique allemande (1949-1989)

Avec ce livre de Claudie Gardet, première étude en langue française sur l’histoire des relations entre la RDA et la RPC, nous disposons désormais d’un deuxième ouvrage portant sur cette thématique, après la parution en 1995 de celui de Werner Meissner (Die DDR und China 1949 bis 1990. Politik-Wirtschaft-Kultur. Eine Quellensammlung, Berlin, Akademie Verlag). Ce recueil de documents dûment commentés avait ouvert la voie à ce domaine de recherche. Pour sa part, C. Gardet a opté pour une présentation chronologique et événementielle de la thématique qui aboutit à une vaste chronique des relations sino-est-allemandes. Les deux auteurs se sont bien évidemment heurtés au problème des sources, seules les archives de l’ex-RDA étant jusqu’à présent en partie accessibles. Tout en convenant que l’exploitation des documents d’archives chinois aurait conféré une tonalité autre au sujet abordé, Meissner a puisé dans un impressionnant corpus de documents chinois publiés. En excluant ceux-ci de sa documentation, C.Gardet, en dépit du titre annonçant une étude sur les relations entre la RPC et la RDA, a choisi de mettre l’accent sur la politique est-allemande et de reléguer au second plan les actions et les réactions chinoises, exclusivement perçues à travers le prisme est-allemand. Enfin, il est dommage que l’auteur ait renoncé à remanier et à affiner le texte original de sa thèse universitaire, pour s’en tenir à une présentation purement descriptive du sujet.

Claudie Gardet distingue quatre phases, d’une décennie chacune, dans l’histoire des relations bilatérales entre 1949, date de la fondation des deux Etats, et l’année 1989, qui met un terme à l’existence de la RDA. Aussi bien le découpage en décennies, que la distinction établie entre les relations politiques entre partis communistes et entre Etats, ne paraissent pas tout à fait pertinents. Cette forme de présentation de l’histoire des relations bilatérales contraint l’auteur, tout comme le lecteur d’ailleurs, à des retours chronologiques qui rendent toute lecture suivie malaisée. Définies comme une période « d’entente fraternelle », les années cinquante révèlent bien des similitudes entre les systèmes politiques des deux pays (parti unique, système administratif centralisé, économie planifiée, etc.) qui, en se conformant à la voie soviétique, se donnent pour but « la construction du socialisme ». Si les objectifs se veulent identiques, les conditions politiques et structurelles initiales diffèrent sensiblement, car créée par l’URSS, la survie de la RDA repose sur la présence des troupes soviétiques sur son territoire. Toutefois, même si les bons rapports avec l’Union soviétique s’avèrent existentiels pour les dirigeants est-allemands, ceux-ci tentent à plusieurs reprises de suivre une ligne politique autonome à l’égard de la RPC. S’attachant au cours des premières années de leur existence à stabiliser la mise en place de leur régime respectif, la RDA et la RPC intensifient leurs relations bilatérales à partir de 1954, lorsque après la visite officielle de Zhou Enlai en RDA les deux pays signent dès l’année suivante un traité d’amitié et de coopération. Pendant quelque temps, les relations bilatérales sino-est-allemandes évoluent en dehors du seul cadre politique fixé par l’URSS. C’est ainsi qu’après le XXe congrès du PC soviétique (1956), les dirigeants est-allemands, craignant un mouvement de déstalinisation dans leur propre pays, recherchent l’alliance de leur partenaire chinois et optent, à l’instar de celui-ci, pour la répression de toute tentative de libéralisation politique. De même, la RDA juge favorablement, tout du moins jusqu’en 1960, l’expérience chinoise des communes populaires, expérience qu’elle présente comme un modèle pour les peuples d’Asie, alors que Moscou la qualifie déjà de « réactionnaire ». Il est vrai qu’à la même époque, la RDA se lançait de son côté dans un mouvement de collectivisation forcée. Mais les fortes pressions exercées par Moscou dès l’été 1960, modèrent la portée de l’« Axe Berlin-Est-Pékin » (Meissner) et contraignent le PC est-allemand (SED) à prendre ses distances par rapport au Grand Bond en avant et à rallier les positions de Moscou dans le conflit sino-soviétique qui s’annonce. Les intérêts antagoniques entre Pékin et Moscou touchant à la question des conflits frontaliers entre la RPC et l’Inde en 1959 et 1962, à celle de la non-dissémination des armes nucléaires, et à celle des rapports avec les pays occidentaux, mettent l’« Axe Berlin-Est-Pékin » à rude épreuve. Mais en dépit d’un sensible refroidissement des relations bilatérales, la Chine soutient sans condition la décision prise par la RDA, en août 1961, de construire le mur de Berlin. La rupture officielle est définitive à partir de janvier 1963, à l’issue du 6e congrès du SED, à l’occasion duquel les communistes est-allemands choisissent leur camp et se livrent à une sévère condamnation des communistes albanais, laquelle provoque en retour les critiques chinoises à l’encontre des communistes yougoslaves et de la politique de Nehru. L’année 1963 marque ainsi la dégradation définitive des rapports bilatéraux et introduit une longue période de gel des relations. Pendant près de 15 ans, la rupture sera totale, même si une détente, certes passagère, s’annonce lors de la destitution de Khrouchtchev en 1964. Avec le début de la Révolution culturelle, Brejnev impose à ses alliés communistes la tenue de conférences annuelles sur « la question chinoise » (interkit), destinées à fixer la ligne politique commune à adopter face à la Chine. De fait, ces conférences du « front uni antichinois » , organisées sous la houlette des Soviétiques, ne se déroulent pas toujours dans une harmonie parfaite et révèlent à l’occasion les tensions internes qui se manifestent dans le camp communiste. C. Gardet évoque trop brièvement les désaccords survenus à partir de 1980, lorsque le SED souhaite mettre un frein, en vain semble-t-il, aux critiques trop prononcées à l’encontre de la Chine. Les dirigeants et le Parti communiste est-allemands souhaitaient depuis quelque temps déjà atténuer les attaques idéologiques contre Pékin, qui depuis la fin des années soixante s’attachait à réviser sa politique étrangère, dont une des conséquences, et non des moindres, fut l’établissement de relations diplomatiques avec la plupart des pays occidentaux, parmi lesquels figurait la RFA (1972). Berlin-Est voyait avec inquiétude cette évolution, d’autant que Pékin apportait désormais son soutien à la politique de Bonn, qui prônait la réunification de l’Allemagne, et que la RPC n’accordait plus qu’un intérêt politique et économique somme toute secondaire à son partenaire est-allemand, que la presse chinoise qualifiait désormais de Dongde (Allemagne de l’Est). Il faudra attendre la mort de Mao Zedong et les années 1980 pour assister à une reprise très progressive des contacts bilatéraux. En 1986, la RDA est ainsi le premier pays du Pacte de Varsovie à ouvrir la voie à un rapprochement avec la Chine, lorsque Erich Honecker, chef du Conseil d’Etat et secrétaire général du Parti communiste, se rend en visite officielle à Pékin, laquelle est suivie d’une visite retour de Zhao Ziyang en RDA dès l’année suivante. L’« Axe Berlin-Est-Pékin » est réactivé une dernière fois en 1989, lorsqu’à la veille de la disparition de la RDA, les deux pays marquent leur désapprobation à l’encontre de la politique de libéralisation adoptée par Gorbatchev. Tandis que Pékin parvient à mettre un terme à la crise politique interne en optant pour la solution militaire, Berlin-Est aurait dû pour ce faire en appeler à l’assistance des troupes soviétiques stationnées sur son territoire, lesquelles avaient reçu ordre de ne pas intervenir, causant ainsi la fin précipitée du régime est-allemand.

Au total, l’histoire des relations entre la RDA et la RPC démontre la marge de manœuvre minime dont disposait la RDA aussi bien face à Moscou, qui avait su dès 1949 lui imposer ses choix idéologico-stratégiques, que face à Pékin, qui à partir de la fin des années 1970 privilégiait les relations économiques avec la RFA.