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Monique Chemillier-Gendreau, Sovereignty over the Paracel and Spratly Islands
Le 1er avril 2001 un avion espion américain et un chasseur chinois entraient en collision à une centaine de kilomètres au sud-est de lîle de Hainan. Sen suivit le décès du pilote chinois bientôt élevé au rang de héros national, la prise en otage des vingt-quatre membres déquipage américains puis leur libération et toute une série danalyses politico-stratégiques soulignant les velléités expansionnistes de Pékin en mer de Chine du sud et sappuyant avec plus ou moins de succès sur un argumentaire juridique cherchant à démonter le bon droit de lune ou lautre partie à la lumière des apories du droit international moderne
Cest également cette problématique du rapport de la Chine au droit et plus précisément au droit de la mer que lon retrouve en filigrane dans louvrage de Monique Chemillier-Gendreau. Sovereignty over the Paracels and Spratly Islands se propose en effet de traiter des questions juridiques inhérentes aux conflits de souveraineté en mer de Chine du sud à partir dune approche « originale » puisque fondée en majeure partie sur lanalyse des archives françaises. Cette immersion dans trois siècles dhistoire diplomatique vise à évaluer la validité des titres territoriaux de chacune des parties et leffectivité de leur occupation des archipels revendiqués afin de proposer un éclairage juridique sur la question de la souveraineté comme préalable à un règlement du différend qui passerait nécessairement par une délimitation des frontières maritimes.
Voie de navigation stratégique riche en ressources halieutiques et potentiellement en hydrocarbures, la mer de Chine du sud est sans doute la région la plus controversée de la planète : pas moins de six Etats côtiers (Chine, Taiwan, Vietnam, Philippines, Malaisie et Brunei) ont formulés des revendications concurrentes sur les îles Spratly alors que les Paracel sont essentiellement disputées par la Chine et le Vietnam. Mais cest bien la République populaire de Chine qui se trouve au cur du conflit puisque Pékin revendique sa souveraineté sur lensemble des îles, îlots, rocs, rochers, bancs de sables voire même sur certains hauts fonds immergés dispersés dans un périmètre délimité par une fameuse courbe en forme de U qui semble vouloir définir ipso facto et ab initio le « prolongement naturel » du territoire chinois.
Après avoir dressé le panorama général de ce conflit de souverainetés en termes géographiques, juridiques et historiques, Monique Chemillier-Gendreau consacre deux autres chapitres à létude des titres territoriaux selon une approche chronologique, puis un dernier chapitre, quelques pages en réalité, à la formulation de pistes pour un règlement juridique. Lensemble de lanalyse est fondée, comme on nous lexplique dans la seconde partie du premier chapitre consacrée à la nature juridique du problème, sur les apports du « droit intertemporel » qui consiste pour lauteur à « comparer les particularités du système légal aux différentes périodes de son développement avec les spécificités factuelles de la situation qui constituent la base du différend ». Lhistoire permettrait donc de mettre le droit en perspective en fonction du principe ubi societas, ibi jus. Ce postulat conduit à un examen en trois temps de la question de la souveraineté : avant la fin de la dernière moitié du XIXe siècle cest-à-dire à lépoque de la doctrine de la terra nullius, avant le XVIIIe siècle à la période de la « découverte » ou tout au moins de lidentification des archipels et enfin au XVIIIe et XIXe siècles au moment de la production de nombreux documents affirmant la souveraineté du Vietnam ou de la Chine (on notera à cet égard quil est fait bien peu de cas des revendications des Etats tiers dont on nous dit quelles étaient tout simplement inexistantes). Cette étude aboutit à une conclusion selon laquelle le Vietnam était le seul Etat détenteur dun titre et pouvant donc revendiquer sa souveraineté sur les Paracel. Reste à savoir ce que devient ce titre pendant et après lépoque coloniale. Si le troisième chapitre fait état de lapparition progressive de nouvelles revendications, on trouve la réponse à cette question dans le dernier chapitre qui fournit quelques éléments de conclusion. Tout laisserait à penser, selon lauteur, que les revendications vietnamiennes seraient les plus justifiées dans le cas des Paracel (« droits anciens et bien fondés » et impossible transformation de l occupation chinoise en titre en raison de la condamnation de lusage de la force par le droit international et des protestations de Hanoi à lencontre de cette occupation), alors que la situation des Spratly demeurerait plus confuse bien que largument chinois ait été écarté : « Il est facile de voir que les revendications chinoises sur les Spratly nont aucune base juridique et ne constituent que lun des aspects dune politique maritime expansionniste » (p. 139). La possibilité dun règlement judiciaire est par ailleurs évoquée en cas déchec des négociations diplomatiques bilatérales et multilatérales. Or, les spécificités du fonctionnement de la justice internationale (principe dune juridiction facultative et saisine par voie de compromis de la Cour internationale de justice de La Haye) tout autant que les réticences des Etats à recourir à ce mode de règlement ne permettent pas denvisager sérieusement le succès dune telle solution. On imagine en effet assez mal Pékin avoir recours au Tribunal International du droit de la mer ou même à lOrgane judiciaire principal des Nations Unies dans le cadre de la délimitation de ses frontières maritimes alors quelle na jamais manifesté dintérêt particulier pour cette juridiction bien quelle possède un juge((1).
Traduction dun texte publié en français aux éditions de lHarmattan en 1996, Sovereignty over Paracel and Spratly Islands na absolument pas été actualisé à lexception peut-être de quelques références bibliographiques, ce qui est pour le moins dommageable pour la compréhension des enjeux actuels du problème. Ainsi on peut par exemple lire en introduction que la Chine a signé la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer adoptée à Montego Bay le 10 décembre 1982 après neuf ans de négociations mais quelle ne la jusquà ce jour pas ratifiée. Or Pékin a bien ratifié cette convention en 1996 soit deux ans après son entrée ne vigueur. La déclaration formulée par la Chine au moment de cette ratification nest dailleurs pas sans intérêt puisquelle rappelle que : « La République populaire de Chine réaffirme sa souveraineté sur tous les archipels et les îles énumérés à larticle 2 de la Loi de la République populaire de Chine sur la mer territoriale et sur la zone contiguë promulguée le 25 février 1992 »((2). Tout est dit en effet dans cette simple phrase sur limpossibilité pour Pékin de renoncer à ses revendications en fonction de sa conception du droit international et du rapport de celui-ci au droit interne de la République populaire de Chine. Dune vision absolutiste et intransigeante de la souveraineté de lEtat découle une conception extensive des droits dont pourrait bénéficier la Chine au nom dun droit international que lon accepte mais que lon réinterprète en sa faveur en appliquant par exemple aux îles Paracel et Spartly le principe des eaux archipélagiques afin de repousser des limites de la mer territoriale ou de la zone économique exclusive.
La chronologie des évènements qui ont agité cette région du monde sarrête quant à elle au 9 février 1995. Cest donc faire abstraction de la multiplication des incidents auxquels ont du faire face les Etats de la région en 1999 et 2000 : mort dun pécheur philippin tué par les troupes vietnamiennes occupant les Spratly en janvier 1999 et décès dun pécheur chinois dans un incident opposant la Chine et les Philippines quelques mois plus tard, escalade des tensions entre les membres de lASEAN eux-mêmes, extension de la présence chinoise en direction des Scarborough Shoal, nouveau décès dun pêcheur chinois à la suite de tirs de la police maritime philippine en mai 2000 et surtout publication dun code de conduite pour la mer de Chine du sud en novembre 1999 à linitiative des Philippines et du Vietnam, code de conduite rejeté par la Chine au nom de la volonté de traiter ces questions de manière bilatérale. Quelques mots enfin sur les abondantes annexes (110 pages dannexes pour 143 pages de texte). Sil était intéressant de rassembler quelques documents anciens puisque la démarche de lauteur était fondée sur une étude des archives françaises, était-il bien nécessaire de faire figurer un certain nombre de cartes illisibles et dont la source nest même pas mentionnée ou encore une lettre manuscrite de neuf pages rédigée le 28 août 1788 par le comte de Kergariou Locmaria, capitaine de la Frégate Le Calypso ?
Mais cest la démarche même de lauteur qui est ici en question. Sovereignty over the Paracel and Spratly Islands aurait en effet du sappeler An History of Sovereignty over the Paracel and Spratly Islands. Faire une lecture historiciste de ce conflit de souveraineté ne résout pas tout. Il est certes utile de replacer les évènements dans leur contexte historique et de rendre dune certaine manière justice à la thèse du Vietnam en tant quEtat successeur de la France au lendemain de la décolonisation, mais on ne peut sarrêter là aujourdhui alors que ce différend met en scène six Etats du sud-est asiatique. Evoquer le droit des peuples à disposer deux-mêmes et les grands principes du droit de la décolonisation ne va pas non plus de soi. De quels peuples parle t-on alors que ces îles et îlots sont pour la plupart inhabités ? Qui serait lEtat colonisateur, la Chine (3) ? Certains passages de louvrage de Monique Chemillier-Gendreau semblent faire échos à son discours bien connu en faveur des pays du Sud, à sa lecture du droit international qui vise à le démythifier et à souligner ses limites, voire son caractère pervers ou son instrumentalisation par lOccident((4). Cette quête dun droit véritablement universel est louable mais faut-il pour autant ignorer les réalités géostratégiques actuelles, les aspirations des Etats en terme de puissance en senfermant dans lHistoire ? On ne peut néanmoins que partager lavis de lauteur quand elle conclut en faveur dun règlement négocié et de bonne foi de cette question toujours en suspens et porteuse dinquiétantes interrogations pour la paix et la sécurité en Asie.