BOOK REVIEWS

Lau Siu-Kai éd., Social Development and Political Change in Hong Kong

by  Richard Baum /

Dans ce nouvel ouvrage, le sociologue Lau Siu-kai reproduit avec quelques changements mineurs douze études publiées précédemment par l'Institute of Asia-Pacific Studies (HKIAPS). Les contributions on été choisies afin de « fournir une présentation exhaustive des changements politiques et sociaux intervenus à Hong Kong dans les années 1990 » (p. viii). Cet objectif louable est néanmoins traité de manière inégale par un ouvrage divisé en trois parties. La première partie, « Classe et mobilité », rédigée par Thomas W.P. Wong et Lui Tai-Lok, compare les résultats des sondages qu'ils ont effectués en 1989 et 1990 dans le cadre d'une étude sur la mobilité sociale avec les données recueillies pour la publication des indicateurs sociaux biennaux de HKIAPS afin de mettre en lumière les continuités et les changements de la structure de classe, de la moralité, des perceptions et des choix de valeur de la population honkongaise. L'une de leurs principales conclusions vise à montrer qu'en raison de l'influence de l'idéologie traditionnelle de Hong Kong en faveur des valeurs capitalistes et individualistes, les Hongkongais ont tendance à être remarquablement fatalistes quant à leurs échecs et leurs réussites personnels. Aussi ont-ils constaté que « la plupart des sondés […] ne font pas porter la responsabilité de leurs échecs au gouvernement ou à ses politiques mais aux individus eux-mêmes » (p. 19). Cette attitude s'applique également aux politiques : « Les échecs politiques sont traités de la même manière que les échecs sociaux, au-delà d'une curiosité passagère et d'une éventuelle sympathie à leur égard qui sont vite oubliées, chacun se doit de passer à autre chose » (p. 23). Le portrait d'ensemble est celui d'une « attitude généralement pragmatique et amorale envers la réussite et les échecs, les espoirs et les frustrations » (p. 25).

Dans un chapitre parallèle consacré à la nature de l'éthique entrepreneuriale hongkongaise, Thomas W.P. Wong et Lui Tai-lok observent que l'entrepreunariat relève bien plus de la stratégie que de l'idéologie et d'un choix instrumental bien plus que culturel ou moral. En concurrence avec les stratégies bureaucratiques et managériales d'ascenscion sociale, l'esprit de l'entrepreunariat « agit comme une boite à outil et est utilisé afin de choisir les tendances de l'action économique au lieu de servir de référence dans la définition des buts et objectifs à atteindre » (p. 56).

La seconde partie « Groupes sociaux et conflits », divisée en cinq chapitres, explore la nature et la structure changeantes des conflits de groupe à Hong Kong. Anthony Cheung et Kin-sheun Louie examinent l'impact politico-social de la rapide croissance économique et de la dépendance grandissante envers le gouvernement sur douze années, entre 1975 et 1986. Suggérant que le modèle économique classique de Lau Siu-kai paru en 1982 et qui faisait de Hong Kong « un système politico-social à intégration minimale » est désormais dépassé, Anthony Cheung et Kin-sheun Louie soutiennent la thèse d'un gouvernement de plus en plus présent dans la vie des Hongkongais moyens, d'un gouvernement qui serait donc largement devenu « la cible des revendications sociales » et dont on attend qu'il « résolve les conflits et problèmes de la population » (p. 65). Et les auteurs de démontrer ce dernier point en analysant un certain nombre de conflits de groupes et de demandes formulées à l'égard du gouvernement et dont les deux principaux quotidiens de Hong Kong se sont fait l'écho. Ils ont ainsi constaté que le nombre de conflits a augmenté de près de quatre fois de 1975 à 1986. Forts de ces données, les auteurs concluent que Hong Kong a connu une transformation majeure en passant d'une culture politico-sociale de la soumission à une culture plus participante : « Depuis les années 1980, les Hongkongais sont devenus de plus en plus sensibles aux problèmes sociaux, conscients de leurs droits et de plus en plus engagés au sein d'organisations articulées autour de leurs exigences et de leurs souhaits » (p. 110). Prenant le relais d'Anthony Cheung et de Kin-sheun Louie dans l'analyse de la fréquence des conflits sociaux après 1986, Lau Siu-kai et Wan Po-san présentent une analyse quantitative des tendances des conflits sociaux de 1987 à 1995. A l'inverse des auteurs précédents, Lau Siu-kai et Wan Po-san constatent qu'à l'exception de 1989 (année de la tragédie du 4 juin) et de 1992 (année de l'arrivée du très controversé gouverneur britannique Chris Patten à Hong Kong), le nombre annuel de conflits sociaux n'a pas augmenté de manière significative. De plus, dans la première moitié des années 1990, « la physionomie générale des conflits sociaux témoignait d'une tendance à la baisse » (p. 121). La raison de cette anomalie notoire résiderait dans la diminution générale, après 1990, des conflits politiques symboliques engageant les droits civils des citoyens de Hong Kong contre les politiques du gouvernement chinois. En dépit de cette tendance à la baisse, Lau Siu-Kai et Wan Po-San partagent le point de vue d'Anthony Cheung et de Kin-sheun Louie sur le fait qu'une certaine forme de décolonisation et la démocratisation partielle de Hong Kong ont apporté, depuis le début des années 1980, « un certain nombre de changements dans la perception et la propension des Hongkongais à participer aux conflits sociaux » (p. 164).

Dans une étude sur les travailleurs sociaux en tant que groupe d'intérêt politique, Wong Chack-kie note que tout au long des années 1970 et 1980, cette profession a fait montre à Hong Kong d'un activisme plus orienté vers la confrontation avec les autorités coloniales, au nom des composantes les plus pauvres et les plus désavantagées de la société. En fondant son analyse sur des enquêtes conduites en 1992, Wong Chack-kie met très nettement en perspective les valeurs et attitudes des travailleurs sociaux de Hong Kong qui ont tendance à croire en de très larges obligations de protection sociale du gouvernement ou de la société. Or, dans le Hong Kong capitaliste d'aujourd'hui, l'idéologie d'une protection sociale familiale prédomine et l'on considère l'aide de l'Etat comme le « dernier recours » que l'on ne peut invoquer qu'au cas où la famille manquerait à ses obligations premières de soutenir ses propres membres. Le rôle autodéterminé des travailleurs sociaux comme défenseurs des plus défavorisés fait d'eux l'un des groupes professionnels les plus radicaux de Hong Kong.

Stephen W.K. Chiu et Hung Ho-fung examinent par la suite les fondements sociaux de la stabilité politique dans les régions rurales de Hong Kong. Empruntant au concept du « paradox of stabilty » développé par Lau Siu-kai et Kuan Hsin-chi, Stephen W. K. Chiu et Hung Ho-fung notent qu'une « absorption administrative du politique » a pris place dans les zones rurales des Nouveaux Territoires sous l'administration coloniale britannique, c'est-à-dire que « les leaders locaux aux capacités mobilisatrices ont été cooptés au sein de l'Etat et sous l'influence de l'Etat » (p. 216). En conséquence, même dans le cadre d'une urbanisation et d'un développement économique rapides à la fin de la période coloniale, aucun conflit d'ampleur majeure ou significatif n'a vu le jour dans les Nouveaux Territoires. Si les revendications et demandes collectives n'étaient pas pour autant absentes des communautés rurales, les élites contestataires locales étaient littéralement rachetées par le gouvernement (p. 245).

Dans le dernier chapitre de la seconde partie, Lau Siu-kai aborde la difficile question de l'identité au sein des Chinois de Hong Kong. Depuis le milieu des années 1980, les enquêtes d'opinion ont régulièrement cherché à savoir si les résidents de Hong Kong s'identifiaient en tant que « Chinois », « Hongkongais », « l'un et l'autre » ou « ni l'un, ni l'autre ». Alors que les résultats des sondages n'ont fait apparaître aucune tendance très nette dans une direction ou dans une autre (1), Lau Siu-kai a observé un certain nombre de différences démographiques modales entre les deux groupes de référence. Les femmes par exemple, avaient tendance à se définir plus fréquemment en tant que Hongkongaises alors que les hommes étaient plus enclins à s'identifier comme Chinois. Lau Siu-kai tente d'expliquer cette tendance par le fait que « les femmes étaient moins gênées par l'ordre colonial, avaient plus de sentiments négatifs à l'égard de la Chine et étaient moins convaincues par les réalisations chinoises » (p. 259). De manière similaire, les personnes sondées les plus éduquées et celles disposant de revenus plus importants étaient généralement plus disposées à se définir comme hongkongais. Au-delà d'une telle différence de fond, Lau Siu-kai constate que les « Chinois tout comme les Hongkongais se sentent ethniquement et culturellement Chinois… et que bon nombre de ceux qui revendiquaient une identité hongkongaise étaient également fiers d'afficher leurs origines culturelle et ethnique »
(p. 263). Il reste néanmoins de nombreuses différences entre les attitudes politiques de ceux qui se définissent en tant que Chinois ou Hongkongais. Les Hongkongais par exemple, étaient plus à même de protester contre la Chine lors de la tragédie du 4 juin 1989 et de réserver un accueil favorable aux réformes démocratiques notables de Chris Patten.

Dans la troisième partie, intitulée « Attitudes politiques dans un contexte changeant », Kuan Hsin-chi et Lau Siu-kai examinent les changements dans les attitudes politiques à Hong Kong de 1985 au début des années 1990. Leur étude, fondée sur des sondages, fait apparaître une augmentation du soutien politique en faveur d'une intervention plus profonde du gouvernement dans la société et dans l'économie afin de combler le fossé entre les riches et les pauvres. Ils notent également un déclin significatif de l'opposition populaire à la création de partis politiques, opposition qui est passée de 50% en 1988 à 29% en 1992 (2). Aujourd'hui encore, la majorité des Hongkongais n'ont qu'une compréhension imparfaite de la démocratie. Aussi, ont-ils été amenés à définir la démocratie comme « un gouvernement qui cherche à consulter le peuple » (39% en 1992) plutôt que comme « un gouvernement élu par le peuple » (22% en 1992) (p. 293). Kuan Hsin-chi et Lau Siu-kai attribuent cette confusion des concepts au pragmatisme des Hongkongais : « Pour eux, c'est l'apport du gouvernement qui compte, pas la forme de celui-ci » (p. 293). Thomas Wong et Lui Tai-lok examinent par la suite trois modes opposés d'analyse des dernières politiques coloniales de Hong Kong : la « one brand of politics » élaborée par John Rear en 1971, le « minimally integrated social-political system » échafaudé par Lau Siu-kai en 1982 et la « legitimacy crisis » de Ian Scott, laquelle date de 1989. Et les auteurs de conclure au caractère insuffisant de ces théories sur les plans « conceptuel et empirique » (p. 310). Leur principale critique est formulée à l'égard de « l'absence d'approche structurelle de la structure sociale ». Afin de remédier à cette faiblesse commune, Thomas Wong et Lui Tai-lok recommandent une approche fondée sur la structure de classe de Hong Kong : « C'est seulement sur la base de cette structure de classe différentiée… que les problèmes spécifiques des comportements et de la culture politique peuvent être soulevés et résolus » (p. 329).

Dans un essai sur l'état du pouvoir politique à Hong Kong, Lau Siu-kai déplore la pénurie d'élites politiques responsables. Il note sur un mode pessimiste que les Hongkongais « ne font de manière générale pas confiance aux dirigeants politiques et que dans la mesure où ils se laissent gagner par le cynisme et l'apathie politiques, on aboutit naturellement à une perception sombre de la démocratisation » (pp. 370-371). Cette vision pessimiste trouve son origine dans une enquête réalisée en 1995, laquelle montrait, entre autres choses, que seulement 11% des personnes interrogées considéraient que leur influence politique s'était accrue en raison de la tenue d'élection locales à Hong Kong. Dans le même ordre d'idée, seulement 13% avaient exprimé un intérêt pour les débats sur les questions politiques et 19% se sentaient concernés par les erreurs commises par les dirigeants politiques. Une minorité des personnes interrogées (45%) ont déclaré que Hong Kong était mieux gouverné depuis la tenue d'élections et près de la moitié d'entre eux (49%) pensaient que les chances de mise en place d'un système démocratique à Hong Kong étaient faibles. Armé de ces donnée, Lau Siu-kai conclut que « la pénurie de responsables politiques bloque le processus démocratique à Hong Kong et inhibe la formation de liens politiques et psychologiques capables d'intéresser la population à ce processus » (p. 371).

Examinant les évolutions des relations entre les élites et la population de Hong Kong, Chui Wing-tak tente de dresser la carte de « la perception du rôle » des élites politiques locales. En fonction de questionnaires conçus pour les membres des bureaux de district, des conseils municipaux et du Conseil législatif, Chui Wing-tak rapporte qu'environ deux tiers des politiciens de Hong Kong « avaient une orientation élitiste » et manquaient de compétence politique, que ce soit dans leurs fonctions ou dans leurs relations avec leurs administrés. De plus, les élites étaient généralement jugées « inefficaces dans leur travail de coordination avec les responsables du gouvernement » (p. 399). Tout en trouvant un certain nombre de raisons d'être optimiste dans le fait que l'ensemble des habitants de Hong Kong sont de plus en plus conscients de leur droits civiques et exigent de plus en plus que leurs représentants politiques leur rendent des comptes » (p. 406), Chui Wing-tak déplore le rythme trop lent de la construction politique à Hong Kong.

Dans le chapitre de conclusion sur l'état de l'opinion publique à l'égard des partis politiques, Lau Siu-kai utilise les données d'une enquête réalisée en 1990 afin de mettre en lumière l'ambivalence des sentiments éprouvés par la population face au développement des partis à Hong Kong. Il montre ainsi qu'avant la fin des années 1980, la culture politique de Hong Kong ressemblait de manière générale à celle d'autres sociétés pré-modernes dans la mesure où elle ne favorisait pas l'émergence de partis politiques, lesquels étaient considérés comme « animés par des intérêts égoïstes et des dissensions factionnelles, nuisibles à la volonté collective et à l'harmonie sociale » (p. 421). A la fin des années 1980, néanmoins, l'imminence de la rétrocession à la Chine couplée à une montée des inquiétudes à l'égard des motifs et des intentions de Hong Kong et du gouvernement britannique ont « conduit la population à percevoir les forces politiques de façon plus favorable […] dans le cadre de la représentation de leurs intérêts locaux » (p. 422). Au lendemain de la répression de Tiananmen, en 1989, le soutien grandissant accordé aux partis politiques était directement lié au mécontentement populaire à l'égard de la ligne adoptée par Pékin (3). Une fois les premières inquiétudes passées, la confiance dans le gouvernement chinois se raffermit et cela eut pour conséquence que « l'espace politique subjectif disponible pour le développement des partis se trouva encore une fois largement réduit » (p. 441) (4).

Cet ouvrage ambitieux constitue un apport important à l'étude des changements politiques et sociaux à Hong Kong à l'époque de la décolonisation. Ses douze chapitres sont néanmoins de qualité inégale et ne peuvent éviter de nombreux chevauchements et de partielles réductions analytiques. Ils ont été de plus écrits à des périodes différentes, certains au début des années 1990 et d'autres bien plus tard. Et bien qu'il y ait eu une tentative d'actualisation de plusieurs chapitres à l'aide d'un épilogue, cet objectif n'a été qu'en partie atteint. Cette asynchronie des analyses brouille la lecture et rend bien difficile la contextualisation des perspectives exprimées. En dépit de ces défauts, cet ouvrage sera certainement une référence utile pour les chercheurs ou les étudiants intéressés par les effets socio-politiques du processus de décolonisation à Hong Kong.

Traduit de l'anglais par Leïla Choukroune