BOOK REVIEWS
Joseph Fewsmith, Elite Politics in Contemporary China
Joseph Fewsmith, connu pour ses nombreux écrits sur l'évolution politique de la Chine contemporaine, est devenu ces dernières années une référence incontournable pour quiconque travaille sur l'un de ses aspects plus spécifiques : les élites politiques. Il leur a en effet, consacré plusieurs articles remarquables et remarqués publiés au cours de la décennie 1990 et que le lecteur retrouvera réunis en un seul volume intitulé Elite Politics in Contemporary China ! Rien de neuf, donc, sous cette couverture quelque peu aguicheuse, de par son titre et de par la photographie prise en 1989 et sur laquelle on reconnaît de gauche à droite : Jiang Zemin, Li Peng, Qiao Shi et Deng Xiaoping. Une telle couverture ne peut qu'enthousiasmer ceux et celles qui connaissent déjà et apprécient les précédents travaux de Fewsmith. Aussi les premiers instants d'emballement font-ils vite place à la déception.
Toutefois, le sentiment de s'être fait abuser disparaît tout aussi rapidement car le lecteur averti, et a fortiori le béotien, ne pourront qu'être reconnaissants à l'auteur et à l'éditeur d'avoir eu cette initiative doublement heureuse. Chacun de ces articles relate, dans un style limpide, un aspect particulier de l'évolution politique en Chine, à l'ère des réformes, tout en le replaçant dans une perspective historique. C'est pourquoi, intelligemment descriptifs, ces textes, une fois réunis, constituent un excellent manuel et ouvrage de référence pour les étudiants et les chercheurs et pour toute personne qui s'intéresse à ce sujet. De plus, sa concision moins de 200 pages ainsi que l'index exhaustif devraient achever de convaincre les plus récalcitrants d'entre nous de l'utilité de lire, voire de posséder cet ouvrage. Et quand bien même les nombreuses qualités intrinsèques desdits articles ne suffiraient pas à motiver leur réédition sous forme de livre, la conjoncture, elle, la justifie entièrement. En effet, entre le temps des bilans occasionnés par le 80e anniversaire du Parti communiste chinois (PCC) et celui des prospectives à l'approche du XVIe congrès du PCC, chercheurs et journalistes multiplient écrits et entretiens et rivalisent de conjectures avec plus ou moins de clairvoyance.
Certes, depuis que les études sur le terrain sont devenues possibles, elles ont pris le pas sur les analyses qui reposaient d'une part, sur l'observation des mouvements de chaises musicales au sommet et d'ailleurs pour laquelle les Anglo-saxons ont une expression fort appropriée : watch the « tea leaves » , p. xi , et d'autre part sur des spéculations concernant le sens de ces évolutions. La « pékinologie », puisque c'est d'elle dont il s'agit, pour décriée et dépassée qu'elle soit aujourd'hui, n'en demeure pas moins un exercice toujours profitable et en ces temps, fort à-propos, surtout lorsqu'elle est bien menée. C'est le cas de la « pékinologie » de Elite Politics in Contemporary China.
Dans son introduction, Fewsmith tout en rendant hommage au grand spécialiste de la Chine qu'était Tang Tsou (1919-1999) et à qui il dédie cet ouvrage, explique, d'une part, sa façon d'aborder son sujet d'étude et rappelle, d'autre part, le contexte de chacun des chapitres qui s'ensuivent. Pour ce qui est de la méthodologie, l'auteur inscrit sa démarche dans celle de son maître en procédant à partir d'études de cas. Cela revient à examiner « un événement particulier ou une période donnée pour voir quelles leçons on pouvait en tirer sur la manière dont se déroulait la politique au niveau des élites et ce vers quoi la Chine tendait à ce moment précis » (p. xiv). Tang Tsou et Joseph Fewsmith sont donc partisans d'une approche inductive, qui consiste à étudier minutieusement les faits pour ensuite élaborer des paradigmes. Ils prennent ainsi le contre-pied d'une démarche plus courante, laquelle consiste à adopter au préalable quelques hypothèses ou un modèle théorique avant de les éprouver en les confrontant à la réalité.
Le premier chapitre, intitulé « Les réformes de l'ère Deng dans une perspective historique » (1), souligne la nécessité des réformes ainsi que la continuité des débats entre la Chine d'avant 1949 et celle des réformes, dans laquelle a ressurgi avec davantage d'acuité le dilemme relevé par Liang Qichao à propos des responsabilités à accorder respectivement à l'Etat et à la société, au public et au privé. Ce faisant, Fewsmith rappelle que tout au long du XXe siècle, le problème le plus épineux qui s'est posé à la Chine, et qui reste à ce jour sans issue, est la question de l'émergence d'une société civile. Pour l'auteur, tant qu'il n'y aura pas de sphère publique indépendante de l'Etat, la Chine ne sortira pas de cette tension.
Le deuxième chapitre porte sur « Les stuctures formelles, la politique informelle et les changements politiques en Chine » (2). La Chine des années 1980 a été le théâtre d'un retour en force de la politique informelle : pour le meilleur, car cela a donné au système une certaine flexibilité et une non moindre vitalité, évitant ainsi au régime la sclérose puis l'effondrement, comme en URSS. Lors de la décennie suivante, la politique informelle, sans disparaître totalement, s'est quelque peu effacée au profit de la mise en place d'un appareil législatif plus complet et d'une bureaucratie plus large, mais mieux dirigée.
C'est d'ailleurs ce dont il est question dans le chapitre suivant, intitulé « Construction des institutions et démocratisation en Chine » (3) et qui fait une évaluation des évolutions politiques de la RPC dans les années 1990 pour tenter de répondre à la question suivante : la Chine réunit-elle les conditions nécessaires à une transition et, plus important encore, à une consolidation démocratiques ? Fewsmith suggère que la Chine continentale pourrait bien suivre l'exemple de Taiwan. Selon lui, en effet, le développement des institutions et la professionnalisation croissante du régime pourraient aboutir à un autoritarisme mou, celui-là même qui a préfiguré la démocratisation de l'île.
On retrouve cet optimisme dans le chapitre quatre : « L'impact des réformes sur les élites politiques » (4), dans lequel l'auteur répond à la question soulevée dans le chapitre précédent et ceci, sous un angle différent, non plus du point de vue des institutions mais bien des élites politiques. Les nouvelles générations au pouvoir sont plus des technocrates que des idéologues et elles se détournent des débats idéologiques pour mieux se consacrer aux problèmes concrets qui menacent la stabilité du pays. Ce faisant, elles intègrent peu à peu les règles de la compétition en politique et sont plus enclines à régler leurs conflits par le biais des institutions, ces dernières représentant une forme de légitimation puisque ces nouvelles élites ne bénéficient plus de l'aura révolutionnaire de leurs prédécesseurs.
Reste alors à savoir quels sont les défis auxquels les dirigeants chinois doivent faire face. Fewsmith les résume dans « Résonance historique et politique chinoise : la Chine peut-elle laisser le XXe siècle derrière elle ? » (5) qui constitue son cinquième et dernier chapitre. Et c'est là que le bât blesse. En effet, l'auteur qui, dans son introduction, a identifié sa démarche avec celle de Tang Tsou (rappelons-le, composée de deux étapes : d'abord examiner précisément les faits, puis à partir de là élaborer un paradigme), laisse le lecteur sur sa faim. Car une mise en perspective, aussi pertinente soit-elle, n'a jamais remplacé un modèle de pensée. Et on se serait attendu à ce que Fewsmith, en refondant ses articles dans une nouvelle publication, ait dans l'idée de nous livrer ne serait-ce qu'une ébauche théorique. Celle-ci aurait magnifiquement clôturé son livre en le hissant du rang de manuel de référence bien ficelé à celui, plus stimulant et aussi plus difficile à atteindre, d'ouvrage sur les sociétés en transition.
Cette réserve, cependant, ne doit pas nous faire oublier les nombreuses qualités de ce livre, remarquable par la finesse de ses analyses, même si celles-ci relèvent de la « pékinologie ». Les conclusions auxquelles elles aboutissent, en attendant d'être totalement confirmée par les faits, l'ont déjà été en partie par des études plus récentes, et notamment celle de Li Cheng, dont le travail de terrain fera date (6).