BOOK REVIEWS

Elizabeth Perry et Mark Selden éds., Chinese Society : Change, Conflict and Resistance

by  Michel Bonnin /

Tenter de présenter la société chinoise dans tous ses aspects sous l'angle du changement, du conflit et de la résistance est une tâche immense autant qu'essentielle. Le livre dirigé par Elizabeth Perry et Mark Selden s'en acquitte très honorablement. En premier lieu, parce que les auteurs réunis à cette occasion partagent la problématique proposée par les directeurs de l'ouvrage. Ni apologistes, ni critiques systématiques du régime, ils ont en commun une bonne connaissance du terrain qui les conduit à une grande modestie dans le maniement des concepts. Pourtant, on ne peut s'empêcher de conclure que ce parti pris aboutit à de bien meilleurs résultats que bien des tentatives de synthèses effectuées par de « grands auteurs ». Les contributeurs figurent parmi les meilleurs spécialistes même si nombre d'entre eux ne sont pas particulièrement connus. Le chapitre de Jun Jing sur les « protestations liées à l'environnement dans la Chine rurale » (pp. 143-160) mérite une mention particulière. Ce jeune chercheur de Beida (l'Université de Pékin), parti d'une constatation évidente pour tout lecteur de la presse chinoise, ne se contente pas de souligner les terribles problèmes de pollution que connaît la Chine. Il fait véritablement œuvre de créateur lorsqu'il analyse les mouvements de résistance organisés par les simples villageois quand le pouvoir va trop loin dans sa persécution de la nature. Des enquêtes de terrain lui fournissent l'occasion de présenter une étude anthropologique très fouillée des mouvements de résistance, et il n'hésite pas à analyser tous les répertoires mobilisés à cette occasion.

La contribution de David Zweig permet de redimensionner les effets positifs du développement des élections villageoises. Ne cédant pas à l'idéalisme des missionnaires du Carter Center ni à l'optimisme parfois exagéré de certains sociologues américains, l'auteur montre que ces nouvelles institutions ne sont guère efficaces pour résoudre les conflits causés par l'urbanisation, la marketisation et la déforestation. Par une analyse exhaustive des articles de Minzhu yu fazhi (Démocratie et système légal) consacrés aux violations des droits des paysans, Zweig montre que, malgré le discours officiel relayé par bien des spécialistes, qui met l'accent sur les efforts du gouvernement en vue de l'instauration de la légalité, les paysans n'obtiennent pratiquement jamais satisfaction devant les tribunaux et doivent recourir à des actions illégales telles que les protestations collectives (jiti shangfang) ou la désobéissance civile pour tenter d'obtenir des réparations. Le titre un peu ésotérique de la contribution de Zweig ne doit pas rebuter le lecteur. Elle est tout à fait passionnante.

Lee Ching Kwan, pour sa part, montre que les ouvriers chinois ne sont pas si passifs que se plaît à l'affirmer le discours dominant. Lee montre que depuis le début des années 1990, les protestations des ouvriers contre les décisions du gouvernement qui violent leurs droits, contre les restructurations et les conséquences négatives des réformes, n'ont pas cessé. Grèves sauvages, pétitions, grèves perlées sont des éléments permanents du répertoire des protestations. Mais le gouvernement est vigilant et tente par tous les moyens d'empêcher que les mouvements s'étendent au delà de la danwei (l'unité de production). Il y parvient car, malgré le mécontentement croissant, aucune tentative d'envergure de création d'un syndicat libre n'a eu lieu depuis 1989. La contribution de Lee Ching Kwan est intéressante car elle permet de dresser un tableau général des protestations ouvrières. On regrettera cependant que, contrairement aux autres articles réunis dans ce livre, elle ne soit pas fondée sur des études de terrain, et que l'auteur se soit surtout appuyé sur des sources de deuxième main publiées en anglais. Toutes les contributions qui composent cet ouvrage mériterait d'être mentionnées, et le chapitre de Hein Malee sur les travailleurs migrants constitue une bonne synthèse.

Mais, le compte-rendu ne serait pas complet si l'on ne faisait référence à l'excellente contribution de Geremie Barmé qui présente de manière toujours aussi vivante la nouvelle génération des résistants apparus dans les toutes dernières années 1990, et notamment ses lignes concernant Yu Jie, l'un des meilleurs auteurs contemporains de zawen (essais).

On recommandera aussi la lecture de la très synthétique introduction des deux directeurs de la publication qui énonce très clairement le projet. La présentation du livre est en outre très aérée. Rendons grâce aussi à Elizabeth Perry et Mark Selden d'avoir eu l'idée de faire précéder chaque contribution d'un résumé, ce qui permet aux étudiants non sinologues et à toutes les personnes intéressées par le changement social en Chine contemporaine, sans être des spécialistes, de saisir l'essentiel d'un livre que je recommanderais à tous les étudiants désireux d'aborder l'étude de ce pays.