BOOK REVIEWS
Joseph A. Camilleri, The Political Economy the Asia-Pacific Region — States, Markets and Civil Society in Asia Pacific
Politiste, Joseph Camilleri est l'auteur de nombreuses publications relatives à la transformation des Etats et du système international en Extrême-Orient. Son dernier ouvrage trouve son origine dans l'intention de rendre compte des progrès de l'approche multilatérale des questions économiques et de sécurité en Asie-Pacifique. Mais l'auteur a estimé qu'une telle analyse se devait d'être précédée d'une mise au point sur le contexte géopolitique, économique et culturel. L'ouvrage dont nous rendons compte précède donc un volume à venir intitulé Regionalism in the New Asia Pacific Order qui sera consacré plus spécifiquement aux progrès du multilatéralisme.
Dans ce premier volume, la tâche de l'auteur est vaste. À l'échelle d'un espace qui va de l'Asie du nord-est à l'Asie du sud-est et de l'Australie jusqu'à l'Amérique du nord, en passant par les Etats insulaires du Pacifique, Camilleri a l'ambition de retracer l'évolution des systèmes économiques, politiques et plus marginalement des sociétés au cours des vingt dernières années. L'ouvrage comporte cinq chapitres principaux. Le premier, consacré aux décennies 1970 et 1980, analyse l'évolution relative des pouvoirs des Etats-Unis, de l'Union soviétique et de la Chine et ses conséquences sur le système régional de sécurité. Dans un deuxième chapitre, l'auteur revient sur la croissance économique des décennies 1980 et 1990 en Extrême-Orient ; il ne décrit pas seulement les processus, mais insiste aussi sur leur dimension géopolitique. Les chapitres 3 et 4 sont consacrés à l'évolution, d'une part, des principaux centres de pouvoir que sont les Etats-Unis, le Japon, la Chine et, d'autre part, des puissances moyennes et petites. Si le système international caractéristique de la guerre froide a disparu, il est aujourd'hui difficile de dessiner la nouvelle architecture en train de se construire. L'ouvrage s'achève par un chapitre relatif aux transformations de l'Etat dans la région : son rôle économique, la démocratisation, la structuration des sociétés civiles.
Le concept clé de la conclusion de l'ouvrage est celui d'« hybridation ». Il désigne d'abord l'état des systèmes politiques où se trouvent mêlés à la fois avancées démocratiques et pratiques autoritaires, modèles occidentaux importés et traditions culturelles. Il dépeint minutieusement les évolutions du système international en montrant que l'unipolarité et la multipolarité sont des principes simultanément à l'uvre, et que les Etats et les acteurs non étatiques coexistent dans le même espace.
L'un des intérêts majeurs de l'ouvrage est de multiplier les points de vue. L'auteur établit sans cesse des passerelles entre le politique, le stratégique et l'économique ; il insiste sur la porosité de l'Etat aux acteurs non étatiques, sur les influences croisées entre les échelles locale, nationale, régionale et globale. Mettant en évidence les évolutions, il n'oublie pas de marquer les éléments de continuité. Enfin, l'auteur est soucieux d'articuler réflexions théoriques et analyses empiriques. Mais ce parti pris est aussi source de frustration pour le lecteur. Car trop souvent le texte prend des allures de catalogue des différentes réalités envisagées (tout comme d'ailleurs des théories géopolitiques, économiques ou de science politique) sans qu'on parvienne jamais au cur des discussions. L'hypothèse de l'« Etat développeur », principal architecte de la croissance, est par exemple discutée en l'espace d'une dizaine de pages seulement et à l'épreuve d'expériences aussi variées que celles de la Corée, de Taiwan, Hong Kong, Singapour, ou de la Malaisie. Une question qui n'est pas abordée est celle de l'existence même de l'espace considéré : l'Asie-Pacifique. Le texte fournit une réponse implicite car si de nombreux développements sont consacrés aux Etats-Unis, au Japon, à la Chine et à l'Asie du sud-est, quelques pages seulement évoquent l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Canada.
Si l'ouvrage ouvre des perspectives de réflexion multiples, ce foisonnement laisse parfois perplexe quant à son usage possible. Reste que l'on a grandement apprécié ses qualités critiques. Ainsi, à propos des auteurs qui ont célébré en son temps le dynamisme économique de l'Asie orientale, Camilleri évoque-t-il un état de « dépendance vis-à-vis du modèle occidental » (p. 370) ; il souligne par là qu'une perspective uniquement quantitative de la croissance ne prend pas en compte les coûts en termes de destruction de l'environnement ou de dépendance technologique (vis-à-vis du Japon) et commerciale (vis-à-vis des Etats-Unis). Ailleurs, l'auteur condamne l'hégémonisme américain dans la région, en particulier lors de la crise de 1997 (p. 132). Le lecteur européen sera particulièrement sensible aux appels lancés par Camilleri à davantage de présence européenne dans la région.