BOOK REVIEWS

James C. Hsiung éd., Hong Kong the Super Paradox : Life After Return to China

by  Kuan Hsin-chi /

Cet ouvrage collectif regroupe 13 essais consacrés à divers aspects de la vie à Hong Kong après le retour du territoire britannique sous souveraineté chinoise. Comme c'est le cas pour beaucoup de publications de ce genre, les chapitres sont de qualité inégale et l'ensemble souffre d'un manque de cohérence théorique. L'on saura gré, toutefois, à James Hsiung, qui a dirigé cet ouvrage, de fournir aux lecteurs une excellente introduction qui met en lumière un thème commun à plusieurs contributions. Sans cette introduction, ce thème intéressant échapperait sans doute aux lecteurs qui liraient certains chapitres indépendamment des autres. En bref, il s'agit d'une analyse des divergences entre les attentes de l'avant 1997 et les principaux aspects de la réalité au lendemain de la rétrocession. Ces différences sont regroupées sous le concept de « super paradoxe » qui fait référence aux contrastes entre l'évolution dans le domaine de la politique intérieure (ou plus exactement la politique par opposition à l'économie) et les développements touchant au domaine de la politique extérieure de la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong, eux-mêmes composés de petits paradoxes. Dans le premier cas, les oiseaux de mauvais augure avaient prédit que le gouvernement central à Pékin s'immiscerait dans les affaires intérieures de Hong Kong, notamment en empiétant sur les libertés et en manipulant les élections. Ils craignaient également qu'une influence accrue de la Chine continentale sur le territoire ne se traduise par une recrudescence de la corruption, du népotisme et du copinage. Il s'est avéré, au contraire, que la Chine a adopté une politique de non intervention, respectant ainsi l'intégrité de la formule « un pays, deux systèmes » et s'attachant à réduire la corruption et le taux de criminalité. Paradoxalement, cet heureux dénouement ne s'est pas répété dans le domaine de la politique extérieure, en dépit des perspectives brillantes annoncées avant la rétrocession. En effet, contrairement aux prévisions optimistes émises par la plupart des commentateurs, l'économie de la RAS a traversé une forte récession au lendemain de la rétrocession. Aussi, de manière tout à fait inattendue, le statut international de Hong Kong et la capacité du territoire à défendre ses intérêts à l'étranger ont-ils été remis en question et en sont ressortis fortement diminués.

Dans sa recherche sur l'origine de ce « syndrome du paradoxe », James Hsiung met l'accent sur plusieurs points : la signification incertaine du « système actuel » lequel, selon les termes de la Déclaration conjointe sino-britannique de 1984, est censé être maintenu pendant 50 ans après 1997 ; la crise financière asiatique que personne n'a vu venir ; ou encore le côté déroutant du modèle « un pays, deux systèmes ».

Le premier point tente fondamentalement d'expliquer ce qui a fait que les commentateurs en soient venus à adopter une approche si négative sur l'attitude de la Chine après 1997. La logique de James Hsiung est la suivante : l'incertitude associée à ce que constitue le « système actuel » a permis aux Britanniques d'entreprendre unilatéralement des réformes touchant au système électoral, à l'ordonnance sur la charte des droits, à l'ordonnance sur les sociétés et à l'ordonnance sur l'ordre public. Toutes ces mesures entraînèrent l'ire du gouvernement chinois : ce dernier réagit violemment par des menaces et, ce faisant, jeta un doute sur son intention de ne pas se mêler des affaires de Hong Kong. Cet argument, bien que procédant d'un bon raisonnement, est, au moins partiellement, incorrect. En premier lieu, on pourrait dire que cette prédiction en tant qu'origine du paradoxe n'est pas liée à l'absence de définition de ce que constitue le « système actuel » dans la Déclaration conjointe puisque cette prédiction ne s'est pas — ou tout du moins pas entièrement — réalisée lors de la polémique qui opposa plus tard les gouvernements chinois et britannique sur des questions importantes liées à la transition. Il est tout à fait possible que le pessimisme de ces prophètes soit dû, à la base, à un manque de confiance dans le gouvernement chinois, que ce soit pour des raisons idéologiques ou, tout simplement, parce que ces observateurs connaissaient les pratiques politiques du régime chinois depuis 1949.

Deuxièmement, et de manière plus significative, dans la mesure où deux composants sont nécessaires pour établir un paradoxe — les attentes et les résultats —, on ne peut se contenter d'une explication qui se fonde uniquement sur les facteurs ayant influencé les seules attentes. Pour ce qui est des résultats, on peut avancer l'argument que, en fonction des paramètres que l'on définit pour mesurer les résultats, il n'y a après tout peut-être pas de paradoxe dans la mesure où le système électoral conçu et mis en place unilatéralement par Chris Patten ainsi que les amendements apportés aux deux dernières ordonnances mentionnées plus haut ont été abandonnés après la rétrocession en 1997. D'un autre côté, si l'on définit les résultats au regard du degré de liberté dont jouissent les habitants de Hong Kong (plus de manifestations qu'avant, etc.) en dépit des changements apportés au corps législatif et aux ordonnances, force est de constater qu'il existe bel et bien un paradoxe. Dans ce cas, il est peut-être préférable d'expliquer ce paradoxe par la retenue dont ont fait preuve les gouvernements de Pékin et de Hong Kong, et de considérer cette retenue comme le principal facteur ayant affecté le résultat plutôt qu'une lacune dans la Déclaration qui a surtout affecté la perception des commentateurs. Si l'on s'attarde sur une explication du résultat, on peut même avancer que bien avant 1997, la Chine était, pour plusieurs raisons, déterminée à adopter une attitude de non intervention vis-à-vis de la future RAS pour garantir le succès de la formule « un pays, deux systèmes ». C'est donc bien dans ces motivations et non dans la perception des pessimistes qu'il convient de rechercher les origines du paradoxe. Il y avait avant 1997 des observateurs optimistes qui croyaient en ces motivations, à savoir le rôle économique que pouvait jouer Hong Kong dans la modernisation de la Chine, l'utilisation du modèle de Hong Kong pour la réunification avec Taiwan, et le prestige que tirerait la Chine d'une transition réussie. Par exemple, Frank Ching montre, dans le chapitre 6, que la politique de non intervention adoptée par la Chine à l'égard de Hong Kong n'est pas le résultat de pressions extérieures puisque la formule « un pays, deux systèmes » a été conçue et rendue publique par la Chine avant que ne commencent les négociations sur l'avenir du territoire en 1982 (p. 154).

Enfin, plutôt que de rechercher les origines du paradoxe dans les résultats des négociations sino-britanniques ou dans la politique intrinsèque de Pékin à l'égard de Hong Kong, Daniel Fung esquisse, dans le chapitre 4, une explication endogène, à savoir la montée du constitutionalisme à Hong Kong même. A partir de l'affaire du drapeau national chinois brûlé en place publique, Fung montre qu'en acquérant une constitution écrite lors de son retour sous souveraineté chinoise, Hong Kong s'est forgé, à travers une refonte substantielle de son système judiciaire, une véritable culture juridique qui s'est traduite par la mise en place d'une magistrature chinoise (le tribunal de dernière instance de Hong Kong, Court of Final Appeal) jouant, pour la première fois dans l'histoire de la Chine, le rôle d'arbitre sur la « constitutionnalité des agissements des pouvoirs exécutif et législatif » (p. 109). Sur l'affaire du droit de résidence, Fung nous offre une interprétation radicalement différente de celle qui prévaut parmi les spécialistes du droit. Beaucoup d'entre eux insistent sur l'effet négatif qu'a eu l'interprétation [de la constitution] par le Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire sur le prestige et, partant, l'indépendance du tribunal de dernière instance de Hong Kong. Fung, quant à lui, met l'accent sur la décision même de la cour d'appel, qu'il identifie comme la preuve que « non seulement le système judiciaire de Hong Kong ne s'est pas réduit comme une peau de chagrin au lendemain du retour de Hong Kong sous souveraineté chinoise, mais s'est, au contraire, révélé être un arbitre constitutionnel robuste au point d'agiter le spectre d'un régionalisme belliqueux » (pp. 115-116). L'utilisation de l'argument constitutionnaliste sert à nous rappeler que les habitants de Hong Kong peuvent influence leur avenir de manière positive en dépit des prédictions alarmistes.

L'impact de la crise financière asiatique sur la récession économique de Hong Kong comme origine du paradoxe identifié par Hsiung ne fait aucun doute. Cette crise, inattendue, vient faire voler en éclats toutes les prévisions optimistes d'avant la rétrocession. Il n'est pas utile ici de se demander si cette crise est liée ou non au départ des anciens maîtres britanniques. Il est en revanche plus intéressant de voir dans quelle mesure la Chine a joué un rôle dans ce deuxième volet du paradoxe. C'est exactement l'approche que propose Y. Y. Kueh dans le chapitre 9. L'auteur ne se contente pas de détailler de manière précise et élégante les raisons de l'optimisme qui régnait avant 1997 sur le plan économique et la dynamique financière sous-tendant la politique de défense de la parité du dollar de Hong Kong avec le dollar américain ; il nous offre également une analyse brillante de ce que le rapprochement avec la Chine représente pour Hong Kong. Constitue-t-elle un atout ou un handicap ? Elle s'avère être un atout quand, au moment où les fonds spéculatifs internationaux pariaient sur une dévaluation du renminibi, estimant qu'elle était inévitable dans le prolongement de la crise des devises en Asie du sud-est, la détermination de la Chine de ne pas dévaluer sa monnaie a clairement contribué à renforcer la confiance accordée au gouvernement de Hong Kong pour la défense de sa propre monnaie. Pour Kueh, le paradoxe est d'une nature différente de celle définie par Hsiung dans la mesure où la monnaie de Hong Kong, entièrement convertible, est malheureusement devenue la cible des spéculateurs internationaux précisément parce que le capital chinois reste strictement fermé aux manipulations extérieures (pp. 248-249).

Le troisième aspect du paradoxe, à savoir la dégradation du statut international de Hong Kong, ainsi que les origines de ce paradoxe constituent dans cet ouvrage la contribution la plus importante au débat sur l'évolution de Hong Kong depuis 1997. Sur cette question se démarque le chapitre de James Hsiung intitulé « Le paradoxe de Hong Kong en tant qu'acteur souverain sur la scène internationale : une mise à jour ». Dans le chapitre 7, quatre cas concrets sont analysés dans le but d'expliquer le sérieux défi posé par certaines décisions de justice prononcées par des tribunaux étrangers contre le statut de Hong Kong et sa capacité à agir sur le plan international en tant qu'entité souveraine. L'affaire Matimak est très révélatrice à cet égard. Matimak est une société de Hong Kong qui a poursuivi en justice aux Etats-Unis une entreprise américaine pour rupture de contrat. Les tribunaux fédéraux ont estimé qu'une société enregistrée à Hong Kong était « apatride » lorsqu'elle bénéficiait du régime dit « de protection sous juridiction étrangère » (alienage jurisdiction). Il est donc paradoxal que l'autonomie conférée à la RAS soit devenue pour elle un handicap : le fait que Hong Kong ne soit pas entièrement sous le contrôle de son souverain disqualifie en effet Matimak en tant que sujet d'un Etat pouvant prétendre à la protection juridique dans un pays étranger. De tels cas jettent inévitablement un doute sur la capacité juridique qu'a Hong Kong de défendre seule les intérêts de ses citoyens en dehors de ses frontières. Certains prétendent qu'une telle situation est la résultante de l'aspect nouveau et déroutant du modèle « un pays, deux systèmes ». La nouveauté peut notamment se lire dans le fait que, bien que considérée comme une partie inaliénable de la Chine, Hong Kong jouit d'un haut degré d'autonomie. La nature exacte de cette symbiose reste floue et s'avère être source de confusion pour les organes de justice étrangers. Le chapitre 7 aborde également les raisons qui font que le retour de Hong Kong à la Chine a, contrairement à ce qui était prédit avant 1997, rendu le territoire moins attrayant pour son rôle de catalyseur des relations entre la Chine et Taiwan. La première raison est que Hong Kong ne peut plus être considérée comme un terrain neutre dans les contacts entre les deux rives. D'ailleurs, Hong Kong « a une visibilité trop importante pour que Taiwan se sente à son aise pour y mener des négociations délicates avec Pékin » (p. 190). Dans l'ensemble, la discussion menée dans cet ouvrage sur la dimension internationale de l'évolution post-coloniale de Hong Kong nous apporte une bouffée d'air frais. Toutefois, nous sommes de l'avis qu'il est encore trop tôt pour rendre des conclusions hâtives. Après tout, les cas examinés dans le livre ne représentent qu'une toute petite partie des activités de la RAS en tant qu'acteur non-souverain sur les scènes régionale et internationale. Une étude comparative plus exhaustive montrera peut-être un jour que l'aspect négatif des jugements rendus par la justice fédérale américaine sera amplement compensé par des évolutions positives dans d'autres domaines comme, par exemple, la participation de Hong Kong à certaines organisations régionales et internationales.

En dehors du thème principal de ce livre, plusieurs autres contributions méritent quelques commentaires. Dans le chapitre 1, S. K. Lau s'attache à étayer la montée et le déclin de la popularité du nouveau régime de la RAS. Il centre sa réflexion sur la stratégie irréaliste de Tung Chee-hwa, le chef de l'exécutif de la RAS. Lau montre qu'en l'absence d'une stratégie cohérente, les efforts entrepris par Tung pour dépolitiser une société fortement politisée étaient voués à l'échec. Ho Loksang, dans un autre chapitre, nous offre un jugement plus contrasté des performances de Tung. Ce dernier est présenté comme quelqu'un sachant répondre aux attentes de l'homme de la rue. Il cite pour exemple les initiatives prises dans le domaine du logement (programmes de ventes de HLM, construction de 85 000 appartements), qui, d'après Ho, étaient nécessaires. Toutefois, malgré toutes les bonnes intentions de Tung, cette politique a échoué. Pour Ho, le chef de l'exécutif « a essayé de courir plus vite qu'il ne le pouvait » (p. 74). On en revient donc à un problème de leadership, un thème qui rejoint finalement les idées développées par Lau dans son chapitre.

Le chapitre sur le marché des valeurs et le marché à terme est écrit par le spécialiste Antony Neoh. Nous avons été particulièrement séduits par la manière dont l'auteur décrit comment Hong Kong est parvenue à surmonter les problèmes de la transition politique pour finalement renforcer sa position de centre financier international. Par exemple, quand les sociétés étrangères ont transféré leur siège hors de Hong Kong pour se préparer au retour du territoire dans le giron de la Chine, la bourse de Hong Kong n'a pas hésité à modifier ses règlements pour permettre aux sociétés étrangères d'être cotées à Hong Kong. La seule condition était que ces sociétés répondent aux normes en vigueur à Hong Kong sur la protection et la transparence de l'actionnariat. Ces normes correspondaient aux pratiques internationales en matière de réglementation financière, et Hong Kong n'avait d'autre choix que de les appliquer. Cet exemple montre encore que les mesures prises par Hong Kong pour se prémunir face à une crise potentielle ont contribué à renforcer sa position. Depuis sa réorganisation, la bourse de Hong Kong totalise une capitalisation boursière de 350 milliards de dollars US, ce qui la place au huitième rang mondial.

Le chapitre de Ting Wai sur les relations de la RAS avec son souverain, la République populaire de Chine, est une contribution tout aussi importante. Elle est d'autant plus intéressante que la perspective qui y est développée n'a reçu que peu d'attention de la part des universitaires travaillant sur la période post-coloniale de Hong Kong. Ting Wai avance que tous les problèmes et du scepticisme dont a souffert le territoire « trouvent leurs racines dans la nature du régime chinois sous l'autorité du Parti communiste chinois » (p. 269). Ting Wai se propose donc d'examiner comment l'Etat-Parti en Chine peut exercer son influence sur le développement futur de Hong Kong en s'immisçant dans sa société civile et non dans son système politique. Malgré une problématique prometteuse, l'analyse de l'auteur s'avère au final insuffisante. L'on peut aisément excuser Ting Wai, et cela pour au moins deux raisons. D'abord, parce que le travail que nécessite une telle analyse est énorme. Par exemple, la nature du régime chinois sous l'autorité du PC est en train de changer. Comment dès lors est-il possible d'établir un rapport entre la nature changeante du régime chinois et l'intervention de Pékin dans la société civile de Hong Kong ? Ensuite, les données sur les activités de Pékin à Hong Kong sont très difficilement accessibles puisque le PC agit clandestinement et que la plus grande partie du travail de front uni est accomplie dans le secret.

Le chapitre de conclusion écrit par James Hsiung mérite une lecture attentive. Il se veut une réflexion critique post-coloniale sur l'héritage britannique à Hong Kong. Les louanges dont font l'objet l'Etat de droit, le système des libertés et le « gouvernement probe » sont nuancées par la reconnaissance des effets résultant des efforts tardifs du gouvernement colonial en matière de démocratisation. Le manque total de compassion qui caractérise la période coloniale est tenu pour responsable des difficultés rencontrées par le nouveau gouvernement de la RAS, qui s'est retrouvé au centre de toutes sortes de pressions croisées demandant plus de réformes. Cela tend à montrer que l'héritage colonial n'est pas forcément un atout et peut aussi représenter un handicap.

En conclusion, on peut dire que cet ouvrage constitue un nouvel élément précieux dans le débat sur le fonctionnement de la formule « un pays, deux systèmes » à Hong Kong. Il sera un outil utile non seulement pour ceux qui étudient la politique de Hong Kong mais aussi plus généralement pour les experts en développement politique, les spécialistes de droit comparé, et les théoriciens des relations inter-gouvernementales.

Traduit de l'anglais par Raphaël Jacquet