BOOK REVIEWS

Edward Friedman & Barrett L. McCormick eds., What if China Doesn’t Democratize? Implications for War and Peace

Voici un livre riche en analyses et en informations sur un sujet important. Son questionnement essentiel est le suivant : comment coexister de manière pacifique avec une Chine de plus en plus nationaliste et qui refuse de se démocratiser ? De fait, les auteurs de cet ouvrage sont loin d'apporter des réponses identiques à cette interrogation ; et d'une certaine manière le titre de cet ouvrage est trompeur : pour certains, la Chine va tôt ou tard se démocratiser tandis que pour d'autres, quoique souhaitable, cette issue est non seulement incertaine mais ne constitue pas une garantie absolue contre tout conflit armé, notamment avec les Etats-Unis. Cependant, la grande qualité des contributions ici présentées atténue largement les inconvénients d'un livre pluriel, sinon contradictoire qui a le double mérite de mettre au jour les complexes lignes de fractures entre les différentes approches conceptuelles possibles et de nourrir utilement un débat par définition inépuisable.

Originellement présentées à un colloque organisé en 1997, ces contributions ont été mises à jour et rassemblées en un seul volume en 1999-2000, peu après le bombardement par l'OTAN de l'ambassade de Chine à Belgrade, c'est-à-dire en pleine tension sino-américaine. Mais les arguments qu'elles avancent restent plus pertinents que jamais, tant les tendances observées au lendemain de Tiananmen (1989) et de la crise des missiles dans le détroit de Taiwan (1995-1996) se sont confirmées depuis.

Ce livre est divisé en trois parties : 1) Où va la Chine ? 2) Une paix démocratique est-elle possible ? et 3) Quelles implications pour la politique chinoise des Etats-Unis et les relations sino-américaines ?

La première partie est un stimulant mais assez discutable exercice d'équilibre entre une première section « optimiste », principalement consacrée aux facteurs internes d'évolution (trois chapitres) et une seconde section « pessimiste », centrée sur les attitudes extérieures des autorités chinoises (trois chapitres également). Certes, comme l'indique Suisheng Zhao, il est clair que le nationalisme a été instrumentalisé par l'Etat, plus pour maintenir la stabilité interne du régime que pour se lancer dans des aventures guerrières extérieures ; de même, Jianwei Wang est assez convainquant lorsqu'il avance l'idée que ce nationalisme participe d'un processus d'édification d'un Etat moderne que les pays occidentaux ont achevé de construire depuis longtemps ; et les bourgeons de pluralisme, voire de démocratisation perçus par Minxin Pei au sein du régime « autoritaire mou » (soft authoritarianism) sont connus et seront susceptible de favoriser une transition démocratique : élections villageoises, réforme légale, renforcement des assemblées populaires et multiplication des organisations (quasi) non gouvernementales. Mais la conclusion que le lecteur tire de cette section ne semble pas être celle que ses auteurs souhaiteraient : le nationalisme anti-occidental, les menaces irrédentistes contre Taiwan et le développement autoritaire de la Chine ont encore de beaux jours devant eux, et ceci malgré les mini-réformes politiques observées et l'absence de tout projet expansionniste (à condition évidemment que l'on considère que Taiwan fasse partie de la République populaire de Chine…).

Inversement, la politique étrangère chinoise est-elle uniquement une source d'inquiétude ? Il est incontestable que, afin de justifier sa propre stratégie de domination régionale, la direction communiste chinoise tend à diaboliser les intentions internationales du Japon (Edward Friedman) ; de même, en dépit de son adhésion progressive aux principaux pactes internationaux en matière de droits de l'homme, la Chine populaire maintient imperturbablement une approche relativiste et culturaliste de la question, parvenant ainsi à faire taire une grande partie des critiques extérieures de la situation déplorable de droits de l'homme sur son territoire (Samuel Kim) ; et June Dreyer a raison de nous avertir que probablement la démocratisation de ce pays ne modifiera ni ne modérera son nationalisme et ses revendications territoriales, notamment en mer de Chine du sud. Mais très intenses sur le plan économiques, les relations sino-japonaises restent étroites, en dépit à la fois des critiques chinoises et des difficultés du Japon à assumer ses responsabilités historiques ; comme le reconnaît d'ailleurs S. Kim, la participation toujours plus importante de la Chine au régime international des droits de l'homme (y compris au tribunal pénal international malgré son opposition à l'inculpation de Milosevic) ne peut que peu à peu éroder et affaiblir la conception absolue de la souveraineté qu'affiche ce pays ; et bien qu'encore autoritaire, le gouvernement de Pékin cherche plus souvent, en particulier par une acceptation progressive des mécanismes multilatéraux (Spratlys, adhésion au traité d'interdiction complète des essais nucléaires), à calmer les craintes de ses voisins.

C'est dire si la politique extérieure chinoise dépend de facteurs à la fois multiples et complexes qui ne sont d'ailleurs pas tous internes. D'où l'intérêt du débat de la deuxième partie entre David Bachman et Edward Friedman comme des essais de la troisième partie, qui comportent néanmoins un certain nombre de lacunes. D. Bachman est tout à fait convainquant lorsqu'il estime que la démocratisation du régime chinois ne mettra pas un terme à l'ensemble des différends sino-américains : les rapports de puissance resteront inchangés et la question de Taiwan risque de devenir encore plus ardue à gérer. E. Friedman a également raison de rappeler que la proposition kantienne n'a jamais prétendu que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles (ce qui est historiquement faux) mais a argué que celles-ci ont moins tendance à se faire la guerre que les dictatures (ce qui est statistiquement prouvé) car la « paix éternelle » est quelque chose qui se construit progressivement sur la base d'un Etat de droit (pp. 229-230). C'est pourquoi, afin de minimiser les risques de conflit armé, les démocraties, notamment d'Asie, devraient agir de manière exemplaire et s'efforcer d'intégrer la Chine, qui restera probablement encore assez longtemps autoritaire, dans une forme d'« union multilatérale ».

Harvey Nelsen est donc fondé à déclarer que la démocratisation de la Chine, quoique probable, sera longue et difficile. De fait, le « nationalisme ethnique » des Chinois (notion remise en cause par certains des auteurs), les phénomènes de corruption ainsi que la politique de puissance de Pékin ne disparaîtront pas avec cette transition (p. 279). Et parallèlement, la priorité accordée au développement économique devrait continuer de fortement dissuader la Chine de se lancer dans tout conflit armé de grande envergure. Cependant, l'on ne se trouve pas dans une situation de « risque zéro » : la manipulation du nationalisme par le PC chinois est à double tranchant et exige, de la part des Etats-Unis, une politique non pas d'endiguement mais d'« engagement agressif » de ce pays (Su Shaozhi et Michael Sullivan). Ce danger est également reconnu par Barrett McCormick (pp. 321-322) qui estime que Washington et Pékin ont un intérêt commun à « favoriser un climat de compromis et de négociations » (p. 325).

Mais est-ce possible ? Parfois, mais pas toujours. Et cela dépend pour une bonne part des exigences et ambitions chinoises, l'acteur des relations internationales sans doute aujourd'hui le plus opposé au statu quo. Ici doivent être réintroduits trois variables qui sont passablement négligées tout au long de l'ouvrage et quels que soient les désaccords entre les différents auteurs, notamment sur les dangers du nationalisme, les risques de guerre et les chances de démocratisation.

La première est interne et subjective : les divisions au sein de la société comme du pouvoir chinois sont rarement évoquées alors que si l'on accepte la qualification d'« autoritarisme fragmenté », que l'on doit à Kenneth Lieberthal, il faut absolument tenir compte du fait qu'en Chine populaire, le corps social autant que le Parti communiste sont aujourd'hui particulièrement divisés. Or, après avoir refermé ce livre, l'on ne sait pas plus si les forces en faveur de la démocratie ou d'un nationalisme modéré sont potentiellement plus puissantes que celles qui préfèrent, par intérêt personnel ou peur des risques que présenterait le saut dans l'incertitude démocratique, le maintien du régime actuel et d'un nationalisme colérique.

La seconde est externe et objective : quel que soit la nature de ce régime, celui-ci doit affronter un système international à la fois particulièrement inégal et structuré autour d'une seule grande puissance, les Etats-Unis, et d'une poignée de puissance régionales. Ce système n'est pas forcément défavorable à la Chine qui non seulement est reconnue comme l'un des « cinq grands » de l'ONU mais a vu son influence régionale et globale s'accroître sensiblement au cours des vingt dernières années. Toutefois, le démantèlement de l'Union soviétique et la fin de la bipolarité américano-soviétique placent ipso facto Pékin dans un nouveau jeu avec Washington : n'affrontant plus de menace commune, ces deux capitales laissent à nouveau apparaître les rivalités (domination régionale) et les conflits (Taiwan) qui les opposent depuis 1950. Peut-être qu'une Chine démocratique serait plus disposée à négocier une répartition des responsabilités en matière de sécurité régionale avec les Etats-Unis (et le Japon) et aurait moins besoin de chercher à faire croire au monde qu'elle est capable de se hisser au même rang de superpuissance que les Etats-Unis ; mais cela est loin d'être certain. De même qu'il reste exclu, aux yeux de Washington et quel que soit le locataire de la Maison Blanche, de commencer à négocier et donc de compromettre, le rôle essentiel que jouent les forces armées américaines dans la préservation de la paix et de la sécurité en Asie-Pacifique (cf. l'épisode de l'avion de surveillance américain EP3).

Enfin, bien que les auteurs de cet ouvrage restent modestes — ce fait mérite d'être souligné — quant à la capacité d'influence des Etats-Unis sur le cours des évènements en Chine (p. 340), le « facteur Chine » est trop souvent appréhendé de manière exclusivement américaine. L'on comprend que les auteurs entendent adresser un certain nombre de recommandations — la plupart de bon sens et prudentes — à leur gouvernement. Mais l'avenir de la Chine, et de la paix mondiale, ne dépend pas seulement de la bonne santé des relations sino-américaines. D'une part, il reste pour les Etats-Unis des relations plus importantes (et plus stables), d'abord avec l'Union européenne, ensuite avec le Japon et la Russie. D'autre part, la Chine baigne dans un réseau de relations et d'interdépendances régionales et internationales toujours plus diversifiées et qu'elle souhaite elle-même plus « multipolaires ». Bien que ce vœux demeure loin d'être exhaussé, depuis la fin de la guerre froide et sous la poussée de la globalisation économique, les rapports entre puissances sont aujourd'hui à la fois plus fluides et moins conflictuels. Cela ne signifie pas que la Chine soit vaccinée contre toute fièvre belliqueuse. Mais cela veut dire que, dans un avenir prévisible, ce pays continuera probablement de maintenir à la fois un régime autoritaire à la libéralisation incertaine et une politique étrangère poussant en permanence son avantage, gérant encore souvent des risques plus ou moins calculés mais sachant en général jusqu'où aller trop loin… à condition que l'on lui dise.