BOOK REVIEWS
Henri Eyraud, Chine : La réforme autoritaire, Jiang Zemin et Zhu Rongji
A l'heure où la question de la succession éventuelle de Jiang Zemin et de Zhu Rongji à la tête de l'Etat chinois, programmée pour 2002, devient de plus en plus présente, le grand public français se voit présenté sous la plume du Génréral Eyraut, ex-attaché militaire à Pékin pendant la Révolution culturelle, une biographie croisée de ces deux dirigeants et un survol de la politique qu'ils ont mené depuis leur accession au pouvoir, au lendemain de Tian'anmen. Nulle querelle de spécialiste ici, mais un portrait de dirigeants dont « on sait à peine prononcer le nom » (Introduction, p. 11), allié à un panorama « de l'évolution intérieure de la Chine » (p. 16).
Le projet est légitime : aucune biographie n'est disponible en français et la relation entre les deux hommes a toujours constitué un élément crucial de l'interprétation des réformes. Car s'ils partagent tous deux le principe d'une « réforme autoritaire », comme le choix du titre de l'ouvrage l'indique, Zhu, le technocrate déterminé à réformer le système au prix de quelques coups de pieds dans les fourmilières (bureaucratie, entreprises d'Etat, corruption du Parti, etc.) et Jiang, l'homme d'appareil attentif à ne pas aliéner les conservateurs et à maintenir le pouvoir absolu du Parti, ont souvent semblé diverger sur la question du rythme à imposer à ces réformes.
Le livre, qui comporte 19 chapitres agencés de façon chronologique  parfois entrecoupés de courts chapitres thématiques allant de la pensée chinoise (chapitre 2), au problème de la population et de l'emploi (chapitre 12)  commence par retracer les années d'enfance et de formation des deux dirigeants (chapitres 1 et 2). Si Jiang a eu « une enfance facile dans un environnement heureux (p. 19), Zhu est lui « un enfant du Tiers Monde » (p. 25), orphelin à 10 ans et recueilli par un oncle. Tous deux parviennent néanmoins à faire des études dans le contexte de la guerre civile en Chine : Jiang au département de technologie et d'électricité industrielle de l'Université de Nankin, et Zhu à celui d'ingénierie électrique de l'Université Qinghua.
Les années allant de la capitulation du Japon en 1945 à la fin de la Révolution culturelle (chapitres 3 à 5) suivent la carrière de l'un et de l'autre à travers les soubresauts de l'époque maoïste. Jusqu'en 1965, « Jiang semble surfer avec facilité sur les vagues, alors que Zhu est renversé par les flots » (p. 47) : accusé d'être un « élément droitier anti-parti », ce dernier est envoyé à la campagne pour « se réformer » pendant quatre années. Le même scénario se répétera autour de la Révolution culturelle : Jiang reste un haut cadre, à Wuhan tout d'abord, puis à partir de 1970 au ministère de l'Industrie mécanique ; tandis que Zhu, toujours étiqueté « droitier » est envoyé en rééducation par le travail de 1970 à 1975, où « il partage son temps entre l'explication du petit Livre rouge et les travaux de la campagne » (p. 62).
C'est pour tous les deux un passage à la tête de la municipalité de Shanghai qui servira de tremplin pour leur accession à la direction de l'Etat (chapitres 6 et 7). En1985, Jiang est nommé maire de Shanghai ; fin 1987, Zhu le rejoint pour, selon ses mots, « aider le camarade Jiang Zemin à prendre en main le travail économique » (p. 76). La même année, Jiang rentre au Bureau politique. Zhu devra lui attendre le XIVe congrès pour entrer au Bureau politique. Même si c'est à Shanghai qu'ils font leurs preuves, ce sont les évènements de 1989 qui vont servir de catalyseur : la situation à Shanghai est maîtrisée sans employer la force armée (p. 85). Jiang, appelé à Pékin, est désigné par Deng Xiaoping comme remplaçant de Zhao Ziyang. Lorsque le patriarche pense à relancer les réformes après le gel post-Tian'anmen, au printemps 1991, il choisit Zhu, qui est nommé vice-Premier ministre. Au XVe congrès, en 1997, il prend la succession de Li Peng (chapitre 10).
Les chapitres 11 à 15 déclinent alors la stratégie de navigation « entre de gros écueils » de l'équipe au pouvoir : population et emploi, réforme des entreprises d'Etat, question de Taiwan, agitation dans les régions de minorités, etc., Henri Eyraut passe en revue les nombreux problèmes auxquels se heurte la Chine de la fin des années 1990. Il en profite pour donner un éclairage sur diverses questions, comme la répression du Falun Gong (p. 155), la corruption (p. 167), l'accession à l'OMC (p. 187) ou la montée en puissance militaire (chapitre 16).
Enfin, les trois derniers chapitres offrent une conclusion lâche en forme de point d'interrogation. La succession, dont l'auteur souligne que « l'influence rémanente de Jiang Zemin [ ] en serait le principal enjeu » (p. 211), est évoquée au chapitre 17 ; la question de savoir si « la démocratie est au bout du chemin » est traitée au chapitre 18, et débouche sur un ensemble de spéculations sur « la Chine dans 20 ans » (chapitre 19) où l'auteur évoque quatre scénarios : la continuité ; l'enlisement du système ; une division de la Chine ; l'autoréforme graduelle du Parti » (p. 230).
Volontairement généraliste et reposant sur des sources de seconde main, l'ouvrage n'est certes pas destiné aux chercheurs ou aux spécialistes. Les chapitres sont des plus inégaux en qualité, certains ressemblant plus à une compilation de notes de lectures qu'à une analyse ordonnée. Les jugements de l'auteur sont parfois surprenants: Zhu Rongji est qualifié de « réformateur à la Kemal Ataturk » (p. 199) ; Hu Jintao est décrit comme « un inconnu politique jusqu'à son ascension éventuelle au sommet » (p. 213). La réforme autoritaire constitue toutefois une introduction solide pour le grand public, agencée autour d'un vivant portrait des deux hommes choisis par Deng Xiaoping pour poursuivre après lui la modernisation de la Chine.
 
         
        