BOOK REVIEWS
Jan Michiel Otto, Maurice V. Polak, Chen Jianfu et Li Yuwen éds., Law Making in the People’s Republic of China
Cet ouvrage est le fruit d'une conférence internationale qui s'est tenue à Leiden en octobre 1998 et avait pour objet de brosser le portrait des évolutions de la fonction législative dans la Chine de la fin des années 1990. Divisé en trois parties (« Overview and Review », « Institution and Actors », « Case Studies »), Law Making in the People's Republic of China se propose de répondre aux interrogations suivantes : Qui sont les législateurs et quels sont les produits du processus législatif en Chine, comment une loi est-elle produite, quel sens doit-on accorder à ces produits législatifs d'après la perspective de la certitude juridique, peut-on distinguer une approche ou un style législatif chinois, quels sont les problèmes législatifs et techniques que les juristes chinois ont identifié et quelles sont les solutions qu'ils pensent leur apporter ? » (p. x).
Forts d'une première partie introductive qui examine la fonction législative sous l'angle idéologique en s'appuyant sur une éclairante analyse de la terminologie (Harro von Senger pp. 41-54) et décrit son évolution historique (Chen Jianfu reproduit à peu de choses près l'analyse formulée dans Chinese Law), les auteurs nous offrent une étude riche et variée de l'ensemble des institutions et des acteurs chinois engagés dans la production normative((1).
Au cur du processus législatif, l'Assemblée nationale populaire reste avec le Conseil des affaires d'Etat, le pilier de la promulgation de textes de loi. Alors que l'Assemblée nationale populaire et son Comité permanent sont investis par la Constitution de 1982 du pouvoir législatif à l'échelle nationale (promulgation de loi ou falü), le Conseil des affaires d'Etat a le pouvoir d'adopter des dispositions administratives (réglementations ou guiding, règlements ou tiaoli, circulaires ou tongzhi, etc.). Le rôle clé de ces deux organes du pouvoir est toutefois largement concurrencé par les fonctions législatives accordées aux autres institutions de l'Etat. Loin d'être un système unitaire comme le voudrait la Constitution, le système chinois s'articule en effet en fonction d'au moins trois niveaux différents : les lois nationales (falü), les règlements administratifs nationaux (xingzheng fagui) et les règlements administratifs locaux (difangxing fagui). Aussi les ministères et commissions dépendant du Conseil des affaires d'Etat peuvent-ils par exemple produire des ordres, des directives et des règlements dans leur domaine de compétence et en accord avec les textes promulgués par le Conseil des affaires d'Etat. Les assemblées populaires locales et leurs comités permanents peuvent également légiférer sans bien sûr entrer en conflit avec les textes rédigés à l'échelle nationale (voir le cas de Shanghai, pp. 117-129)((2). Enfin, les assemblées populaires des régions autonomes (cf. Shi Wenzheng et Bu Xiaoli, pp. 131-140) ont le pouvoir d'adopter leurs propres textes, tout comme le font les zones économiques spéciales.
On comprend évidemment très vite que cet enchevêtrement complexe et anarchique d'autorités législatives dépourvues de réelle division de pouvoir ait conduit à de nombreux conflits de lois. L'absence de hiérarchie des normes pose le problème de l'effectivité du droit chinois. Confus, contradictoire et difficilement applicable de manière uniforme, le droit chinois est très vite conduit à une sorte d'abrogation par désuétude, laquelle sert par défaut à réguler les excès de l'inflation législative.
L'ouvrage se referme sur deux études de cas : Pitman B. Potter a su mettre en évidence les interactions existantes entre le droit international et le droit interne chinois à partir de la nouvelle législation sur le droit des contrats, alors que Jean-Pierre Cabestan s'est attelé à retracer les évolutions du droit administratif. Dans le cas du droit des contrats, le législateur chinois s'est largement inspiré des normes en vigueur à l'échelle internationale. Cette internationalisation devrait bientôt profiter au droit administratif par l'intermédiaire de l'accession de la Chine à l'OMC puisque celle-ci impose à ses membres des exigences de transparence et de publicité.
Mais que dire du « style législatif chinois » ? Nous rejoindrons à ce propos l'analyse de Jan Michel Otto qui y voit un style délibérément « planifié et contrôlé » qui pourrait être décrit ainsi : «technicien, orienté dans le sens du développement économique, éclectique, pragmatique et à l'évolution irrégulière » (p. 232).
Les derniers développements apportés au droit économique et plus particulièrement au droit des contrats en vertu des impératifs de croissance et de stabilité ne doivent toutefois pas faire oublier le caractère idéologique du droit chinois qui reste profondément marqué par les orientations politiques du Parti et pourrait en ce sens continuer d'appartenir à la famille des droits socialistes identifiée par René David ou à celle des droits traditionnels comme l'a montré Ugo Mattei((3). Pragmatique pour ne pas dire utilitariste et éclectique parce qu'influencé par les systèmes de droit civil et de common law, le droit chinois contemporain est en réalité un droit hybride et en devenir dont on attend, au-delà d'une approche évolutionniste et culturaliste, qu'il se conforme désormais pleinement aux normes internationales. Rien, pas même l'accession de la Chine à l'OMC et les impérieuses réformes qui devraient s'en suivrent, ne laisse pourtant espérer cette évolution en profondeur sans un changement politique majeur. Les conclusions de Chen Jianfu (cf. appendice sur les apports de la loi législative) sont de ce point de vue éloquentes : le droit chinois ne serait toujours que la version institutionnalisée des politiques et des directives du Parti en fonction de l'incorporation dans la Constitution et désormais dans la loi législative (lifafa) des « quatre principes fondamentaux »((4), dont le plus important reste le rôle dirigeant du Parti exercé au nom de l'Etat((5). Créer du droit c'est en effet uvrer pour un certain type de société en fonction d'impératifs moraux et politiques. Quel Etat de droit nous propose-t-on aujourd'hui en Chine ? Certainement pas un Etat où les principes de justice et d'équité sont universellement respectés.
L'un des nombreux mérites de Law making est d'avoir su mettre en lumière le caractère premier et essentiel du processus législatif dans la construction d'un Etat de droit dans la Chine des réformes. Il convient donc de saluer les efforts de systématisation et de clarification (le glossaire est à cet égard d'une grande utilité) réalisés par les auteurs afin de rendre intelligible une question peu connue et d'une grande complexité. On regrettera néanmoins que cet ouvrage de qualité n'ait pas toujours été actualisé. L'article de Li Buyun rédigé en 1996 sur la loi législative semble par exemple dépassé et seule l'appendice de Chen Jianfu permet de véritablement comprendre ce texte original et sans précédent adopté le 15 mars 2000 afin de combler les lacunes de la Constitution de 1982, mais dont on peut penser qu'il n'a fait qu'entériner les pratiques existantes sans garantir la mise en place d'un véritable processus législatif, dépolitisé et institutionalisé.
Il reste que cet ouvrage, certes un peu technique et parfois inégal, est d'une grande richesse et sans équivalent. On en recommandera donc tout particulièrement la lecture au spécialiste et au praticien du droit chinois.