BOOK REVIEWS

Ho Pui-yin, Water for a Barren Rock. 150 Years of Water Supply in Hong Kong

La touriste que j'étais au début des années 1960 se souvient encore des sévères restrictions qui pesaient alors sur la distribution d'eau courante à Hong Kong : les robinets ne fonctionnaient que quelques heures par jour. Le problème d'approvisionnement en eau a été, depuis le début, un des problèmes majeurs du développement de Hong Kong. En 1842, à l'issue de la guerre de l'opium, le choix fait par le gouvernement britannique d'annexer l'îlot alors quasi désert répondait à des préoccupations stratégiques autant que commerciales. Mais l'exiguïté du territoire et la faiblesse de ses ressources en eau douce (en l'absence de tout grand bassin fluvial et de gisements phréatiques) étaient autant de handicaps qui n'ont cessé de peser sur le développement de la colonie pendant des décennies. L'ouvrage de Ho Pui-yin s'attache à analyser les causes et les conséquences de cette pénurie d'eau ainsi que les remèdes qui lui ont été progressivement apportés.

Lorsqu'il ouvre ce luxueux volume in-octavo, le lecteur est d'abord frappé par l'abondance des illustrations : tableaux du peintre Auguste Borget (riche ami de la famille d'Honoré de Balzac, arrivé à Hong Kong en 1838, avant même l'établissement de la colonie britannique), cartes et photographies anciennes tirées des archives de l'administration de Hong Kong, du Public Record Office ou de fonds privés. Autour du thème omniprésent de l'eau (grands travaux d'équipement, systèmes de distribution, modes d'utilisation), ces illustrations font défiler paysages naturels et urbains, ingénieurs et coolies au travail, releveurs de compteurs en grand uniforme, scènes de rues autour des fontaines, cérémonies d'inauguration de nouvelles installations. Parmi tous les recueils d'archives photographiques qui ressuscitent la vie de Hong Hong aux siècles passés, celui-ci trouve unité et originalité dans sa construction thématique et se distingue par la qualité des reproductions.

Water for a Barren Rock, cependant, n'est pas seulement un recueil de belles images. Le texte d'accompagnement retrace les circonstances historiques dans lesquelles s'est posé et a finalement été résolu le problème de l'eau et montre combien le développement économique de Hong Kong et l'épanouissement de sa société ont suivi les progrès réalisés dans le stockage et la distribution du précieux liquide.

Commanditée et publiée par le Water Supply Department du gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong pour célébrer le 150e anniversaire des premiers travaux d'équipement public, l'enquête a été confiée au département d'histoire de l'Université chinoise et poursuivie sous la direction du professeur Ho Pui-yin. Cette étude s'appuie sur une abondante documentation : textes du gouvernement colonial, rapports administratifs internes, presse contemporaine, articles et ouvrages. Pour alléger l'appareil critique d'un livre qui s'adresse aussi au grand public, la liste des références est donnée de façon globale en fin de volume.

L'étude se divise en trois parties chronologiques. De 1840 à 1899, on construit les premiers grands réservoirs (de Pokfulam, de Tai Tam...) sur l'île de Victoria. L'objectif est de stocker les eaux de pluie tropicale, abondantes mais très irrégulières (de 1000 à 3500 millimètres par an), afin de compléter l'approvisionnement fourni par les cours d'eau et les puits. L'initiative de ces constructions revient au gouvernement colonial, soucieux d'assurer la survie d'une population qui passe de 7 000 habitants dans les années 1840 à 220 000 en 1891. À l'origine, seuls le district de Central et la partie occidentale de l'île, plus peuplés, sont alimentés par les eaux des réservoirs. À la fin du siècle, le système de distribution s'étend à l'Eastern District et à Kowloon. Les réservoirs fournissent alors 80% de l'eau consommée par les résidents. Seules les résidences coloniales sont équipées de système de plomberie privée. L'immense majorité de la population s'approvisionne auprès des fontaines publiques, installées dans les rues. En période sèche, le débit des fontaines se ralentit et les bagarres éclatent parmi les porteurs de seaux. L'approvisionnement en eau, que l'administration coloniale considère comme relevant directement de sa responsabilité (1), est gratuite. Les travaux d'équipement sont (mal) financés par un prélèvement de 2% sur l'impôt général (rate).

Au tournant du siècle, deux événements contribuent à faire évoluer ce système. D'une part, la peste de 1894 est l'occasion d'une pénible prise de conscience des insuffisances, en qualité comme en qualité, de l'approvisionnement en eau. D'autre part, en 1898 la cession à la Grande Bretagne des Nouveaux Territoires, au nord de Kowloon, étend la superficie de la Colonie et offre de nouveaux sites propices à l'installation de grands réservoirs. Dans la seconde période (1900-1946) envisagée par l'auteur, les capitaux investis par le gouvernement colonial dans les équipements hydrauliques augmentent dans des proportions jusqu'alors inconnues : ils se comptent désormais en millions de dollars que fournissent les emprunts et, à partir de 1902, la redevance que le gouvernement se met à exiger des consommateurs. Et bien que grues et bulldozers viennent à la rescousse des pelles de coolies, la construction des nouveaux grands réservoirs s'étale souvent sur une dizaine d'années. Les progrès du ravitaillement en eau accompagnent la croissance de la population (1,6 million d'habitants en 1941) et l'essor du commerce. Mais l'irrégularité des précipitations et le retour périodique des sécheresses qui vident les réservoirs (telle celle de 1929) continuent d'imposer aux consommateurs des restrictions, strictement graduées en fonction de la gravité de la crise.

Pendant la dernière période (1946-2000), Hong Kong arrive enfin à résoudre ses problèmes grâce à la construction de réservoirs géants, comme celui de Tai Lam Chung (au sud-ouest des Nouveaux Territoires), grâce à l'utilisation de l'eau de mer pour le fonctionnement des chasses d'eau (dont l'installation se répand à partir des années 1950), grâce enfin à l'importation, depuis 1960, d'eau douce du Guangdong voisin, les eaux du fleuve Dongjiang étant dérivées par canal jusqu'au réservoir de Shenzhen puis acheminées par canalisation jusqu'à Hong Kong. Hong Kong semble donc désormais à l'abri de ces grandes crises de sécheresse, causes de difficultés sanitaires, économiques et sociales, qui ont ponctué son histoire et dont la dernière remonte à 1963. Actuellement les problèmes naissent de l'urbanisation accélérée du Guangdong, qui entraîne le renchérissement des eaux importées et la dégradation de leur qualité. Ce sont là les problèmes ordinaires, de prix et de pollution, rencontrés dans tous les grand centres urbains.

Sur un sujet important, Ho Pui-yin nous livre une étude d'une extrême précision, traversée par le souci constant de resituer le problème de l'eau dans le contexte historique général. Les conditions dans lesquelles a été menée la recherche expliquent sans doute la part souvent un peu envahissante des descriptions techniques. Mais même s'il se fait ici un peu rude, le retour aux réalités du terrain, qu'appellent certaines outrances de l'histoire des images et représentations, n'en apparaît pas moins salutaire.