BOOK REVIEWS
Li Cheng, China’s Leaders
Qui gouvernera la Chine au XXIe siècle ? Depuis plusieurs années l'étude des élites passionne les politologues. Les spécialistes de la transition ont mis l'accent sur leur rôle dans la sortie des régimes autoritaires, et les changements qui ont affecté la sociologie des classes dirigeantes dans les pays d'Europe de l'Est sont considérés comme un facteur important de leur transformation démocratique. Dans ces conditions, le livre de Li Cheng ne peut qu'être le bienvenu. Malgré l'ouverture de la Chine depuis plus de deux décennies en effet, la sociologie des élites politiques et économiques est restée négligée. Li Cheng, qui semble appartenir à ce groupe social, était plutôt bien placé pour se lancer dans un tel projet.
Il a choisi d'étudier la génération qui arrive aux commandes aujourd'hui. Comme dans toute oeuvre scientifique bien faite, l'auteur justifie l'utilisation du concept de génération en se référant aux grands anciens. Ainsi, il explique qu'il préfère la définition de Mannheim qui insiste sur « l'importance des expériences collectives politiques et sociales » (p. 6) à celle qui s'appuie sur la simple année de naissance. Ce choix nous semble tout à fait justifié, mais notre auteur l'applique très mal. Est-ce sa volonté de ménager la chèvre scientifique et le chou politique ? Toujours est-il qu'en qualifiant de « génération de la Révolution culturelle » la cohorte née entre 1941 et 1956  celle que l'on qualifie officiellement de « quatrième génération »  il commet une sérieuse erreur. En effet, l'incidence de cet événement est très différente selon que l'on s'intéresse à ceux qui avaient entre 15 et 18 ans en 1966, les Gardes rouges, ou à ceux qui en avaient 25 et disposaient déjà d'un emploi. Toutes les études, toutes les autobiographies démontrent que la génération des gardes rouges a eu une formation très particulière qui influe de manière décisive sur sa conception du monde et sur son comportement politique. De même, les membres de l'élite nés en 1956 n'ont guère participé à la phase chaude de la Révolution culturelle et ont souvent eu l'occasion d'étudier à l'étranger pendant les années 1980. Leur expérience les rend plus proches de ceux qui sont nés entre 1956 et 1966 que de leurs prédécesseurs. Ce contresens nuit à la qualité de l'étude de Li Cheng. De plus, notre auteur n'est pas toujours très rigoureux dans son utilisation des concepts. Ainsi, le qualificatif de technocrate est un peu appliqué à la légère : par exemple, on ne voit pas en quoi Fang Lizhi, professeur de physique à l'université, était un « ancien technocrate » (p. 31), sinon à confondre la maîtrise de connaissances scientifiques ou techniques avec la propension à la technocratie.
Toutefois, cet ouvrage a des qualités. Les analyses quantitatives fondées sur les biographies officielles des cadres dirigeants montrent bien l'élévation du niveau culturel des nouveaux cadres du Comité central (voir le chapitre intitulé « The Rise of Technocrats »).
Son analyse des biographies des cadres au niveau tant provincial que central montrent que le renouvellement du personnel a été impressionnant au cours des deux dernières décennies. Les autres conclusions qu'il tire sont intéressantes : il montre notamment que les provinces de l'Est (surtout Shanghai, le Jiangsu et le Shandong) sont sur-représentées tandis que le Sud, qui représente pourtant 10% de la population et 14% du PNB ne compte que 5,4% des dirigeants centraux, 2,7% des dirigeants provinciaux et 3% des maires de grandes villes (p. 60).
Li note en outre que dans la « quatrième génération », un plus grand nombre de dirigeants provinciaux et de maires servent dans leur région d'origine (p. 81) . Enfin, dans cette génération comme dans les précédentes, les femmes représentent un très faible pourcentage des dirigeants (12,1% du plus récent groupe de dirigeants étudiés) (p. 57). Rendons justice à un auteur qui est bien conscient des limites de l'analyse quantitative : celle-ci, comme il le remarque lui-même, « nous dit qui gouverne mais ne fournit aucun indice sur la manière dont ils sont arrivés au pouvoir » (p. 81). Or, les mécanismes de sélection des élites sont un élément essentiel du fonctionnement d'un système politique.
C'est pourquoi Li Cheng s'attaque à la question du rôle des groupes de relations par des études ciblées. Dans son chapitre sur la « clique de Qinghua », il montre que le projet explicite de son président dès les années cinquante, Jia Nanxiang, consistait à former les futurs dirigeants de la République populaire. Il n'encourageait pas seulement l'acquisition des compétences mais aussi l'ambition politique. C'est ainsi que les « conseillers politiques », une institution qu'il avait lui-même créé, devenaient à la fois des dirigeants de premier plan ainsi que des chercheurs renommés (même si leur niveau académique n'était pas extraordinaire). Malgré la Révolution culturelle et toutes les péripéties de l'histoire contemporaine du Parti, les diplômés de Qinghua sont parvenus à des positions de direction, et le futur numéro un du Parti, Hu Jintao, en a été diplômé dans les années cinquante.
Toute personne qui s'intéresse un tant soit peu au groupe dirigeant chinois sait qu'à part la clique de Qinghua, les autres groupes influents sont le parti des princes (Taizi dang) et la bande des secrétaires (mishu bang). Li Cheng consacre au dernier groupe une étude des cas de Zeng Qinghong et de Wen Jiabao, mais il faut reconnaître que l'on n'apprend pas grand'chose dans ce chapitre. Li remarque cependant que le népotisme joue un rôle important en Chine mais uniquement si les personnes concernées disposent d'une éducation suffisante.
Bien que ne représentant pas une fantastique avancée dans la recherche sur la sociologie des élites chinoises, le livre de Li Cheng constitue une synthèse honnête utilisable dans un cours de science politique sur la Chine.
 
         
        