BOOK REVIEWS

Robert Heuser, Einführung in die chinesische Rechtskultur

by  Harro Von Senger /

Dans son nouveau livre, Robert Heuser, professeur enseignant la « culture juridique de la Chine » à l'Université de Cologne (Allemagne), veut donner une perspective à la fois historique et comparative (p. 28), une vue d'ensemble de la « totalité » de l'ordre légal de la Chine contemporaine (p. 17), en mettant l'accent sur la République populaire de Chine (RPC). Il définit « l'ordre juridique » comme la somme des normes en vigueur, de leurs interprétations par la jurisprudence, et des structures et responsabilités des institutions de l'Etat. La notion de « culture juridique » englobe l'ordre normatif, son fonctionnement, son influence sur la vie réelle et sa relation avec le passé (pp. 24-25). Sur la base de ce programme exposé dans la « Préface » (pp. 17-18) et dans l'« Introduction » (pp. 23-40), Robert Heuser présente en l7 chapitres « les facteurs qui forment la culture juridique de la Chine » (pp. 41-184), « les sources du droit chinois » (pp. 185-238), « les tribunaux et les avocats » (pp. 239-258) et « les objectifs du droit » (pp. 259-470). Dans la « Conclusion » (pp. 471-472), Robert Heuser analyse les « manifestations et les orientations éventuelles de futurs changements de la culture juridique en Chine ». Pratiquement chaque domaine du droit de la RPC est traité de façon plus ou moins exhaustive. Des cas concrets viennent parfois illustrer les propos, et presque toujours les opinions académiques de certains juristes sont présentées et détaillées (avec une inclination de l'auteur vers les prises de position « progressistes », très marquées du sceau de la fin des annés 1980). Seuls les commentaires sur le droit international privé (pp. 371-374) et le droit international public (pp. 193-194) ont été rédigés avec une certaine hâte. Néanmoins, le lecteur est parfaitement informé des développements des mécanismes juridiques de la RPC de 1949 à 1998. Robert Heuser omet rarement des normes juridiques importantes — le fait qu'il détaille les « prescriptions concernant les lettres et les visites de réclamation » (xin fang tiaoli) du 28 octobre 1995 (p. 293) en témoigne. Il est intéressant de noter que l'auteur n'insiste pas outre-mesure sur le soi-disant caractère « confucéen » de la RPC et qu'au contraire, il mette l'accent sur les relations entre des traditions provenant de l'ancien légisme (fajia) et certaines nouvelles tendances du droit de la RPC, tout en mentionnant fréquemment l'influence persistante des conceptions marxistes et sovieto-socialistes (pp. 37-38, 42, 146-150, 156, 354, 385, 402, etc.). Selon Robert Heuser, la culture juridique chinoise n'appartient pas pour autant à la famille du droit socialiste, mais constitue une culture juridique sui generis (p. 39).

Plusieurs éléments viennent cependant quelque peu nuancer tout le bien que nous pensons de cet ouvrage.

Certains termes juridiques ne sont pas traduits de façon cohérente et quelques noms propres ne sont pas reproduits correctement. Ainsi, les traductions des mots chinois fa et falü sont changeantes. Alternativement, Robert Heuser traduit ces termes par « droit » (Recht, pp. 26, 32, 59, 80, 293, 300, 472, etc.) ou « loi » (Gesetz, pp. 32, 68, 71, 79, 93, 220, 288, 296, 382, etc.). Le glossaire des caractères chinois ne contient pas tous les mots chinois mentionnés dans le texte et la table d'abbréviations n'est pas complète.

Le livre de Robert Heuser montre des faiblesses en ce qui concerne le champ extra-juridique de l'environnement politico-social mis en place par le Parti communiste chinois (PCC). Pour ce faire, le PCC utilise non seulement les lois, mais en principe tous les éléments de la soi-disante superstructure, comme la langue, les beaux arts, la littérature, les religions officiellement reconnues, les coutumes, les normes éthiques et, au premier chef, les normes du Parti (luxian, fangzhen, zhengce) qui dominent le droit (fa/falü) chinois. Le défaut fondamental de l'ouvrage de Robert Heuser consiste à surestimer l'influence du droit en RPC. Cette tendance panjuridique est étroitement liée à sa façon d'appréhender le « droit » plus dans le sens très large allemand de Recht que dans le sens étroit chinois de fa/falü. Par exemple, les li (rites) de la Chine traditionelle sont qualifiés de « droit coutumier » (Gewohnheitsrecht, p. 71). En outre, Robert Heuser considère les normes politiques (zhengce) comme une source de droit (fayuan) (pp. 38, 206-208, 238). L'une des raisons provient de l'article 6 des Principes généraux du droit civil de 1986, selon lequel les activités civiles doivent être conformes à la loi et, en l'absence de loi, « doivent être conformes aux politiques [zhengce] de l'Etat ». Un autre argument voudrait que les politiques fonctionnent comme des lois (p. 187) et que, dans l'esprit du paysan moyen chinois, la différence entre fa et zhengce est plus que ténue. Si l'on adoptait le point de vue de Robert Heuser, il faudrait aussi considérer comme « source de droit » la morale sociale, puisque selon l'article 6 des Prescriptions sur l'organisation des comités populaires de médiation (17 juin 1989), « la médiation doit être réalisée en conformité avec la loi, […] les politiques [zhence] de l'Etat et, en l'absence de telles prescriptions, en conformité avec la morale sociale [shehui gongde] » (p. 212, note 9). A notre connaissance, aucun juriste chinois n'est disposé à admettre que les politiques sont constitutives de la loi chinoise. Le fait que les médias officiels tentent de présenter de plus en plus les politiques sous la forme de lois montre précisément que ces politiques ne sont pas des « sources du droit » (fayuan) en tant que telles. Il faut ici souligner que la position de Robert Heuser, laquelle consiste à essayer de pousser quasiment toutes les normes sociales qu'il découvre en Chine dans le lit d'un Procruste nommé « droit », correspond à une mode très courante en Occident et dont l'influence se fait également sentir chez certains juristes chinois et japonais. Robert Heuser ne fait en somme que répéter ce que presque tous les spécialistes occidentaux disent (1).

Le livre de Robert Heuser a été honoré, en Chine, par un compte rendu élogieux rédigé par l'éminent juriste chinois Mi Jian, professeur à l'Université chinoise de l'Etat et du droit (2). Pour notre part, nous recommanderons cet ouvrage à toute personne désireuse de faire un tour d'horizon détaillé et actualisé de l'univers juridique chinois.