BOOK REVIEWS
Steve Smith, A Road is made: communism in Shanghai. 1920-1927
Ce livre, de fort belle allure avec ses 315 pages, dont 226 de texte, comporte deux index, l'un pour les noms propres, l'autre pour les noms d'objets ou d'institution, mais est dépourvu de caractères chinois. La carte de Shanghai en 1927 est originale, avec indication des principaux lieux où se déroula en mars-avril 1927 l'épisode shanghaien de la « tragédie de la révolution chinoise ». Le chercheur dispose ainsi d'une excellente mise au point sur la partie de la phase urbaine de la révolution chinoise qui se déroula dans la métropole du Bas Yangzi, après deux décennies de découvertes historiques suite à l'ouverture des archives municipales de Shanghai, sur place, des archives de la Shanghai Municipal Police à Washington (DC) et de celles de l'Internationale Communiste à Moscou((1). Après les publications pionnières sur la question qui vont de La tragédie de la révolution chinoise d'Harold Isaacs, en 1938, au Mouvement ouvrier chinois, 1919-1927 de Jean Chesneaux, en 1962((2), un second cycle sur l'histoire politique et sociale de Shanghai s'est ouvert dans les quinze dernières années du siècle, marqué par divers ouvrages, tous présents dans l'excellente bibliographie de Steve Smith. Ce livre en fait une sorte de bilan, sous une forme narrative qui restitue la dimension du temps, parfois trop occultée par les courants actuels de la recherche en sciences sociales. On dispose donc d'une présentation nouvelle, voire renouvelée, de faits connus  ainsi pour le 30 mai 1925, les trois insurrections de 1926-27, ainsi que le coup de force anticommuniste du 12 avril 1927 , d'indications précieuses sur les analyses de ces événements faites à chaud par leurs principaux agents, dont les dirigeants communistes sur place et à Moscou, de précieuses biographies de divers cadres obscurs du mouvement ouvrier. Ce serait déjà beaucoup. Mais un autre intérêt du livre vient de la personnalité de son auteur, qui s'est intéressé naguère au mouvement révolutionnaire et aux ouvriers de Saint-Petersbourg entre 1905 et 1917 et nous fait profiter d'un regard croisé, comparatiste, sur deux révolutions à forte composante ouvrière, marquées l'une et l'autre, à des titres divers, par l'intervention de jeunes intellectuels qui veulent « éveiller » le prolétariat. Les conclusions de Steve Smith confirment et précisent ce que la recherche récente avait déjà plus ou moins établi :
1. Les agents de l'Internationale Communiste ont joué un rôle décisif dans la transformation du réseau de sociétés d'études plus ou moins marxistes en cellules communistes, notamment au plan des finances (p. 33) ;
2. Le mouvement du 30 mai 1925 a bien joué un rôle fondamental dans l'implantation du PC chinois, mais l'historiographie communiste a occulté le contrôle décisif exercé sur le mouvement, par la Chambre de commerce chinoise, et notamment Yu Yaqing ;
3. Plus généralement, les syndicalistes ouvriers non communistes ou anticommunistes exercent une influence souvent décisive entre 1920 et 1925 et demeurent bien implantés lors de la vague révolutionnaire de 1925-27 ;
4. L'implantation communiste est, par contre, fragile, et sert souvent de relais des sociétés secrètes et autre structures sociétales traditionnelles. Les pages consacrées notamment au services d'ordre des syndicats révolutionnaires (jiuchadui), fort indiscipliné et mal contrôlé au plan politique sont particulièrement éclairantes (pp. 156-158). L'inquiétude dont font montre les dirigeants communistes à leur sujet, révélée par divers documents internes utilisés par Smith, n'était pas connue des chercheurs.
Ainsi ce livre nous situe à la base d'un mouvement que l'on a trop souvent interprété en termes politiques, notamment dans le cadre du conflit Staline-Trostsky. Il est donc libérateur((3).
 
         
        